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Le jeu des figures (épisode 6)

Chose promise, chose due. Finissons ces vacances, non pas avec une vulgaire anaphore (il faudra, cependant, que je dise quand même quelques petites choses sur le sujet), mais avec quelques figures plus rares, plus drôles aussi.

Commençons cette série avec un vers de Corneille :

Je suis romaine, hélas, puisque mon époux l’est.

Alors ? Que trouvez-vous ?

N.-B. Le précédent jeu n’est pas fini. Il reste des choses à découvrir.

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Le jeu des figures (épisode 5)

Avant d’en venir à quelques figures plus exotiques, voici un extrait de Quatre vingt-treize de Victor Hugo. Une mine.

Un canon qui casse son amarre devient brusquement on ne sait quelle bête surnaturelle. C’est une machine qui se transforme en monstre. Cette masse court sur ses roues, a des mouvements de bille de billard, penche avec le roulis, plonge avec le tangage, va, vient, s’arrête, paraît méditer, reprend sa course, traverse comme une flèche le navire d’un bout à l’autre, pirouette, se dérobe, s’évade, se cabre, heurte, ébrèche, tue, extermine.

Au fait, une petite précision : si vous vous dites que ces figures de style sont trop difficiles pour des collégiens, si vous pensez que je suis excessivement, démesurément, inconsidérément (je vais arrêter avec les adverbes) exigeant, voici comment je compte procéder avec mes élèves.

Dans les premiers exercices qui seront proposés, la figure devant être trouvée sera soulignée. Ainsi, dans l’exemple proposé hier, à travers un menu déroulant, l’élève ne sera invité qu’à trouver une modeste répétition (foin des termes techniques) :

Je regardais, je regardais à en user ma rétine, à en devenir aveugle […].

Rien de plus. Ni asyndète, ni adynaton et encore moins d’épanorthose.

Ah ! Et comme vous trouvez des figures que je n’avais pas même remarquées, je tenais à vous remercier chaleureusement !

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La culture, c’est ce qui reste…

On connaissait le peu d’intérêt présidentiel pour la Princesse de Clèves. On savait que notre président ne savait prononcer correctement le nom de l’auteur de Mythologies. On savait que, durant son quinquennat, Nicolas Sarkozy (puisqu’il faut bien le nommer) accueillait en son gouvernement certain personnage qui, quand on lui demandait quel était son livre préféré, répondait benoîtement Zadig et Voltaire. Plus récemment, voulant que l’on reconnaisse les racines chrétiennes de la France, Nicolas Sarkozy évoquait un auteur déiste rêvant d’écraser l’infâme… Voilà qui laisse perplexe ! On découvre aujourd’hui, non sans stupeur (mais on ne s’en lasse jamais), que celui qui prétend gouverner la France attribue un prénom erroné à l’auteur de La Peste, de L’Étranger, etc. Et, en effet, il parle de… Stéphane Camus (sic) !

Des âmes bienveillantes concluront que cet homme n’aime pas la littérature. Des esprits chagrins rappelleront qu’en ce cas, il n’est nul besoin de se ridiculiser en parlant de ce qu’on ne connaît pas. Pour ma part, je ne peux m’empêcher de trouver répugnante cette obstination à vouloir que les immigrés désireux d’obtenir la nationalité française fassent preuve d’une culture que les Français – y compris ceux qui se trouvent au sommet de l’état – n’ont pas. Je vous ferai grâce d’un rappel des barbarismes, solécismes, massacres syntaxiques qui ont émaillé ce quinquennat.

Quoi qu’il en soit, d’aucuns argueront que les qualités de l’homme sont ailleurs. Dans l’économie par exemple. N’est-ce pas là primordial ? Mais, précisément, c’est là que le bât blesse. On répète à l’envi que les politiques d’austérité sont néfastes, qu’elles génèrent du chômage et du mal-être (écoutez également Mathieu Pigasse sur France Culture). On se prend à penser que, décidément, Sarkozy (ce chantre de l’austérité) est un président que l’on a hâte d’oublier. Cette inculture littéraire et ces choix économiques désastreux (entre autres) lassent. Vivement le 6 mai.

