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Publication du premier chapitre du manuel de sixième

Couverture du premier chapitre
Voilà une journée qui commence bien !

Apple m’envoie ce matin (ou cette nuit) un message pour me dire que mon livre est désormais disponible sur l’iBookstore. L’année commence donc avec la publication du premier chapitre du manuel de sixième conscré aux fables !

Je ne vous réexplique pas tout. Je ne vous redis pas pourquoi j’écris ce manuel, pourquoi j’ai choisi de le publier dorénavant par chapitre. En revanche, je vous laisse découvrir ce premier chapitre de ce nouveau manuel toujours libre, toujours gratuit.

Vous pouvez le télécharger sur iTunes, sur iTunes U, en PDF ou même retrouver la plupart de son contenu sur Ralentir travaux.

Bonne lecture.

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Le manuel est mort. Vive le manuel !

LivresLors des vacances de la Toussaint, le manuel de quatrième a été mis à jour. Cette mise à jour a d’ailleurs été publiée assez rapidement. Dans le même temps, le manuel avait aussi été découpé en tranches afin de permettre le téléchargement, non pas d’un livre volumineux, mais de chapitres. Pour différentes raisons, ces différents chapitres n’avaient pas été publiés. Ils le sont à présent.

L’intérêt est évident : si vous n’avez pas l’espace nécessaire sur votre iPad, vous pouvez vous contenter de télécharger le chapitre de votre choix (le plus léger fait une vingtaine de Mo). Si, de surcroît, votre connexion à internet laisse à désirer, vous serez d’autant plus intéressé par une telle possibilité.
Il y a également un avantage pour moi puisque le manuel de sixième auquel je suis en train de travailler sera publié, cette fois, chapitre par chapitre, et non dans un an lorsque tout sera terminé. Le premier chapitre verra donc le jour dans un mois tout au plus.

Chapitre1Plus intéressant encore, la possibilité de combiner toutes les ressources trouvées çà et là, de les agréger afin de constituer la progression de son choix permettra à l’enseignant de ne plus avoir à subir l’architecture immuable d’un manuel composé par autrui pour une classe qui, par définition, ne saurait être la vôtre.
Pour que les choses aillent dans ce sens, il ne faudrait ni publier de manuel, ni de chapitre mais des leçons, des exercices, etc. On obtiendrait ainsi une «granularité» fine, si fine que l’enseignant pourra véritablement recomposer son manuel idéal via la multitude de ressources rendues disponibles sur le net. En atomisant le manuel traditionnel, on voit là apparaître un nouveau genre de manuel.

Le manuel est mort. Vive le manuel !

Télécharger le manuel sur iTunes:

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Pour un manuel numérique

iPad et manuels
Dressons le décor. Une salle polyvalente d’un collège de banlieue. Un bruit sourd, écho d’un scandale pédagogique. L’inspecteur vient d’annoncer que les manuels pour le nouveau programme de seconde n’étaient pas encore prêts chez tous les éditeurs. L’oreille attentive aura su entendre ces exclamations fugaces : “Mais comment vais-je bien pouvoir préparer mes cours sans manuel?” “C’est bien la première fois que je vais devoir préparer un nouveau programme sans livre”

Mais diable, à l’heure du numérique ; du web 2.0 ; des tablettes et des ENT, voilà que l’absence de manuel scolaire papier semble paralyser un aréopage d’enseignants, pourtant tous capables d’être de fabuleux producteurs de contenus. N’aurait-on pas là le reflet d’un paradoxe inquiétant? Ou alors, ne faudrait-il pas voir dans cette situation, qui prête aussi à sourire, l’occasion d’une salutaire réflexion sur le devenir de cet objet singulier qu’est le manuel scolaire ?

Dont acte !

Ceci tuera-t-il cela ?

Longtemps, j’ai pensé que le débat reposant sur l’opposition hugolienne était infondé, que ceci ne tuerait pas cela, que le numérique ne tuerait pas le papier . Fort de l’idée qu’une technique ne remplace pas une autre (1), j’avais acquis la conviction que le livre tel qu’on le connaît ne serait en rien menacé par le numérique. De ce point de vue, chaque fois que je mets les pieds dans un salon consacré à la littérature, en particulier de jeunesse, je me conforte dans cette idée. Le livre sur papier, joliment relié, avec de belles illustrations ou non, a de beaux jours devant lui. Il n’est que de constater le taux de fréquentation de telles manifestations.

En revanche, je sais maintenant que si l’ordinateur ou la tablette ne tueront pas les livres, ils tueront cependant un certain type de livre. C’est peut-être le cas du livre de poche, c’est à coup sûr celui du manuel scolaire. Cela pour une raison très simple : si le manuel numérique a mieux à offrir que son jumeau de papier, alors l’espérance de vie de ce dernier est menacée.

Cet article écrit à deux pouces, quatre mains, vingt doigts (ou – si l’on préfère – à deux par Ghislain Dominé et Yann Houry), ambitionne non seulement de le démontrer, mais aussi de montrer en quoi cela est possible et souhaitable.

Si le manuel devient numérique

On le sait, le manuel est solidement implanté dans la culture scolaire. Pas une année ne commence sans la distribution de cet objet hautement commercial représentant, selon un rapport de Michel Leroy, 281 millions d’euros pour la seule année 2010. Or le manuel tel qu’on le connaît aujourd’hui – celui-là même dont le coût est si élevé (et encore cette dépense est-elle concurrencée par celle que provoque le nombre croissant des photocopies), ce manuel parfois superbement ignoré par les enseignants sommés de le choisir – finit inéluctablement au rebut.
Abîmé, ne correspondant plus au programme, trop lourd aussi, il doit être renouvelé, modifié, allégé. Sa durée de vie est brève (officiellement elle est de cinq ans environ), et les contraintes, qui ont présidé à sa conception, nombreuses. En effet, l’auteur d’un manuel ne doit pas dépasser tant de pages voire tant de mots, il obéit à une ligne éditoriale ou à un programme, selon des délais parfois excessivement courts, etc. Sans compter que ces manuels sont intrinsèquement pensés, non pour les élèves, mais plutôt pour les enseignants. Ce qui n’est pas sans fâcheuses conséquences : sans aller jusqu’à parler de moteurs de paresse, ces manuels sont vendus aux enseignants comme le nec plus ultra de la ressource documentaire et de la pédagogie, offrant des démarches clefs en main, pourtant bien immobiles et où l’innovation pédagogique est aussi importante que la prise de risque économique…

Or ce sont précisément ces contraintes ou ces défauts qui volent en éclat dès lors que le manuel devient numérique. Il perd son poids. Il met à mal les limites éditoriales et ouvre des perspectives pédagogiques où l’audace est la bienvenue. De plus, devenu intangible, il n’est plus à jeter, il est mis à jour. Il frappe d’obsolescence ou d’inanité la photocopie. Enfin, paradoxalement, il permet d’envisager une réduction des coûts.

Mieux encore, tout se passe comme si le manuel devenant numérique, tel un composé chimique, agissait comme un révélateur, le révélateur d’une métamorphose scolaire. En effet, la publication du manuel numérique – a fortiori d’un manuel libre et gratuit – pose un certain nombre de questions ou plus précisément remet en question un certain nombre de modèles : un modèle économique, mais aussi un mode d’enseignement voire d’enseignant tout court, tant il est vrai que ce rôle est plus que jamais à redéfinir.

Un nouveau modèle économique

Le manuel numérique – donc immatériel, intangible – ne s’abîme jamais, il ne s’écorne pas, il ne s’efface pas. L’élève est même, pour la première fois, invité à écrire, gribouiller, souligner, surligner, annoter son manuel. Ainsi, devenu numérique, le manuel peut devenir possession des élèves. Personnalisable et mobile, il peut être approprié. Faire sien son manuel est une composante essentielle dans le processus d’apprentissage. Tel le moine copiste écrivant dans la marge de son manuscrit ses réflexions et corrections, l’élève peut annoter, corriger et augmenter son manuel numérique. Qu’il cherche à faire cela avec son manuel papier et il aura à rendre des comptes, et à la documentaliste, et au comptable de son établissement.
Évidemment d’aucuns rétorqueront que si le manuel ne se détériore pas, ce peut être le cas de la machine qui le supporte. Force est cependant de constater que certaines tablettes – les iPad pour ne pas les nommer – ont une durée de vie largement suffisante pour accompagner les élèves dans leur scolarité (au moins au collège puisque c’est le niveau qui nous intéresse) (2).

Le numérique permet, non pas l’abandon d’un manuel qui ne correspondrait plus au programme, mais son renouvellement, sa mise à jour. Et il est fortement à espérer que s’il doit être payant, sa mise à jour ne saurait être au même prix ; qu’un simple toilettage ou quelque ajout soit offert à un prix que les collectivités trouveront intéressant au point de préférer le numérique au papier.

Ainsi, c’est tout un modèle économique qui doit être redéfini. Si l’on considère que le papier, ou plus précisément un certain usage du papier, est amené à disparaître, on peut faire le raisonnement suivant. Certes, il faut fournir les tablettes, et cela représente un coût. Mais c’est un coût que l’on doit mettre en regard des 280 millions susmentionnés. Ce coût ne pourrait-il s’amoindrir ? D’une certaine façon, et sans que cela ne relève du domaine de l’utopie, ne pourrait-il sinon disparaître du moins diminuer drastiquement ?

