Au reste, le discours d’Eveline Charmeux m’a rappelé celui qui était tenu à l’IUFM où la dictée était battue en brèche. Les arguments ne manquaient d’ailleurs pas de pertinence. La dictée ne serait qu’un moyen d’évaluation injuste, elle ne permettrait pas d’acquérir de connaissances. Elle était tombée de son piédestal. Elle n’était plus le seul moyen de travailler l’orthographe (que l’on songe à l’exercice de réécriture). J’étais alors convaincu qu’il ne fallait plus faire de dictée ou du moins qu’il ne fallait plus lui accorder l’importance qui fut la sienne. Las ! Cette idée n’a pas résisté au temps, lequel j’ai passé à me demander de quelle façon je pouvais évaluer l’orthographe sans pour autant déprimer mes petits élèves.
Prolégomènes
Avant d’expliquer les vertus pédagogiques que j’attribue à la dictée, je voudrais tout de même préciser deux petites choses. Eveline Charmeux écrit que la dictée a :
[…] l’incomparable plaisir que procure à tout enseignant — moi la première, je le confesse bien volontiers ! — cette situation de pouvoir absolu sur des élèves, soumis, visage baissé, au rythme de la voix du maître, seul à posséder légitimement le “corrigé”…
La dictée, c’est le symbole de l’école, de celle qui fait faire aux élèves ce qu’ils ne savent pas faire […]
Tout d’abord, je n’éprouve aucun «incomparable plaisir» face à des élèves soumis. Je suis conscient à ce point du pouvoir de l’enseignant que j’ai pris l’habitude depuis longtemps de faire cours porte ouverte, cette ouverture me rappelant le monde extérieur dans lequel je ne suis pas le maître ni le plénipotentiaire de l’éducation lequel, comme un mauvais parent, aurait tous les droits sur ses enfants dans le huis clos de son domicile.
Au reste, je n’ai pas la vanité de goûter au plaisir de ma voix qui s’énonce dans le silence scolaire, dominant des «visage (s) baissé (s)». Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Que veut-on ? Que l’on s’humilie d’avoir assis les élèves quand nous sommes debout ? Eh ! Voulez-vous que l’on intervertisse la situation ? Tout le monde debout ! Je m’assieds.
Enfin, la dictée serait un symbole. Celui d’une école qui fait faire aux élèves ce qu’ils ne savent pas faire. Serait-ce une plaisanterie de mauvais goût ? Un piège tendu aux esprits chagrins qui lisent en diagonale ? Qu’est-ce que l’école sinon le lieu où l’on apprend ce que l’on ne sait pas ? Le contraire s’appelle la science infuse. Les élèves ne l’ayant pas, ils viennent apprendre. En quoi cela peut-il choquer ?
Un moyen d’apprentissage et un moyen d’évaluation
Selon Eveline Charmeux, la dictée ne saurait être ce monstre pédagogique étant à la fois la fin et le moyen. Je pense que les termes sont mal définis, et comme à chaque fois que l’on nomme mal les choses, on se fourvoie. Par quelque bout que l’on prenne les choses, pas moyen de faire autrement : la période d’apprentissage est ipso facto suivie d’une évaluation. Il faut nécessairement vérifier que la notion inculquée a été comprise. Dans le cas contraire, on se hasarde à laisser les élèves avancer dans les méandres du programme sans s’intéresser à leurs progrès ou leurs échecs. Mais la question est de savoir si la dictée peut à la fois être un moyen d’apprentissage et un moyen d’évaluation.
Un moyen d’évaluation
Avant de dire en quoi la dictée est un moyen d’apprentissage, voyons le moyen d’évaluation. En quoi est-il choquant d’évaluer ce qui a été écrit ? Serait-ce parce qu’on attribue une note ? Que l’on soupçonne celle-ci d’être très basse ? Sans même parler d’évaluation par compétences, ne peut-on simplement dire à l’élève à qui l’on rend sa dictée : «C’est bien, il n’y a pas de faute. À présent, on va faire plus dur ou on va passer à autre chose» ou encore «Attention, il y a des fautes. Tel ou tel point est à revoir. Je vais te donner des exercices pour remédier à cette situation». La dictée est l’évaluation de ce que sait faire un élève à un moment donné. Ainsi, par exemple, le présent de l’indicatif ayant fait l’objet d’un apprentissage ne devrait pas être erroné dans le texte faisant l’objet d’une dictée. S’il l’est, il faut réviser.
De toute façon, je ne crois pas qu’il existe encore beaucoup d’enseignants qui ponctionnent deux voire quatre points par faute de grammaire. En ce cas, l’exercice est impitoyable. Quelques fautes dans un texte de vingt lignes, et l’élève n’a pas la moyenne. Cette façon de faire n’a plus, depuis longtemps, la faveur des enseignants. Et je crois que c’est ce modèle qu’Eveline Charmeux bat en brèche. Celui de l’enseignant qui pour enseigner l’orthographe ne posséderait que ce seul moyen de la dictée et par là même se saisirait de ce moyen pour mettre une note qui souvent atteint des abysses négatifs. Afin de ne pas allonger indéfiniment ce billet déjà très long, j’ai écrit un autre billet intitulé Mais comment évaluer cette dictée ? Tout au plus, dirais-je qu’il y a pléthore quant aux moyens d’évaluer une dictée, et que celle-ci n’est plus l’exercice terrible condamnant par avance tout élève pris en faute.