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Le jeu des figures (épisode 4)

Depuis le début de ce jeu, nous avons rencontré, pêle-mêle, la comparaison, la métaphore, l’hyperbole, la métonymie et l’antonomase.
Aujourd’hui, la ou les figures du jour sont à dénicher, derechef, dans une citation de Jules Verne toujours extraite de Vingt mille lieues sous les mers que j’ai lu récemment :

Je regardais, je regardais à en user ma rétine, à en devenir aveugle […].

Que trouvez-vous ?

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Le jeu des figures (épisode 3)

En cet fin d’après-midi (ou cette fin d’après-midi, ce substantif ayant deux sexes), je soumets à votre sagacité – jamais prise en défaut – une citation de Jules Verne extraite de Vingt mille lieues sous les mers :

[…] une telle huître contient quinze kilos de chair, et il faudrait l’estomac d’un Gargantua pour en absorber quelques douzaines.

Je précise que – le capitaine Nemo exhibant des merveilles de la nature – l’huître est réellement grosse. Il n’y a là nulle hyperbole.

Alors quelle figure voyez-vous là ?

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Le jeu des figures (épisode 2)

On continue le jeu inauguré hier avec un court extrait de Maupassant dans lequel on reconnaissait une comparaison, mais aussi une hyperbole et même – selon une mystérieuse disciple d’Eveline Charmeux – une hypallage (certains préfèrent d’ailleurs le masculin).

Voici aujourd’hui une citation extraite de Pauline d’Alexandre Dumas :

[…] le sourire, c’est le voile sous lequel le cœur se cache pour mentir.

Quelle figure y voyez-vous ?

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Un petit jeu sous les auspices de Pierre Fontanier

Depuis quelque temps, lors de mes lectures, je glane des exemples de figures de style afin d’en faire des exercices pour mes élèves de troisième. Comme j’attends d’en avoir davantage, je n’ai pas commencé ces exercices. Pour vous en donner un avant-goût, je vous propose un petit jeu.

C’est très simple. Il suffit, dans les commentaires, d’identifier la figure que contient la citation proposée. Pour commencer, en voici une de Guy de Maupassant.

Une fois la figure trouvée, on peut l’expliquer, discuter du passage d’où elle est extraite, la rapprocher d’autres œuvres, etc.

La figure mystérieuse :

Devant les cafés, un peuple d’hommes buvait des boissons brillantes et colorées qu’on aurait prises pour des pierres précieuses fondues dans le cristal. (« Tombouctou », Les Contes du jour et de la nuit)

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L’obscur objet de la dictée

Cartel de defyJe le confesse, à ma grande honte, je ne connaissais pas Éveline Charmeux. J’ai donc lu son billet sur la dictée sans aucun a priori. Et je l’ai trouvé mauvais. Il est mal écrit. Les répétitions («un niveau très bas bas»), les oublis («c’est sorte de pathologie gravissime»), les erreurs typographiques («l’ hallucination») ou inqualifiables («auFormatiàoncune réflexion») révèlent-ils qu’il a été rédigé à la hâte ? Je ne sais pas, mais il m’a profondément consterné. Jusque-là, seule l’affaire du pourrisseur du web avait réussi à me sortir de ma torpeur habituelle.

Au reste, le discours d’Eveline Charmeux m’a rappelé celui qui était tenu à l’IUFM où la dictée était battue en brèche. Les arguments ne manquaient d’ailleurs pas de pertinence. La dictée ne serait qu’un moyen d’évaluation injuste, elle ne permettrait pas d’acquérir de connaissances. Elle était tombée de son piédestal. Elle n’était plus le seul moyen de travailler l’orthographe (que l’on songe à l’exercice de réécriture). J’étais alors convaincu qu’il ne fallait plus faire de dictée ou du moins qu’il ne fallait plus lui accorder l’importance qui fut la sienne. Las ! Cette idée n’a pas résisté au temps, lequel j’ai passé à me demander de quelle façon je pouvais évaluer l’orthographe sans pour autant déprimer mes petits élèves.

