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Le manuel, ça s’en va et ça revient

Manuel de QuatrièmeD’accord, Apple a retiré mon livre de son magasin en ligne, sans le moindre préavis, pour des motifs somme toute assez futiles, mais incarne-t-elle pour autant le grand méchant inique ? Faut-il la fuir comme la peste ? Que faire maintenant fort de cette expérience ?

Quelques mots (les derniers, j’espère) donc sur toute cette histoire dont je me serais bien passé.

Une censure au rabais

Apple censure-t-elle ?

Non, je ne pense pas que la pomme ait vraiment l’intention de censurer quoi que ce soit. Elle ne frappe pas d’excommunication, après examen, une opinion ou un écrit dont elle condamne la teneur.

Exit donc le sens religieux du terme.

En revanche, le mot «censure» désigne – et c’est un peu différent – l’examen d’œuvres avant d’en autoriser la diffusion. Et c’est, in fine, ce que fait Apple qui examine votre ouvrage et en autorise ou non la diffusion sur son magasin en ligne. Par exemple, si vous vous appelez B., et que vous n’avez plus rien à dire de désagréable sur l’Éducation nationale, et que vous désirez publier un petit porno, ce ne sera pas sur l’iTunes Store, Apple s’opposant à cela, ce en quoi je ne trouve pas grand-chose à redire.

C’est la seule vraie censure qu’elle s’autorise.

Mais si elle interdit la diffusion de mon manuel, c’est – bien sûr – une forme de censure, au sens où l’examen qu’elle fait de mon livre permet ou non sa publication. Mais force est de constater qu’Apple se fiche complètement de ce que contient mon manuel. Apple ne censure pas le contenu (tout au plus interdit-elle l’emploi de certains mots comme «gratuit» ou «iPad»).

C’est plutôt le contenant qui l’intéresse. C’est ainsi une censure au rabais qui ne s’intéresse pas même au contenu de ce qu’elle réprouve. En revanche, des règles plus ou moins évidentes doivent être respectées sinon pas de publication. Un titre manquant, et c’est l’éviction du store.

Un distributeur sachant distribuer

Malheureusement, lesdites règles sont si peu évidentes à concevoir que les gens que j’ai pu rencontrer chez Apple n’ont jamais rien trouvé à redire sur ce manuel qui en aurait imposé ipso facto le retrait. C’est donc que les règles de Cupertino sont absconses, y compris pour ses propres employés. J’ai même pu observer qu’Apple ne s’appliquait pas à elle-même ses propres règles.

Plus ennuyeux encore. Apple se voudrait distributeur de contenus, un commerçant donc, lequel s’arrogerait – au nom de je ne sais trop quoi – le droit d’exiger que telle ou telle chose soit acceptable ou ne le soit pas. C’est ainsi que les mots «libre» et «gratuit» sont muttum non grata. «iPad» aussi. Forbidden. Verboten.

Pourquoi ? On ne sait pas ou du moins on ne le dit pas clairement, mais c’est comme ça. «Obtempérez ou oubliez l’idée de vous voir publier par nous». Tel est en substance le contenu du discours made in Cupertino. Imagine-t-on Carrefour chercher des poux à Daucy qui aurait choisi de mettre tel ou tel mot sur ses emballages ? Imagine-t-on un peu la tête du PDG de ce producteur de légumes à la lecture d’un message expliquant le retrait des marchandises des rayons : «Please remove all mentions of «Qualité» or «Extra fins»».

Évidemment, c’est un peu plus complexe que ça. Apple distribue un contenu qu’il favorise à faire émerger en créant les logiciels permettant de le faire. Une sorte de monstre hybride relevant à la fois de Carrefour et de Daucy en somme.

Apple, mon amour

Bien sûr, j’ai regretté la disparition de mon manuel. J’en ai beaucoup voulu à Apple de l’avoir supprimé sans le moindre préavis. D’un coup, d’un seul, le travail de plusieurs années venait à disparaître des étagères d’Apple (certes momentanément), parce que des mots étaient indésirables et un titre était désiré.

Un peu pénible, non ?

Mais j’ai aussi déploré que cette disparition soit l’occasion de taper sur Apple qui a, il est vrai, tendu le bâton pour se faire battre. Il était légitime de réagir et d’exprimer son rejet de telles pratiques. Je l’ai fait. Et je remercie chaleureusement tous ceux qui l’ont fait. Je pense, entre autres, à Luc Benz, à toute l’équipe de Lyclyc et, naturellement, au Café pédagogique.

Mais je pense aussi à ceux qui sont restés muets, quand Apple a permis la diffusion de mon manuel, et qui se sont éveillés quand elle en a empêché la diffusion. Les mêmes n’ont pas salué le retour du livre sur le store. Mon manuel ne les intéressait pas, mais sa suppression oui. Plus précisément, les agissements d’Apple les intéressaient, le reste pas du tout. On a vu alors une kyrielle de libristes exprimer leur détestation d’Apple. Bon… Pourquoi pas ? Mais je regrette d’avoir été l’occasion de leur fournir des arguments.

Certes, à tout prendre, je suis heureux de voir que cela fait réagir, mais j’aurais aimé que l’on parle plus du manuel que de sa disparition.

Par ailleurs, je ne suis pas un paradoxe près. J’aime Apple, mais je me sens dans mon droit de lui dire que je ne l’aime pas quand elle se comporte comme elle l’a fait. Dont acte. Apple fait des choses extraordinaires, mais elle aussi capable du pire. Elle semble même parfois apprécier le pire. Peut-être alors sera-t-il temps de changer de crémerie si les choses empiraient… En attendant, je compose avec. Je prends mes précautions également. Il est temps de multiplier les supports, d’éviter d’être dépendant du bon vouloir de la seule pomme. Mon site est d’ailleurs là pour ça. Réalisé en HTML 5, il est lisible sur tout support.

iPad à l’école ou pas ?

Je disais que je n’étais pas à un paradoxe près. En voici un autre.

Il faut que je remercie Apple. Sans ses égorgillements, mon manuel n’aurait jamais connu une telle diffusion.

On m’a beaucoup reproché cet autre paradoxe, celui d’avoir réalisé un manuel se prétendant libre et gratuit pour iPad. Il faut dire que l’oxymore devait paraître scandaleux à certains.

J’aimerais quand même m’en expliquer une dernière fois, parce que des gens, dont la lecture a été hâtivement superficielle, m’ont qualifié de tous les noms.

Le manuel est libre. En tant que tel, il est partout où il peut être : sur mon site en HTML, en PDF, au format TXT, au format iBooks pour iPad. Je n’en ai pas eu le temps, mais j’en ferai un ePub. Il sera lisible partout, pour tous.
Vous pouvez le copier, le diffuser, le partager, le modifier. La seule chose que vous ne pouvez pas faire, c’est le vendre. Je m’y oppose catégoriquement. Mais cela doit être clair : être libre, c’est l’être aussi bien sur une distribution Debian que sur iPad. Je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas la liberté de mettre mon manuel où bon me semble, y compris dans cette pitoyable métaphore de la «prison dorée». Je peux aussi le photocopier, le lâcher par avion, le distribuer à la criée ou le réécrire en Ruby on rails (non, je plaisante, ça je ne peux pas). Être libre, ce n’est pas fuir Apple.
Il est gratuit. Ça, personne ne me le reproche. Enfin pas que je sache. Ah ! Si les éditeurs !
Il a été fait pour iPad. C’est une belle tablette. La meilleure à mon humble avis, celle pour laquelle il existe toute une pléiade d’applications que j’utilise quotidiennement pour moi, pour mes enfants, pour mes élèves. C’est celle-là que je voudrais voir mes élèves utiliser.

