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Éducation Humeur Informatique

Le cahier de textes numérique

J’ai trouvé la lecture du Bulletin officiel du 9 septembre 2010 sur le cahier de textes particulièrement instructive, et je ne suis manifestement pas le seul !

Précisant les modalités de sa mise en œuvre, ce bulletin rappelle à notre bon souvenir ce qu’est un cahier de textes aujourd’hui, grâce à l’informatique (il faut dire que le dernier bulletin datait du 3 mai 1961).

Ce qui a le plus choqué, et à juste titre, c’est que l’enseignant soit enjoint à livrer dans le futur cahier de textes numérique « tout document, ressource ou conseil à l’initiative du professeur, sous forme de textes, de fichiers joints ou de liens » ! Il s’agit, en somme, d’envoyer sur internet des fichiers dont nous n’avons pas les droits. C’est à se demander comment il est possible qu’une telle proposition n’ait pas heurté le bon sens des têtes pensantes du ministère !

À lire ce bulletin, on comprend aussi que le cahier de textes sera être un véritable chef-d’œuvre : doivent évidemment y figurer le travail réalisé, mais aussi le travail à faire, le tout accompagné – on l’a vu – de plein de fichiers illégaux (cf. ci-dessus). On nous demande également d’accorder un soin tout particulier à la mise en page : « polices de caractères, soulignement, couleurs, etc. » (au cas où quelqu’un aurait souhaité faire un truc répugnant à l’œil).

En outre, « Les textes des devoirs et des contrôles figureront au cahier de textes, sous forme de textes ou de fichiers joints. Il en sera de même du texte des exercices ou des activités lorsque ceux-ci ne figureront pas sur les manuels scolaires ».

Les manuels scolaires… C’est bien ça… Ce cahier de textes sera un véritable manuel scolaire !

Personnellement, ça ne me dérange pas plus que ça. Évidemment, ça va râler dans les salles de profs ou les forums d’enseignants, et je le comprends. Malheureusement, la mauvaise foi de certains d’entre eux est malvenue. J’ai lu la réaction d’un enseignant qui disait : « et maintenant il faudrait que j’utilise mon abonnement internet et mon ordinateur pour remplir des cahiers de textes ». Ah ! Comme si on payait encore un forfait à la connexion ! Comme si notre ordinateur allait souffrir de la nouvelle (j’ai écrit « nouvelle » ?) nécessité de remplir son cahier de textes !

Mais ont-ils vraiment tort ces enseignants qui rechignent ? Pas tout à fait. Les enseignants sont énervants à râler dès qu’on leur demande quelque chose, mais je dois quand même reconnaître ceci : on demande toujours plus à l’enseignant, sans pour autant revaloriser un salaire sans rapport avec les vicissitudes de la vie. Au reste, la dernière fois qu’un inspecteur est venu me voir, il n’en avait rien à faire de mon cahier de textes numérique. Même pas regardé ! Pourtant il y avait tout : la mise en page, les liens, et tutti quanti !

J’ai plus ou moins abandonné finalement, essentiellement parce que le collège a depuis investi dans un logiciel à l’interface archaïque et peu ergonomique qui ne permet pas tout à fait ce que demande le Bulletin officiel. Et, compte tenu des travaux que connaît notre établissement, on ne peut pas encore l’utiliser (le serveur déménage).

À propos d’informatique, quelques mots pour finir. Je veux bien admettre la nécessité d’évoluer dans nos pratiques. Ce qui me gêne, cependant, est le peu de matériel figurant dans les collèges. Dans la salle des profs, il y a trois ordinateurs que l’ex-RDA aurait méprisés (je le redis, juste pour le plaisir, où diable le Conseil général est-il allé chercher des écrans à tube cathodique ?) pour une cinquantaine de profs. S’il n’y a pas d’ordinateurs, comment fait-on ? En somme, on met la charrue avant les bœufs, mais le ministère se dit peut-être que les bœufs sont déjà là…

Il se trouve que les bœufs ont pratiquement tous un ordinateur portable. En revanche, ils n’ont pas tous envie de l’utiliser ou même de l’amener. Encore une fois, ça se comprend : chez nous, il n’y a pas de serrure dans notre collège rénové, mais pas fini (quelqu’un a oublié de commander les barillets)… Alors, moi, mon ordinateur, je l’ai sur moi en permanence, même pour aller aux toilettes.