Prolégomènes

Avant d’expliquer les vertus pédagogiques que j’attribue à la dictée, je voudrais tout de même préciser deux petites choses. Eveline Charmeux écrit que la dictée a :

[…] l’incomparable plaisir que procure à tout enseignant — moi la première, je le confesse bien volontiers ! — cette situation de pouvoir absolu sur des élèves, soumis, visage baissé, au rythme de la voix du maître, seul à posséder légitimement le “corrigé”…
La dictée, c’est le symbole de l’école, de celle qui fait faire aux élèves ce qu’ils ne savent pas faire […]

Tout d’abord, je n’éprouve aucun «incomparable plaisir» face à des élèves soumis. Je suis conscient à ce point du pouvoir de l’enseignant que j’ai pris l’habitude depuis longtemps de faire cours porte ouverte, cette ouverture me rappelant le monde extérieur dans lequel je ne suis pas le maître ni le plénipotentiaire de l’éducation lequel, comme un mauvais parent, aurait tous les droits sur ses enfants dans le huis clos de son domicile.
Au reste, je n’ai pas la vanité de goûter au plaisir de ma voix qui s’énonce dans le silence scolaire, dominant des «visage (s) baissé (s)». Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Que veut-on ? Que l’on s’humilie d’avoir assis les élèves quand nous sommes debout ? Eh ! Voulez-vous que l’on intervertisse la situation ? Tout le monde debout ! Je m’assieds.
Enfin, la dictée serait un symbole. Celui d’une école qui fait faire aux élèves ce qu’ils ne savent pas faire. Serait-ce une plaisanterie de mauvais goût ? Un piège tendu aux esprits chagrins qui lisent en diagonale ? Qu’est-ce que l’école sinon le lieu où l’on apprend ce que l’on ne sait pas ? Le contraire s’appelle la science infuse. Les élèves ne l’ayant pas, ils viennent apprendre. En quoi cela peut-il choquer ?

Un moyen d’apprentissage et un moyen d’évaluation

Selon Eveline Charmeux, la dictée ne saurait être ce monstre pédagogique étant à la fois la fin et le moyen. Je pense que les termes sont mal définis, et comme à chaque fois que l’on nomme mal les choses, on se fourvoie. Par quelque bout que l’on prenne les choses, pas moyen de faire autrement : la période d’apprentissage est ipso facto suivie d’une évaluation. Il faut nécessairement vérifier que la notion inculquée a été comprise. Dans le cas contraire, on se hasarde à laisser les élèves avancer dans les méandres du programme sans s’intéresser à leurs progrès ou leurs échecs. Mais la question est de savoir si la dictée peut à la fois être un moyen d’apprentissage et un moyen d’évaluation.

Un moyen d’évaluation

Avant de dire en quoi la dictée est un moyen d’apprentissage, voyons le moyen d’évaluation. En quoi est-il choquant d’évaluer ce qui a été écrit ? Serait-ce parce qu’on attribue une note ? Que l’on soupçonne celle-ci d’être très basse ? Sans même parler d’évaluation par compétences, ne peut-on simplement dire à l’élève à qui l’on rend sa dictée : «C’est bien, il n’y a pas de faute. À présent, on va faire plus dur ou on va passer à autre chose» ou encore «Attention, il y a des fautes. Tel ou tel point est à revoir. Je vais te donner des exercices pour remédier à cette situation». La dictée est l’évaluation de ce que sait faire un élève à un moment donné. Ainsi, par exemple, le présent de l’indicatif ayant fait l’objet d’un apprentissage ne devrait pas être erroné dans le texte faisant l’objet d’une dictée. S’il l’est, il faut réviser.

De toute façon, je ne crois pas qu’il existe encore beaucoup d’enseignants qui ponctionnent deux voire quatre points par faute de grammaire. En ce cas, l’exercice est impitoyable. Quelques fautes dans un texte de vingt lignes, et l’élève n’a pas la moyenne. Cette façon de faire n’a plus, depuis longtemps, la faveur des enseignants. Et je crois que c’est ce modèle qu’Eveline Charmeux bat en brèche. Celui de l’enseignant qui pour enseigner l’orthographe ne posséderait que ce seul moyen de la dictée et par là même se saisirait de ce moyen pour mettre une note qui souvent atteint des abysses négatifs. Afin de ne pas allonger indéfiniment ce billet déjà très long, j’ai écrit un autre billet intitulé Mais comment évaluer cette dictée ? Tout au plus, dirais-je qu’il y a pléthore quant aux moyens d’évaluer une dictée, et que celle-ci n’est plus l’exercice terrible condamnant par avance tout élève pris en faute.