Et donc ?

Reste que tout cela m’a échaudé. Que faire maintenant ? Peut-on avoir confiance en Apple et monter des projets pour que des élèves soient équipés d’iPad ? Peut-on demander à des Conseils généraux d’investir dans ce type d’appareil ? L’Éducation nationale peut-elle travailler avec une telle entreprise ?

Oui, si Apple se comporte en partenaire. Un partenaire qui innove, et produit de belles et robustes machines. Un partenaire qui favorise la création en réalisant des programmes comme iBooks Author. Un partenaire qui diffuse vos œuvres. Un partenaire qui vous écoute, et vous prévient si le besoin s’en faisait ressentir. Au bout du compte, tout le monde sera content. Apple vendra ses iPad parce que les gens auront créé un contenu intéressant.

Non si Apple se comporte en un géant administrativement aveugle et vétilleux, lent et peu prolixe. Après un mois, Apple retire un manuel pour des raisons plus ou moins convaincantes. Peu soucieuse d’explications, elle se contente de vous signifier sans préavis que vous devez effectuer des changements. Le processus de validation est alors excessivement long. Les conséquences fâcheuses, détestables pour l’auteur voyant son œuvre disparaître, ne plus être lue, ne plus pouvoir être lue.

Mais, au moins les élèves seraient-ils ravis. Particulièrement, celui qui arrive en cours d’année à qui on dira : «Apple a retiré le manuel, je ne peux pas t’en donner tant qu’il n’aura pas été à nouveau validé».

Le mot de la fin ? Après avoir pas mal réfléchi, je ne vois pas comment je pourrais – dans l’état actuel des choses – faire mieux qu’avec iBooks Author. Je n’en ferai pas moins un ePub standard.

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Humeur Informatique

Le Store perdu

Au jour d’aujourd’hui (j’ai toujours rêvé d’écrire cette horreur), mon manuel n’a toujours pas réintégré l’iTunes store. J’ai enlevé les mots «libre» et «gratuit» puis «iPad». J’ai ajouté le titre qui manquait, mais rien ne se passe. Il faut dire que c’est dimanche. Alors même le web 2.0, fût-ce celui de Cupertino, profite du jour du Seigneur.

Dans mon attrition, je suis allé errer là où jadis j’avais une place avant d’en être chassé. Je suis allé dans le Store perdu. Et j’ai contemplé les zibooks qui, ont encore le privilège de trôner sur les étagères du magasin en ligne. La curiosité (enfin… une intention maligne) me pousse à en télécharger quelques-uns réalisés par Apple.

Je commence par iPad Guide de l’utilisateur. Et ô stupeur ! Comment !? Celui-là a le droit d’afficher iPad sur sa couverture ? Et moi non !?

iPad Guide de l'utilisateur
Par ailleurs, on se souvient que je devais rectifier un titre manquant. J’avais osé laisser «Titre du livre» que je n’avais pas remplacé par le véritable titre du livre.

Mail d'Apple

Dans mon précédent billet, j’avais évoqué les velléités suicidaires qui s’étaient emparées de moi après un tel manquement. Mais que vois-je en ouvrant le zibook d’Apple ? «Title page» ? Mon Dieu, chez Cupertino, ils auraient fait la même erreur que moi ? Non ????

Acceptable :
Title page

Pas acceptable :
Titre du livre

Retirez-moi tous ces zibooks que nous ne saurions voir ! Que la fameuse «expérience utilisateur» reste pure ! Profitez-en pour virer tout ce qui contient des fautes d’orthographe, tout ce qui fait hurler le typographe un peu vétilleux. Il ne restera pas grand-chose.

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Le manuel de quatrième n’est plus sur le store d’Apple

Not on 32 storesCela fait un mois que le Manuel de quatrième peut être téléchargé sur iTunes.
Pardon. Cela faisait un mois.
Je croyais qu’il avait, pour cela, dûment affronté le regard impitoyable et plein d’exigence des gens ayant la dure charge de trier ce qui peut figurer ou non sur le magasin en ligne d’Apple. J’avais, à cet effet, dû modifier (fort légitimement) quelques points (un titre manquant dans la table des matières ou quelque chose dans ce goût-là). Alors, je pus goûter au bonheur de voir le point vert suivi de «On 32 stores».

Aujourd’hui, je découvre un point rouge suivi de «Not on 32 stores».

Première raison

La raison en est que je dois modifier quelques points. Je dois, et c’est bien normal, corriger «Titre du livre» qui a la mauvaise idée d’apparaître en mode portrait dans la table des matières (mais pas en mode paysage ; c’est facétieux un iPad). Cela correspond à un «paramètre fictif» qui doit être remplacé par un texte réel comme «Manuel de quatrième» (puisque c’est le titre du livre). J’avais oublié de changer ça !
C’est la première raison pour laquelle Apple ôte mon livre de son magasin. Il est vrai que cet oubli est absolument insupportable. Je ne peux plus me regarder dans la glace. Je me hais, je me méprise.

Titre du livre

Deuxième raison (à moins que ce ne soit la première)

Je dois aussi enlever toute mention de «libre» ou «gratuit» sur la couverture et dans le livre.
Là je comprends moins.
Si je peux plus ou moins concevoir qu’aucune mention du prix ne doit figurer sur la couverture (maintenant que cela m’arrive, j’ai remembrance d’une app ayant été retirée de l’App Store pour avoir contrevenu à cette règle), je ne vois vraiment pas pourquoi il me serait interdit de présenter mon manuel comme étant libre et gratuit (ce qu’il est, pas le format iPad bien sûr, mais son contenu accessible sur mon site). Malheureusement, le mail qu’on m’envoie est catégorique «Please remove all mentions of “libre” or “gratuit”.»

Bon, ça s’appelle de la censure.

Et que dire de l’amalgame «libre» et «gratuit», c’est donc synonyme pour Apple ?

Le fait est que mon livre est publié par des commerçants qui détestent que l’on parle de prix : «References Pricing : Prices must not be referenced in the EPUB».

C’est de l’humour californien ?

Post-Scriptum

Peut-on imaginer, un seul instant, comme on me le suggère sur Twitter, investir dans un support pour lequel Apple peut, à tout moment, vous priver de son contenu ? Peut-on espérer travailler avec un manuel agréé par Apple si, pour des raisons plus ou moins pertinentes, ce manuel peut disparaître ? Peut-on demander à un Conseil général d’investir massivement dans des contenus qui vous échappent ?

Post-post-scriptum

J’ai effectué les changements demandés. Je reçois, ce matin, un nouveau message.

Nouveau mail d'Apple
Ça va s’arrêter quand ? Ils ne pouvaient pas me le dire la première fois ? Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois ?

