Dressons le décor. Une salle polyvalente d’un collège de banlieue. Un bruit sourd, écho d’un scandale pédagogique. L’inspecteur vient d’annoncer que les manuels pour le nouveau programme de seconde n’étaient pas encore prêts chez tous les éditeurs. L’oreille attentive aura su entendre ces exclamations fugaces : “Mais comment vais-je bien pouvoir préparer mes cours sans manuel?” “C’est bien la première fois que je vais devoir préparer un nouveau programme sans livre”
Mais diable, à l’heure du numérique ; du web 2.0 ; des tablettes et des ENT, voilà que l’absence de manuel scolaire papier semble paralyser un aréopage d’enseignants, pourtant tous capables d’être de fabuleux producteurs de contenus. N’aurait-on pas là le reflet d’un paradoxe inquiétant? Ou alors, ne faudrait-il pas voir dans cette situation, qui prête aussi à sourire, l’occasion d’une salutaire réflexion sur le devenir de cet objet singulier qu’est le manuel scolaire ?
Dont acte !
Ceci tuera-t-il cela ?
Longtemps, j’ai pensé que le débat reposant sur l’opposition hugolienne était infondé, que ceci ne tuerait pas cela, que le numérique ne tuerait pas le papier . Fort de l’idée qu’une technique ne remplace pas une autre (1), j’avais acquis la conviction que le livre tel qu’on le connaît ne serait en rien menacé par le numérique. De ce point de vue, chaque fois que je mets les pieds dans un salon consacré à la littérature, en particulier de jeunesse, je me conforte dans cette idée. Le livre sur papier, joliment relié, avec de belles illustrations ou non, a de beaux jours devant lui. Il n’est que de constater le taux de fréquentation de telles manifestations.
En revanche, je sais maintenant que si l’ordinateur ou la tablette ne tueront pas les livres, ils tueront cependant un certain type de livre. C’est peut-être le cas du livre de poche, c’est à coup sûr celui du manuel scolaire. Cela pour une raison très simple : si le manuel numérique a mieux à offrir que son jumeau de papier, alors l’espérance de vie de ce dernier est menacée.
Cet article écrit à deux pouces, quatre mains, vingt doigts (ou – si l’on préfère – à deux par Ghislain Dominé et Yann Houry), ambitionne non seulement de le démontrer, mais aussi de montrer en quoi cela est possible et souhaitable.
Si le manuel devient numérique
On le sait, le manuel est solidement implanté dans la culture scolaire. Pas une année ne commence sans la distribution de cet objet hautement commercial représentant, selon un rapport de Michel Leroy, 281 millions d’euros pour la seule année 2010. Or le manuel tel qu’on le connaît aujourd’hui – celui-là même dont le coût est si élevé (et encore cette dépense est-elle concurrencée par celle que provoque le nombre croissant des photocopies), ce manuel parfois superbement ignoré par les enseignants sommés de le choisir – finit inéluctablement au rebut.
Abîmé, ne correspondant plus au programme, trop lourd aussi, il doit être renouvelé, modifié, allégé. Sa durée de vie est brève (officiellement elle est de cinq ans environ), et les contraintes, qui ont présidé à sa conception, nombreuses. En effet, l’auteur d’un manuel ne doit pas dépasser tant de pages voire tant de mots, il obéit à une ligne éditoriale ou à un programme, selon des délais parfois excessivement courts, etc. Sans compter que ces manuels sont intrinsèquement pensés, non pour les élèves, mais plutôt pour les enseignants. Ce qui n’est pas sans fâcheuses conséquences : sans aller jusqu’à parler de moteurs de paresse, ces manuels sont vendus aux enseignants comme le nec plus ultra de la ressource documentaire et de la pédagogie, offrant des démarches clefs en main, pourtant bien immobiles et où l’innovation pédagogique est aussi importante que la prise de risque économique…
Or ce sont précisément ces contraintes ou ces défauts qui volent en éclat dès lors que le manuel devient numérique. Il perd son poids. Il met à mal les limites éditoriales et ouvre des perspectives pédagogiques où l’audace est la bienvenue. De plus, devenu intangible, il n’est plus à jeter, il est mis à jour. Il frappe d’obsolescence ou d’inanité la photocopie. Enfin, paradoxalement, il permet d’envisager une réduction des coûts.