Un moyen d’apprentissage

Examinons maintenant en quoi la dictée, notée ou non, mais évaluée (en tant qu’elle fait l’objet d’une appréciation, et donc d’un moyen de progresser), concourt à l’amélioration de l’orthographe des élèves. On l’a dit, il existe d’autres moyens d’apprentissage (parmi lesquels il y a l’exercice de réécriture, mais aussi la charade, le pendu, les mots croisés sans même parler de la rédaction). À ce propos, le billet d’Eveline Charmeux repose sur un malentendu. Je n’ai lu nulle part que l’on prétendait que la dictée était LA solution. Tout au plus peut-on parler de solution, c’est-à-dire d’une solution entre autres.

D’emblée, je suis choqué que l’on soit choqué quand on fait faire une dictée qui date des années 80 à des élèves d’aujourd’hui qui n’en font plus. Eh quoi ! On a tellement expliqué que la dictée, c’était le mal, que les enseignants ont fini par s’en convaincre, et n’en font plus (heureusement, cela change). Dès lors, des élèves ne peuvent plus réussir un exercice qu’ils ne pratiquent plus ou pas assez. En quoi cela est-il étonnant ? On apprend en faisant (oui, je suis pour la pédagogie active). Or j’ai la conviction qu’il est fondamental que l’on dise aux élèves : «On va écrire un texte, et ce qui fait l’objet de ce travail, c’est l’orthographe et rien que l’orthographe». Les élèves, aujourd’hui ou hier (qu’importe), réduisent tellement la chose écrite à la portion congrue (un contenu plus qu’un contenant), que je ne connais pas un collègue d’histoire, de SVT ou de ce que vous voulez qui n’ait rencontré la nécessité d’évaluer l’orthographe tant il est vrai que les élèves s’en désintéressent. J’en suis même venu à ne plus photocopier mes contrôles, mais à les projeter, à demander aux élèves d’écrire les consignes, et de leur dire qu’ils gagneront des points en accordant un peu d’attention aux mots qu’ils recopient.
La dictée, qu’elle fasse deux lignes ou trente, régulière, et d’une difficulté en rapport avec le niveau des élèves, consiste à écouter un texte et à faire des choix. Je ne parle pas du ridicule exemple pris par le contempteur de la dictée. «théâtre» ou «apéritif» ne m’intéressent pas. C’est de l’orthographe lexicale. Un dictionnaire fera l’affaire. Ce n’est pas là que le bât blesse. De toute façon, quand bien même la chose est notée, l’élève perd 1 voire 0,5 point et même rien du tout dans certain cas. En revanche, on peut estimer que, jusqu’à ce qu’on ait rencontré la nécessité d’écrire ce mot, on ne savait pas comment l’écrire. Quel autre exercice que la rédaction ou la dictée permet de prendre conscience que l’on ne sait pas écrire tel ou tel mot ? Si on ne sait pas, on cherche, on corrige, on apprend (après avoir noté le mot dans un calepin pour le réviser, le réutiliser, etc.). Mais, je l’ai dit, ce n’est pas là l’essentiel. La dictée doit permettre à l’élève de faire des choix : tel mot s’accorde-t-il avec tel autre ? A-t-on bien choisi parmi des homophones grammaticaux ? Serait-ce «ses», «ces», «c’est» ou même «sait» ?

Et si l’on veut adopter «une pédagogie de la prévention des erreurs», l’on peut se pencher sur l’élève que l’on aiguille sur la bonne voie. Je ne commenterais pas la pitoyable métaphore routière, et sa conclusion :

Aussi, obliger les enfants à réfléchir, donc à ralentir leur écriture, n’est certainement pas un service à leur rendre.

Cette phrase qui vient conclure la métaphore filée du moniteur d’autoécole nous explique donc que celui-ci ne rendra pas service à son élève qu’il invite à ralentir. Vraiment ? Écrase-toi contre la voiture d’en face, on verra après…

Et je ne parlerai même pas de l’opposition énoncé/énonciation qui, je le suppose, est le point d’orgue dans la démonstration de l’auteure :

Or, la dictée est doublement étrangère à l’énonciation : parole extérieure, élaborée par quelqu’un d’autre, elle est reçue passivement, et à travers une oralisation du dicteur, laquelle n’a rien à voir avec la prononciation mentale qui accompagne l’énonciation. Pire , cette oralisation extérieure se substitue à la prononciation mentale et la bloque complètement — ou, tout au moins, la fausse gravement.

