Si comme l’écrit Pierre Desproges, « Le martyre, c’est le seul moyen de devenir célèbre quand on n’a pas de talent », il faut reconnaître que le terroriste – qui est un homme allant au martyre – est un individu sans talent. Ce terroriste est un homme qui n’a aucune capacité, aucun don, il ne sait rien faire. Il ne peut créer. Il ne peut rien construire. Il ne peut que détruire. C’est un Érostrate des temps modernes : puisqu’il ne peut atteindre la reconnaissance par ce qu’il est capable d’édifier, il se fera connaître par sa capacité à détruire. De ce point de vue, il serait remarquable que la parabole du talent s’applique à sa personne : « Qu’as-tu fait de ton talent ? » Cette question devrait d’ailleurs être posée à tout le monde, mais l’enseignant que je suis se dit souvent qu’il devrait la poser à soi-même d’abord, mais aussi à ses élèves.
Demander à ses élèves ce qu’ils ont fait de leur talent, ce n’est pas seulement les convoquer à un tribunal spirituel pour les sommer de répondre de la conduite de leur vie, mais c’est aussi les interroger afin de savoir comment l’école les a accompagnés dans ce parcours qu’est une vie qui commence, comment elle les a aidés à trouver ce que Ken Robinson appellerait leur « élément », lequel les conduirait à s’épanouir et galvaniser la société dans laquelle ils se sont insérés.
Or je ne peux m’empêcher de penser qu’un enfant de quinze ans qui se fait exploser ou tuer n’est finalement pas tant un individu sans talent qu’une personne qui n’a pas trouvé son élément ou qui n’a pas su faire fructifier son talent mais surtout que nous, enseignants et aussi parents et pourquoi pas toute la société, n’ont pas su les y aider. Oh ! certainement les raisons sont multiples, mais je veux bien prendre ma part.
Et je m’en veux terriblement, parce que je sais que, comme le professeur de musique qui n’a jamais été fichu de discerner le moindre talent à John Lennon, je dois régulièrement passer à côté d’individus qui n’auront peut-être jamais réussi (contrairement au musicien susmentionné) à trouver leur voie. Tant de talents parviennent à faire fortune et s’épanouir sans que l’école n’ait réussi le pari étonnant de faire autre chose qu’à les dégoûter de leur scolarité (le livre de Robinson est plein du récit de leurs vies), mais combien d’« enfants dont pas un seul ne rit » ont sombré dans la rancœur ? dans le dégoût de soi et de tout, et que séduit par les extrémistes de tout poil, ils ont sombré dans la haine, la violence et le meurtre ? La séduction, du latin « seducere », c’est emmener à part, à l’écart de notre belle société policée. C’est donc conduire, mener à soi et puis tromper. Et que fait d’autre l’état islamique ? Il séduit. La séduction, c’est le contraire de l’éducation, qui consiste à élever, à instruire. Mais il faut être là à temps. Et si la violence, c’est l’absence de langage (c’est Sartre qui le dit), alors je vois qu’il faut éduquer, parler avec ces enfants qui voudraient réduire des hommes au silence.
Plus que jamais notre rôle – celui de parent, celui d’enseignant, celui de la République – est d’une importance fondamentale. Plus que jamais je suis pressé d’ouvrir la porte de ma salle pour éduquer et ne jamais séduire pour que mes élèves ne deviennent pas un Érostrate mais un Théodore de Samos.
3 réponses sur « L’enseignant et le terroriste »
C’est vrai, c’est beau et idéaliste! J’en ai cependant assez de nos culpabilités diverses: un enseignant n’est en effet pas là pour séduire mais transmettre des savoirs pour ouvrir les esprits , leur apprendre à penser en autonomie , à forger un esprit critique et cela s’opère parfois avec autorité et violence , avant de développer des talents , il faut savoir penser pour les exprimer. Pour les exprimer, il y a aussi un prix à payer: l’effort, l’échec et le progrès. La démocratie, la liberté , la création, la culture … sont aussi nées de combats.
[…] L’enseignant et le terroriste de Yann […]
Et pourtant, cette réforme du collège, elle vise plus à séduire qu’à éduquer. Séduire ne permettra pas de former des citoyens à l’esprit critique, l’on est bien d’accord.