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Un manuel de français libre et gratuit pour iPad

 
Les deux classeurs

Le manuel de quatrièmeJe me souviens de ce professeur d’histoire qui avait avec lui, en permanence, deux gros classeurs. Je commençais tout juste à enseigner, et ces classeurs m’apparaissaient comme une somme, un véritable trésor, le fruit d’un travail riche d’expériences, de lectures et de recherches, une sorte de Graal auquel tout enseignant devait nécessairement et inéluctablement parvenir après quelques années d’enseignement. J’admirais d’autant plus ces deux classeurs qu’ils me semblaient la matérialisation de ce qui reste d’habitude invisible, le travail de l’enseignant. En effet, les cours de l’enseignant sont parfois intangibles, car ils n’ont pas nécessairement besoin d’être mis par écrit pour être transmis.
Mais ces deux classeurs avaient aussi un côté dérisoire que leur poids et leur encombrement rendaient évident. Pourquoi donc emporter en tout lieu et en tout temps ces deux énormes classeurs ? Ce professeur leur trouvait-il un usage quotidien ? Voulait-il absolument avoir sous la main le document qui deviendrait tout à coup nécessaire à un de ces moments où le hasard pédagogique vous mène ? Je ne sais plus quelle réponse j’ai obtenue à ce sujet, mais je sais depuis que le numérique a achevé de frapper d’inanité ce lourd bagage. Ces deux classeurs tiennent dans un iPad. Or le site Ralentir travaux d’abord, ce manuel ensuite, ce sont un peu mes classeurs, mais je ne voulais pas les garder fermés. Je voulais les tenir à la disposition des autres, pour à la fois les leur offrir et les leur soumettre. C’était à la fois par altruisme et par égoïsme, car, pour plagier Montaigne, je dirais volontiers que votre approbation comme votre condamnation me seront utiles.

Un manuel numérique

Ce manuel n’a pas la prétention de se substituer aux manuels traditionnels. De toute façon, tant que l’on restera engoncé dans l’opposition hugolienne du «Ceci tuera cela», tant que l’on croira nécessaire de choisir l’un ou l’autre, on restreindra sinon la portée du problème du moins la richesse des techniques d’enseignement. Une technique – le plus souvent – ne remplace pas une autre. Internet n’a pas remplacé la télévision, laquelle n’a pas remplacé la radio… L’un ne se substitue pas à l’autre, mais se tient à côté. C’est d’ailleurs tout l’intérêt que je trouve aux tablettes et plus particulièrement à l’iPad. Celui-ci, contrairement à l’ordinateur de bureau, ne trône pas en conquérant sur la table après avoir terrassé les livres et le papier, il se tient à leurs côtés, accompagnant et enrichissant ces supports pluricentenaires. Le bureau du collégien, je le vois avec une tablette et du papier. Ce n’est pas l’un ou l’autre. Pourquoi choisir ?

Ce manuel, je le publie maintenant, parce que la rentrée scolaire ne me permettra plus de lui consacrer le temps que les vacances m’ont permis de lui accorder. Il n’est même pas, si l’on y regarde bien, tout à fait terminé (tant s’en faut). Comme les logiciels libres dont il s’inspire, il correspond à une version bêta, disons une version alpha pour parer à toute critique. S’il n’est pas totalement achevé, il pourra – du fait de sa nature – être mis à jour en un rien de temps. Et j’ose espérer qu’il le sera du fait des contributions, des observations et remarques en tout genre que je vous propose dès aujourd’hui d’écrire ici même dans ces commentaires. Je le redis, et même si ce n’est pas ce qui est arrivé, Ralentir travaux n’a jamais eu vocation à être l’ouvrage d’une seule personne. À ce propos, je tiens à remercier chaleureusement les personnes qui m’ont apporté leur aide, et au tout premier chef Christophe Herlory pour son soutien, sa traduction de l’extrait de Frankenstein et sa relecture du manuel, ma femme qui m’a prêté sa voix pour l’enregistrement des dictées, et tous ceux qui ont pris le temps, pour traquer les coquilles et les erreurs, de lire et relire ce manuel.

S’il n’est pas parfait, s’il n’entend pas supplanter quoi que ce soit – et surtout pas ces si riches manuels que les éditeurs proposent maintenant depuis tant d’années, ce manuel numérique se veut libre de droits, c’est-à-dire que pour la première fois l’on propose à l’enseignant d’être, dans sa classe, totalement en règle avec la loi. On peut copier, modifier, distribuer ce manuel. Les images, les textes, les questionnaires, tout peut être partagé ou transformé. Tout est sous licence Creative commons.

L’empire du copyright

Il faut dire et redire à quel point le droit d’auteur est une plaie pour le monde de l’éducation, un fléau qui restreint drastiquement la diffusion des œuvres. Combien de pépites, de découvertes resteront dans les tréfonds de mon ordinateur et de ceux de mes collègues ? Combien d’ouvrages ne pourront être partagés sous le prétexte que les droits d’auteur ont enfermé la culture pour une vingtaine d’années d’abord (lors de la Révolution française), puis pour cinquante, aujourd’hui pour soixante-dix ans ? Cette confiscation des œuvres, parfois totalement arbitraire (songez à cette traduction du Vieil homme et la mer de François Bon), enferme le patrimoine culturel dans la sphère du privé, prive le public de sa possession, de son droit de reproduction quand ce n’est pas purement et simplement de son droit de consultation. Par désir de profiter d’une manière financière, par crainte du vol également.

Or, dans le cas du numérique, la confusion est totale. Si vous copiez un texte ou reproduisez une image, vous ne volez rien du tout. Vous copiez. Il n’y a pas vol.
J’avais été très étonné en entendant pour la première fois la chanson du copyleft. Copier n’est pas voler. Si je vole un vélo, le propriétaire du vélo est lésé. Si je copie un texte ou une image, personne n’y perd. Le propriétaire n’a pas perdu son texte ou son image, mais, à présent, il y en a deux.

C’est qu’il faut distinguer le bien matériel du bien immatériel. Et, étonnamment, le XVIIIe siècle faisait cette distinction :

«Un homme a-t-il le droit d’empêcher un autre homme d’écrire les mêmes choses que lui-même a écrites le premier ? […] En effet, on sent qu’il ne peut y avoir aucun rapport entre la propriété d’un ouvrage et celle d’un champ, qui ne peut être cultivé que par un homme, et dont, par conséquent, la propriété exclusive est fondée sur la nature de la chose. Ainsi ce n’est point ici une propriété dérivée de l’ordre naturel, et défendue par la force sociale ; c’est une propriété fondée par la société même. Ce n’est pas un véritable droit, c’est un privilège, comme ces jouissances exclusives de tout ce qui peut être enlevé au possesseur unique sans violence.

Tout privilège est donc une gêne imposée à la liberté, une restriction mise aux droits des autres citoyens ; dans ce genre il est nuisible non seulement aux droits des autres qui veulent copier, mais aux droits de tous ceux qui veulent avoir des copies […]»

Condorcet, Œuvres, tome 11

La gratuité, enfin, est un point auquel je tiens. Quand j’ai créé Ralentir travaux, je l’ai fait avec dans l’idée que, pour le lire, je ne demanderai ni inscription ni contrepartie financière. C’est accessible. Instantanément. Je crois savoir que mon travail profite à ceux qui sont loin, dans des écoles mal dotées (mais disposant au moins d’une connexion à internet), à des étudiants étrangers, à des parents désireux de s’informer, à des curieux, et pourquoi pas à des établissements ayant déjà acheté des iPads et qui, compte tenu, de la richesse du web, n’auront pas à payer encore pour y mettre le contenu nécessaire aux apprentissages.

Et puis la remarque peut paraître prétentieuse car émanant de moi seul, mais si l’on veut bien considérer les économies réalisées par les administrations ayant recours à des logiciels libres (que l’on songe à OpenOffice, LibreOffice, Ubuntu…), on se dira que proposer gratuitement des manuels permettra de mettre l’argent ailleurs que dans des CD-ROM ou des manuels qui inévitablement finiront au rebut (c’est malheureux, mais c’est comme ça). Et je refuse d’entendre l’argument rappelant que tout travail mérite salaire. Je veux bien que l’on considère que j’ai fourni un travail de dément pour produire ce manuel, mais je ne peux raisonnablement pas le mettre en vente. Ou alors, pour reprendre une fois encore Condorcet, ce que je vendrais serait mon nom et mes mots, non mes idées qui ont été dites des millions de fois sur internet, dans les manuels, dans les salles de cours, etc.

