Il paraît même que la France découvre cette figure. Les collégiens ont cependant (et en principe) tous entendu l’inévitable anaphore cornélienne :
Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !
Cette figure apporte au mot qu’elle répète une importance, une gravité, une emphase, quelque grandiloquence également. Elle n’est pas non plus étrangère au rythme, au lyrisme. En tout cas, l’emploi est remarqué et remarquable. Peut-être parce qu’il ne passe pas inaperçu. Simplement.
Ladite figure peut devenir une véritable tarte à la crème. Je le confesse à demi-mot, mais ce poème m’énerve (poétiquement, pas historiquement) :
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Le procédé est trop voyant. Chez Victor Hugo également, mais c’est Victor Hugo alors je ne m’en offusque pas. Et souvent l’anaphore est au service d’une énergique indignation, que ce soit dans les Châtiments :
Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime.
Ou dans L’Année terrible (sans atteindre la démesure hollandienne) :
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poëtes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
Cette figure peut aussi provoquer la surprise. Dans ce poème de Xavier Forneret («Un pauvre honteux»), les pronoms «il» et «l’» (qui pour le coup – d’un point de vue grammatical – ne sont pas anaphoriques, mais cataphoriques) sont – du point de vue stylistique – anaphoriques. C’est cette figure qui fonde tout le poème et prépare ainsi, progressivement, la chute.
Il l’a tirée
De sa poche percée,
L’a mise sous ses yeux ;
Et l’a bien regardée
En disant : “Malheureux !”[…]
Il l’a palpée
D’une main décidée
A la faire mourir.
- Oui, c’est une bouchée
Dont on peut se nourrir.Il l’a pliée,
Il l’a cassée,
Il l’a placée,
Il l’a coupée ;
Il l’a lavée,
Il l’a portée,
Il l’a grillée,
Il l’a mangée.Quand il n’était pas grand on lui avait dit : Si tu as faim, mange une de tes mains.
Vous découvrez alors, à la fin du poème, que ce «il» c’est le pauvre, que le «l’» c’est sa propre main qu’il s’apprête à manger.
Cela fait une jolie répétition, hein ? De quoi faire pâlir François Hollande. Et en plus, ce n’est pas le pronom «moi», pronom qu’il vaut mieux éviter de dire trop souvent, si l’on ne veut pas recevoir cette accusation de grotesque que le camp adverse n’a pas manqué de lui jeter à la figure.
Au fait, à propos d’anaphore ! Il me souvient que celle-ci avait été déjà jetée à la figure du président sortant :
Il a pris la France et n’en sait rien faire. En vérité, on est tenté de plaindre cet eunuque se débattant avec la toute-puissance. Certes, ce, dictateur s’agite, rendons-lui cette justice ; il ne reste pas un moment tranquille ; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres ; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il se remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.
(
NapoléonSarkozy le Petit)
Cela en fait des anaphores pour un seul homme !