On connaît bien la première phrase du Hobbit de Tolkien :
Dans un trou vivait un hobbit.
Ce dernier y vit confortablement, jouissant d’un confort que les turpitudes du monde extérieur ne viennent pas perturber. Puis un jour Gandalf arrive. Et l’aventure avec lui.
Dans Le Seigneur des anneaux, il en va de même. Frodon, un hobbit toujours, va devoir quitter sa comté et aller au devant du danger. Il s’agit encore de quitter son confort, mais contrairement au volume précédent, il ne s’agit pas de partir à la recherche d’un trésor, mais de détruire celui-ci. C’est une quête inversée. C’est l’envers de L’Île au trésor. On ne veut pas du trésor, du précieux. On veut s’en débarrasser.
J’ai toujours perçu – même confusément dans ma jeunesse – qu’il y avait là quelque allégorie, quelque sens secret, assez évident. Mais je lui donne aujourd’hui un sens nouveau assez proche de la parabole des talents.
Le talent est une pièce de monnaie. Elle n’est certes pas en or (encore qu’à lire le Dictionnaire historique de la langue française, les choses ne soient pas si simples), mais le discours biblique nous invite à faire fructifier cet avoir (de cette parabole nous vient d’ailleurs le mot « talent », le don, la disposition, l’aptitude). On peut le faire fructifier de multiples façons.
Selon saint Jean Chrysostome, il faut par ce mot de talent « entendre tout ce par quoi chacun peut contribuer à l’avantage de son frère, soit en le soutenant de son autorité, soit en l’aidant de son argent, soit en l’assistant de ses conseils par un échange fructueux de parole, soit en lui rendant tous les autres services qu’on est capable de lui rendre. » (Wikipédia)
« par un échange fructueux de parole »…
N’est-ce pas là ce qui caractérise les réseaux sociaux ? Des échanges fructueux de parole ? Le social se traduisant par du logos. Ou plutôt devrais-je écrire « ce qui devrait caractériser » les réseaux sociaux ? Mais on sait bien que ce n’est pas le cas. On ne peut pas s’y exprimer sans s’attirer les sarcasmes d’un illettré. On a vu des enseignants appeler au viol et au meurtre. Le racisme et l’intolérance s’y affichent avec délectation. Marine Le Pen a un million d’abonnés.
Bien souvent, je me dis : « Mais que fais-je là ? »
En ce cas, je prends mon « talent » qui, en toute modestie, n’est qu’un bienveillant babillage. Je le jette dans le Mordor, cet endroit plein de trolls, et je retourne dans mon trou.
Comment vous dire ma déception ? Comment à la fois vous parler de ma passion pour le livre et vous donner à comprendre combien celui-ci n’est pas un objet figé dans le temps ? Ou que l’ultime stade de son évolution (en l’occurrence, numérique) ne mérite pas votre mépris ?
Essayons.
Récemment, une de mes filles m’a dit : « Je n’aime pas trop la liseuse ; je préfère un vrai livre ». Mais qu’est-ce qu’un vrai livre ? Autrefois volumen, devenu codex, transformé en livre de poche, aujourd’hui électronique, l’une de ses formes – si l’on veut bien reléguer nos habitudes qui lui transfèrent notre préférence – peut-elle prétendre définir à l’exclusivité de toute autre ce qu’est un livre ?
En ce qui est name concerne, longtemps, j’ai lu sur papier. Longtemps, ma passion pour le numérique s’est bornée aux livres papier. Je n’avais pas alors perçu tout ce qui faisait la richesse du livre numérique.
Mais à présent que je le comprends, je ne cesse de lire sur ma tablette, sur mon téléphone ou mieux ma liseuse. Je suis devenu un lecteur avide et je n’aime rien tant qu’indiquer la progression de ma lecture sur Goodreads et voir ce que lisent mes amis.
Malheureusement, chers éditeurs, cette ardeur est vite tempérée par le catalogue exsangue que vous proposez. Lire Si c’est un homme ? Pas possible. Lire Les Mots ? Non plus. Lire Ellis Island ? Vous n’y pensez pas. Lire Enfance ? Lire Journal extime ou Black boy ? N’y pensons pas non plus. Ni Lévi, ni Perrec, ni Sartre, ni Sarraute, ni Tournier, ni Wright n’ont vraisemblablement mérité que des éditeurs se livrent à leur première mission, celle de diffuser l’œuvre des écrivains, celle d’être un peu le héraut de ces artistes. Mais, après tout, vous avez bien manqué le rendez-vous avec Proust, Gracq ou Artaud. Alors on n’est pas très étonné de ces lacunes à votre catalogue (que donc, par définition, vous possédez déjà). Vous êtes capables de rater deux fois le même rendez-vous.
Alors, on cherche ailleurs. Mais j’y reviendrai…
Si d’aventure on trouve l’ouvrage désiré, que se passe-t-il ? Prenons un exemple. Je viens d’acheter L’Âge d’homme de Michel Leiris. L’ouvrage est publié par Gallimard. C’est un ePub flambant neuf. Cet ouvrage de 1939 a bénéficié d’une « édition électronique » le 25 janvier 2016. Qu’est-ce que ça donne ?