Pourquoi l’iPad ?

On pourra s’étonner qu’un manuel se voulant gratuit et libre de droits soit proposé sur iPad, et l’on aura raison. Il est difficile de voir en Apple le parangon de l’ouverture et de la liberté. Force est cependant de reconnaître que seule Apple a développé un programme digne de ce nom permettant de produire à peu de frais un manuel numérique digne de ce nom, mais, dès que j’en aurai la possibilité, je m’attaquerai aux autres plateformes afin de proposer le manuel sur d’autres supports. De toute façon, vous trouverez à peu près tout le contenu du manuel sur Ralentir travaux.

Quand j’ai découvert iBooks Author, j’ai vu la possibilité qui m’était donnée de créer facilement et rapidement ce que j’avais toujours souhaité faire depuis Ralentir travaux. Un manuel. Je ne voudrais pas vous faire l’inventaire des avantages du numérique. Je ne vais même pas vous dire ce que contient ce manuel (je vous invite tout simplement à le parcourir. Tout au plus voudrais-je rappeler ces quelques points :

  • La tablette numérique est légère, et permet de se débarrasser du poids du cartable.
    Si la tablette a un coût à l’achat, celui-ci peut être partiellement absorbé par des dépenses qui deviendront superfétatoires (papier, encre, photocopieuse, manuel sur papier…). De plus, tout ce que j’ai acheté chez Apple est durable et solide (je ne suis pas un fanboy, c’est juste comme ça) y compris dans les mains de mes enfants les moins soigneux.
  • La luminosité d’un iPad peut être réglée directement dans l’application, et ne gêne pas les yeux. On peut même lire dans le noir !
  • La police peut être changée, agrandie. C’est, je crois, un atout pour tous ceux qui ont des problèmes de vue. C’en est un également pour les dyslexiques.
  • Mettre des signets, surligner, prendre des notes, tout cela est possible. Chaque mot peut être défini ou renvoyer au web.
  • On trouve des exercices interactifs, des quiz…
  • On trouve également des vidéos, des fichiers audio (un élève peut ainsi faire des dictées seul ou du moins s’entraîner), des diaporamas, des images interactives parfois en haute définition (un jour, on oubliera que la photocopie a existé).
  • Des liens internet menant à Wikipédia ou à Gallica offrent l’accès à de belles éditions quand ce ne sont pas les éditions originales. Une fois encore, j’y vois une libéralisation de la culture. On ne peut certes toujours pas les toucher, mais on peut voir, on peut lire ces œuvres de la Bibliothèque nationale de France que seuls quelques privilégiés pouvaient auparavant découvrir. Et je me souviendrai toujours du regard ébahi d’élèves habituellement peu sensibles au plaisir livresque découvrant des éditions originales.
  • Le manuel peut être utilisé avec d’autres applications. Le Petit Robert, Antidote sont des merveilles sur iPad. Certains logiciels de prise de notes sont extraordinaires. Je ne mets plus les pieds dans une bibliothèque sans mon iPad et Evernote ou Penultimate.

Quelques mots pour finir. Je me suis efforcé de rendre ce manuel aussi complet que possible, de multiplier les exercices de grammaire, de vocabulaire, de rédaction, etc. Il est l’œuvre d’une seule personne (ou presque), et c’est une bien lourde tâche que celle-ci. J’espère que vous saurez vous montrer indulgent quand vous trouverez une coquille, une erreur, une approximation, etc. Je vous remercie de votre compréhension. Un manuel numérique se bonifie dans le temps, non dans la cave, mais confronté à votre regard.

Il me reste à vous souhaiter une bonne lecture. J’espère que vous la trouverez, selon le vieux précepte horacien, utile et agréable.


Mise à jour :
Récemment, j’ai montré la première frise chronologique à mes élèves de quatrième. Avant cela, je leur ai posé quelques questions sur les genres littéraires, l’époque qui a vu fleurir tel ou tel, les grands événements historiques, etc. Je me suis alors rendu compte que leur donner ces repères littéraires et historiques était intéressant et important (j’étais collégien quand on déplorait déjà le manque de repères de la part des élèves), mais je me suis aussi aperçu qu’ils ignoraient complètement qui étaient Newton, Linné ou Pasteur, quand on avait bien pu utiliser l’électricité pour s’éclairer, quand la machine à vapeur était apparue, à quel moment on avait découvert la septicémie…

En somme, il s’agissait de mettre en relation tous ces événements, bref de rendre un peu compte de ce qu’était la vie à telle ou telle époque par le truchement de quelques dates significatives.
Quand la frise précédait un chapitre consacré à un seul auteur, je parvenais encore plus ou moins à brosser une période autour de quelques dates. Malheureusement, pour le premier chapitre, portant sur le XVIIe et XVIIIe siècles, cela peut donner une apparence de fouillis historiques. Le moyen de faire autrement ?

Le manuel a donc connu sa première mise à jour. Pour en bénéficier, iTunes ne vous prévient de rien. Il faut donc supprimer le livre dans iBooks et le télécharger à nouveau.


Deuxième mise à jour :
Le manuel a connu une mise à jour largement plus importante que la précédente. C’est expliqué ici.


Troisième mise à jour :
Cette troisième mise à jour apporte diverses corrections de bugs, oublis, erreurs en tout genre (numérotation de séances, de questions, de formatage du texte, de vidéos, etc.)
Quelques modifications ont également été faites, et quelques exercices ont été ajoutés (notamment sur les propositions subordonnées circonstancielles et sur l’écriture d’un conte réaliste).


Quatrième mise à jour
Cette mise à jour apporte une nouvelle couverture (pour se conformer à celle du manuel de 6e).
Le fichier multimédia d’introduction ainsi que la vidéo « Le masque de la mort rouge » ont été optimisés (le manuel est donc désormais moins lourd).
Ont été ajoutés une séance sur « Le pont Mirabeau » de Guillaume Apollinaire (enfin dans le domaine public), une leçon (vidéo) sur les point de vue, une série d’exercices sur les points de vue ainsi qu’un lien sur « La maison de Gavroche ».
Enfin, quelques erreurs ont été corrigées dans la table des illustrations.

Cinquième mise à jour
Ajout d’un groupement de textes « Victor Hugo et l’injustice »
Ajout d’un sujet d’exposé sur le thème « Vivre au XIXe siècle »
Ajout d’une séance « Jean Valjean chez monseigneur Myriel » (adaptation du texte des Misérables)
Ajout d’une séance « L’accident du père Fauchelevent » (lecture analytique)
Améliorations diverses

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L’enseignant est-il de droite ?

La classe d’une école de villageChantal Jouanno, il y a quelques jours, expliquait dans les matins de France Culture ce que signifie être de droite. Selon elle, la liberté individuelle (l’état n’a pas à s’immiscer dans vos choix individuels), la méritocratie (Chantal Jouanno est contre l’idée qu’on est socialement déterminé, on aide donc ceux qui veulent faire des efforts) sont des valeurs de droite ou, en tout cas, portées par la droite en 2007.

Je me suis alors demandé si ces valeurs n’étaient pas celles de l’enseignant ou du moins de beaucoup d’enseignants. Cette question en a entraîné une autre : une profession peut-elle engendrer une idéologie ? Je ne me suis pas demandé si telle profession portait telle ou telle idéologie (comme les ouvriers ont pu voter communiste ou front national). Je me suis demandé si le métier que l’on fait détermine notre vision des choses.