Mieux encore, tout se passe comme si le manuel devenant numérique, tel un composé chimique, agissait comme un révélateur, le révélateur d’une métamorphose scolaire. En effet, la publication du manuel numérique – a fortiori d’un manuel libre et gratuit – pose un certain nombre de questions ou plus précisément remet en question un certain nombre de modèles : un modèle économique, mais aussi un mode d’enseignement voire d’enseignant tout court, tant il est vrai que ce rôle est plus que jamais à redéfinir.
Un nouveau modèle économique
Le manuel numérique – donc immatériel, intangible – ne s’abîme jamais, il ne s’écorne pas, il ne s’efface pas. L’élève est même, pour la première fois, invité à écrire, gribouiller, souligner, surligner, annoter son manuel. Ainsi, devenu numérique, le manuel peut devenir possession des élèves. Personnalisable et mobile, il peut être approprié. Faire sien son manuel est une composante essentielle dans le processus d’apprentissage. Tel le moine copiste écrivant dans la marge de son manuscrit ses réflexions et corrections, l’élève peut annoter, corriger et augmenter son manuel numérique. Qu’il cherche à faire cela avec son manuel papier et il aura à rendre des comptes, et à la documentaliste, et au comptable de son établissement.
Évidemment d’aucuns rétorqueront que si le manuel ne se détériore pas, ce peut être le cas de la machine qui le supporte. Force est cependant de constater que certaines tablettes – les iPad pour ne pas les nommer – ont une durée de vie largement suffisante pour accompagner les élèves dans leur scolarité (au moins au collège puisque c’est le niveau qui nous intéresse) (2).
Le numérique permet, non pas l’abandon d’un manuel qui ne correspondrait plus au programme, mais son renouvellement, sa mise à jour. Et il est fortement à espérer que s’il doit être payant, sa mise à jour ne saurait être au même prix ; qu’un simple toilettage ou quelque ajout soit offert à un prix que les collectivités trouveront intéressant au point de préférer le numérique au papier.
Ainsi, c’est tout un modèle économique qui doit être redéfini. Si l’on considère que le papier, ou plus précisément un certain usage du papier, est amené à disparaître, on peut faire le raisonnement suivant. Certes, il faut fournir les tablettes, et cela représente un coût. Mais c’est un coût que l’on doit mettre en regard des 280 millions susmentionnés. Ce coût ne pourrait-il s’amoindrir ? D’une certaine façon, et sans que cela ne relève du domaine de l’utopie, ne pourrait-il sinon disparaître du moins diminuer drastiquement ?
Dans un domaine où l’imprimante et la photocopieuse sont reines, ne pourrait-on envisager leur abandon ? Le numérique permet, en effet, la transmission de données, de sujets, d’exercices en tout genre de façon bien plus intéressante que ne le fait le papier. On pourrait même rêver ceci : aucun enseignant n’aurait plus à se ruer sur la photocopieuse encore en état de marche, celle devant qui deux collègues trépignent déjà, attendant qu’un lève-tôt (ou un retardataire comme les trois autres) achève son collage pour distribuer une photocopie de qualité médiocre (médiocre parce que le numérique a tellement mieux à offrir) ! Songez aux images en très haute définition. Qui peut regretter l’obscure reproduction d’un tableau de maître mal photocopié ? L’abandon des photocopieurs permettrait de consacrer des sommes importantes aux tablettes et aux manuels prévus pour de tels supports. Ajoutons, pour finir, qu’un rapport de février 1986 explique que «le volume des dépenses consacrées aux photocopies est équivalent à la dotation annuelle consacrée à l’achat de manuels» (cité par Michel Leroy), et l’on comprendra que, dans ces conditions, l’achat de tablettes n’est pas le moins du monde inconsidéré. Si, d’aventure, ces manuels sont gratuits (que l’on pense au Manuel de quatrième ou au Livrescolaire.fr), alors, l’argument du prix de la tablette est battu en brèche. S’ils ne sont pas gratuits, ces manuels numériques seront de toute façon, paraît-il, 70 % moins chers.