Dans un domaine où l’imprimante et la photocopieuse sont reines, ne pourrait-on envisager leur abandon ? Le numérique permet, en effet, la transmission de données, de sujets, d’exercices en tout genre de façon bien plus intéressante que ne le fait le papier. On pourrait même rêver ceci : aucun enseignant n’aurait plus à se ruer sur la photocopieuse encore en état de marche, celle devant qui deux collègues trépignent déjà, attendant qu’un lève-tôt (ou un retardataire comme les trois autres) achève son collage pour distribuer une photocopie de qualité médiocre (médiocre parce que le numérique a tellement mieux à offrir) ! Songez aux images en très haute définition. Qui peut regretter l’obscure reproduction d’un tableau de maître mal photocopié ? L’abandon des photocopieurs permettrait de consacrer des sommes importantes aux tablettes et aux manuels prévus pour de tels supports. Ajoutons, pour finir, qu’un rapport de février 1986 explique que «le volume des dépenses consacrées aux photocopies est équivalent à la dotation annuelle consacrée à l’achat de manuels» (cité par Michel Leroy), et l’on comprendra que, dans ces conditions, l’achat de tablettes n’est pas le moins du monde inconsidéré. Si, d’aventure, ces manuels sont gratuits (que l’on pense au Manuel de quatrième ou au Livrescolaire.fr), alors, l’argument du prix de la tablette est battu en brèche. S’ils ne sont pas gratuits, ces manuels numériques seront de toute façon, paraît-il, 70 % moins chers.

Si l’on veut ajouter quelque argument consensuel, précisons que c’est au motif de la santé publique qu’a été publiée la circulaire n° 2008-002 du 11 janvier 2008 sur le poids du cartable. On a vu récemment une association de kinésithérapeutes se saisir du problème. Or cela ne doit-il pas rentrer dans le calcul ? Ne doit-on pas se demander quel est l’impact sur la sécurité sociale.

Un modèle économique est donc à redéfinir. Loin de grever le budget, le financement du manuel numérique et de son support peut se faire en utilisant l’argent différemment. Mais, on le devine, c’est aussi un modèle pédagogique que l’on doit repenser.

Vers une pédagogie différenciée

Si l’on se demande pourquoi utiliser un manuel numérique, il faut évidemment se demander ce qu’il apporte au regard de son équivalent de papier. On a vu qu’il était plus léger, qu’il permettait de s’affranchir de certaines contraintes éditoriales, qu’il était plus aisément remis au goût du jour, etc. Est-ce tout ? Ne s’agit-il que de moderniser l’école ? Une école qui a un train de retard dans une société où le numérique est omniprésent ? Je ne le crois pas.

Bien sûr, l’école se modernise, et s’est toujours modernisée. De l’apparition du tableau noir à celle du TBI, du papier carbone au photocopieur en passant par la machine à polycopier à alcool, l’école a toujours accueilli de nouvelles techniques. Hier, le magnétophone, le magnétoscope, puis la télévision, aujourd’hui, l’ordinateur, puis la tablette. En un sens, l’enseignant a toujours été un technophile. Mais toute cette technique ne sert à rien, ou à pas grand-chose, si elle ne s’accompagne d’un changement dans la façon d’enseigner, dans la pédagogie.

Ce seul mot suffit à faire prendre la fuite à des cohortes d’enseignants. Pourtant, quelles que soient leurs exigences, quelle que soit leur vision de l’éducation ou de l’instruction (comme on voudra), aucun ne se refusera à reconnaître qu’il est soucieux de la réussite de ses élèves, de tous ses élèves, pas un ne devant être relégué au fond de la classe à attendre que les heures passent. C’est, de mon point de vue, le grand apport du numérique. Ce n’est pas un supplément d’âme permettant de se dire que l’école est moderne, que l’école n’est pas un îlot ou un sanctuaire (quelle que soit la métaphore que l’on choisisse) sans rapport aucun avec la société qui l’accueille. C’est un outil, un simple outil, un outil que l’on peut débrancher (est-il besoin de le rappeler à ceux que le numérique horripile), un outil qui doit nous permettre de mieux réaliser notre métier ou alors il ne sert à rien.

Il faut se convaincre de cette idée : une technique a une influence sur l’enseignement. Ainsi, le passage de la plume d’oie à la plume de fer a permis d’enseigner aux enfants l’arithmétique plus tôt, la dextérité requise étant moindre avec la plume de fer. Quelles peuvent être, en adoptant des tablettes et des manuels numériques, les transformations pédagogiques ? Eh bien, si cela reste encore à découvrir, je crois que l’informatique permet de modifier notre pédagogie, en la différenciant à moindres frais (3). C’est, par exemple, le cas de la dictée. Traditionnellement, l’enseignant dicte un texte et un seul à la classe tout entière, laquelle s’efforce de le suivre au même rythme. Mais un manuel numérique proposant des dictées permet à l’élève de travailler à son rythme, à son niveau (il n’est pas obligé de faire la même que celle de son voisin, il n’est pas obligé de finir en même temps que son voisin), etc.

En outre, le numérique rend poreuse la frontière entre l’école et la maison. Le travail peut être accompagné. L’élève (ou le parent aidant l’élève) sont susceptibles de bénéficier d’une simple aide par mail. Ce peut être un véritable travail à distance. En effet, le numérique permet l’écriture collaborative. Un élève invité à rédiger un texte ne court plus le risque du hors sujet. Il n’a même plus à se retrouver seul face à une page qu’il ne sait comment remplir, car il est possible de cet élève corriger au fur et à mesure en utilisant un site (4) permettant la rédaction collective d’un texte.

La visioconférence permet de suivre ou de rattraper (en y assistant «en différé») un cours. C’est utile pour l’élève qui se trouve dans l’incapacité de se déplacer (maladie, conditions climatiques), c’est utile pour l’élève qui veut réécouter le cours. Et on trouvera bien d’autres exemples encore ! Naturellement, ce n’est nullement la panacée, la solution miracle, mais on aura au moins pallié certains manques, certaines injustices, etc.

Le manuel numérique, le numérique tout court d’ailleurs, permet donc d’aider tous les élèves et peut-être même de faire que le collège devienne enfin unique, car il ne l’a jamais été, n’en déplaise à ses détracteurs. C’est un rôle nouveau qui est dévolu à l’enseignant. On pourra penser qu’il n’est pas assez payé, et l’on n’aura pas tort. On pourra penser que sa vie personnelle est envahie par sa vie professionnelle, et l’on aura tort. Cela a toujours été le cas, lorsque l’on prépare ses cours, lorsque l’on corrige ses copies. Tout au plus, les choses s’accentuent-elles davantage (5), mais ce rôle gagne en importance.

En fait, après avoir mis l’élève au centre du dispositif scolaire, l’enseignant doit, à son tour, trouver une place centrale, une place qu’internet a fait émerger.

Le rôle de l’enseignant

Nous avons commencé par évoquer le coût phénoménal du manuel scolaire en France. C’est un coût qui pèse sur les collectivités, malgré qu’on en ait, un coût que l’on peut considérer, bien souvent, comme superfétatoire. Ces manuels fort onéreux, délaissés par les uns, portés au pinacle par les autres, ne connaissent qu’une utilisation partielle, une utilisation que ne justifie pas un tel coût. Je ne crois pas connaître un seul enseignant qui l’utilise d’un bout à l’autre, à l’exclusivité de toute autre ressource. La réalité est que, parfois, l’enseignant s’appuie sur tel ou tel manuel, et recompose sa progression pédagogique en glanant çà et là diverses ressources. Ces ressources peuvent provenir des manuels qui envahissent nos casiers lors des renouvellements de programmes. Bien souvent ces ressources proviennent d’internet.

Que constate-t-on ? Que les enseignants bâtissent des sites internet dans lesquels ils proposent leurs propres ressources, que les enseignants réfléchissent à leur pratique sur leur propre blog, échangent leurs idées sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook…), dans de nombreux forums ou listes de discussion. Ces enseignants scannent, prêtent, transmettent, diffusent leurs travaux par ces divers truchements, en conséquence de quoi internet regorge de documents qu’au prix d’une adaptation l’enseignant fait siens. C’est une gigantesque salle des professeurs de toutes les matières, de tous les niveaux, de toutes les nationalités (si la langue le permet). Depuis l’avènement des réseaux sociaux, je n’ai jamais autant côtoyé mes homologues belges, québécois ou marocains.

D’aucuns, et les éditeurs en première ligne, verront ces richesses à travers le prisme de leur profession. Ils regretteront, par exemple, que l’auteur et son autorité, disparaisse, que l’éditeur ne soit plus le garant d’une ligne éditoriale. On va jusqu’à toiser cet afflux numérique, et filant la métaphore aquatique, le qualifiant d’égout.
Ces considérations font de l’intermédiaire entre l’œuvre et le lecteur une nécessité. Or si elle n’a pas toujours existé, elle n’est pas même seulement nécessaire ni souhaitable.

Elle n’est pas nécessaire en ceci qu’un éditeur n’est le garant de rien du tout. Le marché de l’édition présente des dizaines de «chefs-d’œuvre» à lire chaque semaine. On voudrait nous faire croire à la supériorité de ce flot sur celui du numérique parce qu’il a fait l’objet d’un tri, un tri parfois lié à des impératifs mercantiles ? Que dire des vanity press, ces livres vendus à compte d’auteur ? des livres à grand tirage d’une médiocrité absolument inconcevable ? Ont bien été édités des livres erronés, des horreurs de Maurras ou de Céline ! Et que dire de ces ouvrages dans lesquels on trouve coquilles et erreurs faute d’une seconde correction voire d’une relecture humaine !

Et pour le dire franchement, l’éditeur n’est le garant d’un savoir que parce que nous lui accordons toute notre confiance. Notre savoir ne repose pas sur la validation de tel ou tel, mais sur la confiance que nous lui accordons. Ainsi nous croyons dur comme fer que la racine carrée de 2 est 1,414 213 562 373 095 048 801 688 724 209 698 078 569 671 875 376 948 073 176 679 737 990 732 478 462 107 038 850 387 534 327 641 572 7. Pourquoi ? Parce que la communauté scientifique nous l’affirme. Personnellement, c’est une notion que je ne suis pas capable de battre en brèche. Je m’en remets donc à un tiers, que je trouve l’information dans un livre ou sur internet ne change rien.

