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5 exemples concrets précédés de réflexions sur l’importance de la collaboration

Dans le cadre de mon travail au LFI, j’écris tous les quinze jours une newsletter. J’y fais le point sur les formations que nous avons accomplies, annonce celles que nous ferons bientôt, partage l’actualité éducative ou propose quelques réflexions pédagogiques voire technologiques. Dans les deux dernières, je parlais de la collaboration, un sujet qui me tient à cœur depuis de longues années et dont l’intérêt a été récemment ravivé par la lecture de l’excellent ouvrage Faire collectif pour apprendre de Laurent Reynaud auquel la deuxième partie de cet article doit énormément.

Faire collectif pour apprendre

J’avais tout d’abord exposé quelques réflexions sur les raisons qui font que la collaboration est un enjeu essentiel. C’est une compétence qui a assuré la survie de l’espèce. Je donnais ensuite quelques exemples concrets susceptibles d’être appliqués en classe.

Pourquoi collaborer

On promeut souvent la collaboration comme une compétence à acquérir par nos élèves. Mais apprendre à collaborer n’a rien d’évident.

Tout d’abord, elle se heurte à différentes représentations. Par exemple, on s’imagine bien souvent l’individu isolé, œuvrant dans la solitude à la réalisation d’une tâche quelle qu’elle soit. C’est en fait un penseur de Rodin dont la nudité nous révèle que la pensée est dépouillée de tout outil.

Rien n’est plus faux. Daniel Bougnoux nous rappellerait que le célèbre penseur, « nu, concentré sur lui-même,  sans le secours d’aucun livre, clavier, écran ni artefact quelconque » ne pense pas (La condition médiologique). Peut-être qu’il songe, qu’il rêvasse ou même délire, mais pour penser, organiser, développer, noter, structurer, diffuser, communiquer, nous avons besoin d’outils. Bougnoux expliquerait donc que « l’homme seul ne pense pas » et Yuval Noah Harari confirmerait.

Le penseur de Rodin

Dans 21 leçons pour le 21e siècle (Partie IV Vérité, 15. Ignorance: Vous en savez moins que vous ne le pensez), l’auteur nous dit que l’individualité est un mythe :

Les humains pensent rarement par eux-mêmes. Nous pensons plutôt en groupe.

Aucun individu ne sait à lui tout seul construire une cathédrale, une bombe atomique ou un avion par exemple. Harari évoque ensuite une théorie intéressante : L’illusion de la connaissance (Steven A. Sloman and Philip Fernbach). Il apparaît que nous nous reposons sur l’expertise des autres pour pratiquement tous nos besoins. Et le fait est que si je devais expliquer comment fonctionne mon robinet, détailler les différentes opérations qui mènent au démarrage d’une voiture ou à la production du paracétamol ou des chaussures que j’ai aux pieds, je serais bien embarrassé.

Mais revenons aux penseurs, aux génies et à leurs inventions.

Collaborer est notre force

Walter Isaacson dans Les innovateurs (chapitre 2, L’ordinateur), cherchant à qui attribuer l’invention du premier ordinateur et essayant de démêler l’influence que les uns ont pu avoir sur les autres, prend l’exemple du procès intenté à l’encontre d’Eckert et Mauchly (les inventeurs de l’ENIAC). Mauchly s’était grandement inspiré des travaux de John Atanasoff.

Certes les idées qu’Eckert et Mauchly ont mis en pratique n’étaient pas toutes les leurs, mais ils ont su, puisant dans une multiplicité de sources, les appliquer, réaliser ce qu’ils avaient imaginé en étant aidé d’une équipe compétente et leur invention a eu un impact considérable dans l’histoire de l’informatique. Combien d’inventeurs ont manqué d’une telle équipe, des fonds nécessaires, et n’ont pu parvenir à réaliser leur vision ? Eh bien, c’est le cas de John Atanasoff.

Pourquoi un tel génie comme Atanasoff a-t-il disparu dans les catacombes de l’histoire et pas Mauchly ? Voici la réponse de Walter Isaacson :

La façon dont vous classez les contributions historiques des autres dépend en partie des critères que vous choisissez. Si vous êtes séduit par le romantisme des inventeurs solitaires et que vous vous souciez moins de savoir qui a le plus influencé les progrès dans tel domaine, vous pourriez placer Atanasoff et Zuse en tête de liste. Mais la principale leçon à tirer de la naissance des ordinateurs est que l’innovation est généralement un effort de groupe, impliquant une collaboration entre les visionnaires et les ingénieurs, et que la créativité provient de l’utilisation de nombreuses sources. Il n’y a que dans les livres de contes que les inventions surgissent comme un coup de tonnerre, ou comme une ampoule s’illuminant dans la tête d’un individu isolé dans une cave, un grenier ou un garage.

