Ulysse et ses compagnons parviennent au pays des Cyclopes.
Mais ils franchissent d’invisibles frontières. Sans le savoir, Ulysse et ses compagnons parviennent dans l’âge d’or :
« Nous parvînmes au pays des Cyclopes, orgueilleux sans lois qui, confiants dans les dieux immortels, ne plantent pas de leurs mains ni ne labourent. Toutes les plantes [...] poussent pour eux sans qu’ils les sèment ni les cultivent. Ils n’ont pas d’assemblée où l’on délibère ni de lois, ils habitent le sommet de hautes montagnes, dans des grottes profondes et chacun y dicte sa loi à sa femme et à ses enfants sans s’occuper des autres » (page 43).
Mais cet âge d’or (versant négatif de cet âge, à opposer à celui que connaissent les Phéaciens) abrite des géants monstrueux ne possédant qu’un œil, méprisant la civilisation et ses règles. Ainsi, Polyphème va jusqu’à rejeter les lois de l’hospitalité pourtant sacrée chez les Grecs, et se nourrit même de chair humaine. Il ne craint pas les dieux et prétend être plus fort qu’eux (pages 47 et 48).
Chez Polyphème, Ulysse est dans une situation inverse à celle qu’il a connue chez les Kikones. Alors que les compagnons voulaient rester et que Ulysse voulait partir, Ulysse veut désormais rester et ses compagnons partir. C’est en somme une méchante curiosité qui pousse Ulysse à voir qui habite la grotte qu’ils ont découverte :
« Mon cœur m’incitait à aborder ce géant d’une force prodigieuse [...] » (page 46) et « Mes compagnons me supplièrent d’emmener fromages, agneaux et chevreaux au navire et de fuir sur la mer. Je refusai » (page 46).
Une scène de carnage s’ensuit. Le cyclope leur refusant l’hospitalité s’empare de deux hommes, leur fracasse le crâne et les mange sans rien laisser, puis s’endort. Ulysse voudrait le tuer mais s’il le faisait, il ne pourrait plus sortir de la grotte que le géant a refermée d’un rocher que vingt chars auraient difficilement ébranlé. Il prépare alors une de ses ruses les plus célèbres. Ulysse fait face au Cyclope (en Personne) ! Il donne au géant de ce vin que lui a donné Maron (le prêtre d'Apollon qu'Ulysse a épargné lors du massacre des Kikones et qui, en reconnaissance, lui offre plusieurs outre d'un vin exceptionnel, une sorte de nectar divin). Il enivre de vin le cyclope réveillé, et lui dit qu’il s’appelle Personne. Le cyclope s’endort, et Ulysse et ses compagnons s’apprêtent à crever l’œil unique de ce géant ivre de vin qui vient de dévorer deux autres compagnons. L’horreur est à son comble. Ulysse ne nous épargne aucun détail propre à susciter l’effroi :
« Le sommeil le dompta. De sa gorge jaillirent le vin et des morceaux de chair humaine. Il rotait, gorgé de vin » (page 51).
C’est à ce moment qu’Ulysse et ses compagnons trouvent le courage de grimper sur le géant, et de lui crever l’œil (de l’énucléer) à l’aide d’un tronc d’olivier (signe de la présence d’Athéna ?). Cette fois encore, Ulysse n’est pas avare de détails quand il nous dit que le sang chaud jaillit de l’œil dont les paupières et les sourcils grésillent (page 52).
Fou de douleur, Polyphème hurle, ce qui a pour effet immédiat de réveiller les autres cyclopes vivant alentour. Ceux-ci lui demandent ce qu’il a et qui le fait souffrir ainsi, et Polyphème de répondre : C’est Personne !
Désormais aveugle, le cyclope décide de se mettre à l’entrée de la grotte et d’attraper tout ce qui tentera d’en sortir. Ulysse le comprend et se cache sous les brebis du cyclope en s’agrippant à leur laine. Tous sortent de cette façon, Ulysse le dernier.
L’épisode aurait pu se terminer ainsi mais, désireux de se couvrir de gloire, Ulysse apostrophe le cyclope et lui dit :
« Si un mortel t’interroge sur la perte de ton œil, dis-lui que c’est Ulysse, le dévastateur de citadelles, fils de Laërte et habitant d’Ithaque, qui te l’a arraché » (page 55).
Le cyclope, fils de Poséidon, réclame alors à son père vengeance, et demande qu’Ulysse ne rentre jamais chez lui. Ulysse a fait preuve d’orgueil en révélant son identité. Il voulait que l’on connaisse ses exploits (rappelez-vous Agamemnon, Achille). Les Grecs appelaient cela l’hybris. Sans cet orgueil, Ulysse se serait évité bien des malheurs.
Cette malédiction lancée par Polyphème va changer le cours des aventures d'Ulysse. Poséidon le punit d'avoir jeté son fils dans la nuit, en lui crevant son œil unique, Ulysse est à son tour projeté dans un monde nocturne, obscur, terrible, peuplé de monstres infernaux, de créatures gigantesques et de divinités malveillantes.
Dans L’Odyssée, le Cyclope est fils de Poséidon.
La mythologie grecque les présente souvent comme des créatures étant apparues bien avant les dieux olympiens.
Dans les premiers jours de l’univers, ils sont enfantés par Ouranos et Gaïa, peu après les Titans, et juste avant les Hékatonchires (des êtres possédant chacun cinquante têtes et cent bras).
Rejetés par Ouranos, ils sont enfermés sous terre, Gaïa. Alors que les Titans ont été délivrés par l’un d’entre eux, Cronos, ils sont enchaînés dans les profondeurs du Tartare, le Monde souterrain.
Ce n’est que pendant la guerre des dieux que Zeus (divinité olympienne luttant contre les Titans) les libère. Reconnaissants, les Cyclopes forgent pour le nouveau roi des dieux une arme sans pareille, la foudre.
Les Cyclopes seront assassinés par Apollon que Zeus punira en le condamnant à n’être qu’un serviteur chez Admète.