Un moyen d’apprentissage
Examinons maintenant en quoi la dictée, notée ou non, mais évaluée (en tant qu’elle fait l’objet d’une appréciation, et donc d’un moyen de progresser), concourt à l’amélioration de l’orthographe des élèves. On l’a dit, il existe d’autres moyens d’apprentissage (parmi lesquels il y a l’exercice de réécriture, mais aussi la charade, le pendu, les mots croisés sans même parler de la rédaction). À ce propos, le billet d’Eveline Charmeux repose sur un malentendu. Je n’ai lu nulle part que l’on prétendait que la dictée était LA solution. Tout au plus peut-on parler de solution, c’est-à-dire d’une solution entre autres.
D’emblée, je suis choqué que l’on soit choqué quand on fait faire une dictée qui date des années 80 à des élèves d’aujourd’hui qui n’en font plus. Eh quoi ! On a tellement expliqué que la dictée, c’était le mal, que les enseignants ont fini par s’en convaincre, et n’en font plus (heureusement, cela change). Dès lors, des élèves ne peuvent plus réussir un exercice qu’ils ne pratiquent plus ou pas assez. En quoi cela est-il étonnant ? On apprend en faisant (oui, je suis pour la pédagogie active). Or j’ai la conviction qu’il est fondamental que l’on dise aux élèves : «On va écrire un texte, et ce qui fait l’objet de ce travail, c’est l’orthographe et rien que l’orthographe». Les élèves, aujourd’hui ou hier (qu’importe), réduisent tellement la chose écrite à la portion congrue (un contenu plus qu’un contenant), que je ne connais pas un collègue d’histoire, de SVT ou de ce que vous voulez qui n’ait rencontré la nécessité d’évaluer l’orthographe tant il est vrai que les élèves s’en désintéressent. J’en suis même venu à ne plus photocopier mes contrôles, mais à les projeter, à demander aux élèves d’écrire les consignes, et de leur dire qu’ils gagneront des points en accordant un peu d’attention aux mots qu’ils recopient.
La dictée, qu’elle fasse deux lignes ou trente, régulière, et d’une difficulté en rapport avec le niveau des élèves, consiste à écouter un texte et à faire des choix. Je ne parle pas du ridicule exemple pris par le contempteur de la dictée. «théâtre» ou «apéritif» ne m’intéressent pas. C’est de l’orthographe lexicale. Un dictionnaire fera l’affaire. Ce n’est pas là que le bât blesse. De toute façon, quand bien même la chose est notée, l’élève perd 1 voire 0,5 point et même rien du tout dans certain cas. En revanche, on peut estimer que, jusqu’à ce qu’on ait rencontré la nécessité d’écrire ce mot, on ne savait pas comment l’écrire. Quel autre exercice que la rédaction ou la dictée permet de prendre conscience que l’on ne sait pas écrire tel ou tel mot ? Si on ne sait pas, on cherche, on corrige, on apprend (après avoir noté le mot dans un calepin pour le réviser, le réutiliser, etc.). Mais, je l’ai dit, ce n’est pas là l’essentiel. La dictée doit permettre à l’élève de faire des choix : tel mot s’accorde-t-il avec tel autre ? A-t-on bien choisi parmi des homophones grammaticaux ? Serait-ce «ses», «ces», «c’est» ou même «sait» ?
Et si l’on veut adopter «une pédagogie de la prévention des erreurs», l’on peut se pencher sur l’élève que l’on aiguille sur la bonne voie. Je ne commenterais pas la pitoyable métaphore routière, et sa conclusion :
Aussi, obliger les enfants à réfléchir, donc à ralentir leur écriture, n’est certainement pas un service à leur rendre.
Cette phrase qui vient conclure la métaphore filée du moniteur d’autoécole nous explique donc que celui-ci ne rendra pas service à son élève qu’il invite à ralentir. Vraiment ? Écrase-toi contre la voiture d’en face, on verra après…
Et je ne parlerai même pas de l’opposition énoncé/énonciation qui, je le suppose, est le point d’orgue dans la démonstration de l’auteure :
Or, la dictée est doublement étrangère à l’énonciation : parole extérieure, élaborée par quelqu’un d’autre, elle est reçue passivement, et à travers une oralisation du dicteur, laquelle n’a rien à voir avec la prononciation mentale qui accompagne l’énonciation. Pire , cette oralisation extérieure se substitue à la prononciation mentale et la bloque complètement — ou, tout au moins, la fausse gravement.
Comment ne pas percevoir que cette vulgate linguistique discrédite toute tentative de communication ? Toute parole extérieure étant reçue passivement, d’où vient que l’on continue de considérer l’autre, sans même parler de celui qui vient avec sa dictée ? Et si, d’aventure, la dictée se révélait être cet indigne chausse-trape éducatif, que ne proposez-vous pas la méthode qui permettra de reconnaître un problème que vous reconnaissez ? Au lieu de cela, vous concluez :
Au fait, au lieu de perdre du temps à faire faire des erreurs qui vont s’imprimer dans la tête des gamins et y installer un bazar pas possible, si on essayait enfin d’aider les élèves à comprendre comment ça marche, l’orthographe ?
Comment faut-il donc faire ? Encore une fois, je répondrai dans un élan d’autopromotion. Tout Ralentir travaux s’efforce d’y répondre, et dans cette réponse, il y a la dictée, laquelle fait partie de mon arsenal éducatif. Il en existe d’autres, que je n’ai jamais pu véritablement exploiter. Il y a les dictées que des élèves peuvent faire eux-mêmes, à leur rythme, en utilisant (pourquoi pas ?) un dictionnaire ou une grammaire. On pourrait songer, comme pour la rédaction, à utiliser un correcteur orthographique, pas le médiocre correcteur intégré à tout traitement de texte, mais celui d’Antidote par exemple. Il doit bien y avoir des enseignants canadiens le faisant. J’aimerais entendre leur voix.