Ainsi, un musicien est un passéiste. Pas toujours, mais c’est souvent le cas. Je connais peu de musiciens qui ne tombent amoureux de tel ou tel vieil instrument : un guitariste devant une vieille Fender des années 60, un violoniste devant un stradivarius, etc. Si l’on reprend le cas du guitariste, force est de constater que celui-ci a un penchant prononcé pour le passé. Il aime les vieilles guitares, les vieilles technologies (les amplis à lampe), et regarde avec peu d’intérêt sinon avec méfiance une guitare en fibre de carbone. En un sens, on peut le qualifier de conservateur (comme on peut être conservateur d’une bibliothèque). Il revendique un savoir-faire, un amour du passé (ou plus précisément un passé qui a laissé son empreinte sur le présent). Est-ce un réactionnaire pour autant ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis persuadé que la question mérite d’être posée.


Attention, cet article, le dernier de l’année, mêle le plus grand sérieux à la facétie. Saurez-vous démêler l’écheveau ?

Liberté et méritocratie dans le monde enseignant

L’enseignant est-il de droite ? La question a de quoi surprendre, parce qu’il est commun de penser que celui-ci vote traditionnellement à gauche. Mais, après tout, on se souvient que nombre d’entre eux, en 2007, ont voté au centre et même à droite pour Nicolas Sarkozy. Quoi qu’il en soit, la question n’est pas vraiment là. Il s’agit de voir en quoi la profession d’enseignant peut être, de facto, de droite. Commençons par voir si les propos de Chantal Jouanno peuvent être revendiqués par un enseignant.

Je connais beaucoup d’entre eux qui revendiquent la liberté évoquée par madame Jouanno. C’est la fameuse liberté pédagogique, la liberté de faire ce que l’on veut dans sa classe, sans qu’une injonction étatique à laquelle l’enseignant n’adhère pas (celle de pratiquer la pédagogie différenciée, celle d’évaluer par compétences, celle d’adopter tel programme…) vienne entraver sa vision des choses, sa façon de faire, ses habitudes en somme. En un sens, un tel enseignant est un libéral. Le mot est ambigu, car encore au XIXe, dans les pays anglo-saxons aujourd’hui, être libéral, c’est être de gauche. Mais, ici, il est connoté à droite.

Je me souviens avoir un peu bataillé, dans un forum pour enseignants, sur la question du déterminisme. Je faisais valoir l’idée que certains élèves, d’un milieu très défavorisé, voyaient leurs chances de réussir à l’école diminuer comme une peau de chagrin (pas d’argent, pas d’aide pour les devoirs, pas de références culturelles, etc.). On m’avait rétorqué que d’aucuns avaient très bien réussi à l’école malgré tout cela, et que si l’on voulait, on pouvait, qu’il fallait se battre, etc. Ne retrouve-t-on pas là l’idée de la méritocratie ? Cette idée que nous ne sommes pas socialement déterminés, que l’on peut réussir, quel que soit son origine ou son milieu. Cette affirmation m’a toujours laissé perplexe. Je dois reconnaître que je n’ai jamais eu le cœur de dire à un enfant extrêmement pauvre, qui se fait violer tous les jours, qui a été abandonné, ou que sais-je encore, qu’il doit se battre, qu’il peut transcender le déterminisme qui le laisserait en bas de l’ascenseur social.

Voilà d’ailleurs bien une idée répétée à satiété par le monde enseignant : si l’on veut réussir, il faut faire des efforts. Souvent, le problème est réduit à cette affirmation : si l’élève ne réussit pas, c’est parce qu’il ne travaille pas. L’école, c’est simple comme bonjour. Les élèves qui réussissent sont portés aux nues, les autres n’ont pas fait ce qu’il fallait. Ils ont démérité. Il y a donc un goût prononcé pour la méritocratie.

Le discours de la peur

On trouve, à l’école, tout un discours que je qualifierais de droite. Par exemple, celui de la peur. On se souvient peut-être de la présidentielle de 2002. Le thème de l’insécurité était porté par la droite, à un tel point d’ailleurs, que cela faisait dire à Lionel Jospin qu’on ne cherchait pas à élire le ministre de l’intérieur, mais bien un président. On a vu ce que cela lui a coûté. Ce discours anxiogène, je l’ai retrouvé dans celui d’enseignants concevant le numérique sinon comme un danger potentiel (cf. tel enseignant violenté et filmé) du moins une entrave au bon déroulement des choses (l’élève triche sur son smartphone, il est distrait…). Ce discours est automatiquement lié à un autre : celui du goût d’un état antérieur où le numérique n’existait pas. C’était le temps où on ne supprimait pas de postes à outrance, c’était le temps où le maître était détenteur de l’autorité incontestée, c’était le temps où l’on mettait des notes et l’on ne trouvait rien à y redire, c’était le temps où des programmes n’avaient pas bouleversé tout un paysage qui faisait que le parent comprenait ce que faisait l’élève, c’était le temps où on ne laissait pas passer tout le monde dans la classe supérieure, c’était le temps où tout le monde ne réussissait pas à l’école (en 1986, seuls 49 % d’élèves obtiennent le brevet des collèges), c’était le temps où on se concentrait sur l’essentiel (apprendre, lire, compter), c’était le temps d’avant, un temps regretté, plus ou moins idéalisé, un temps qu’il faudrait restaurer pour retrouver le bonheur perdu.
Quand l’enseignant ne comprend plus rien au monde dans lequel il évolue, quand il achoppe sur les modifications apportées à un état plus ou moins idéalisé, il est permis de voir en lui un réactionnaire. Mais le mot n’est pas péjoratif : le réactionnaire réagit, il n’accepte pas le monde dans lequel il vit. Il s’oppose à l’idéologie des compétences, est pour le redoublement, veut que l’école bâtisse une élite, etc. Mais, par un curieux effet de renversement, notre réactionnaire se voit en résistant, presque un gauchiste qui s’oppose au discours dominant, alors que je vois en lui un individu de droite pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut.

Un maximum d’enseignant

Mais on se souvient que ma question était celle-ci : une profession peut-elle engendrer une idéologie ? L’enseignant, dans un cas bien précis, peut-il est autre chose que de droite ? Lui qui est bien souvent assis (pas toujours, il circule dans les rangs), parfois au-dessus des autres (il est sur une estrade qui tend, il est vrai, à disparaître des salles). Ne peut-on pas se demander si être assis et au-dessus des autres n’influe pas sur notre vision du monde ? Bien sûr, tout cela est symbolique. Être assis, c’est, dit le Petit Robert, être affermi, assuré, ferme, stable. L’enseignant appartient au monde de celui qui a réussi, et a accédé à un certain statut. On opposera le fait que l’instituteur ne jouit plus de la considération d’antan, mais j’ai pu remarquer que l’enseignant, dans le monde rural, était perçu comme étant le détenteur d’un savoir, d’un statut (il a fait des études). Ce n’est pas rien, malgré qu’on en ait. Dans un univers où l’on ne dépasse parfois pas le brevet des collèges, être enseignant est un privilège.
Pour filer la métaphore des symboles, être au-dessus des autres (qu’il y ait estrade ou non), c’est simplement être celui qui sait, quand l’élève ne sait pas, celui qui interroge, quand l’élève doit répondre, celui qui oblige, quand l’élève doit obéir… C’est en somme, pour reprendre les termes de Michel Foucault, avoir le pouvoir (refusant ce pouvoir, Michel Foucault se disait être «un minimum d’enseignant»). L’enseignant a le pouvoir. Parfois même, il devient directeur d’école, principal adjoint ou principal. Il devient un notable. Il participe aux cérémonies aux côtés du maire. Après tout, il a fait de longues études universitaires. Comment ne pas voir qu’il est loin, très loin du public auquel il s’adresse ? Il est à sa droite.