Si l’on veut ajouter quelque argument consensuel, précisons que c’est au motif de la santé publique qu’a été publiée la circulaire n° 2008-002 du 11 janvier 2008 sur le poids du cartable. On a vu récemment une association de kinésithérapeutes se saisir du problème. Or cela ne doit-il pas rentrer dans le calcul ? Ne doit-on pas se demander quel est l’impact sur la sécurité sociale.
Un modèle économique est donc à redéfinir. Loin de grever le budget, le financement du manuel numérique et de son support peut se faire en utilisant l’argent différemment. Mais, on le devine, c’est aussi un modèle pédagogique que l’on doit repenser.
Vers une pédagogie différenciée
Si l’on se demande pourquoi utiliser un manuel numérique, il faut évidemment se demander ce qu’il apporte au regard de son équivalent de papier. On a vu qu’il était plus léger, qu’il permettait de s’affranchir de certaines contraintes éditoriales, qu’il était plus aisément remis au goût du jour, etc. Est-ce tout ? Ne s’agit-il que de moderniser l’école ? Une école qui a un train de retard dans une société où le numérique est omniprésent ? Je ne le crois pas.
Bien sûr, l’école se modernise, et s’est toujours modernisée. De l’apparition du tableau noir à celle du TBI, du papier carbone au photocopieur en passant par la machine à polycopier à alcool, l’école a toujours accueilli de nouvelles techniques. Hier, le magnétophone, le magnétoscope, puis la télévision, aujourd’hui, l’ordinateur, puis la tablette. En un sens, l’enseignant a toujours été un technophile. Mais toute cette technique ne sert à rien, ou à pas grand-chose, si elle ne s’accompagne d’un changement dans la façon d’enseigner, dans la pédagogie.
Ce seul mot suffit à faire prendre la fuite à des cohortes d’enseignants. Pourtant, quelles que soient leurs exigences, quelle que soit leur vision de l’éducation ou de l’instruction (comme on voudra), aucun ne se refusera à reconnaître qu’il est soucieux de la réussite de ses élèves, de tous ses élèves, pas un ne devant être relégué au fond de la classe à attendre que les heures passent. C’est, de mon point de vue, le grand apport du numérique. Ce n’est pas un supplément d’âme permettant de se dire que l’école est moderne, que l’école n’est pas un îlot ou un sanctuaire (quelle que soit la métaphore que l’on choisisse) sans rapport aucun avec la société qui l’accueille. C’est un outil, un simple outil, un outil que l’on peut débrancher (est-il besoin de le rappeler à ceux que le numérique horripile), un outil qui doit nous permettre de mieux réaliser notre métier ou alors il ne sert à rien.
Il faut se convaincre de cette idée : une technique a une influence sur l’enseignement. Ainsi, le passage de la plume d’oie à la plume de fer a permis d’enseigner aux enfants l’arithmétique plus tôt, la dextérité requise étant moindre avec la plume de fer. Quelles peuvent être, en adoptant des tablettes et des manuels numériques, les transformations pédagogiques ? Eh bien, si cela reste encore à découvrir, je crois que l’informatique permet de modifier notre pédagogie, en la différenciant à moindres frais (3). C’est, par exemple, le cas de la dictée. Traditionnellement, l’enseignant dicte un texte et un seul à la classe tout entière, laquelle s’efforce de le suivre au même rythme. Mais un manuel numérique proposant des dictées permet à l’élève de travailler à son rythme, à son niveau (il n’est pas obligé de faire la même que celle de son voisin, il n’est pas obligé de finir en même temps que son voisin), etc.