Pour finir ce billet (je ne voudrais pas que l’on pense que je suis rétif au cahier de textes numérique), je voudrais donner un modeste aperçu de ce à quoi devrait ressembler un cahier de textes (si j’ai bien tout compris) :

Mercredi 8 septembre 2010

Séance 1° (fin)

Leçon 1 : La chanson de geste

Lecture du poème de Victor Hugo

Distribution du texte et du questionnaire de la séance suivante pour ceux qui veulent se mettre en avance.

Pour le lundi 13 septembre, apprendre la leçon 1

Qui voudrait faire un tel travail pour le même salaire ? Si je le fais, c’est parce que j’en ai envie, mais on ne saurait contraindre qui quoi que ce soit à réaliser ce travail de cénobite. Qui a envie d’utiliser les mochissimes logiciels scandaleusement vendus pour faire cela ? Ne pourrait-on trouver un logiciel élégant, simple, ergonomique ? Libre ? J’avoue ne pas m’être penché sur la question.

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Éducation Humeur

Le redoublement

Aujourd’hui, plus que jamais, le redoublement m’apparaît comme étant inique, arbitraire et inutile. La chose est devenue, selon moi, détestable. Il n’est pas jusqu’au mot qui ne me soit devenu odieux : ce suffixe inutile qui indique la répétition (re-) et qui fait redondance avec la suite du mot (-doublement) ! C’est comme si celui qui le prononçait, avec une délectation lexicale, énonçait deux fois la même notion, celle d’une sentence punitive qui n’a rien, mais alors rien de pédagogique.

Cela fait maintenant de nombreuses années que le redoublement est considéré comme inutile. Quel enseignant ne l’a pas constaté : tel élève que l’on a fait redoubler a refait une année catastrophique. Le redoublement s’est révélé inutile, et chacun de le constater empiriquement. Tant et si bien qu’il n’y a plus besoin d’argumenter, de citer les études qui le disent depuis si longtemps : le redoublement est inutile ; il serait même coûteux (1). En conseil de classe, tout le monde le sait, tout le monde le dit. Et puis, n’y a-t-il pas des pays (2) où il n’existe plus de redoublement, et cela semble fonctionner, puisque l’on nous dit (je ne sais plus où) qu’un élève, à niveau égal, progresse plus vite en passant dans la classe supérieure qu’un élève redoublant. Par ailleurs, le redoublement aurait un effet dévastateur, traumatisant (3). Évidemment, ce n’est pas ce dernier argument qui l’emporte.

En dehors de toute législation sur le sujet, on continue à faire redoubler, dans les limites étroites du non-dit administratif (rectorat, inspection académique), c’est-à-dire que même si une bande de réactionnaires nostalgiques décide que Kévin (si si, on trouve parfois et même souvent un accent) va redoubler, il va redoubler, sauf si le chef d’établissement décide dans le secret de son bureau, et en accord avec les injonctions administratives, qu’il ne doit pas encombrer la classe de niveau inférieur.

On redouble donc peu dorénavant. En revanche, on redouble toujours. Qui est la cible de tant d’attention ? La bande de gros nuls qui, en six ou sept ans, ne parvient toujours pas à aligner deux mots sans faire quatre fautes d’orthographe ? Que nenni ! Celui qui va redoubler, c’est le pauvre gosse à qui l’on fait croire que c’est une chance, qu’il va pouvoir s’améliorer. Il a parfois une moyenne supérieure à la bande tout entière réunie ! Ce discours sur le redoublement s’accompagne d’une affirmation tacite : les autres gros nuls, ils sont trop nuls pour bénéficier d’une telle « chance », ils rejoindront la sortie plus vite ! Personne ne semble s’apercevoir que le « chanceux » va devoir, à la rentrée, se débrouiller… tout seul. C’est un peu comme si on vous faisait traverser un labyrinthe dans lequel vous vous perdez naturellement. Au bout d’une année, les murs tombent, vous croyez trouver la sortie. On vous dit : « On recommence » ! Et naturellement, vous ne parvenez pas plus à trouver la sortie que la première fois.

Pire encore : comme Kévin ne comprend pas, malgré force explications, pourquoi sa bande de copains est tout de même passée (après tout ne sont-ils pas aussi nuls voire plus nuls que lui ? Il y a même un qui a traité tel professeur de « gros bâtard »), il se dit que c’est louche, qu’on ne lui donne pas une seconde chance, mais qu’on le punit et qu’on n’en punit pas certains. Et quand bien même la sentence aurait été prononcée avec toutes les meilleures intentions du monde, le message est tellement brouillé qu’il est incompréhensible pour l’élève.