Dans mon prochain billet, je vous dirai pourquoi l’enseignant devrait être de gauche.

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De 1986 à 2016, histoire d’un sujet de brevet

Article mis à jour le 24.06.16

Nombre d’enseignants ont trouvé le sujet de l’épreuve de français (2012) du brevet des collèges excessivement facile. Sans aller jusqu’à hurler avec les loups de Sauver les lettres, on peut s’étonner qu’un questionnaire portant sur un conte ne contienne quasiment aucune question de grammaire. À lire le sujet de l’épreuve, on en vient même à se dire que ce sujet pourrait être donné à des élèves de sixième.

En effet, il pourrait – exception faite de la question portant sur l’indirect libre – être traité sans réelle difficulté par les plus jeunes collégiens. Est-ce à dire que le sujet de troisième n’était qu’un sujet de sixième ? Que le niveau du brevet – qui est celui du collège, non celui de troisième – est celui du plus petit niveau ? Que le niveau est de plus en plus bas ? Que c’est la faute du socle ? Et je ne sais quoi d’autre ?

Pour répondre, ou plus précisément, pour tenter d’apporter sinon un début de réponse du moins un embryon de réflexion, j’ai dû faire un peu d’archéologie scolaire. Sans remonter jusqu’à la protohistoire du brevet, rappelons que, de 1978 à 1985, ce diplôme s’obtient par le contrôle continu. Ce n’est qu’en 1986 que les collégiens – dont je fus – passèrent à nouveau cette épreuve. À quoi pouvait bien alors ressembler cette épreuve ? Était-elle plus difficile que celle à laquelle nos collégiens ont droit aujourd’hui ? Pour y répondre, pas la peine de chercher sur le web, on ne trouve pas grand-chose. J’ai cherché, mais vainement. Peut-être qu’un autre que moi saura mieux s’y prendre, mais je n’ai pas trouvé. Je me suis alors souvenu que mon père qui était chef d’établissement dans le collège où j’ai passé le brevet avait gardé les sujets de français (et aussi d’histoire et de maths pour ceux que cela intéresse). Par chance, j’avais gardé le sujet, que je vous laisse découvrir.

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La différence saute aux yeux. C’est bien simple, le sujet de l’année 2012 est l’exact contraire du sujet de 1986. Autant le premier évacue la grammaire (et ce sera systématiquement le cas pour tous les sujets qui suivront), autant le second lui accord une place symétriquement proportionnelle au nombre de questions de compréhension. L’important n’est alors pas tant de montrer sa compréhension du texte que de faire la preuve de ses capacités grammaticales. Les exigences sont nombreuses : conjugaison du futur, du passé simple (avec un trait d’union !), du passé composé, du conditionnel présent. Le binôme nature et fonction est évidemment de la partie . Et, enfin, des questions sur les propositions subordonnées que je n’oserais pas donner au meilleur de mes élèves.

Que faut-il conclure ? Que le niveau d’exigence a baissé ? Que le niveau des élèves a conséquemment baissé ? La réponse pourrait paraître évidente au professeur de français que je suis. Il n’est que de voir ce qu’on demandait aux élèves et ce qu’on leur demande aujourd’hui. La différence est telle qu’il n’y a pas l’ombre d’une hésitation. Vraiment ? Ce serait faire peu de cas d’un détail. Mon père avait gardé les sujets. Il avait aussi gardé une photocopie de ma copie. Rétrospectivement, cela fait un peu mal. Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas bon.

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Si je m’en sors relativement honorablement en dictée, je découvre (ou redécouvre, on oublie ce genre de choses) que je n’étais pas une flèche en grammaire. Je ne vous montrerai pas les horreurs que j’ai pondues sur les propositions subordonnées, mais voici un exemple de mes capacités en conjugaison ou à répondre à des questions englobant nature et fonction.

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Voudrait-on remettre un tel sujet au goût du jour ? Alors il faudrait rappeler que seulement 50 % des élèves ont obtenu leur brevet cette année-là. Probablement, la notation n’était pas la même. En lisant le barème, je prends conscience que la dictée en 1986 comptait pour 15 points. Aujourd’hui, c’est 6 points, auxquels il faut certes ajouter les 4 points de l’exercice de réécriture. Mais ce sont 15 points sur 80, alors que l’épreuve de français actuelle (voir le sujet de l’année 2016) compte pour 40 points…

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Je vous laisse conclure. Le sujet de l’année 2012 était, en effet, très facile (et certaines questions posées en 2014 et en 2015 étaient ridiculement faciles). Pour autant, nombre d’élèves auront achoppé sur tel ou tel point. Finalement, si l’on considère le sujet de 2012, un texte de Michel Tournier, c’est encore un peu élitiste pour beaucoup d’élèves (qu’est-ce qu’un calife ? C’est vraiment un conte ? Quelle est cette histoire de cuisinier et de commémoration ?).

La question n’est-elle pas de savoir ce que l’on veut « retirer » de ce collège. Désire-t-on qu’un élève sache manier les propositions subordonnées consécutives ou sache écrire correctement et comprendre ce qu’il lit ? Malgré tout mon amour de la littérature, tout mon intérêt pour la grammaire, toute l’exigence dont je peux faire preuve à longueur de temps, je ne peux que pencher pour la deuxième solution. Et le sujet de 2014 (et dont j’avais proposé une correction), qui invitait les candidats à réfléchir sur la prose poétique de Saint-Exupéry, a montré que des compétences importantes de lecteur étaient requises. Reste que bien souvent les consignes de correction nous invitent à la clémence, ce qui se conçoit, mais une clémence qui a clairement pour objectif de distribuer des points allègrement : “l’élève a le droit de dire qu’il n’a pas compris”, nous a-t-on dit l’an dernier.

P.-S.

Suite à de nombreuses demandes, j’ajoute les sujets d’histoire et de maths.

Histoire géographie

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Mathématiques

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Éducation Littérature

La rhétorique au collège

Aristote par RaphaëlLa rhétorique restreinte

La rhétorique, telle qu’on l’enseignait encore au XIXe siècle, était constituée de trois grandes parties : l’inventio (la recherche des idées ou des arguments), la dispositio (l’arrangement des différentes parties du texte écrit), et l’elocutio (choix et disposition des mots dans la phrase). C’était déjà une rhétorique restreinte dont on avait retranché la pronuntiatio et la memoria. Elle se réduisit comme une peau de chagrin quand elle ne devint plus qu’un traité des figures.

Au collège, l’enseignement relève aujourd’hui, pour l’essentiel, d’une rhétorique de l’elocutio. Nous n’avons, en effet, retenu de l’ancienne rhétorique que quelques figures de style. Au collège, l’élève est invité à n’en retenir qu’un certain nombre, comme dans cet exercice, par exemple.

Récemment, @mmechautard proposait un exercice intéressant. Les élèves devaient, non pas simplement repérer quelques figures, mais rédiger quelques phrases dans lesquelles figureraient une comparaison ou un zeugme, etc. Cet exercice semble avoir connu quelque succès, les élèves s’étant amusés à formuler des plaisanteries du type «Il descendit les poubelles et son voisin».