En outre, le numérique rend poreuse la frontière entre l’école et la maison. Le travail peut être accompagné. L’élève (ou le parent aidant l’élève) sont susceptibles de bénéficier d’une simple aide par mail. Ce peut être un véritable travail à distance. En effet, le numérique permet l’écriture collaborative. Un élève invité à rédiger un texte ne court plus le risque du hors sujet. Il n’a même plus à se retrouver seul face à une page qu’il ne sait comment remplir, car il est possible de cet élève corriger au fur et à mesure en utilisant un site (4) permettant la rédaction collective d’un texte.
La visioconférence permet de suivre ou de rattraper (en y assistant «en différé») un cours. C’est utile pour l’élève qui se trouve dans l’incapacité de se déplacer (maladie, conditions climatiques), c’est utile pour l’élève qui veut réécouter le cours. Et on trouvera bien d’autres exemples encore ! Naturellement, ce n’est nullement la panacée, la solution miracle, mais on aura au moins pallié certains manques, certaines injustices, etc.
Le manuel numérique, le numérique tout court d’ailleurs, permet donc d’aider tous les élèves et peut-être même de faire que le collège devienne enfin unique, car il ne l’a jamais été, n’en déplaise à ses détracteurs. C’est un rôle nouveau qui est dévolu à l’enseignant. On pourra penser qu’il n’est pas assez payé, et l’on n’aura pas tort. On pourra penser que sa vie personnelle est envahie par sa vie professionnelle, et l’on aura tort. Cela a toujours été le cas, lorsque l’on prépare ses cours, lorsque l’on corrige ses copies. Tout au plus, les choses s’accentuent-elles davantage (5), mais ce rôle gagne en importance.
En fait, après avoir mis l’élève au centre du dispositif scolaire, l’enseignant doit, à son tour, trouver une place centrale, une place qu’internet a fait émerger.
Le rôle de l’enseignant
Nous avons commencé par évoquer le coût phénoménal du manuel scolaire en France. C’est un coût qui pèse sur les collectivités, malgré qu’on en ait, un coût que l’on peut considérer, bien souvent, comme superfétatoire. Ces manuels fort onéreux, délaissés par les uns, portés au pinacle par les autres, ne connaissent qu’une utilisation partielle, une utilisation que ne justifie pas un tel coût. Je ne crois pas connaître un seul enseignant qui l’utilise d’un bout à l’autre, à l’exclusivité de toute autre ressource. La réalité est que, parfois, l’enseignant s’appuie sur tel ou tel manuel, et recompose sa progression pédagogique en glanant çà et là diverses ressources. Ces ressources peuvent provenir des manuels qui envahissent nos casiers lors des renouvellements de programmes. Bien souvent ces ressources proviennent d’internet.
Que constate-t-on ? Que les enseignants bâtissent des sites internet dans lesquels ils proposent leurs propres ressources, que les enseignants réfléchissent à leur pratique sur leur propre blog, échangent leurs idées sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook…), dans de nombreux forums ou listes de discussion. Ces enseignants scannent, prêtent, transmettent, diffusent leurs travaux par ces divers truchements, en conséquence de quoi internet regorge de documents qu’au prix d’une adaptation l’enseignant fait siens. C’est une gigantesque salle des professeurs de toutes les matières, de tous les niveaux, de toutes les nationalités (si la langue le permet). Depuis l’avènement des réseaux sociaux, je n’ai jamais autant côtoyé mes homologues belges, québécois ou marocains.
D’aucuns, et les éditeurs en première ligne, verront ces richesses à travers le prisme de leur profession. Ils regretteront, par exemple, que l’auteur et son autorité, disparaisse, que l’éditeur ne soit plus le garant d’une ligne éditoriale. On va jusqu’à toiser cet afflux numérique, et filant la métaphore aquatique, le qualifiant d’égout.
Ces considérations font de l’intermédiaire entre l’œuvre et le lecteur une nécessité. Or si elle n’a pas toujours existé, elle n’est pas même seulement nécessaire ni souhaitable.