Le redoublement est donc inutile, inique, arbitraire. C’est, on l’a vu, de surcroît coûteux, peut-être même sadique, certainement et inconsciemment punitif. Un gâchis. À abandonner d’urgence.

Notes :

1 — Ce coût fait dire à quelques mauvais esprits que, si on ne fait plus redoubler, c’est parce que cela coûte trop cher.
2 — La Finlande, je crois.
3 — J’emploie le mot traumatisant, parce que je sais que certains enseignants vont s’écrier : « Oh le pauvre chéri ! On le traumatise ! », refusant de considérer une seconde qu’un gosse à qui l’on fait refaire son CP engage bien mal une plus ou moins longue scolarité.

Ajout du 22.02.11 :

En y repensant, je me fais deux réflexions.

Tout d’abord, je ne comprends toujours pas pourquoi les élèves que l’on fait redoubler sont lâchement abandonnés lors de leur année supplémentaire. Aucune indication, aucune aide à des problèmes déjà repérés ne leur ait proposée. Les élèves qui redoublent ont la délicate tâche de recommencer une nouvelle année avec de nouveaux professeurs qui ont tout à redécouvrir de leurs difficultés. Quel temps perdu !

Enfin, je me demande pourquoi on continue à faire recommencer une année tout entière. L’élève a-t-il été mauvais en français ? Il refera tout le programme de SVT ! C’est un non-sens ! On voit là que la chose n’a jamais été pensée autrement qu’une punition : une année de pensums !


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Éducation Littérature Lu

Il faut connaître l’entreprise dès le lycée. Vraiment ?

J’ai développé dans un article précédent les raisons de mon indignation provoquée par la lecture du vôtre.

Il me reste un dernier point à développer : les raisons de mon désaccord avec votre vision du monde ou du moins de l’éducation. Ma diatribe étant d’objectif modeste, je me limiterai au seul point d’intersection possible : l’école prépare-t-elle à rentrer dans votre monde, c’est-à-dire dans celui de l’entreprise ?

L’introduction qui précède votre article précise que vous invitez les jeunes à devenir entrepreneur. C’est à coup sûr un bel objectif, et je me satisfais de constater que vos ambitions sont sans limites, puisque vous leur offrez l’exemple de Larry Page et de Sergey Brin. Mais, d’emblée, je me dis que nous ne vivons pas dans le même monde car, dans le collège dans lequel je travaille, pas moins de 52 % des élèves sont issus d’un milieu défavorisé. C’est vous dire qu’ils ne sont pas prêts à balancer de leur garage l’algorithme qui va bouleverser le monde.
Je ne vais certes pas bâtir mon argumentation sur un misérabilisme larmoyant, mais il serait intéressant que vous les voyiez ces jeunes, et que vous compreniez que leurs préoccupations sont à mille lieues des vôtres. Vous semblez rêver d’une jeunesse galopante et rayonnante débarrassée de ces enseignants parasitaires freinant son élan. Hélas ! ce jeune public est davantage concerné par ses petits problèmes : un parent qui vient de se suicider, un autre qui a mis son enfant à la porte, un abus sexuel, une dyslexie mal traitée, etc. Malgré tout cela, ces enfants parfois en très grande difficulté scolaire sont contrairement à ce que vous dites ponctuels, polis et respectueux. En revanche, ils accroissent les «bataillons d’illettrés» dont vous parlez. À qui la faute ?

Cela, c’est pour remettre les choses dans leur contexte, et je peux vous dire que j’ai grandement édulcoré les choses.

