Une nouvelle angoisse
Nul doute que le nouveau marronnier journalistique (ce n’est pas un peu tautologique, ça ?) soit l’addiction aux smartphones. Les articles mentionnant notre incapacité à décoller de nos écrans semblent croître de façon exponentielle.
Cela dit, il n’est pas tout à fait étonnant que l’on s’inquiète de la fascination qu’exercent nos téléphones tant il est vrai que la contemplation de nos écrans ne semble jamais prendre fin. Nous serions accros. Twitter par ci, un jeu par là…
Je souscrirais volontiers à une telle affirmation si celle-ci ne me semblait un rien sujette à caution : tout d’abord, n’y a-t-il rien de plus grave que cette addiction ? Au pif, l’alcool ou la drogue ? Enfin, sommes-nous si bêtes que ça ? Un écran suffirait à happer toute notre attention ? Des écrans, il y en a dans tous les foyers depuis des décennies. Le problème n’est donc pas nouveau. Mais il s’est déplacé dans nos poches. La télévision était accusée de tous les maux. À présent qu’on ne la regarde plus, il faut bien trouver un nouveau coupable. L’écran, qui par métonymie change d’objet pour désigner nos smartphones voire notre tablette ou notre ordinateur, est désormais le réceptacle de nos d’angoisses.
Qu’est-ce qu’un écran ?
Mais que recouvre exactement ce terme d’écran ? Étymologiquement, il n’est qu’un paravent, une bête surface. L’humanité n’a pu démériter à ce point qu’elle sombre dans la contemplation béate d’un objet plat.
Alors, en effet, quand je dis « mon écran », c’est affreusement réducteur. Qu’y a-t-il derrière cet écran ? Prenons le cas de mon téléphone. Que regardè-je derrière mon écran ? Mon courrier, les photos que j’ai prises avec l’appareil photo du téléphone (et parfois même je les retouche, les annote…). Je lis beaucoup : des livres (même si je préfère pour ça mon iPad ou ma liseuse). Mais en fait, tout ce qui se lit est sur mon téléphone (ou le vôtre) : la littérature, les dictionnaires, les encyclopédies, même les pages jaunes ! La presse bien entendu et dieu (celui que vous voulez) sait qu’elle s’est étendue depuis l’avènement du web. J’écoute la radio (ça passe mieux via les données cellulaires que via ma bonne vieille radio). Mon calendrier accapare beaucoup de mon temps : je note tout et une double alarme me rappelle ce que j’ai déjà oublié. Je regarde des films, de petites vidéos (sur YouTube par exemple), mais aussi ta télévision (Arte, Netflix que je projette sur ma télé via Chromecast ou l’Apple TV). La musique prend une grande place (surtout en Go). Je prends beaucoup de notes (Evernote, merci d’exister). Accessoirement, je téléphone, mais je n’en abuse pas. Je ne sais plus à quoi ressemble une miss météo. Pour moi, c’est Yahoo ! Mon téléphone me guide lorsque je choisis un des 5 ou 6 GPS que j’ai installés. Le musicien en moi n’est pas encore tout à fait mort, alors le métronome retentit parfois à partir du téléphone. J’y lis même mes partitions. Je joue de temps à autre…
Donc je suis accro à tout ça, non pas à mon écran, mais à tout ça.
Et ce n’est rien.
Je pourrais continuer à multiplier les exemples que le terme écran permet abusivement de résumer : l’activité sportive est quantifiée (le Jawbone est à mon poignet depuis un an). Je pourrais tout aussi bien contrôler ma chaudière depuis mon smartphone. On sait qu’avec la prolifération des objets connectés, je pourrais contrôler mon poids via ma balance, je pourrais ouvrir ma maison à distance pour mes enfants dont le prof est absent et qui sont rentrés plus tôt. Je vais bientôt pouvoir démarrer ma voiture avec le smartphone.
Et on pourrait continuer sur dix pages ainsi.
Multiplicité et nouveauté des usages
Être accro aux écrans, qu’est-ce que ça veut dire in fine ? Dans la mesure où l’écran concentre aujourd’hui tout ce qui était éparpillé hier ? Si grand-pépé, en 1928, avait lu ses journaux, écouté sa musique, vu ses films, lu son courrier sur un écran, vérifié sur son calendrier ses cycles menstruels, ouvert sa porte, etc. qu’aurait-on dit de lui ? Qu’il était accro à tout cela ? Ce ne serait venu à l’esprit de personne. Personne n’y aurait d’ailleurs songé. En vérité, je ne suis ni accro à mon écran ni à l’ensemble de ce qui a été mentionné, simplement cette soi-disant addiction recoupe le temps passé à faire tout ce qui peut être fait, qui nécessitait hier une multitude de supports et qui est aujourd’hui concentré en un seul appareil.
Cependant, force est de reconnaître que les écrans ont fait apparaître des usages qui n’existaient pas hier (je pense aux réseaux sociaux), ont donné accès à des tâches qui étaient réservées à des professionnels (édition, montage vidéo entre autres). Et oui, on y passe donc beaucoup de temps. Trop. Probablement. Mais ce n’est pas en écrivant des articles tout pourris que l’on y changera quoi que ce soit.