Elle n’est pas souhaitable en ceci que l’édition ne comprend pas la mutation qui est en train de s’accomplir, et qui, pourtant, s’est déjà accomplie dans l’industrie musicale. Condamnés à reproduire ce qui existe déjà ou à disparaître, les éditeurs s’arc-boutent sur des principes battus en brèche par internet. Les droits d’auteur et autres joyeusetés (les DRM, les Time bombs, etc.) font du manuel numérique un objet peu pratique, qui ne peut s’épanouir dans de telles conditions.
Pire encore ces droits paralysent l’essor, la diffusion, le partage du savoir. Or toute la littérature du Moyen Âge s’est développée hors de ce carcan que la Révolution française, soucieuse de protéger les auteurs, a apporté. Libérant l’auteur du mécénat, il s’agissait de lui donner les moyens de vivre et donc de penser. Elle ne pouvait prévoir qu’elle se ferait confisquer ses plus belles avancées par la rapacité de ces auteurs et de leurs éditeurs lesquels confisqueraient à leur seul profit des écrivains parfois morts depuis près de 100 ans (c’est le cas de Guillaume Apollinaire), quand elle ne fait pas pire…

Que faire de l’éditeur scolaire ? N’est-il pas moribond ? Il n’est plus imprimeur depuis fort longtemps (dès le XIXe siècle pour Louis Hachette). Certains des métiers liés à l’impression ont disparu ou du moins partiellement disparu. C’est le cas de la prépresse, non ? Le livre devenant à son tour immatériel, la PAO touchant le grand public, n’avons-nous pas là les signes d’une mutation inéluctable ?

Dans ces conditions, comment ne pas voir qu’il pèse sur l’enseignant une nouvelle responsabilité, celui de déterminer si telle ou telle ressource trouvée sur internet présente ou non un intérêt, si elle est fiable ou non. Si c’est une responsabilité certaine, elle lui incombe d’autant plus volontiers que du haut de ses cinq années d’études (au minimum), l’enseignant a la capacité de trier, de faire la part des choses dans la masse d’informations que déverse internet.
Voilà comment le lecteur devient auteur, comment il fait autorité. C’est lui qui dira si telle ou telle ressource lui semble fiable ou pas.

Ayant autorité sur sa matière, rédigeant lui-même les manuels (en France ce sont, en effet, des enseignants qui font les manuels), ayant aujourd’hui la capacité de s’autopublier, l’enseignant du XXIe siècle est un professionnel d’un nouveau genre. Au tout début des années 1880, dans le contexte des lois Ferry, on reconnaissait aux enseignants cette capacité de choisir leurs propres manuels. Ce n’était plus du ressort du ministère. Pourquoi ne pas aller plus loin à présent puisqu’il a les moyens de s’autopublier ? L’arrêté du 12 mai 2010 qui explicite les compétences à acquérir par les professeurs ne va-t-il pas dans ce sens ? Il s’agit d’«apprécier la qualité des documents pédagogiques (manuels scolaires numériques ou non et livres du professeur associés, ressources documentaires numériques ou non, logiciels d’enseignement, etc.)».

Pour finir

Ainsi, le manuel sur papier, cet objet onéreux et précaire, en bute à l’essor d’internet, connaît une véritable crise. Cette crise, me semble-t-il, redistribuera les rôles et modifiera notre façon d’enseigner. Plus mobile et plus personnalisé, renouant avec les aspirations de Freinet tout en conjugant le potentiel des nouvelles technologies.
Quant au manuel numérique, fort de tous ses avantages en terme de poids, d’interactivité et de richesse en tout genre, il devrait prendre, à plus ou moins longue échéance place dans les cartables des élèves, dès lors que les camions informatiques (autrement dit les PC de bureau conventionnels) auront été abondonnés au profit des outils mobiles, smartphones, ordinateurs de poche et tablettes. Souhaitons que cela se fasse rapidement.

On ne fera cependant pas l’économie d’une véritable réflexion sur ce que doit être ce manuel. Devra-t-on encore parler de manuel ? N’aurions-nous pas tout à gagner à envisager la constitution collaborative d’un cahier de travaux dirigés ? Cahier produit du travail d’enseignants et de l’élève. A la fois recueil documentaire et témoignage des réflexions de l’apprenant. Lyonel Kaufmann, reprenant ce billet, a esquissé très récemment quelques pistes.

Une question doit se poser également. Quelle entreprise emportera la mise ? Faut-il d’ailleurs qu’une entreprise emporte cette mise ? Google, Microsoft, Apple ont en tout cas bien compris qu’il y avait là un marché (6) à prendre. Je ne vais pas ergoter sur un tel sujet qui excéderait de loin l’objet de cet article, mais, enfin, il faudra bien prendre en compte ceci : l’élégance, la facilité d’usage, l’ouverture et la fiabilité sont les qualités indispensables requises pour convaincre et les pouvoirs publics et les élèves (sans oublier leurs parents) et leurs enseignants. Je ne sais vraiment pas qui, de Google, Microsoft ou Apple, possède la totalité de ces qualités, mais j’ai tout de même une préférence.

Notes :

1 Internet n’a pas tué la télévision qui n’a pas tué la radio qui n’a pas tué la presse…

2 Sans tomber dans l’asservissement ou l’aveuglement publicitaire, force est de reconnaître que l’iPad relègue dans les limbes toutes les autres machines à commencer part les ultraportables faits de plastiques et dont la fiabilité laisse à désirer. Que je sache, l’iPad n’a pas de panne, est solide et son autonomie n’oblige pas les collectivités à modifier les salles de cours pour que tous les élèves puissent se brancher sur le secteur.

3 À moindres frais parce que, sans l’informatique, différencier la pédagogie peut se révéler complexe.

4 Etherpad ou Piratepad par exemple.

5 Et encore ! Je préfère prendre le temps de répondre à un élève par mail plutôt que de découvrir, le lendemain, que tel exercice n’a pas été fait, qu’il n’a pas été compris.

6 On peut regretter que l’école soit un marché, mais c’est le cas. C’est d’ailleurs l’édition scolaire qui, voulant élargir ce marché, l’a compris fort tôt en créant le cahier de vacances. En effet, en 1933, paraissait Loulou et Babette.

Quelques saines lectures :

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50 nouveautés dans le Manuel de quatrième

Le manuel de quatrièmeJ’avais interrompu le travail à la fin de l’été. J’aurais pu y passer encore des jours voire des semaines, mais l’imminence de la rentrée rendait la chose impossible. J’avais donc publié le manuel tel quel, en sachant qu’il pourrait être mis à jour (et qu’il le serait encore).
C’est chose faite !
Il y a, bien sûr, diverses corrections et modifications. On trouvera aussi quelques réfections cosmétiques. On découvrira, enfin, pas moins de 50 nouveautés que les vacances de la Toussaint m’auront permis d’ajouter.

Par ailleurs, le manuel pourra, quand les lutins de l’iTunes Store le voudront bien, être téléchargé chapitre par chapitre. Malheureusement, pour l’instant, ces chapitres ne sont publiés que dans 4 stores dont le Canada ou les États-Unis. J’espère que ce sera bientôt le cas en France. Quoi qu’il en soit, cette possibilité de lire le manuel chapitre par chapitre est très importante. En permettant aux professeurs d’accéder au chapitre de leur choix plutôt que de télécharger l’ensemble du manuel, on offre la possibilité à tout un chacun de composer un manuel à sa guise. Mais ce sera le sujet d’un autre billet.

En attendant, voici le petit résumé que vous lirez sur iTunes :

  • Les frises chronologiques ont été refaites.
  • Le manuel est plus richement illustré.
  • Chaque image peut dorénavant être agrandie.
  • Une légende accompagne chaque image.
  • De nombreuses vidéos ont été ajoutées.
  • Les vidéos ne sont plus représentées par une image noire, mais par une image extraite du film.
  • Les diaporamas ont été refaits, d’autres ont été rajoutés.
  • Des cartes mentales permettent de visualiser rapidement un point de grammaire.
  • On peut dorénavant écouter la plupart des poèmes.
  • Des exercices, des leçons, etc. ont été ajoutés.

Voici la liste complète des ajouts :

Chapitre I

  • un exercice (terminer une lettre).
  • écoute du poème («Le relais» de Gérard de Nerval)
  • des questions supplémentaires (la fête punitive).
  • un diaporama (comment rapporter les paroles indirectement).
  • une vidéo (une histoire d’amour en Provence).
  • une vidéo (les lettres persanes).
  • une vidéo (itinéraire de Montesquieu).
  • une galerie (sur le château de la Brède).
  • un exercice (sur les exagérations et les oppositions).

Chapitre II

  • un exercice (qu’est-ce que la noblesse ?)
  • une rédaction (sur l’ironie).
  • un diaporama (qu’est-ce qu’une phrase complexe ?)
  • un diaporama (les propositions).
  • quatre liens en rapport avec les Lumières.
  • une vidéo (l’affaire Calas).
  • une vidéo (la Comédie-Française).

Chapitre III

  • une vidéo (interview de Francis Huster).
  • une leçon (le Cid et son époque).
  • une vidéo (la querelle du Cid).
  • une vidéo (Jacques Martin parodiant le Cid).
  • écoute du poème («Le Cid» de Georges Fourest)

Chapitre IV

  • une vidéo (Orfeu Negro).
  • une vidéo (la bataille d’Azincourt).
  • un diaporama (qu’est-ce qu’une rime ?).
  • un exercice de réécriture (sur le passé composé).
  • une carte mentale (sur les modes et les temps).
  • une carte mentale (sur la versification).
  • une leçon et un exercice (sur le lyrisme).

Chapitre V

  • un poème («Chanson» de Pierre Louÿs).
  • écoute du poème («Chanson» de Pierre Louÿs).
  • un diaporama (faire la différence entre un déterminant et un pronom).
  • une carte mentale (sur les déterminants).
  • une leçon (le rythme du récit).
  • un exercice (sur le bovarysme).
  • une vidéo (Madame Bovary).
  • un diaporama (les homophones).

Chapitre VI

  • un exercice de réécriture (sur le pluriel).
  • une vidéo («Le Horla» de Maupassant).
  • une vidéo («Le diable» de Maupassant)
  • un exercice (sur les verbes personnels et impersonnels).

Chapitre VII

  • un poème («La chambre gothique» d’Aloysius Bertrand).
  • écoute du poème («La chambre gothique» d’Aloysius Bertrand).
  • une dictée (le repas libre).