Rhétorique et enseignement

Je me suis alors rappelé Figures II de Gérard Genette et de «Rhétorique et enseignement» où il est expliqué que, auparavant, les grands textes de la littérature n’étaient pas seulement des objets d’étude, mais aussi des modèles à imiter. Aujourd’hui, il ne s’agirait évidemment pas de demander à un élève un portrait de Byron comme cela avait pu l’être à Flaubert. Mais, au moins, on pourrait se rappeler que la pratique régulière de l’écriture, dans le sillage des grands auteurs, bref ce qu’on appelle l’imitation, a ceci de bénéfique qu’on en revient à une rhétorique explicite, une rhétorique qui dit son nom, au lieu de se contenter d’exiger de l’élève qu’il fasse un effort pour écrire correctement, sans plus d’explications.

Faire un effort pour écrire correctement, cela ne veut rien dire au fond pour l’élève à qui on n’a jamais appris à écrire. Tout au plus l’invite-t-on à faire attention à l’orthographe, à suivre quelques consignes (utiliser le passé simple, placer des épithètes…). Pour le reste, il est livré à lui-même. Or la rhétorique n’a jamais vraiment quitté le collège. Elle a toujours été là, sans réellement faire l’objet d’un apprentissage avoué. En français, les précédents programmes invitaient à rédiger une narration, développer une description, à bâtir une argumentation, etc. Dans ce dernier cas, on retrouve nombre de composantes de l’ancienne rhétorique : recherche des idées, disposition de ces idées en un texte qui a un sens (selon la double acception : une signification et une direction), et expression de ces idées en termes acceptables pour l’institution scolaire.

Encore faut-il, pour ce dernier point, que l’élève ait un peu de vocabulaire, d’où la nécessité de l’étudier, de lui conférer une place importante, ce que font les actuels programmes de français. L’élève doit aussi avoir son arsenal de figures lui permettant d’exprimer ses idées avec force. À cet effet, il importe que l’élève sache non seulement les repérer, mais aussi les utiliser d’où les exercices susmentionnés. Mais il est impératif qu’on lui ait appris à écrire. Or on apprend à lire, mais on n’apprend pas réellement à écrire. Tout au plus donne-t-on quelques exercices de rédaction dont la consigne pourrait être : «Vas-y, fais de ton mieux, exprime-toi, si possible en un langage correct, avec le minimum de fautes». Mais attend-on seulement la moindre valeur littéraire de ce qui sera produit par l’élève ? A-t-on vraiment préparé cet élève à l’exercice de la rédaction ?

Apprendre à écrire

Si l’élève a appris à lire, il n’a pas appris à écrire d’une façon un tant soit peu littéraire. On reste persuadé, que l’élève ayant lu retiendra, ipso facto, quelques formulations que, de lui-même, il restituera dans un élan de bonne volonté. Son génie personnel, résidu romantique, fera le reste. N’est-on pas là dans l’erreur, si l’on ne remet pas au goût du jour l’exercice d’imitation, régulier, plus ou moins bref, en tout cas davantage que celui de la rédaction, et préparant la rédaction ?

Récemment, j’ai donné cet exercice dans lequel il fallait remplacer les verbes en gras par un participe présent, puis supprimer le sujet. Enfin, l’élève devait rajouter la conjonction de coordination « et » (voire supprimer le dernier pronom personnel sujet) :

Le chat enfila ses bottes, il mit son sac à son cou, il s’en alla dans une garenne.

Le chat enfila ses bottes, et mettant son sac à son cou, s’en alla dans une garenne.

L’objectif, dans cet exercice d’imitation de Charles Perrault, était évidemment de manier le participe présent que nous étudiions alors, de faire un peu de grammaire donc, mais aussi de s’exprimer avec davantage de fluidité, de concision, plutôt que d’accumuler des phrases courtes commençant répétitivement par le pronom personnel «il».

Mais l’exercice, tel quel, relève essentiellement de l’exercice de grammaire ou de réécriture. Pour qu’il devienne exercice d’imitation, il fallait que dans la rédaction suivant l’exercice, l’élève produise quelques phrases imitant le modèle étudié.

En quatrième, cet exercice exige qu’on se lance directement dans l’exercice d’imitation.

Lisez cet extrait de Vingt mille lieues sous les mers

«En deux minutes, nous étions sur la grève. Charger le canot des provisions et des armes, le pousser à la mer, armer les deux avirons, ce fut l’affaire d’un instant. Nous n’avions pas gagné deux encablures, que cent sauvages, hurlant et gesticulant, entrèrent dans l’eau jusqu’à la ceinture.»

Consignes

Réécrivez un paragraphe du même type :

– en commençant par un complément circonstanciel (En deux minutes) suivi d’une proposition contenant un verbe à l’imparfait (étions) ;
– en rédigeant ensuite trois propositions débutant par un infinitif (charger, pousser, armer) s’achevant par un verbe au passé simple (fut) ;
– en terminant enfin par une phrase de conclusion construite sur le modèle Nous n’avions pas… que…. Le dernier verbe sera conjugué au passé simple et précédé de deux participes présents (hurlant et gesticulant).

J’avais eu l’idée de cet exercice en relisant Les Misérables et Le Rouge et le Noir. À lire ces extraits, on se rappelle que nos grands auteurs, malgré qu’ils en aient (je pense à Victor Hugo), avaient fait leur classe de rhétorique :

Écarter les pavés, soulever la grille, charger sur ses épaules Marius inerte comme un corps mort, descendre, avec ce fardeau sur les reins, en s’aidant des coudes et des genoux, dans cette espèce de puits heureusement peu profond, laisser retomber au-dessus de sa tête la lourde trappe de fer sur laquelle les pavés ébranlés croulèrent de nouveau, prendre pied sur une surface dallée à trois mètres au-dessous du sol, cela fut exécuté comme ce qu’on fait dans le délire, avec une force de géant et une rapidité d’aigle ; cela dura quelques minutes à peine.

Les Misérables

Le voir, le tirer par sa grande jaquette, le faire tomber de son siège et l’accabler de coups de cravache ne fut que l’affaire d’un instant. Deux laquais voulurent défendre leur camarade ; Julien reçut des coups de poing : au même instant il arma un de ses petits pistolets et le tira sur eux ; ils prirent la fuite. Tout cela fut l’affaire d’une minute.

Le Rouge et le Noir

En somme, pour plagier Gérard Genette, on se dit que pour un adolescent de l’époque des Hugo, des Flaubert ou Stendhal, se lancer dans la littérature n’était pas une aventure ou une rupture mais le prolongement, l’aboutissement de leurs études.
Quant à mes collégiens, ce n’est pas un prolongement ni même une rupture. Ils ont tout simplement besoin d’apprendre à écrire.

Une copie de quatrième

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Ravalement de façade pour Ralentir travaux

LogoC’est fait ! Bien sûr, ce n’est pas extraordinaire, ce n’est peut-être pas d’une grande originalité, mais c’est fait : Ralentir travaux a subi un (léger) lifting. Le site gagne même un logo dont je vous laisse deviner la signification. Il s’agrémente de quelques couleurs (oui, il y a du bleu). Les changements ne sont toutefois pas que d’ordre cosmétique, le code a été revu, quelques nouveautés font leur apparition. Et cette réfection m’a donné plein d’idées à exploiter dans un avenir proche.