Comment ne pas percevoir que cette vulgate linguistique discrédite toute tentative de communication ? Toute parole extérieure étant reçue passivement, d’où vient que l’on continue de considérer l’autre, sans même parler de celui qui vient avec sa dictée ? Et si, d’aventure, la dictée se révélait être cet indigne chausse-trape éducatif, que ne proposez-vous pas la méthode qui permettra de reconnaître un problème que vous reconnaissez ? Au lieu de cela, vous concluez :

Au fait, au lieu de perdre du temps à faire faire des erreurs qui vont s’imprimer dans la tête des gamins et y installer un bazar pas possible, si on essayait enfin d’aider les élèves à comprendre comment ça marche, l’orthographe ?

Comment faut-il donc faire ? Encore une fois, je répondrai dans un élan d’autopromotion. Tout Ralentir travaux s’efforce d’y répondre, et dans cette réponse, il y a la dictée, laquelle fait partie de mon arsenal éducatif. Il en existe d’autres, que je n’ai jamais pu véritablement exploiter. Il y a les dictées que des élèves peuvent faire eux-mêmes, à leur rythme, en utilisant (pourquoi pas ?) un dictionnaire ou une grammaire. On pourrait songer, comme pour la rédaction, à utiliser un correcteur orthographique, pas le médiocre correcteur intégré à tout traitement de texte, mais celui d’Antidote par exemple. Il doit bien y avoir des enseignants canadiens le faisant. J’aimerais entendre leur voix.

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Mais comment évaluer cette dictée ?

Dictée notée en comptant les mots justesIl fut un temps où on nous expliquait que la dictée était descendue de son piédestal, qu’il ne fallait pas ou moins en faire, que c’était un moyen d’évaluation et non pas de formation. Depuis, je me suis aperçu que sa pratique régulière faisait progresser les élèves, à condition de ne pas mettre de zéros à tout va.
Mais alors comment évaluer cette dictée remise au goût du jour ?
Je me pose régulièrement cette question, car quoiqu’on en dise il faut bien le faire. En tout cas, on attend de moi que je mette des notes, alors que je pourrais fort bien m’en passer, surtout à propos de ce type d’évaluation. De toute façon, les notes – surtout depuis que j’ai entendu André Antibi – ne me dérangent pas plus que ça (mais c’est un autre sujet). Alors, si l’on doit en mettre, voyons comment l’on peut faire.

Avant de répondre à la question posée par l’article, je précise quand même que je n’ai pas encore trouvé la bonne formule (ou que je ne vois aucune raison de privilégier telle ou telle), raison pour quoi j’écris cet article, peut-être pour me permettre d’y voir plus clair. La seule conviction que j’ai est qu’il faille faire des dictées, malgré qu’on en ait. Soumettre à la sagacité d’un élève une difficulté orthographique à résoudre ne me semble pas devoir être voué aux gémonies.

À l’ancienne

Je crois savoir que certains collègues font ça : ils retirent deux points par faute de grammaire, un point par faute d’orthographe lexicale (des fautes de vocabulaire en somme), et un demi-point par accent.
En notant ainsi, dans certaines classes, on est à peu près certain d’avoir évité de mettre la moyenne aux meilleurs, et d’avoir mis des notes négatives à 80 % de la classe. Or une telle façon de noter, à coup sûr, démoralise les élèves les mieux intentionnés : pourquoi travailler puisque de toute façon ils auront zéro, l’exercice étant cruellement difficile.
Cependant, un tel degré d’exigence dans la notation, pourrait être concevable avec d’excellents élèves. J’en ai, mais pour ceux-là, quelle que soit la façon de noter, le résultat est invariablement le même : ils ont vingt.
En somme, cette réflexion ne les concerne pas vraiment.