Chapitre VIII

  • une vidéo (L’homme au masque de fer).
  • une vidéo (L’homme qui rit).
  • un poème («Les fœtus» de Maurice Mac-Nab).
  • un diaporama (faire la différence entre l’épithète et l’attribut).
  • deux liens (sur le Golem).

Chapitre IX

  • écoute du poème («Le mendiant» de Victor Hugo).
  • un exercice (sur les connecteurs de temps).
  • un exercice (sur les connecteurs spatiaux).

Bonne lecture !

 

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Le manuel, ça s’en va et ça revient

Manuel de QuatrièmeD’accord, Apple a retiré mon livre de son magasin en ligne, sans le moindre préavis, pour des motifs somme toute assez futiles, mais incarne-t-elle pour autant le grand méchant inique ? Faut-il la fuir comme la peste ? Que faire maintenant fort de cette expérience ?

Quelques mots (les derniers, j’espère) donc sur toute cette histoire dont je me serais bien passé.

Une censure au rabais

Apple censure-t-elle ?

Non, je ne pense pas que la pomme ait vraiment l’intention de censurer quoi que ce soit. Elle ne frappe pas d’excommunication, après examen, une opinion ou un écrit dont elle condamne la teneur.

Exit donc le sens religieux du terme.

En revanche, le mot «censure» désigne – et c’est un peu différent – l’examen d’œuvres avant d’en autoriser la diffusion. Et c’est, in fine, ce que fait Apple qui examine votre ouvrage et en autorise ou non la diffusion sur son magasin en ligne. Par exemple, si vous vous appelez B., et que vous n’avez plus rien à dire de désagréable sur l’Éducation nationale, et que vous désirez publier un petit porno, ce ne sera pas sur l’iTunes Store, Apple s’opposant à cela, ce en quoi je ne trouve pas grand-chose à redire.

C’est la seule vraie censure qu’elle s’autorise.

Mais si elle interdit la diffusion de mon manuel, c’est – bien sûr – une forme de censure, au sens où l’examen qu’elle fait de mon livre permet ou non sa publication. Mais force est de constater qu’Apple se fiche complètement de ce que contient mon manuel. Apple ne censure pas le contenu (tout au plus interdit-elle l’emploi de certains mots comme «gratuit» ou «iPad»).

C’est plutôt le contenant qui l’intéresse. C’est ainsi une censure au rabais qui ne s’intéresse pas même au contenu de ce qu’elle réprouve. En revanche, des règles plus ou moins évidentes doivent être respectées sinon pas de publication. Un titre manquant, et c’est l’éviction du store.

Un distributeur sachant distribuer

Malheureusement, lesdites règles sont si peu évidentes à concevoir que les gens que j’ai pu rencontrer chez Apple n’ont jamais rien trouvé à redire sur ce manuel qui en aurait imposé ipso facto le retrait. C’est donc que les règles de Cupertino sont absconses, y compris pour ses propres employés. J’ai même pu observer qu’Apple ne s’appliquait pas à elle-même ses propres règles.

Plus ennuyeux encore. Apple se voudrait distributeur de contenus, un commerçant donc, lequel s’arrogerait – au nom de je ne sais trop quoi – le droit d’exiger que telle ou telle chose soit acceptable ou ne le soit pas. C’est ainsi que les mots «libre» et «gratuit» sont muttum non grata. «iPad» aussi. Forbidden. Verboten.

Pourquoi ? On ne sait pas ou du moins on ne le dit pas clairement, mais c’est comme ça. «Obtempérez ou oubliez l’idée de vous voir publier par nous». Tel est en substance le contenu du discours made in Cupertino. Imagine-t-on Carrefour chercher des poux à Daucy qui aurait choisi de mettre tel ou tel mot sur ses emballages ? Imagine-t-on un peu la tête du PDG de ce producteur de légumes à la lecture d’un message expliquant le retrait des marchandises des rayons : «Please remove all mentions of «Qualité» or «Extra fins»».

Évidemment, c’est un peu plus complexe que ça. Apple distribue un contenu qu’il favorise à faire émerger en créant les logiciels permettant de le faire. Une sorte de monstre hybride relevant à la fois de Carrefour et de Daucy en somme.

Apple, mon amour

Bien sûr, j’ai regretté la disparition de mon manuel. J’en ai beaucoup voulu à Apple de l’avoir supprimé sans le moindre préavis. D’un coup, d’un seul, le travail de plusieurs années venait à disparaître des étagères d’Apple (certes momentanément), parce que des mots étaient indésirables et un titre était désiré.

Un peu pénible, non ?

Mais j’ai aussi déploré que cette disparition soit l’occasion de taper sur Apple qui a, il est vrai, tendu le bâton pour se faire battre. Il était légitime de réagir et d’exprimer son rejet de telles pratiques. Je l’ai fait. Et je remercie chaleureusement tous ceux qui l’ont fait. Je pense, entre autres, à Luc Benz, à toute l’équipe de Lyclyc et, naturellement, au Café pédagogique.

Mais je pense aussi à ceux qui sont restés muets, quand Apple a permis la diffusion de mon manuel, et qui se sont éveillés quand elle en a empêché la diffusion. Les mêmes n’ont pas salué le retour du livre sur le store. Mon manuel ne les intéressait pas, mais sa suppression oui. Plus précisément, les agissements d’Apple les intéressaient, le reste pas du tout. On a vu alors une kyrielle de libristes exprimer leur détestation d’Apple. Bon… Pourquoi pas ? Mais je regrette d’avoir été l’occasion de leur fournir des arguments.

Certes, à tout prendre, je suis heureux de voir que cela fait réagir, mais j’aurais aimé que l’on parle plus du manuel que de sa disparition.

Par ailleurs, je ne suis pas un paradoxe près. J’aime Apple, mais je me sens dans mon droit de lui dire que je ne l’aime pas quand elle se comporte comme elle l’a fait. Dont acte. Apple fait des choses extraordinaires, mais elle aussi capable du pire. Elle semble même parfois apprécier le pire. Peut-être alors sera-t-il temps de changer de crémerie si les choses empiraient… En attendant, je compose avec. Je prends mes précautions également. Il est temps de multiplier les supports, d’éviter d’être dépendant du bon vouloir de la seule pomme. Mon site est d’ailleurs là pour ça. Réalisé en HTML 5, il est lisible sur tout support.

iPad à l’école ou pas ?

Je disais que je n’étais pas à un paradoxe près. En voici un autre.

Il faut que je remercie Apple. Sans ses égorgillements, mon manuel n’aurait jamais connu une telle diffusion.

On m’a beaucoup reproché cet autre paradoxe, celui d’avoir réalisé un manuel se prétendant libre et gratuit pour iPad. Il faut dire que l’oxymore devait paraître scandaleux à certains.

J’aimerais quand même m’en expliquer une dernière fois, parce que des gens, dont la lecture a été hâtivement superficielle, m’ont qualifié de tous les noms.

Le manuel est libre. En tant que tel, il est partout où il peut être : sur mon site en HTML, en PDF, au format TXT, au format iBooks pour iPad. Je n’en ai pas eu le temps, mais j’en ferai un ePub. Il sera lisible partout, pour tous.
Vous pouvez le copier, le diffuser, le partager, le modifier. La seule chose que vous ne pouvez pas faire, c’est le vendre. Je m’y oppose catégoriquement. Mais cela doit être clair : être libre, c’est l’être aussi bien sur une distribution Debian que sur iPad. Je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas la liberté de mettre mon manuel où bon me semble, y compris dans cette pitoyable métaphore de la «prison dorée». Je peux aussi le photocopier, le lâcher par avion, le distribuer à la criée ou le réécrire en Ruby on rails (non, je plaisante, ça je ne peux pas). Être libre, ce n’est pas fuir Apple.
Il est gratuit. Ça, personne ne me le reproche. Enfin pas que je sache. Ah ! Si les éditeurs !
Il a été fait pour iPad. C’est une belle tablette. La meilleure à mon humble avis, celle pour laquelle il existe toute une pléiade d’applications que j’utilise quotidiennement pour moi, pour mes enfants, pour mes élèves. C’est celle-là que je voudrais voir mes élèves utiliser.

Et donc ?

Reste que tout cela m’a échaudé. Que faire maintenant ? Peut-on avoir confiance en Apple et monter des projets pour que des élèves soient équipés d’iPad ? Peut-on demander à des Conseils généraux d’investir dans ce type d’appareil ? L’Éducation nationale peut-elle travailler avec une telle entreprise ?

Oui, si Apple se comporte en partenaire. Un partenaire qui innove, et produit de belles et robustes machines. Un partenaire qui favorise la création en réalisant des programmes comme iBooks Author. Un partenaire qui diffuse vos œuvres. Un partenaire qui vous écoute, et vous prévient si le besoin s’en faisait ressentir. Au bout du compte, tout le monde sera content. Apple vendra ses iPad parce que les gens auront créé un contenu intéressant.

Non si Apple se comporte en un géant administrativement aveugle et vétilleux, lent et peu prolixe. Après un mois, Apple retire un manuel pour des raisons plus ou moins convaincantes. Peu soucieuse d’explications, elle se contente de vous signifier sans préavis que vous devez effectuer des changements. Le processus de validation est alors excessivement long. Les conséquences fâcheuses, détestables pour l’auteur voyant son œuvre disparaître, ne plus être lue, ne plus pouvoir être lue.

Mais, au moins les élèves seraient-ils ravis. Particulièrement, celui qui arrive en cours d’année à qui on dira : «Apple a retiré le manuel, je ne peux pas t’en donner tant qu’il n’aura pas été à nouveau validé».

Le mot de la fin ? Après avoir pas mal réfléchi, je ne vois pas comment je pourrais – dans l’état actuel des choses – faire mieux qu’avec iBooks Author. Je n’en ferai pas moins un ePub standard.