À présent, demandons-nous ce que ces collégiens deviennent. J’en viendrai directement au point qui nous intéresse : les «meilleurs» vont au lycée, c’est-à-dire presque tous. Comment pourrait-il en aller autrement ? Lorsqu’on veut emmener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, il n’est pas étonnant que ce soit pratiquement tous nos élèves qui accèdent au lycée. Au reste, je maintiens que cet objectif n’a rien de scandaleux, sauf pour les nostalgiques du charme discret de la bourgeoisie, qui aimaient tant que l’élite soit l’élite, c’est-à-dire une catégorie sociale non souillée de la présence des prolétaires venant outrageusement faire baisser le niveau.
Nos collégiens deviennent donc des lycéens en accédant soit au lycée général et technique soit au lycée professionnel. Le deuxième choix, car c’est presque toujours un deuxième choix, voit des élèves arriver qui n’ont pas envie d’être là. Aujourd’hui, on considère toujours qu’il vaut mieux faire de la philosophie que de la mécanique, rappelle François Dubet. C’est dire que ces élèves à qui on a fait comprendre que le lycée général et technique n’était pas pour eux n’ont pas envie d’être là. Bien souvent, ils y sont malgré eux. C’est dommage, mais c’est ainsi. Quelles peuvent être alors leurs motivations ? À eux dont les médias rabâchent à longueur de journée que de grands patrons s’octroient des salaires pharaoniques, parfois doubles, avant de fermer l’entreprise pour ensuite délocaliser. Quelle est à votre avis leur opinion sur le monde de l’entreprise, eux qui voient papa et maman chômer ?
Le problème est donc là : l’école n’est plus un gage de réussite. Tant et si bien qu’on ne sait plus comment motiver nos élèves. Dans certains cas, on propose même des cagnottes de 10000€. C’est vous dire le désarroi qui a dû s’emparer des têtes pensantes de notre ministère.

Mais quand bien même le monde qui les attend regorgerait d’emplois à qui mieux mieux, qu’en serait-il exactement ? Faudrait-il préparer nos élèves à rentrer dans la vie active ?

Pour moi, et je ne me lasserai jamais de le répéter, la réponse est non, mille fois non. Les élèves eux-mêmes le savent, eux qui effectuent leur scolarité. L’univers dans lequel ils évoluent – celui de l’école – n’est pas la réalité. C’est un monde à part dans lequel l’erreur est tolérée, la faute acceptable. C’est un monde dans lequel on peut recommencer sans être condamné, méprisé ou ostracisé : si je rate un contrôle, je peux le recommencer, je peux refaire une année, je peux recevoir de l’aide ; si, d’aventure, je commets une bêtise (je me bats, par exemple) je ne paie pas d’amende, je ne vais pas en prison. Je suis éduqué, élevé, non pas condamné. Il n’existe qu’un seul cas où le réel rencontre l’école : c’est lorsqu’un enfant ayant commis et répété de graves forfaits se voit traîné en conseil de discipline et que celui-ci se prononce pour l’exclusion définitive de l’élève. Là, en voyant le regard de l’enfant, on comprend qu’il n’avait pas saisi que le réel le rattrapait.

Le réel ! Le moins que l’on puisse dire est qu’il varie en fonction de divers facteurs. Qu’est-ce que cela veut dire le réel, et surtout préparer nos enfants au monde réel? Au XVIIe siècle, cela ne voulait sûrement pas dire grand-chose : un état dans lequel tout un chacun aurait reçu une éducation, aurait son mot à dire dans une démocratie serait un non-sens. Après la Révolution française, les choses sont un peu différentes, mais combien de petits Français reçoivent les lumières de l’éducation ? Ce n’est que progressivement, au XIXe siècle, que les Français vont accéder de plus en plus nombreux à l’école, mais pourquoi faire ? L’enfant apprend à compter, à lire et à écrire. Cela est bien suffisant, et de toute façon la moisson mobilisera bientôt toute l’énergie de la famille. Dans l’industrialisation croissante de ce siècle, à quoi faut-il préparer les enfants ? Au travail que le monde est en mesure de leur donner ? À travailler dans une mine, à travailler dans une manufacture ? À faire la guerre pour lutter contre les Prussiens ? Ce qui n’est pas encore l’Éducation nationale n’a-t-il pour autre objectif que de préparer l’enfant à recevoir ce que le monde veut bien lui donner ? Dans le nôtre, que faudrait-il apprendre ? À mépriser La Princesse de Clèves, à s’adapter à telle technologie tant que nous en avons besoin (pensez aux cassettes vidéo de Sony dans les Landes), puis à les mettre à la porte ?

Ce n’est pas là ma conception de l’école.