Avec un barème moins sévère

On obtient des notes un peu moins mauvaises en ne retirant qu’un point par faute de grammaire, et un demi-point par faute de vocabulaire. Mais franchement, les notes ne sont pas pour autant extraordinaires. On limite les dégâts, et on n’évite pas la sempiternelle cohorte de zéros.
J’utilise souvent ce barème avec des dictées relativement courtes, et ne contenant pas trop de difficultés. L’élève a même la possibilité de refaire la dictée. On efface la note. On recommence. On progresse, j’espère.

La dictée préparée

Je déteste. J’ai toujours le sentiment de perdre mon temps. Pourtant j’ai essayé à de nombreuses reprises : je dicte un texte ; c’est non noté ; on le corrige ; on fournit les explications ; éventuellement on s’entraîne ; on demande aux élèves d’apprendre ; on refait la dictée.
Ratage complet.
Il faut bien le reconnaître. Les élèves dont l’orthographe est très mauvaise sont souvent (je n’ai pas dit toujours) des élèves qui ne travaillent pas suffisamment ou pas comme il faut ou, et c’est (certaines années) l’écrasante majorité, pas du tout. Alors si on leur donne un texte à apprendre pour qu’ils obtiennent une note décente, il ne faut pas forcément s’attendre à ce qu’ils fassent le travail demandé.
Au bout du compte, on se dit qu’il doit y avoir des progrès en orthographe grâce à une pratique fréquente, pas nécessairement par un gros travail d’apprentissage de texte donné à l’avance.

Par segments

Alors, celle-là, cela fait un moment que l’on ne me l’a pas imposée. J’ai dû noter des dictées ainsi une année lors de la correction du brevet.
Le principe est simple : on considère un segment donné, c’est-à-dire un bout de phrase pour lequel on ne retira pas plus de tant de points.
Par exemple, dans la phrase «Le loup, qui se sent pressé, attribue le tiraillement aux poissons qui arrivent», on considère que «Le loup, qui se sent pressé» est un segment qui vaut tant de points. S’il y a plus de tant de fautes, on soustrait le nombre de points fixés.
Autant dire, que je déteste cette façon de faire. C’est vraiment se compliquer l’existence pour pas grand-chose.

Des points pour la grammaire, des points pour le vocabulaire

Cette façon de faire est plus intéressante. Pour une dictée sur vingt, on va accorder dix points pour la grammaire, dix points pour le vocabulaire. On décompte un point ou un demi-point par faute (par exemple). Or si l’élève a fait 30 fautes de grammaire, il ne perd pas plus de dix points. Et le correcteur de prier, pour que l’élève n’ait pas fait trop de fautes de vocabulaire, ce qui lui permet alors de ne pas obtenir une note trop basse.
Cela marche bien pour les élèves qui ont quelque compétence orthographique, mais qui ont encore pas mal de lacunes en grammaire ou en vocabulaire. Cela permet aussi de voir avec précision ce qui pèche, si c’est la grammaire (conjugaison, accords, etc.) ou si c’est le vocabulaire, et de proposer la remédiation idoine.

La dictée portant sur un point précis

On dicte un texte après avoir étudié tel ou tel point et dans la dictée, on n’évalue que le point étudié. Par exemple, si on a étudié l’accord des adjectifs qualificatifs ou le passé simple, on ne prend en compte dans la correction que l’accord des adjectifs qualificatifs ou le passé simple. Si on le souhaite, on peut garder trois ou quatre points pour le reste si l’on tient absolument à l’évaluer.
Cela permet de préciser ce que l’on cherche à évaluer.

La dictée dialoguée

Je n’ai jamais essayé. Le principe est pourtant intéressant : on dicte un texte et dans le même temps on interroge les élèves en leur posant des questions du type : «Quelle difficulté va-t-on rencontrer dans l’écriture de telle phrase ?». Sans jamais donner la réponse, les élèves peuvent faire valoir qu’ici, après une préposition, on aura un verbe à l’infinitif, que là, après un COD antéposé, le participe passé va s’accorder, etc., etc.
On devine que la chose prend du temps, et qu’on n’en a pas forcément…

La dictée cacophonique

Je n’ai jamais essayé non plus ! Je crois bien qu’à une époque, c’était mal vu. Pourtant, ça semble assez amusant. On donne un texte truffé de fautes qu’on peut d’ailleurs mettre en évidence en jouant sur la typographie. Et l’élève doit réécrire le texte en corrigeant les erreurs. Après tout, c’est un exercice assez proche de ce que l’on peut faire d’après le texte La petite poule rousse où il faut reconjuguer tous les verbes au passé simple. C’est aussi le moyen utilisé lors du brevet avec les élèves bénéficiant d’un tiers temps. Ils doivent faire des choix. Ainsi, l’élève doit choisir entre «ce/se/ceux tableau est propre».