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Le manuel de quatrième n’est plus sur le store d’Apple

Not on 32 storesCela fait un mois que le Manuel de quatrième peut être téléchargé sur iTunes.
Pardon. Cela faisait un mois.
Je croyais qu’il avait, pour cela, dûment affronté le regard impitoyable et plein d’exigence des gens ayant la dure charge de trier ce qui peut figurer ou non sur le magasin en ligne d’Apple. J’avais, à cet effet, dû modifier (fort légitimement) quelques points (un titre manquant dans la table des matières ou quelque chose dans ce goût-là). Alors, je pus goûter au bonheur de voir le point vert suivi de «On 32 stores».

Aujourd’hui, je découvre un point rouge suivi de «Not on 32 stores».

Première raison

La raison en est que je dois modifier quelques points. Je dois, et c’est bien normal, corriger «Titre du livre» qui a la mauvaise idée d’apparaître en mode portrait dans la table des matières (mais pas en mode paysage ; c’est facétieux un iPad). Cela correspond à un «paramètre fictif» qui doit être remplacé par un texte réel comme «Manuel de quatrième» (puisque c’est le titre du livre). J’avais oublié de changer ça !
C’est la première raison pour laquelle Apple ôte mon livre de son magasin. Il est vrai que cet oubli est absolument insupportable. Je ne peux plus me regarder dans la glace. Je me hais, je me méprise.

Titre du livre

Deuxième raison (à moins que ce ne soit la première)

Je dois aussi enlever toute mention de «libre» ou «gratuit» sur la couverture et dans le livre.
Là je comprends moins.
Si je peux plus ou moins concevoir qu’aucune mention du prix ne doit figurer sur la couverture (maintenant que cela m’arrive, j’ai remembrance d’une app ayant été retirée de l’App Store pour avoir contrevenu à cette règle), je ne vois vraiment pas pourquoi il me serait interdit de présenter mon manuel comme étant libre et gratuit (ce qu’il est, pas le format iPad bien sûr, mais son contenu accessible sur mon site). Malheureusement, le mail qu’on m’envoie est catégorique «Please remove all mentions of “libre” or “gratuit”.»

Bon, ça s’appelle de la censure.

Et que dire de l’amalgame «libre» et «gratuit», c’est donc synonyme pour Apple ?

Le fait est que mon livre est publié par des commerçants qui détestent que l’on parle de prix : «References Pricing : Prices must not be referenced in the EPUB».

C’est de l’humour californien ?

Post-Scriptum

Peut-on imaginer, un seul instant, comme on me le suggère sur Twitter, investir dans un support pour lequel Apple peut, à tout moment, vous priver de son contenu ? Peut-on espérer travailler avec un manuel agréé par Apple si, pour des raisons plus ou moins pertinentes, ce manuel peut disparaître ? Peut-on demander à un Conseil général d’investir massivement dans des contenus qui vous échappent ?

Post-post-scriptum

J’ai effectué les changements demandés. Je reçois, ce matin, un nouveau message.

Nouveau mail d'Apple
Ça va s’arrêter quand ? Ils ne pouvaient pas me le dire la première fois ? Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois ?

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Un manuel de français libre et gratuit pour iPad

 
Les deux classeurs

Le manuel de quatrièmeJe me souviens de ce professeur d’histoire qui avait avec lui, en permanence, deux gros classeurs. Je commençais tout juste à enseigner, et ces classeurs m’apparaissaient comme une somme, un véritable trésor, le fruit d’un travail riche d’expériences, de lectures et de recherches, une sorte de Graal auquel tout enseignant devait nécessairement et inéluctablement parvenir après quelques années d’enseignement. J’admirais d’autant plus ces deux classeurs qu’ils me semblaient la matérialisation de ce qui reste d’habitude invisible, le travail de l’enseignant. En effet, les cours de l’enseignant sont parfois intangibles, car ils n’ont pas nécessairement besoin d’être mis par écrit pour être transmis.
Mais ces deux classeurs avaient aussi un côté dérisoire que leur poids et leur encombrement rendaient évident. Pourquoi donc emporter en tout lieu et en tout temps ces deux énormes classeurs ? Ce professeur leur trouvait-il un usage quotidien ? Voulait-il absolument avoir sous la main le document qui deviendrait tout à coup nécessaire à un de ces moments où le hasard pédagogique vous mène ? Je ne sais plus quelle réponse j’ai obtenue à ce sujet, mais je sais depuis que le numérique a achevé de frapper d’inanité ce lourd bagage. Ces deux classeurs tiennent dans un iPad. Or le site Ralentir travaux d’abord, ce manuel ensuite, ce sont un peu mes classeurs, mais je ne voulais pas les garder fermés. Je voulais les tenir à la disposition des autres, pour à la fois les leur offrir et les leur soumettre. C’était à la fois par altruisme et par égoïsme, car, pour plagier Montaigne, je dirais volontiers que votre approbation comme votre condamnation me seront utiles.

Un manuel numérique

Ce manuel n’a pas la prétention de se substituer aux manuels traditionnels. De toute façon, tant que l’on restera engoncé dans l’opposition hugolienne du «Ceci tuera cela», tant que l’on croira nécessaire de choisir l’un ou l’autre, on restreindra sinon la portée du problème du moins la richesse des techniques d’enseignement. Une technique – le plus souvent – ne remplace pas une autre. Internet n’a pas remplacé la télévision, laquelle n’a pas remplacé la radio… L’un ne se substitue pas à l’autre, mais se tient à côté. C’est d’ailleurs tout l’intérêt que je trouve aux tablettes et plus particulièrement à l’iPad. Celui-ci, contrairement à l’ordinateur de bureau, ne trône pas en conquérant sur la table après avoir terrassé les livres et le papier, il se tient à leurs côtés, accompagnant et enrichissant ces supports pluricentenaires. Le bureau du collégien, je le vois avec une tablette et du papier. Ce n’est pas l’un ou l’autre. Pourquoi choisir ?

Ce manuel, je le publie maintenant, parce que la rentrée scolaire ne me permettra plus de lui consacrer le temps que les vacances m’ont permis de lui accorder. Il n’est même pas, si l’on y regarde bien, tout à fait terminé (tant s’en faut). Comme les logiciels libres dont il s’inspire, il correspond à une version bêta, disons une version alpha pour parer à toute critique. S’il n’est pas totalement achevé, il pourra – du fait de sa nature – être mis à jour en un rien de temps. Et j’ose espérer qu’il le sera du fait des contributions, des observations et remarques en tout genre que je vous propose dès aujourd’hui d’écrire ici même dans ces commentaires. Je le redis, et même si ce n’est pas ce qui est arrivé, Ralentir travaux n’a jamais eu vocation à être l’ouvrage d’une seule personne. À ce propos, je tiens à remercier chaleureusement les personnes qui m’ont apporté leur aide, et au tout premier chef Christophe Herlory pour son soutien, sa traduction de l’extrait de Frankenstein et sa relecture du manuel, ma femme qui m’a prêté sa voix pour l’enregistrement des dictées, et tous ceux qui ont pris le temps, pour traquer les coquilles et les erreurs, de lire et relire ce manuel.

S’il n’est pas parfait, s’il n’entend pas supplanter quoi que ce soit – et surtout pas ces si riches manuels que les éditeurs proposent maintenant depuis tant d’années, ce manuel numérique se veut libre de droits, c’est-à-dire que pour la première fois l’on propose à l’enseignant d’être, dans sa classe, totalement en règle avec la loi. On peut copier, modifier, distribuer ce manuel. Les images, les textes, les questionnaires, tout peut être partagé ou transformé. Tout est sous licence Creative commons.

L’empire du copyright

Il faut dire et redire à quel point le droit d’auteur est une plaie pour le monde de l’éducation, un fléau qui restreint drastiquement la diffusion des œuvres. Combien de pépites, de découvertes resteront dans les tréfonds de mon ordinateur et de ceux de mes collègues ? Combien d’ouvrages ne pourront être partagés sous le prétexte que les droits d’auteur ont enfermé la culture pour une vingtaine d’années d’abord (lors de la Révolution française), puis pour cinquante, aujourd’hui pour soixante-dix ans ? Cette confiscation des œuvres, parfois totalement arbitraire (songez à cette traduction du Vieil homme et la mer de François Bon), enferme le patrimoine culturel dans la sphère du privé, prive le public de sa possession, de son droit de reproduction quand ce n’est pas purement et simplement de son droit de consultation. Par désir de profiter d’une manière financière, par crainte du vol également.

Or, dans le cas du numérique, la confusion est totale. Si vous copiez un texte ou reproduisez une image, vous ne volez rien du tout. Vous copiez. Il n’y a pas vol.
J’avais été très étonné en entendant pour la première fois la chanson du copyleft. Copier n’est pas voler. Si je vole un vélo, le propriétaire du vélo est lésé. Si je copie un texte ou une image, personne n’y perd. Le propriétaire n’a pas perdu son texte ou son image, mais, à présent, il y en a deux.

C’est qu’il faut distinguer le bien matériel du bien immatériel. Et, étonnamment, le XVIIIe siècle faisait cette distinction :

«Un homme a-t-il le droit d’empêcher un autre homme d’écrire les mêmes choses que lui-même a écrites le premier ? […] En effet, on sent qu’il ne peut y avoir aucun rapport entre la propriété d’un ouvrage et celle d’un champ, qui ne peut être cultivé que par un homme, et dont, par conséquent, la propriété exclusive est fondée sur la nature de la chose. Ainsi ce n’est point ici une propriété dérivée de l’ordre naturel, et défendue par la force sociale ; c’est une propriété fondée par la société même. Ce n’est pas un véritable droit, c’est un privilège, comme ces jouissances exclusives de tout ce qui peut être enlevé au possesseur unique sans violence.

Tout privilège est donc une gêne imposée à la liberté, une restriction mise aux droits des autres citoyens ; dans ce genre il est nuisible non seulement aux droits des autres qui veulent copier, mais aux droits de tous ceux qui veulent avoir des copies […]»

Condorcet, Œuvres, tome 11

La gratuité, enfin, est un point auquel je tiens. Quand j’ai créé Ralentir travaux, je l’ai fait avec dans l’idée que, pour le lire, je ne demanderai ni inscription ni contrepartie financière. C’est accessible. Instantanément. Je crois savoir que mon travail profite à ceux qui sont loin, dans des écoles mal dotées (mais disposant au moins d’une connexion à internet), à des étudiants étrangers, à des parents désireux de s’informer, à des curieux, et pourquoi pas à des établissements ayant déjà acheté des iPads et qui, compte tenu, de la richesse du web, n’auront pas à payer encore pour y mettre le contenu nécessaire aux apprentissages.