L’ouvrage, du moins la première partie, est truffé d’erreurs. On trouve les traditionnels guillemets ou points d’exclamation qui se retrouvent tout seuls au début d’une ligne. Je ne vous ferai pas la leçon sur les différentes espaces que vous devriez utiliser. On trouve des signes de ponctuation qui n’ont rien à faire là où ils se trouvent. Un point ici, un signe de parenthèse là. Et on comprend que le scanne du livre papier n’a pas dû faire l’objet d’une relecture attentive. Par conséquent, le lecteur achoppe sur des bouts de phrases qui ne veulent rien dire : « clans de telles conditions », « aucun danger de ment », « on petit dire »…
Dans L’Enfant de Jules Vallès, il y a certes moins d’erreurs (il y en a cependant un nombre important), mais parfois il manque carrément un mot.
Ce qui est bien avec Amazon, c’est qu’on peut signaler les erreurs. Du coup, j’en ai signalé près d’une vingtaine. Non, non, ne me remerciez pas. Évidemment, ces erreurs se retrouvent chez le concurrent. Chez Apple par exemple. Cela me laisse perplexe d’ailleurs. Sachant à quel point ils sont excessivement vétilleux et zélés chez la pomme, je subodore que certains éditeurs bénéficient de passe-droits ou du moins d’une certaine clémence. En ce qui me concerne, Apple a retiré de son store un de mes bouquins pour des erreurs qui n’existaient pas. Vous allez en prendre plein la tronche quand ils vont s’en apercevoir…
Ah ! mais non ! Suis-je bête ! Vous en fichez comme de l’an 40 ! La preuve ! Ces deux erreurs sont dans cette édition depuis des années et des années et elles n’ont jamais été corrigées !
L’ePub, ce mal aimé des éditeurs
En fait, ces éditions électroniques que vous confiez à je ne sais trop qui, elles vous indiffèrent un peu ! Assez cruellement, vous allez jusqu’à prétendre qu’il n’y a aucun intérêt à s’intéresser au marché du livre numérique.
En lisant cet article de Numerama, on découvre que ce livre numérique serait même moribond. Bien sûr le pure player de Guillaume Champeau n’y est pour rien. Son article, dont voici l’en-tête, propose un intéressant état des lieux :
L’ebook va mourir ! Mais si, vous l’avez lu un peu partout dans la presse il y a quelques semaines. Les études le prouvent : le marché du livre numérique serait au point mort quand le livre papier reviendrait en force. Pour certains, l’affaire est pliée, le bon vieux bouquin a gagné et la technologie a perdu. Enfin ça, c’est ce que certains aimeraient croire. Sans doute un peu parce que ça les arrange.
Parce que ça les arrange. C’est exactement ça.
Parce que si le livre numérique se meurt, c’est quasi in utero. Vous avez pris si peu le temps de le mettre au monde. On peut le comprendre ! Vous êtes tellement contents de ce marché à 4 milliards d’euros. C’est le plus gros en France devant le cinéma ou le jeu vidéo. Vous êtes plein aux as. Vous arrivez à faire croire aux gens que le vrai livre s’incarne dans cette reliure de feuillets apparue grosso modo à la Renaissance (bon, d’accord, exit le cuir et le vélin et place au papier recyclé sur lequel l’encre s’efface). Pourquoi investir dans un nouveau modèle ? Pourquoi dépenser de l’argent alors que vous en gagnez tant avec un business model déjà bien établi ?
Oh ! J’y pense ! On vous l’a déjà dit, mais n’ayons pas peur de le répéter : vous allez mourir. Exactement comme ce qui s’est passé avec la musique. D’abord, il y aura le piratage. Oh ne prenez pas cet air exaspéré ! Le moyen de faire autrement ? Vous croyez que je l’ai lu comment, Enfance de Nathalie Sarraute ? Sincèrement, je préfère acheter mes livres mais quand ils n’existent pas… Et pareil pour Journal extime de Michel Tournier. D’ailleurs, j’étais prêt à l’acheter en papier. Après trois passages vains chez mon libraire (pas préféré), je suis allé le chercher ailleurs…
Le piratage n’est que la première étape. La seconde est un remplacement. Comme pour les disquaires ou les plateformes n’ayant pas su évoluer, de nouveaux acteurs débarquent sur le marché avec leurs longues dents qui rayent le plancher. Les Spotify ou les Deezer pour la musique. Et pour l’édition ? Eh bien cherchez qui jettera la première pelletée de terre sur le mausolée que vous vous êtes confectionnés.
Pour ma part, j’ai choisi l’autoédition. Je publie les versions numériques de mon dernier livre chez Apple, Amazon, Kobo… Et j’ai même une version papier avec Createspace. Mais je ne suis pas là pour vous parler de mon expérience d’auteur. Je suis là en tant que lecteur. Et je suis un lecteur déçu, c’est-à-dire au sens étymologique trompé. Je me suis bien fait avoir. Je ne vous remercie pas.
Je n’achève pas avec une quelconque formule de politesse. Je sais que vous ne me lirez pas et si vous le faisiez, vous accueilleriez ma prose avec un rictus de condescendance. Après tout, vous êtes capable de tout, y compris de publier cela dans une version numérique…
P.-S. Si vous pouviez quand même corriger les fautes d’orthographe et les fautes de frappe des éditions que j’ai achetées, cela me ferait infiniment plaisir.