En comptant les mots justes (et non les faux)

On compte le nombre de mots dans une dictée, et on ne prend en considération que les mots justes. Le calcul peut se faire en pourcentage : 100 x nombre de mots justes divisé par le nombre de mots de la dictée (96).

Exemple : 100 x 35 divisé par 96 = 36,45 %

On peut aussi calculer une note sur 20 : 20 x nombre de mots justes divisé par le nombre de mots de la dictée (96).

Exemple : 20 x 35 divisé par 96 = 7,29/20

J’ai essayé : ça a beaucoup amusé les élèves qui ont tous eu la moyenne. À la réunion parents professeurs, on m’a regardé avec suspicion : comment l’élève qui a fait autant de fautes, a-t-il pu avoir la moyenne ?
En prenant en compte que les mots justes, l’élève a forcément une bonne note, même le plus mauvais d’entre eux a su écrire «le», «de», «pour» ou «table». Évidemment, il aura peut-être échoué à orthographier correctement les mots difficiles…

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Lettre ouverte à un lycéen (qui n’a pas la maturité pour être éduqué au numérique)

Cher lycéen, toi qui as – ou qui es en passe d’avoir – l’âge de te marier, de voter et même de faire la guerre, tu n’aurais pas la maturité nécessaire pour être éduqué au numérique. Dix-huit ans après ta naissance, tu ne serais même pas en mesure de tirer profit du numérique !

En lisant une telle assertion, tu dois passablement pouffer de rire, toi qui «du matin jusques au soir» vis dans un univers numérique. En revanche, tu dois manquer de t’étrangler en avalant tes céréales quand tu entends qu’un enseignant ne veut pas t’éduquer, toi qui appartiens au mythe faux et archifaux de la génération Y, et qui connais toute l’étendue de ce mensonge. Certes, un clavier n’a pour toi rien d’anxiogène, mais tu as besoin d’apprendre à t’en servir. En effet, il ne suffit pas de naître dans une bibliothèque ou un centre hippique pour devenir un grand lecteur ou un cavalier émérite. Il faut apprendre.
De surcroît, tu sais bien que «numérique», ça ne veut rien dire. S’agit-il de calcul numérique ? De signal numérique ? D’appareil numérique ? Et dans ce dernier cas, parle-t-on de caméra, d’appareil photo, de téléviseur numériques ? Et, au fait, la fracture numérique n’existe-t-elle plus ? Tous les adolescents sont-ils devenus égaux face au numérique ? Ont-ils tous les mêmes capacités ? Le même équipement ? La même connexion internet ?

Bref, la chose est si vague, si fausse, si révoltante qu’elle devrait susciter l’indignation. Mais non, les gens ont préféré applaudir à tout rompre.

Le lycéen – lui qui vit et jongle en permanence avec divers appareils – ne mérite pas que l’on se désintéresse à ce point de son présent. On ne peut non plus négliger son avenir dans lequel les machines seront chaque jour davantage omniprésentes. Demain, le lycéen votera sur son téléphone, il paiera ses courses avec ce même appareil. Il rencontrera peut-être même sa femme par ce truchement. Sa culture – fût-elle littéraire – est numérique. Lui dire que l’enseignement se désintéresse de cette question, c’est lui dire : «Ton univers ne m’intéresse pas. Le tien et le mien (celui de la littérature, celui de la poésie et du baroque) ne s’interpénétreront jamais».

Le professeur de lettres que je suis trouve ce discours absolument inaudible. Le professeur que je suis voudrait te dire tout ce que je souhaiterais que tu apprennes si j’avais la charge de ton éducation numérique.

