En flânant sur Twitter, j’ai pris connaissance du blog de Nicolas Lecaussin sur le site de l’IREF, acronyme révélant de doux mots : Institut de recherches économiques et fiscales ( Concurrence fiscale et liberté économique ). Cela sent son libéralisme à cent lieues, et je devais bien me douter de ce que j’y trouverais…
Pour résumer, l’auteur du billet, évoquant les changements de programme des Sciences Économiques et Sociales, regrette que l’enseignement de l’économie soit subordonné à une idéologie de gauche privilégiant auteurs keynésiens, revues étatistes, etc. Il va jusqu’à prétendre que le véritable responsable du chômage ne serait pas le libéralisme, mais l’Éducation nationale (« L’échec des jeunes n’est pas dû au libéralisme mais à l’Éducation nationale qui ne fait pas bien son travail. » ). Diantre !
À ce moment, je suis encore sur ma chaise, et mon teint pâle n’est pas encore empourpré d’une légitime colère, car je connais bien ce discours, et si je ne le reconnais pas comme juste, il ne m’offusque pas plus que ça (question d’habitude). Au reste, quelle autre vision pourrait-elle être développée sur un tel site ?
Ce que je déplore vivement, c’est que non content de s’en prendre aux programmes, Nicolas Lecaussin bat en brèche le monde enseignant comme personne n’oserait le faire avec telle profession ou telle population, de peur de se voir poursuivi pour discrimination voire racisme.
Que dit-il en somme ? Je cite :
« Dirigé par des syndicats gauchistes et des fonctionnaires méprisants et suffisants, notre système scolaire a sombré. Une partie des enseignants sont régulièrement en grève et ne font que penser à leur statut, à leurs vacances ou à leur départ à la retraite. »
« Les fonctionnaires de l’Education nationale reconduisent leur modèle de gens étriqués, qui cherchent avant tout à se mettre à l’abri (fonction publique, professorat) et à vivre si possible aux dépens des autres. »
Nul besoin d’être fin lecteur pour comprendre l’idéologie qui sous-tend de tels propos.
En effet, quand on croit discerner au sein d’une population une catégorie responsable d’une nuisance ( responsabilité à l’égard de « notre système scolaire [qui] a sombré », « de l’échec des jeunes » ), coupable de se comporter en parasite puisqu’elle s’efforce de « vivre si possible aux dépens des autres », ayant quelques inacceptables tares (« fonctionnaires méprisants et suffisants », « gens étriqués »), rétive au bon fonctionnement de la société (« Une partie des enseignants sont régulièrement en grève et ne font que penser à leur statut, à leurs vacances ou à leur départ à la retraite »), quand on croit, disais-je, discerner au sein de la population une telle catégorie d’individus, on n’est pas sans rappeler certaine idéologie des années 30.
Or qu’en est-il réellement ? Je ne voudrais pas que l’on puisse me soupçonner de bâtir un plaidoyer pro domo, mais enfin les enseignants sont-ils ces parasites susmentionnés ? Sont-ils ces feignasses gangrenant la société ?
M. Lecaussin, je vous invite à vous rendre davantage dans les établissements scolaires afin d’y constater la vigueur du corps enseignant, lequel travaille d’arrache-pied à faire réussir ses élèves.
Souvent, l’enseignant se lève tôt ( le petit jeu des mutations ne lui a pas permis d’obtenir un poste près des gens qu’ils aiment ), fait de longs trajets, et passe sa journée sur son lieu de travail, son emploi du temps ne lui permettant pas de faire autrement. Si son service n’est que de 18 heures d’enseignement effectif pour un certifié, il lui faut 3 fois ce temps au moins pour se comporter en intellectuel qu’il est : pour préparer ses cours, il lit énormément, se documente, se déplace dans des musées, au théâtre, au cinéma, accumule les connaissances qui lui permettront d’enrichir des cours constamment renouvelés. Un forum comme Neoprofs vous donnera une idée de l’investissement des enseignants dans leur travail et de la hauteur de vue qui est la leur. Je n’ai évidemment pas parlé du temps consacré à la correction des copies, du temps que nombre de professeurs consacrent à la préparation de sorties scolaires ( je pense, entre autres, aux professeurs de langue). Je ne parlerai pas non plus du temps consacré à recevoir les élèves et leurs parents de plus en plus enclins à rencontrer les enseignants de leurs enfants. Enfin, on aurait pu évoquer, avec le développement d’internet, le temps croissant à diffuser des informations ( notes, cahiers de textes en ligne ) ou à établir le contact avec parents et élèves ( forum, mails ). Faut-il également préciser que les rares enseignants faisant grève le font parce qu’ils défendent leur vision de l’éducation, laquelle doit reposer sur une conception non pas comptable de la chose, mais sur une véritable politique éducative incompatible avec la politique d’éradication du fonctionnaire mise en place par le gouvernement. Ainsi, tous ceux qui font grève et perdent une journée de salaire ne le font pas de gaieté de cœur en songeant aux vacances prochaines.
Je pourrais continuer longtemps comme cela, et je dois évidemment en oublier, mais vous conviendrez qu’on ne peut pas se laisser aussi facilement insulter.