Mieux encore. Selon moi, l’école est incompatible avec la logique de l’entreprise et de l’idéologie du libéralisme qui voit ou veut voir dans l’individu un être compétitif, prêt à écraser l’autre, ce qui est bien, en dernière analyse, l’exemple que vous donnez en évoquant Larry Page et Sergey Brin. Ne sont-ils pas à l’origine de l’entreprise qui, tel un monstre mythologique, avale tout, diminue ou écrase la concurrence c’est-à-dire des individus ?
Or rien de tel dans une classe. Si l’on fait de la pédagogie différenciée, la classe est divisée en petits groupes mêlant les élèves dont les meilleurs aident les moins forts. Il faudrait d’ailleurs s’entendre sur ce terme : le meilleur dans une classe n’est pas forcément le plus intelligent, mais parfois le plus chanceux, le plus mûr, le plus sérieux, le plus docile (ou le moins réfractaire), celui qui est passionné ou seulement intéressé. Dans un tel contexte, ledit meilleur n’a pas pour objectif d’écraser l’autre, mais bien de l’aider. Et tout l’enjeu de mon enseignement sera de le leur expliquer. Je tenterai également de leur parler de tout ce qui sera profondément inutile, la littérature. Vous qui aimez l’économie, permettez-moi d’y faire référence. L’enseignement de la littérature, c’est l’équivalent de ce que Georges Bataille appelait la part maudite, la dépense pour rien. Il n’y a rien de plus détestable que cette instrumentalisation de l’école, sa subordination au monde du travail. L’enseignement n’est pas utilitaire. Je n’enrôle pas de futurs chômeurs.


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Divers Éducation

Le babil

J’adore le babil des nourrissons, la lallation plus précisément. J’adore provoquer ces sons qui précèdent l’acquisition du langage articulé.
C’est exactement le contraire des «bibelots d’inanité sonore» abolis par Mallarmé, mais il est vrai que ce sont des bibelots. On ne cesse de les répéter, de se les renvoyer ou de les brandir tel un hochet, dans un claquement de langue, de dentales et de labiales. En revanche, ce n’est pas du psittacisme. Chaque répétition est pleine d’une nuance nouvelle, pleine de l’intelligence qui s’éveille.
C’est une fête vocale.
Plus tard, paraît-il, l’enfant intègrera un mot par heure. Cela s’appelle l’explosion lexicale.
En tout cas, ces premiers moments de la communication verbale sont poignants. Au reste, je me suis toujours demandé (enfin depuis que j’ai des enfants) à quoi pouvait ressembler la pensée sans langage. À cet égard, le tout-petit est fascinant, et s’il ne parle pas, il n’en communique pas moins. La relation humaine ne passe donc pas que par la parole, mais elle devient ensuite essentielle, à tel point que sans elle, on peut mourir.
C’est du moins ce que j’avais lu un jour chez Aldo Naouri. Il racontait comment Frédéric de Prusse avait eu l’idée saugrenue de faire élever des enfants dans un lieu isolé. Interdiction formelle de leur parler avait été faite aux nourrices. Il s’agissait de retrouver la langue originelle, celle de Dieu probablement ( je confonds peut-être avec un livre de Paul Auster… ).
Alors ?
Alors, les enfants sont tous morts, tant il est vrai que l’affection, la nécessaire relation se font par la parole indispensable.

leoJ’adore le babil des nourrissons, la lallation plus précisément. J’adore provoquer ces sons qui précèdent l’acquisition du langage articulé.

C’est exactement le contraire des «bibelots d’inanité sonore» abolis par Mallarmé, mais il est vrai que ce sont des bibelots. On ne cesse de les répéter, de se les renvoyer ou de les brandir tel un hochet, dans un claquement de langue, de dentales et de labiales. En revanche, ce n’est pas du psittacisme. Chaque répétition est pleine d’une nuance nouvelle, pleine de l’intelligence qui s’éveille.

C’est une fête vocale.

Plus tard, paraît-il, l’enfant intègrera un mot par heure. Cela s’appelle l’explosion lexicale.

En tout cas, ces premiers moments de la communication verbale sont poignants. Au reste, je me suis toujours demandé (enfin depuis que j’ai des enfants) à quoi pouvait ressembler la pensée sans langage. À cet égard, le tout-petit est fascinant, et s’il ne parle pas, il n’en communique pas moins. La relation humaine ne passe donc pas que par la parole, mais elle devient ensuite essentielle, à tel point que sans elle, on peut mourir.

C’est du moins ce que j’avais lu un jour chez Aldo Naouri. Il racontait comment Frédéric de Prusse avait eu l’idée saugrenue de faire élever des enfants dans un lieu isolé. Interdiction formelle de leur parler avait été faite aux nourrices. Il s’agissait de retrouver la langue originelle, celle de Dieu probablement ( je confonds peut-être avec un livre de Paul Auster… ).