Et puis la remarque peut paraître prétentieuse car émanant de moi seul, mais si l’on veut bien considérer les économies réalisées par les administrations ayant recours à des logiciels libres (que l’on songe à OpenOffice, LibreOffice, Ubuntu…), on se dira que proposer gratuitement des manuels permettra de mettre l’argent ailleurs que dans des CD-ROM ou des manuels qui inévitablement finiront au rebut (c’est malheureux, mais c’est comme ça). Et je refuse d’entendre l’argument rappelant que tout travail mérite salaire. Je veux bien que l’on considère que j’ai fourni un travail de dément pour produire ce manuel, mais je ne peux raisonnablement pas le mettre en vente. Ou alors, pour reprendre une fois encore Condorcet, ce que je vendrais serait mon nom et mes mots, non mes idées qui ont été dites des millions de fois sur internet, dans les manuels, dans les salles de cours, etc.

Pourquoi l’iPad ?

On pourra s’étonner qu’un manuel se voulant gratuit et libre de droits soit proposé sur iPad, et l’on aura raison. Il est difficile de voir en Apple le parangon de l’ouverture et de la liberté. Force est cependant de reconnaître que seule Apple a développé un programme digne de ce nom permettant de produire à peu de frais un manuel numérique digne de ce nom, mais, dès que j’en aurai la possibilité, je m’attaquerai aux autres plateformes afin de proposer le manuel sur d’autres supports. De toute façon, vous trouverez à peu près tout le contenu du manuel sur Ralentir travaux.

Quand j’ai découvert iBooks Author, j’ai vu la possibilité qui m’était donnée de créer facilement et rapidement ce que j’avais toujours souhaité faire depuis Ralentir travaux. Un manuel. Je ne voudrais pas vous faire l’inventaire des avantages du numérique. Je ne vais même pas vous dire ce que contient ce manuel (je vous invite tout simplement à le parcourir. Tout au plus voudrais-je rappeler ces quelques points :

  • La tablette numérique est légère, et permet de se débarrasser du poids du cartable.
    Si la tablette a un coût à l’achat, celui-ci peut être partiellement absorbé par des dépenses qui deviendront superfétatoires (papier, encre, photocopieuse, manuel sur papier…). De plus, tout ce que j’ai acheté chez Apple est durable et solide (je ne suis pas un fanboy, c’est juste comme ça) y compris dans les mains de mes enfants les moins soigneux.
  • La luminosité d’un iPad peut être réglée directement dans l’application, et ne gêne pas les yeux. On peut même lire dans le noir !
  • La police peut être changée, agrandie. C’est, je crois, un atout pour tous ceux qui ont des problèmes de vue. C’en est un également pour les dyslexiques.
  • Mettre des signets, surligner, prendre des notes, tout cela est possible. Chaque mot peut être défini ou renvoyer au web.
  • On trouve des exercices interactifs, des quiz…
  • On trouve également des vidéos, des fichiers audio (un élève peut ainsi faire des dictées seul ou du moins s’entraîner), des diaporamas, des images interactives parfois en haute définition (un jour, on oubliera que la photocopie a existé).
  • Des liens internet menant à Wikipédia ou à Gallica offrent l’accès à de belles éditions quand ce ne sont pas les éditions originales. Une fois encore, j’y vois une libéralisation de la culture. On ne peut certes toujours pas les toucher, mais on peut voir, on peut lire ces œuvres de la Bibliothèque nationale de France que seuls quelques privilégiés pouvaient auparavant découvrir. Et je me souviendrai toujours du regard ébahi d’élèves habituellement peu sensibles au plaisir livresque découvrant des éditions originales.
  • Le manuel peut être utilisé avec d’autres applications. Le Petit Robert, Antidote sont des merveilles sur iPad. Certains logiciels de prise de notes sont extraordinaires. Je ne mets plus les pieds dans une bibliothèque sans mon iPad et Evernote ou Penultimate.

Quelques mots pour finir. Je me suis efforcé de rendre ce manuel aussi complet que possible, de multiplier les exercices de grammaire, de vocabulaire, de rédaction, etc. Il est l’œuvre d’une seule personne (ou presque), et c’est une bien lourde tâche que celle-ci. J’espère que vous saurez vous montrer indulgent quand vous trouverez une coquille, une erreur, une approximation, etc. Je vous remercie de votre compréhension. Un manuel numérique se bonifie dans le temps, non dans la cave, mais confronté à votre regard.

Il me reste à vous souhaiter une bonne lecture. J’espère que vous la trouverez, selon le vieux précepte horacien, utile et agréable.


Mise à jour :
Récemment, j’ai montré la première frise chronologique à mes élèves de quatrième. Avant cela, je leur ai posé quelques questions sur les genres littéraires, l’époque qui a vu fleurir tel ou tel, les grands événements historiques, etc. Je me suis alors rendu compte que leur donner ces repères littéraires et historiques était intéressant et important (j’étais collégien quand on déplorait déjà le manque de repères de la part des élèves), mais je me suis aussi aperçu qu’ils ignoraient complètement qui étaient Newton, Linné ou Pasteur, quand on avait bien pu utiliser l’électricité pour s’éclairer, quand la machine à vapeur était apparue, à quel moment on avait découvert la septicémie…

En somme, il s’agissait de mettre en relation tous ces événements, bref de rendre un peu compte de ce qu’était la vie à telle ou telle époque par le truchement de quelques dates significatives.
Quand la frise précédait un chapitre consacré à un seul auteur, je parvenais encore plus ou moins à brosser une période autour de quelques dates. Malheureusement, pour le premier chapitre, portant sur le XVIIe et XVIIIe siècles, cela peut donner une apparence de fouillis historiques. Le moyen de faire autrement ?

Le manuel a donc connu sa première mise à jour. Pour en bénéficier, iTunes ne vous prévient de rien. Il faut donc supprimer le livre dans iBooks et le télécharger à nouveau.


Deuxième mise à jour :
Le manuel a connu une mise à jour largement plus importante que la précédente. C’est expliqué ici.


Troisième mise à jour :
Cette troisième mise à jour apporte diverses corrections de bugs, oublis, erreurs en tout genre (numérotation de séances, de questions, de formatage du texte, de vidéos, etc.)
Quelques modifications ont également été faites, et quelques exercices ont été ajoutés (notamment sur les propositions subordonnées circonstancielles et sur l’écriture d’un conte réaliste).


Quatrième mise à jour
Cette mise à jour apporte une nouvelle couverture (pour se conformer à celle du manuel de 6e).
Le fichier multimédia d’introduction ainsi que la vidéo « Le masque de la mort rouge » ont été optimisés (le manuel est donc désormais moins lourd).
Ont été ajoutés une séance sur « Le pont Mirabeau » de Guillaume Apollinaire (enfin dans le domaine public), une leçon (vidéo) sur les point de vue, une série d’exercices sur les points de vue ainsi qu’un lien sur « La maison de Gavroche ».
Enfin, quelques erreurs ont été corrigées dans la table des illustrations.

Cinquième mise à jour
Ajout d’un groupement de textes « Victor Hugo et l’injustice »
Ajout d’un sujet d’exposé sur le thème « Vivre au XIXe siècle »
Ajout d’une séance « Jean Valjean chez monseigneur Myriel » (adaptation du texte des Misérables)
Ajout d’une séance « L’accident du père Fauchelevent » (lecture analytique)
Améliorations diverses

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Éducation Humeur

L’enseignant est-il de droite ?

La classe d’une école de villageChantal Jouanno, il y a quelques jours, expliquait dans les matins de France Culture ce que signifie être de droite. Selon elle, la liberté individuelle (l’état n’a pas à s’immiscer dans vos choix individuels), la méritocratie (Chantal Jouanno est contre l’idée qu’on est socialement déterminé, on aide donc ceux qui veulent faire des efforts) sont des valeurs de droite ou, en tout cas, portées par la droite en 2007.

Je me suis alors demandé si ces valeurs n’étaient pas celles de l’enseignant ou du moins de beaucoup d’enseignants. Cette question en a entraîné une autre : une profession peut-elle engendrer une idéologie ? Je ne me suis pas demandé si telle profession portait telle ou telle idéologie (comme les ouvriers ont pu voter communiste ou front national). Je me suis demandé si le métier que l’on fait détermine notre vision des choses.

Ainsi, un musicien est un passéiste. Pas toujours, mais c’est souvent le cas. Je connais peu de musiciens qui ne tombent amoureux de tel ou tel vieil instrument : un guitariste devant une vieille Fender des années 60, un violoniste devant un stradivarius, etc. Si l’on reprend le cas du guitariste, force est de constater que celui-ci a un penchant prononcé pour le passé. Il aime les vieilles guitares, les vieilles technologies (les amplis à lampe), et regarde avec peu d’intérêt sinon avec méfiance une guitare en fibre de carbone. En un sens, on peut le qualifier de conservateur (comme on peut être conservateur d’une bibliothèque). Il revendique un savoir-faire, un amour du passé (ou plus précisément un passé qui a laissé son empreinte sur le présent). Est-ce un réactionnaire pour autant ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis persuadé que la question mérite d’être posée.


Attention, cet article, le dernier de l’année, mêle le plus grand sérieux à la facétie. Saurez-vous démêler l’écheveau ?

Liberté et méritocratie dans le monde enseignant

L’enseignant est-il de droite ? La question a de quoi surprendre, parce qu’il est commun de penser que celui-ci vote traditionnellement à gauche. Mais, après tout, on se souvient que nombre d’entre eux, en 2007, ont voté au centre et même à droite pour Nicolas Sarkozy. Quoi qu’il en soit, la question n’est pas vraiment là. Il s’agit de voir en quoi la profession d’enseignant peut être, de facto, de droite. Commençons par voir si les propos de Chantal Jouanno peuvent être revendiqués par un enseignant.