Elle n’est pas nécessaire en ceci qu’un éditeur n’est le garant de rien du tout. Le marché de l’édition présente des dizaines de «chefs-d’œuvre» à lire chaque semaine. On voudrait nous faire croire à la supériorité de ce flot sur celui du numérique parce qu’il a fait l’objet d’un tri, un tri parfois lié à des impératifs mercantiles ? Que dire des vanity press, ces livres vendus à compte d’auteur ? des livres à grand tirage d’une médiocrité absolument inconcevable ? Ont bien été édités des livres erronés, des horreurs de Maurras ou de Céline ! Et que dire de ces ouvrages dans lesquels on trouve coquilles et erreurs faute d’une seconde correction voire d’une relecture humaine !
Et pour le dire franchement, l’éditeur n’est le garant d’un savoir que parce que nous lui accordons toute notre confiance. Notre savoir ne repose pas sur la validation de tel ou tel, mais sur la confiance que nous lui accordons. Ainsi nous croyons dur comme fer que la racine carrée de 2 est 1,414 213 562 373 095 048 801 688 724 209 698 078 569 671 875 376 948 073 176 679 737 990 732 478 462 107 038 850 387 534 327 641 572 7. Pourquoi ? Parce que la communauté scientifique nous l’affirme. Personnellement, c’est une notion que je ne suis pas capable de battre en brèche. Je m’en remets donc à un tiers, que je trouve l’information dans un livre ou sur internet ne change rien.
Elle n’est pas souhaitable en ceci que l’édition ne comprend pas la mutation qui est en train de s’accomplir, et qui, pourtant, s’est déjà accomplie dans l’industrie musicale. Condamnés à reproduire ce qui existe déjà ou à disparaître, les éditeurs s’arc-boutent sur des principes battus en brèche par internet. Les droits d’auteur et autres joyeusetés (les DRM, les Time bombs, etc.) font du manuel numérique un objet peu pratique, qui ne peut s’épanouir dans de telles conditions.
Pire encore ces droits paralysent l’essor, la diffusion, le partage du savoir. Or toute la littérature du Moyen Âge s’est développée hors de ce carcan que la Révolution française, soucieuse de protéger les auteurs, a apporté. Libérant l’auteur du mécénat, il s’agissait de lui donner les moyens de vivre et donc de penser. Elle ne pouvait prévoir qu’elle se ferait confisquer ses plus belles avancées par la rapacité de ces auteurs et de leurs éditeurs lesquels confisqueraient à leur seul profit des écrivains parfois morts depuis près de 100 ans (c’est le cas de Guillaume Apollinaire), quand elle ne fait pas pire…
Que faire de l’éditeur scolaire ? N’est-il pas moribond ? Il n’est plus imprimeur depuis fort longtemps (dès le XIXe siècle pour Louis Hachette). Certains des métiers liés à l’impression ont disparu ou du moins partiellement disparu. C’est le cas de la prépresse, non ? Le livre devenant à son tour immatériel, la PAO touchant le grand public, n’avons-nous pas là les signes d’une mutation inéluctable ?
Dans ces conditions, comment ne pas voir qu’il pèse sur l’enseignant une nouvelle responsabilité, celui de déterminer si telle ou telle ressource trouvée sur internet présente ou non un intérêt, si elle est fiable ou non. Si c’est une responsabilité certaine, elle lui incombe d’autant plus volontiers que du haut de ses cinq années d’études (au minimum), l’enseignant a la capacité de trier, de faire la part des choses dans la masse d’informations que déverse internet.
Voilà comment le lecteur devient auteur, comment il fait autorité. C’est lui qui dira si telle ou telle ressource lui semble fiable ou pas.