HTML 5 et CSS 3

Tout d’abord Ralentir travaux est désormais en HTML 5. Pour cela, je n’ai pas dû changer grand-chose. Un doctype. Quelques balises nouvelles (header, section, footer, etc.). Un peu de CSS3. Rien de très complexe. Des effets d’ombre, des coins arrondis, des dégradés, quelques colonnes, etc. De ce point de vue, je ne suis pas allé aussi loin que je le désirais. Il faudra attendre la prochaine révision, quand j’aurais acquis des connaissances plus approfondies. Cependant, je recherche avant tout la simplicité. Celle que l’on trouve, par exemple, dans une application comme Instapaper pour iPad dont le succès me conforte dans mes choix esthétiques : un dépouillement qui ne laisse que l’essentiel, le texte. J’aurais quand même voulu procéder à quelques raffinements, quelque chose qui se rapproche de la mise en page d’un journal papier avec des colonnes, mais là encore ce sera pour la prochaine fois.
De toute façon, me replonger dans les techniques du web m’a remis le pied à l’étrier, m’a donné l’envie, et peut-être, dans quelque temps, la possibilité de faire mieux encore, quand j’en aurais appris davantage. À ce propos, j’ai quand même pu corriger quelques erreurs dans le code, des grossièretés de débutant, et je suis bien aise de m’en être débarrassé. Peut-être y en a-t-il d’autres… Et que de pages à corriger ! Ralentir travaux demandera un jour un travail à plein temps !
Comme mes capacités en JavaScript sont toujours aussi limitées, j’ai eu recours à Hype qui m’a bien aidé pour réaliser un «Slide» afin de présenter les grandes parties du site. Cela s’appelle Visite guidée.

Visite guidée

J’oubliais ! En bas, de la page d’accueil, il y a une petite subtilité esthétique qui fait défiler le texte. Si l’idée et sa réalisation ne sont pas de moi, c’est quand même bien joli.

Visite guidée

Quelques ajouts

Avant de procéder à quelques ajouts, j’ai supprimé la partie Voir, qui n’était plus mise à jour depuis longtemps. La menu n’affiche donc plus que quatre parties : l’actualité, les lettres, le blog (vous y êtes) et les liens. C’est évidemment dans la deuxième que se concentre l’essentiel du site accessible à partir de cette page.
J’ai essayé d’améliorer le référencement interne en ajoutant à chaque page (en fait, pas tout à fait, j’y travaille encore) une sélection de liens susceptibles d’intéresser le visiteur.

Mais la plus grande nouveauté est la possibilité de commenter chaque page. Dans un premier temps, je ne voulais ajouter cela que dans la partie Cours, mais emporté dans mon élan, je l’ai ajouté sur chacune des pages. Un bon millier (à la louche). Le but est de permettre la discussion, de demander une précision, de corriger une erreur, etc. Là encore, dans un avenir plus ou moins proche, j’aimerais permettre davantage d’interaction comme la possibilité de modifier, de personnaliser les pages.

Pour finir

Pour finir, je voudrais rendre à César ce qui est à César et remercier les auteurs de sites qui m’ont aidé, d’une façon ou d’une autre, dans la réalisation du mien.
J’ai toujours été inspiré par les designs minimalistes comme celui d’Apple. J’ai bien aimé également ce site très épuré. Pixeden m’a fourni de jolies images. Les générateurs en tout genre m’ont apporté une aide précieuse : Ultimate CSS Gradient Generator, Support du web pour les coins arrondis, CSS3 generator, Générateur de multi-colonnes en CSS3, CSS menumaker, un autre CSS3 Generator, CSSDeck, CCS 3.0 Maker, etc.

Et ensuite ?

Beaucoup de choses me font envie. Il m’a toujours semblé que je devais vraiment me mettre au JavaScript, mais aujourd’hui la priorité me semble devoir être accordée à l’apprentissage du CSS et de ses propriétés vraiment surprenantes. Parmi celles-ci, j’aimerais intégrer de pareilles transitions pour passer d’une page à l’autre. J’avais été très impressionné par Paperfold CSS. Il y aussi des animations rigolotes : Ring Menu, Dynamic Stack of Index Cards, CSS3 Rotating menu qui marche très mal avec Safari, CSS3 ordered list style qui ne marche qu’avec Firefox, etc.

Bref, pas mal de travail en perspective.

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Littérature

Le jeu des figures (fin)

Terminons ce petit jeu sur les figures avec une phrase extraite de la Rhétorique d’Aristote (citée dans le Gradus de Bernard Dupriez).

Il est juste que celle qui a tué son mari meure. Il est beau qu’un fils venge son père. Donc il est beau et juste qu’un fils tue sa mère.

Keske c’est ?

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L’anaphore, Hollande et le petit

L’anaphore connaît aujourd’hui un succès pour le moins inattendu. L’emploi qu’en a fait François Hollande montre assez que cette figure appartient à une vaste famille, la famille de la répétition (avec l’épiphore, l’anadiplose, l’épanadiplose, la concaténation, etc.). Et pour ce qui est de répéter, notre potentiel président a répété pas moins de 16 fois (paraît-il, je n’ai pas compté) Moi, président de la République. C’est beaucoup. Je n’ai pas cherché, mais je ne crois pas que la littérature abonde en anaphore de cette ampleur.

Il paraît même que la France découvre cette figure. Les collégiens ont cependant (et en principe) tous entendu l’inévitable anaphore cornélienne :

Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !

Cette figure apporte au mot qu’elle répète une importance, une gravité, une emphase, quelque grandiloquence également. Elle n’est pas non plus étrangère au rythme, au lyrisme. En tout cas, l’emploi est remarqué et remarquable. Peut-être parce qu’il ne passe pas inaperçu. Simplement.

Ladite figure peut devenir une véritable tarte à la crème. Je le confesse à demi-mot, mais ce poème m’énerve (poétiquement, pas historiquement) :

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Le procédé est trop voyant. Chez Victor Hugo également, mais c’est Victor Hugo alors je ne m’en offusque pas. Et souvent l’anaphore est au service d’une énergique indignation, que ce soit dans les Châtiments :

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime.

Ou dans L’Année terrible (sans atteindre la démesure hollandienne) :

Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poëtes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !

Cette figure peut aussi provoquer la surprise. Dans ce poème de Xavier Forneret («Un pauvre honteux»), les pronoms «il» et «l’» (qui pour le coup – d’un point de vue grammatical – ne sont pas anaphoriques, mais cataphoriques) sont – du point de vue stylistique – anaphoriques. C’est cette figure qui fonde tout le poème et prépare ainsi, progressivement, la chute.

Il l’a tirée
De sa poche percée,
L’a mise sous ses yeux ;
Et l’a bien regardée
En disant : “Malheureux !”

[…]

Il l’a palpée

D’une main décidée

A la faire mourir.

- Oui, c’est une bouchée

Dont on peut se nourrir.

Il l’a pliée,

Il l’a cassée,

Il l’a placée,

Il l’a coupée ;

Il l’a lavée,

Il l’a portée,

Il l’a grillée,

Il l’a mangée.

Quand il n’était pas grand on lui avait dit : Si tu as faim, mange une de tes mains.

Vous découvrez alors, à la fin du poème, que ce «il» c’est le pauvre, que le «l’» c’est sa propre main qu’il s’apprête à manger.

Cela fait une jolie répétition, hein ? De quoi faire pâlir François Hollande. Et en plus, ce n’est pas le pronom «moi», pronom qu’il vaut mieux éviter de dire trop souvent, si l’on ne veut pas recevoir cette accusation de grotesque que le camp adverse n’a pas manqué de lui jeter à la figure.

Au fait, à propos d’anaphore ! Il me souvient que celle-ci avait été déjà jetée à la figure du président sortant :

Il a pris la France et n’en sait rien faire. En vérité, on est tenté de plaindre cet eunuque se débattant avec la toute-puissance. Certes, ce, dictateur s’agite, rendons-lui cette justice ; il ne reste pas un moment tranquille ; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres ; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il se remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.

(Napoléon Sarkozy le Petit)

Cela en fait des anaphores pour un seul homme !