Je connais beaucoup d’entre eux qui revendiquent la liberté évoquée par madame Jouanno. C’est la fameuse liberté pédagogique, la liberté de faire ce que l’on veut dans sa classe, sans qu’une injonction étatique à laquelle l’enseignant n’adhère pas (celle de pratiquer la pédagogie différenciée, celle d’évaluer par compétences, celle d’adopter tel programme…) vienne entraver sa vision des choses, sa façon de faire, ses habitudes en somme. En un sens, un tel enseignant est un libéral. Le mot est ambigu, car encore au XIXe, dans les pays anglo-saxons aujourd’hui, être libéral, c’est être de gauche. Mais, ici, il est connoté à droite.

Je me souviens avoir un peu bataillé, dans un forum pour enseignants, sur la question du déterminisme. Je faisais valoir l’idée que certains élèves, d’un milieu très défavorisé, voyaient leurs chances de réussir à l’école diminuer comme une peau de chagrin (pas d’argent, pas d’aide pour les devoirs, pas de références culturelles, etc.). On m’avait rétorqué que d’aucuns avaient très bien réussi à l’école malgré tout cela, et que si l’on voulait, on pouvait, qu’il fallait se battre, etc. Ne retrouve-t-on pas là l’idée de la méritocratie ? Cette idée que nous ne sommes pas socialement déterminés, que l’on peut réussir, quel que soit son origine ou son milieu. Cette affirmation m’a toujours laissé perplexe. Je dois reconnaître que je n’ai jamais eu le cœur de dire à un enfant extrêmement pauvre, qui se fait violer tous les jours, qui a été abandonné, ou que sais-je encore, qu’il doit se battre, qu’il peut transcender le déterminisme qui le laisserait en bas de l’ascenseur social.

Voilà d’ailleurs bien une idée répétée à satiété par le monde enseignant : si l’on veut réussir, il faut faire des efforts. Souvent, le problème est réduit à cette affirmation : si l’élève ne réussit pas, c’est parce qu’il ne travaille pas. L’école, c’est simple comme bonjour. Les élèves qui réussissent sont portés aux nues, les autres n’ont pas fait ce qu’il fallait. Ils ont démérité. Il y a donc un goût prononcé pour la méritocratie.

Le discours de la peur

On trouve, à l’école, tout un discours que je qualifierais de droite. Par exemple, celui de la peur. On se souvient peut-être de la présidentielle de 2002. Le thème de l’insécurité était porté par la droite, à un tel point d’ailleurs, que cela faisait dire à Lionel Jospin qu’on ne cherchait pas à élire le ministre de l’intérieur, mais bien un président. On a vu ce que cela lui a coûté. Ce discours anxiogène, je l’ai retrouvé dans celui d’enseignants concevant le numérique sinon comme un danger potentiel (cf. tel enseignant violenté et filmé) du moins une entrave au bon déroulement des choses (l’élève triche sur son smartphone, il est distrait…). Ce discours est automatiquement lié à un autre : celui du goût d’un état antérieur où le numérique n’existait pas. C’était le temps où on ne supprimait pas de postes à outrance, c’était le temps où le maître était détenteur de l’autorité incontestée, c’était le temps où l’on mettait des notes et l’on ne trouvait rien à y redire, c’était le temps où des programmes n’avaient pas bouleversé tout un paysage qui faisait que le parent comprenait ce que faisait l’élève, c’était le temps où on ne laissait pas passer tout le monde dans la classe supérieure, c’était le temps où tout le monde ne réussissait pas à l’école (en 1986, seuls 49 % d’élèves obtiennent le brevet des collèges), c’était le temps où on se concentrait sur l’essentiel (apprendre, lire, compter), c’était le temps d’avant, un temps regretté, plus ou moins idéalisé, un temps qu’il faudrait restaurer pour retrouver le bonheur perdu.
Quand l’enseignant ne comprend plus rien au monde dans lequel il évolue, quand il achoppe sur les modifications apportées à un état plus ou moins idéalisé, il est permis de voir en lui un réactionnaire. Mais le mot n’est pas péjoratif : le réactionnaire réagit, il n’accepte pas le monde dans lequel il vit. Il s’oppose à l’idéologie des compétences, est pour le redoublement, veut que l’école bâtisse une élite, etc. Mais, par un curieux effet de renversement, notre réactionnaire se voit en résistant, presque un gauchiste qui s’oppose au discours dominant, alors que je vois en lui un individu de droite pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut.

Un maximum d’enseignant

Mais on se souvient que ma question était celle-ci : une profession peut-elle engendrer une idéologie ? L’enseignant, dans un cas bien précis, peut-il est autre chose que de droite ? Lui qui est bien souvent assis (pas toujours, il circule dans les rangs), parfois au-dessus des autres (il est sur une estrade qui tend, il est vrai, à disparaître des salles). Ne peut-on pas se demander si être assis et au-dessus des autres n’influe pas sur notre vision du monde ? Bien sûr, tout cela est symbolique. Être assis, c’est, dit le Petit Robert, être affermi, assuré, ferme, stable. L’enseignant appartient au monde de celui qui a réussi, et a accédé à un certain statut. On opposera le fait que l’instituteur ne jouit plus de la considération d’antan, mais j’ai pu remarquer que l’enseignant, dans le monde rural, était perçu comme étant le détenteur d’un savoir, d’un statut (il a fait des études). Ce n’est pas rien, malgré qu’on en ait. Dans un univers où l’on ne dépasse parfois pas le brevet des collèges, être enseignant est un privilège.
Pour filer la métaphore des symboles, être au-dessus des autres (qu’il y ait estrade ou non), c’est simplement être celui qui sait, quand l’élève ne sait pas, celui qui interroge, quand l’élève doit répondre, celui qui oblige, quand l’élève doit obéir… C’est en somme, pour reprendre les termes de Michel Foucault, avoir le pouvoir (refusant ce pouvoir, Michel Foucault se disait être «un minimum d’enseignant»). L’enseignant a le pouvoir. Parfois même, il devient directeur d’école, principal adjoint ou principal. Il devient un notable. Il participe aux cérémonies aux côtés du maire. Après tout, il a fait de longues études universitaires. Comment ne pas voir qu’il est loin, très loin du public auquel il s’adresse ? Il est à sa droite.

Dans mon prochain billet, je vous dirai pourquoi l’enseignant devrait être de gauche.

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De 1986 à 2016, histoire d’un sujet de brevet

Article mis à jour le 24.06.16

Nombre d’enseignants ont trouvé le sujet de l’épreuve de français (2012) du brevet des collèges excessivement facile. Sans aller jusqu’à hurler avec les loups de Sauver les lettres, on peut s’étonner qu’un questionnaire portant sur un conte ne contienne quasiment aucune question de grammaire. À lire le sujet de l’épreuve, on en vient même à se dire que ce sujet pourrait être donné à des élèves de sixième.

En effet, il pourrait – exception faite de la question portant sur l’indirect libre – être traité sans réelle difficulté par les plus jeunes collégiens. Est-ce à dire que le sujet de troisième n’était qu’un sujet de sixième ? Que le niveau du brevet – qui est celui du collège, non celui de troisième – est celui du plus petit niveau ? Que le niveau est de plus en plus bas ? Que c’est la faute du socle ? Et je ne sais quoi d’autre ?

Pour répondre, ou plus précisément, pour tenter d’apporter sinon un début de réponse du moins un embryon de réflexion, j’ai dû faire un peu d’archéologie scolaire. Sans remonter jusqu’à la protohistoire du brevet, rappelons que, de 1978 à 1985, ce diplôme s’obtient par le contrôle continu. Ce n’est qu’en 1986 que les collégiens – dont je fus – passèrent à nouveau cette épreuve. À quoi pouvait bien alors ressembler cette épreuve ? Était-elle plus difficile que celle à laquelle nos collégiens ont droit aujourd’hui ? Pour y répondre, pas la peine de chercher sur le web, on ne trouve pas grand-chose. J’ai cherché, mais vainement. Peut-être qu’un autre que moi saura mieux s’y prendre, mais je n’ai pas trouvé. Je me suis alors souvenu que mon père qui était chef d’établissement dans le collège où j’ai passé le brevet avait gardé les sujets de français (et aussi d’histoire et de maths pour ceux que cela intéresse). Par chance, j’avais gardé le sujet, que je vous laisse découvrir.

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La différence saute aux yeux. C’est bien simple, le sujet de l’année 2012 est l’exact contraire du sujet de 1986. Autant le premier évacue la grammaire (et ce sera systématiquement le cas pour tous les sujets qui suivront), autant le second lui accord une place symétriquement proportionnelle au nombre de questions de compréhension. L’important n’est alors pas tant de montrer sa compréhension du texte que de faire la preuve de ses capacités grammaticales. Les exigences sont nombreuses : conjugaison du futur, du passé simple (avec un trait d’union !), du passé composé, du conditionnel présent. Le binôme nature et fonction est évidemment de la partie . Et, enfin, des questions sur les propositions subordonnées que je n’oserais pas donner au meilleur de mes élèves.

Que faut-il conclure ? Que le niveau d’exigence a baissé ? Que le niveau des élèves a conséquemment baissé ? La réponse pourrait paraître évidente au professeur de français que je suis. Il n’est que de voir ce qu’on demandait aux élèves et ce qu’on leur demande aujourd’hui. La différence est telle qu’il n’y a pas l’ombre d’une hésitation. Vraiment ? Ce serait faire peu de cas d’un détail. Mon père avait gardé les sujets. Il avait aussi gardé une photocopie de ma copie. Rétrospectivement, cela fait un peu mal. Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas bon.

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Si je m’en sors relativement honorablement en dictée, je découvre (ou redécouvre, on oublie ce genre de choses) que je n’étais pas une flèche en grammaire. Je ne vous montrerai pas les horreurs que j’ai pondues sur les propositions subordonnées, mais voici un exemple de mes capacités en conjugaison ou à répondre à des questions englobant nature et fonction.