Tout d’abord, tu apprendrais à te servir d’un clavier. Tu apprendrais donc la dactylographie afin de frapper mélodieusement et délicatement de tes dix doigts ce clavier que tu utilises tous les jours. Et pas comme ces autodidactes heurtant nerveusement et fébrilement les touches lorsqu’ils chattent sur les messageries instantanées. Les raccourcis clavier, les combinaisons de touches n’auraient aucun secret pour toi. Ta frappe aurait l’efficacité d’un développeur programmant en C++.
Tu apprendrais également la typographie, afin que les documents que tu imprimes n’aient pas la laideur repoussante de ceux que les adultes nous imposent. Tu découvrirais différentes «fontes» et saurais ce qu’est une espace insécable ou le quart de cadratin. Soucieux de ton orthographe, tu découvrirais l’importance et la richesse des correcteurs orthographiques que sont Antidote ou le Petit ProLexis.
Tu apprendrais à te servir d’une machine, à la démonter et à la remonter, tu considérerais chaque système d’exploitation, chaque programme à sa juste valeur, et ta pratique ne serait pas assujettie à celle qui t’a été imposée par l’usage, celui du cercle familial, de l’impact publicitaire ou même du coût financier.
La programmation serait enseignée. L’omniprésence du web ne plaide-t-elle pas en faveur du HTML 5, du CSS 3, du JavaScript, etc. ? Eh quoi ? Un internaute ne serait-il qu’un simple usager, jamais un créateur ? Le web 2.0 n’était-il qu’un mythe ? Faut-il enfermer les lycéens dans la simple utilisation de programme délivrant des sites tout faits ? Désire-t-on un web uniforme ? En outre, l’apprentissage de la programmation invite à la plus grande des rigueurs : si le programme est mal écrit, il ne fonctionne pas.
L’usage du web doit-il se conformer à des lois sinon iniques du moins inadaptées ? Un lycéen devrait pouvoir outrepasser les filtres qui lui sont imposés. Il doit pouvoir assurer la sécurité de son réseau wifi. Il doit pouvoir déplomber ce qu’il a légalement acheté pour pouvoir en jouir à sa guise. Il doit pouvoir regarder ses séries américaines sans que l’industrie télévisuelle ne lui indique quand, comment et de quelle façon il doit les regarder. De ce point de vue, le lycéen doit être un hacker, et un hacker qui parle anglais. Il est même polyglotte, parce que connecté aux réseaux sociaux, il s’adresse à la planète entière. Il parle à ceux qui se trouvent dans leur printemps révolutionnaire, il parle aux lycéens des antipodes subissant des cataclysmes, il suit sur son téléphone l’arrestation de Ben Laden avant tout le monde.
Enfin, on peut espérer que ce lycéen, tel un de ces étudiants facétieux qui hantent les romans ou l’histoire de l’informatique, soit l’un de ces farceurs qui font enrager les grandes entreprises. Un Steve Wozniak en puissance mâtiné de Panurge.
La culture qui est la sienne est aussi une culture soucieuse de la garantie des libertés informatiques. Le lycéen est soucieux de sa vie privée (il sait par exemple ce qu’est un VPN), il est désireux d’utiliser les standards de l’informatique, et recherche autant que faire se peut les logiciels libres. Il ne veut pas mettre son avenir (et tous ses précieux documents) entre les mains de géants informatiques mercantiles.

Retourné dans la galaxie Gutenberg, il est sorti d’un univers que l’on croyait un temps uniquement dévolu au monde de l’image. Le lycéen passe son temps à lire… sur internet. Il faut donc lui apprendre à le faire, à choisir soigneusement ses sources pour éviter de se faire berner par le moindre pervers malicieux. Il doit croire en la liberté de la presse, et la parcourir quotidiennement. Il doit lire autant de livres qu’il veut sur son iPad, sa tablette Androïd, sur ce qu’il veut enfin, mais lire. Et prendre des notes avec l’un de ces merveilleux programmes qu’est, par exemple, Evernote. Quand il part en vacances, il a dans sa poche ou dans son sac des milliers de livres. Il peut même, s’il le désire et si on l’a aidé à en comprendre l’importance, avoir le Grand Robert. Avec cela, il ne reviendra jamais au papier, ce support jauni, terne, en petits caractères noir et blanc. Et quand il achoppe sur une notion, quelle qu’elle soit, il doit pouvoir trouver de l’aide dans cette grande bibliothèque qu’est internet soit en cherchant, soit en s’adressant à ses enseignants bienveillants par le biais de la visioconférence.