Je trouve cet article fascinant.
NaNoWriMo vient de publier une FAQ expliquant qu’ils ne rejettent pas l’utilisation de l’IA dans le processus d’écriture et ils qualifient même son rejet de "classist" et "ableist", que je ne sais trop comment traduire autrement que par des périphrases : le rejet de l’IA relèverait soit d’une discrimination de classe soit de personnes présentant un handicap.
Et je dois dire que, pour moi, cela a du sens parce que la maîtrise des lettres a toujours constitué une aristocratie (et l’orthographe, de l’aveu de l’Académie française à la création de son dictionnaire le disait ouvertement). Elle représente une distinction de classe. Par exemple, avant que la quasi totalité que la population sache écrire, on avait recours à un écrivain public pour écrire une lettre. D’aucuns ont parfois recours à un « nègre » (mais je préfère l’équivalent anglais de « ghost writer »). On rencontre un problème similaire de classe quand un élève a les moyens d’avoir un tuteur personnel ou pas. L’IA risque de mettre tout le monde a égalité, pourvu qu’on apprenne à nos élèves à écrire avec l’IA et non que celle-ci écrive à leur place. Quant aux questions d’accessibilité, elles sont mentionnées dans l’article. Un utilisateur explique qu’il s’implique davantage dans les communautés en ligne car l’IA l’aide à mieux formuler ses idées.
Reste que beaucoup d’écrivains ou scénaristes sont furieux et à juste titre (surtout quand on pense que les IA sont entraînées sur le travail des écrivains qu’elles sont susceptibles de remplacer), mais je trouve assez ironique cette réponse de l’un d’eux :
"Generative AI empowers not the artist, not the writer, but the tech industry. It steals content to remake content, graverobbing existing material to staple together its Frankensteinian idea of art and story," wrote Chuck Wendig, the author of Star Wars: Aftermath, in a post about NaNoWriMo on his personal blog.
Ce n’est pas faux, mais l’art est-il autre chose que ce processus « frankensteinien », de reproduction d’un contenu à l’envi ? La Fontaine ne disait pas autre chose : « Nous ne saurions aller plus avant que les Anciens : ils ne nous ont laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. » Et concernant Star Wars, on suit le précepte. On suit les anciens. Mais alors, qu’y a-t-il d’original dans la déclinaison interminable d’un scénario qui a vu le jour dans les années 70 ? Certes, on a fait la même chose avec le roman de Renart, le cycle arthurien et probablement la bible (mais aussi parce qu’on n’avait pas ce problème de droits d’auteur), mais peut-on faire de ce sempiternel recyclage l’apanage de l’être humain ? Peut-on penser qu’on est vraiment créatif en se racontant encore et encore des histoires de Jedis ? Parce qu’il faut quand même reconnaître que les scénaristes ne sont pas tous des La Fontaine.
En fait, il apparaît que la machine peut aisément faire ce qu’ils font et à part le scandaleux entraînement des IA sur un matériel protégé par le droit d’auteur, je ne vois pas le problème. On se souviendra juste à quel point nos productions sont stéréotypées, aisément pastichables, ce que l’on voit bien avec la musique. Suno est une IA qui vous permet de créer des morceaux de musique en deux clics. La raison pour laquelle cela marche si bien – et c’est vrai de toutes les IA – c’est parce que nous sommes prédictibles. Un morceau de musique ? Vous prendrez bien un peu de binaire avec couplet/refrain ? Même chose avec le langage. On produit tous un charabia de phrases toute faites, mêlange de locutions à la construction plus ou moins heureuses (« au jour d’aujourd’hui, on est en capacité de blablabla ») voire de proverbes d’une sagesse à deux sous.
Concernant la musique, cela me fait toujours penser à Yuval Noah Harari qui disait que l’IA n’aurait pas besoin d’entrer en compétition avec Beethoven mais qu’il lui suffirait de faire mieux que Britney Spears. Et c’est exactement ce qu’il se passe et c’est l’une des raisons pour lesquelles tant d’individus voient l’IA d’un si mauvais œil, mais ce peut être aussi une magnifique opportunité de placer la barre plus haut et de nous inviter à faire un peu plus que proposer le 72e épisode de Star Wars (quel que soit le plaisir que j’éprouve à chaque fois, dois-je confesser).
En somme, l’IA met tout le monde à égalité et maintenant que tout le monde a accès à l’écriture, que tout le monde peut s’exprimer sans peur d’exposer une orthographe défaillante, sans avoir à débourser quoi que ce soit pour trouver une assistance, on peut parier sur une élévation du niveau général. Il faudra juste parier qu’on n’utilisera pas l’IA pour travailler à votre place mais pour nous accompagner.
Et rappelons-nous de ce que concluait Kasparov à la fin de Deep Thinking :
We have other qualities the machines cannot match. They have instructions while we have purpose. Machines cannot dream, not even in sleep mode.
Nous avons des objectifs et des rêves. L’IA peut bien nous aider à les mettre en forme. L’inverse n’est pas vrai.