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Voudrait-on remettre un tel sujet au goût du jour ? Alors il faudrait rappeler que seulement 50 % des élèves ont obtenu leur brevet cette année-là. Probablement, la notation n’était pas la même. En lisant le barème, je prends conscience que la dictée en 1986 comptait pour 15 points. Aujourd’hui, c’est 6 points, auxquels il faut certes ajouter les 4 points de l’exercice de réécriture. Mais ce sont 15 points sur 80, alors que l’épreuve de français actuelle (voir le sujet de l’année 2016) compte pour 40 points…

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Je vous laisse conclure. Le sujet de l’année 2012 était, en effet, très facile (et certaines questions posées en 2014 et en 2015 étaient ridiculement faciles). Pour autant, nombre d’élèves auront achoppé sur tel ou tel point. Finalement, si l’on considère le sujet de 2012, un texte de Michel Tournier, c’est encore un peu élitiste pour beaucoup d’élèves (qu’est-ce qu’un calife ? C’est vraiment un conte ? Quelle est cette histoire de cuisinier et de commémoration ?).

La question n’est-elle pas de savoir ce que l’on veut « retirer » de ce collège. Désire-t-on qu’un élève sache manier les propositions subordonnées consécutives ou sache écrire correctement et comprendre ce qu’il lit ? Malgré tout mon amour de la littérature, tout mon intérêt pour la grammaire, toute l’exigence dont je peux faire preuve à longueur de temps, je ne peux que pencher pour la deuxième solution. Et le sujet de 2014 (et dont j’avais proposé une correction), qui invitait les candidats à réfléchir sur la prose poétique de Saint-Exupéry, a montré que des compétences importantes de lecteur étaient requises. Reste que bien souvent les consignes de correction nous invitent à la clémence, ce qui se conçoit, mais une clémence qui a clairement pour objectif de distribuer des points allègrement : “l’élève a le droit de dire qu’il n’a pas compris”, nous a-t-on dit l’an dernier.

P.-S.

Suite à de nombreuses demandes, j’ajoute les sujets d’histoire et de maths.

Histoire géographie

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Mathématiques

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La rhétorique au collège

Aristote par RaphaëlLa rhétorique restreinte

La rhétorique, telle qu’on l’enseignait encore au XIXe siècle, était constituée de trois grandes parties : l’inventio (la recherche des idées ou des arguments), la dispositio (l’arrangement des différentes parties du texte écrit), et l’elocutio (choix et disposition des mots dans la phrase). C’était déjà une rhétorique restreinte dont on avait retranché la pronuntiatio et la memoria. Elle se réduisit comme une peau de chagrin quand elle ne devint plus qu’un traité des figures.

Au collège, l’enseignement relève aujourd’hui, pour l’essentiel, d’une rhétorique de l’elocutio. Nous n’avons, en effet, retenu de l’ancienne rhétorique que quelques figures de style. Au collège, l’élève est invité à n’en retenir qu’un certain nombre, comme dans cet exercice, par exemple.

Récemment, @mmechautard proposait un exercice intéressant. Les élèves devaient, non pas simplement repérer quelques figures, mais rédiger quelques phrases dans lesquelles figureraient une comparaison ou un zeugme, etc. Cet exercice semble avoir connu quelque succès, les élèves s’étant amusés à formuler des plaisanteries du type «Il descendit les poubelles et son voisin».

Rhétorique et enseignement

Je me suis alors rappelé Figures II de Gérard Genette et de «Rhétorique et enseignement» où il est expliqué que, auparavant, les grands textes de la littérature n’étaient pas seulement des objets d’étude, mais aussi des modèles à imiter. Aujourd’hui, il ne s’agirait évidemment pas de demander à un élève un portrait de Byron comme cela avait pu l’être à Flaubert. Mais, au moins, on pourrait se rappeler que la pratique régulière de l’écriture, dans le sillage des grands auteurs, bref ce qu’on appelle l’imitation, a ceci de bénéfique qu’on en revient à une rhétorique explicite, une rhétorique qui dit son nom, au lieu de se contenter d’exiger de l’élève qu’il fasse un effort pour écrire correctement, sans plus d’explications.

Faire un effort pour écrire correctement, cela ne veut rien dire au fond pour l’élève à qui on n’a jamais appris à écrire. Tout au plus l’invite-t-on à faire attention à l’orthographe, à suivre quelques consignes (utiliser le passé simple, placer des épithètes…). Pour le reste, il est livré à lui-même. Or la rhétorique n’a jamais vraiment quitté le collège. Elle a toujours été là, sans réellement faire l’objet d’un apprentissage avoué. En français, les précédents programmes invitaient à rédiger une narration, développer une description, à bâtir une argumentation, etc. Dans ce dernier cas, on retrouve nombre de composantes de l’ancienne rhétorique : recherche des idées, disposition de ces idées en un texte qui a un sens (selon la double acception : une signification et une direction), et expression de ces idées en termes acceptables pour l’institution scolaire.

Encore faut-il, pour ce dernier point, que l’élève ait un peu de vocabulaire, d’où la nécessité de l’étudier, de lui conférer une place importante, ce que font les actuels programmes de français. L’élève doit aussi avoir son arsenal de figures lui permettant d’exprimer ses idées avec force. À cet effet, il importe que l’élève sache non seulement les repérer, mais aussi les utiliser d’où les exercices susmentionnés. Mais il est impératif qu’on lui ait appris à écrire. Or on apprend à lire, mais on n’apprend pas réellement à écrire. Tout au plus donne-t-on quelques exercices de rédaction dont la consigne pourrait être : «Vas-y, fais de ton mieux, exprime-toi, si possible en un langage correct, avec le minimum de fautes». Mais attend-on seulement la moindre valeur littéraire de ce qui sera produit par l’élève ? A-t-on vraiment préparé cet élève à l’exercice de la rédaction ?

Apprendre à écrire

Si l’élève a appris à lire, il n’a pas appris à écrire d’une façon un tant soit peu littéraire. On reste persuadé, que l’élève ayant lu retiendra, ipso facto, quelques formulations que, de lui-même, il restituera dans un élan de bonne volonté. Son génie personnel, résidu romantique, fera le reste. N’est-on pas là dans l’erreur, si l’on ne remet pas au goût du jour l’exercice d’imitation, régulier, plus ou moins bref, en tout cas davantage que celui de la rédaction, et préparant la rédaction ?

Récemment, j’ai donné cet exercice dans lequel il fallait remplacer les verbes en gras par un participe présent, puis supprimer le sujet. Enfin, l’élève devait rajouter la conjonction de coordination « et » (voire supprimer le dernier pronom personnel sujet) :

Le chat enfila ses bottes, il mit son sac à son cou, il s’en alla dans une garenne.

Le chat enfila ses bottes, et mettant son sac à son cou, s’en alla dans une garenne.

L’objectif, dans cet exercice d’imitation de Charles Perrault, était évidemment de manier le participe présent que nous étudiions alors, de faire un peu de grammaire donc, mais aussi de s’exprimer avec davantage de fluidité, de concision, plutôt que d’accumuler des phrases courtes commençant répétitivement par le pronom personnel «il».

Mais l’exercice, tel quel, relève essentiellement de l’exercice de grammaire ou de réécriture. Pour qu’il devienne exercice d’imitation, il fallait que dans la rédaction suivant l’exercice, l’élève produise quelques phrases imitant le modèle étudié.

En quatrième, cet exercice exige qu’on se lance directement dans l’exercice d’imitation.

Lisez cet extrait de Vingt mille lieues sous les mers

«En deux minutes, nous étions sur la grève. Charger le canot des provisions et des armes, le pousser à la mer, armer les deux avirons, ce fut l’affaire d’un instant. Nous n’avions pas gagné deux encablures, que cent sauvages, hurlant et gesticulant, entrèrent dans l’eau jusqu’à la ceinture.»

Consignes

Réécrivez un paragraphe du même type :

– en commençant par un complément circonstanciel (En deux minutes) suivi d’une proposition contenant un verbe à l’imparfait (étions) ;
– en rédigeant ensuite trois propositions débutant par un infinitif (charger, pousser, armer) s’achevant par un verbe au passé simple (fut) ;
– en terminant enfin par une phrase de conclusion construite sur le modèle Nous n’avions pas… que…. Le dernier verbe sera conjugué au passé simple et précédé de deux participes présents (hurlant et gesticulant).

J’avais eu l’idée de cet exercice en relisant Les Misérables et Le Rouge et le Noir. À lire ces extraits, on se rappelle que nos grands auteurs, malgré qu’ils en aient (je pense à Victor Hugo), avaient fait leur classe de rhétorique :

Écarter les pavés, soulever la grille, charger sur ses épaules Marius inerte comme un corps mort, descendre, avec ce fardeau sur les reins, en s’aidant des coudes et des genoux, dans cette espèce de puits heureusement peu profond, laisser retomber au-dessus de sa tête la lourde trappe de fer sur laquelle les pavés ébranlés croulèrent de nouveau, prendre pied sur une surface dallée à trois mètres au-dessous du sol, cela fut exécuté comme ce qu’on fait dans le délire, avec une force de géant et une rapidité d’aigle ; cela dura quelques minutes à peine.

Les Misérables

Le voir, le tirer par sa grande jaquette, le faire tomber de son siège et l’accabler de coups de cravache ne fut que l’affaire d’un instant. Deux laquais voulurent défendre leur camarade ; Julien reçut des coups de poing : au même instant il arma un de ses petits pistolets et le tira sur eux ; ils prirent la fuite. Tout cela fut l’affaire d’une minute.

Le Rouge et le Noir

En somme, pour plagier Gérard Genette, on se dit que pour un adolescent de l’époque des Hugo, des Flaubert ou Stendhal, se lancer dans la littérature n’était pas une aventure ou une rupture mais le prolongement, l’aboutissement de leurs études.
Quant à mes collégiens, ce n’est pas un prolongement ni même une rupture. Ils ont tout simplement besoin d’apprendre à écrire.

Une copie de quatrième