Donc non seulement l’homme ne pense pas seul. Il ne peut pas. Il se repose beaucoup sur les autres mais de surcroît le produit des grands inventeurs est le résultat d’un travail d’équipe. Et avouez que ni Christophe Colomb n’est arrivé en Amérique tout seul en ramant, ni Isaac Newton n’a pu produire sa théorie comptant sur son seul génie et aussi une pomme. Après tout, nous ne sommes que des nains juchés sur des épaules de géants, n’est-ce pas ?

De surcroît, si l’homme, cette créature insignifiante apparue il y a quelque 70 000 années, à peine plus importante que la mouche ou le pivert, en est venue à dominer le monde, c’est en raison de sa capacité à collaborer.

Regardez cette vidéo dans laquelle Yuval Noah Harari explique que la force des êtres humains est de savoir collaborer avec un très grand nombre d’individus et qui leur sont totalement étrangers. La démonstration est édifiante.

Mais alors, en ce cas, pourquoi l’école ne promeut-elle pas davantage cette capacité à collaborer ? Comme le rappelle Ken Robinson (et Ian Clayton) :

Dans le monde du travail, la collaboration et le travail d’équipe sont essentiels à la réussite ; à l’école, on appelle cela tricher.

Nous savons donc qu’il est important de collaborer. Cela a été une des compétences qui a assuré la survie de l’espèce. Mais comment développons-nous cette compétence chez les élèves ? Voici cinq conseils facilement applicables.

5 conseils pour apprendre à collaborer

Conseil #1

Évitez de donner un travail à faire à plusieurs élèves si celui-ci peut être fait par un seul. Si vous voulez convaincre les élèves de la nécessité de travailler à plusieurs, il faut que la tâche demandée l’exige. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est André Tricot dans L’innovation pédagogique.

Conseil #2

Le travail collaboratif peut représenter un surcoût cognitif chez les élèves (c’est encore Tricot qui le dit). Une solution peut consister à donner un « script » aux élèves découpant en sous-tâches les travaux à réaliser. Chacun a alors un rôle précis à jouer et une sous-tâche à réaliser à un moment donné. Voici un exemple que j’ai rédigé pour l’analyse de texte en classe de première.

Répartition des tâches

Conseil #3

Si l’on veut favoriser le travail collaboratif, il est préférable d’éviter de noter la production finale. On évitera ainsi que certains élèves fassent tout le travail. On évitera également les conflits si, dans le groupe, des élèves ne fournissent pas le travail attendu. On recommandera également de faire précéder le travail collectif d’un travail individuel pour que chacun puisse avoir quelque chose à apporter au groupe. Enfin, on organisera le travail en groupe pour éviter la répartition spontanée des rôles.

Il est au reste possible de s’en remettre au hasard pour favoriser la mixité des élèves en utilisant une application comme Flippity. J’aime beaucoup le Random Name Picker, lequel permet aussi de créer des groupes aléatoirement. Voyez aussi celui-ci pour construire des groupes et assigner des tâches.

Assigner des tâches

Conseil #4

Toujours en classe de français, voici un autre scénario possible pour apprendre à commencer une introduction. On propose quatre ou cinq phrases d’accroche et les élèves doivent d’abord individuellement les classer par ordre de pertinence ou de préférence et justifier brièvement leurs choix. Plus tard, en groupe, ils doivent discuter de ces choix et les confronter à ceux des autres. Il faut alors argumenter et défendre son point de vue.

Une restitution collective est possible durant laquelle un classement de référence est établi par l’enseignant. Cela permet de mesurer l’écart entre le choix des élèves et celui qui vient d’être décidé collectivement. 

Conseil #5

Voici un dernier exemple puisé dans Faire collectif pour apprendre de Laurent Reynaud dont je vous recommande la lecture (les précédents exemples étaient simplement inspirés de Laurent Reynaud). Il s’agit de donner un travail écrit aux élèves. L’évaluation repose sur un simple code couleur et est dépourvue de tout commentaire.

Evaluation

J’aime beaucoup cette idée, car elles forcent les élèves à chercher et à s’entraider pour comprendre leurs erreurs:

Si les élèves qui ont un rond vert sur leur copie ne s’inquiètent pas, les autres s’activent pour comprendre leur couleur et améliorer leur travail. Ils se tournent vers leurs camarades qui ont une couleur supérieure à la leur ou bien ouvrent leurs classeurs. Ils n’ont pas d’annotations sur la copie, cela rend nécessaire les interactions pour comparer leur propre production à celle des autres.