Ayant autorité sur sa matière, rédigeant lui-même les manuels (en France ce sont, en effet, des enseignants qui font les manuels), ayant aujourd’hui la capacité de s’autopublier, l’enseignant du XXIe siècle est un professionnel d’un nouveau genre. Au tout début des années 1880, dans le contexte des lois Ferry, on reconnaissait aux enseignants cette capacité de choisir leurs propres manuels. Ce n’était plus du ressort du ministère. Pourquoi ne pas aller plus loin à présent puisqu’il a les moyens de s’autopublier ? L’arrêté du 12 mai 2010 qui explicite les compétences à acquérir par les professeurs ne va-t-il pas dans ce sens ? Il s’agit d’«apprécier la qualité des documents pédagogiques (manuels scolaires numériques ou non et livres du professeur associés, ressources documentaires numériques ou non, logiciels d’enseignement, etc.)».
Pour finir
Ainsi, le manuel sur papier, cet objet onéreux et précaire, en bute à l’essor d’internet, connaît une véritable crise. Cette crise, me semble-t-il, redistribuera les rôles et modifiera notre façon d’enseigner. Plus mobile et plus personnalisé, renouant avec les aspirations de Freinet tout en conjugant le potentiel des nouvelles technologies.
Quant au manuel numérique, fort de tous ses avantages en terme de poids, d’interactivité et de richesse en tout genre, il devrait prendre, à plus ou moins longue échéance place dans les cartables des élèves, dès lors que les camions informatiques (autrement dit les PC de bureau conventionnels) auront été abondonnés au profit des outils mobiles, smartphones, ordinateurs de poche et tablettes. Souhaitons que cela se fasse rapidement.
On ne fera cependant pas l’économie d’une véritable réflexion sur ce que doit être ce manuel. Devra-t-on encore parler de manuel ? N’aurions-nous pas tout à gagner à envisager la constitution collaborative d’un cahier de travaux dirigés ? Cahier produit du travail d’enseignants et de l’élève. A la fois recueil documentaire et témoignage des réflexions de l’apprenant. Lyonel Kaufmann, reprenant ce billet, a esquissé très récemment quelques pistes.
Une question doit se poser également. Quelle entreprise emportera la mise ? Faut-il d’ailleurs qu’une entreprise emporte cette mise ? Google, Microsoft, Apple ont en tout cas bien compris qu’il y avait là un marché (6) à prendre. Je ne vais pas ergoter sur un tel sujet qui excéderait de loin l’objet de cet article, mais, enfin, il faudra bien prendre en compte ceci : l’élégance, la facilité d’usage, l’ouverture et la fiabilité sont les qualités indispensables requises pour convaincre et les pouvoirs publics et les élèves (sans oublier leurs parents) et leurs enseignants. Je ne sais vraiment pas qui, de Google, Microsoft ou Apple, possède la totalité de ces qualités, mais j’ai tout de même une préférence.
Notes :
1 Internet n’a pas tué la télévision qui n’a pas tué la radio qui n’a pas tué la presse…
2 Sans tomber dans l’asservissement ou l’aveuglement publicitaire, force est de reconnaître que l’iPad relègue dans les limbes toutes les autres machines à commencer part les ultraportables faits de plastiques et dont la fiabilité laisse à désirer. Que je sache, l’iPad n’a pas de panne, est solide et son autonomie n’oblige pas les collectivités à modifier les salles de cours pour que tous les élèves puissent se brancher sur le secteur.
3 À moindres frais parce que, sans l’informatique, différencier la pédagogie peut se révéler complexe.
4 Etherpad ou Piratepad par exemple.
5 Et encore ! Je préfère prendre le temps de répondre à un élève par mail plutôt que de découvrir, le lendemain, que tel exercice n’a pas été fait, qu’il n’a pas été compris.
6 On peut regretter que l’école soit un marché, mais c’est le cas. C’est d’ailleurs l’édition scolaire qui, voulant élargir ce marché, l’a compris fort tôt en créant le cahier de vacances. En effet, en 1933, paraissait Loulou et Babette.
Quelques saines lectures :
- Manuel de quatrième par Yann Houry
- Le guide de l’iPad à l’usage des enseignants par Ghislain Dominé
- iPad et autres astuces numériques pour enseigner à l’école primaire par François Lamoureux