Alors ?

Alors, les enfants sont tous morts, tant il est vrai que l’affection, la nécessaire relation se font par la parole indispensable.

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Éducation

Lire ou ne pas lire Guy Môquet ?

lettre_guy_moquet

Il est demandé aux enseignants des lycées de lire la lettre de Guy Môquet.
Qui s’étonnera que ces enseignants n’aient pas envie de la lire ?
Pour commencer, qui peut comprendre qu’un gouvernement de droite invite à la lecture d’un communiste ? Quel enseignant peut avoir envie de répondre à l’injonction présidentielle ? Faudra-t-il lire Maurice Barrès si l’idée vient à l’esprit d’un de nos élus ?
N’y a-t-il pas un programme ? L’enseignant n’a-t-il pas élaboré un projet pédagogique ?
Il faut donc lire la lettre ? Débattre ensuite ?
D’accord. Arrêtez tout !
Au collège, qu’est-ce que cela donnerait ?
« Voyons, mardi, il y a une intervention sur la violence au cinéma, jeudi j’avais prévu d’aller au CDI, et puis vendredi il y a le cross du collège… Bon heureusement, l’intervention de la gendarmerie sur les conduites à risque n’aura pas lieu cette semaine… Ah ! mais, j’oubliais ! Il y a collège au cinéma ! »
Évidemment, on pourrait faire un effort, au point où on en est…
Mais, le pire est encore de considérer que l’enseignant n’a qu’un droit : obéir. En tant que fonctionnaire, l’enseignant voudra bien s’abstenir de fournir la moindre réflexion et s’exécuter :
« Les enseignants ont un devoir […] c’est de faire leur métier d’enseignant, donc d’obéir aux directives »
On doit cette belle phrase à Henri Guaino, le conseiller spécial de l’Élysée.
On admirera la tournure tautologique : les enseignants doivent faire leur métier d’enseignant. Jusque-là, je n’apporterai pas la contradiction à ce brillant penseur élyséen. En revanche, la conclusion me semble plus que sujette à caution. Faire son métier consiste donc à « obéir aux directives » ! Selon moi — mais je ne suis qu’un petit fonctionnaire provincial mal payé — l’enseignant qui fait son devoir a d’autres ambitions que celles d’exécuter des ordres. Au reste, si les nouveaux programmes revendiquent fièrement la liberté pédagogique, ce n’est tout de même pas pour la battre en brèche dès qu’un conseiller prend cette parole tout emprunte de rhétorique présidentielle, composée de phrases courtes à tournure emphatique.
Tout cela est certes regrettable, mais on est susceptible dans la profession.

Il est demandé aux enseignants des lycées de lire la lettre de Guy Môquet.

Qui s’étonnera que ces enseignants n’aient pas envie de la lire ?

Pour commencer, qui peut comprendre qu’un gouvernement de droite invite à la lecture d’un communiste ? Quel enseignant peut avoir envie de répondre à l’injonction présidentielle ? Faudra-t-il lire Maurice Barrès si l’idée vient à l’esprit d’un de nos élus ?

N’y a-t-il pas un programme ? L’enseignant n’a-t-il pas élaboré un projet pédagogique ?

Il faut donc lire la lettre ? Débattre ensuite ?

D’accord. Arrêtez tout !

Au collège, qu’est-ce que cela donnerait ?

« Voyons, mardi, il y a une intervention sur la violence au cinéma, jeudi j’avais prévu d’aller au CDI, et puis vendredi il y a le cross du collège… Bon heureusement, l’intervention de la gendarmerie sur les conduites à risque n’aura pas lieu cette semaine… Ah ! mais, j’oubliais ! Il y a collège au cinéma ! »

Évidemment, on pourrait faire un effort, au point où on en est…

Mais, le pire est encore de considérer que l’enseignant n’a qu’un droit : obéir. En tant que fonctionnaire, l’enseignant voudra bien s’abstenir de fournir la moindre réflexion et s’exécuter :

« Les enseignants ont un devoir […] c’est de faire leur métier d’enseignant, donc d’obéir aux directives »

On doit cette belle phrase à Henri Guaino, le conseiller spécial de l’Élysée.

On admirera la tournure tautologique : les enseignants doivent faire leur métier d’enseignant. Jusque-là, je n’apporterai pas la contradiction à ce brillant penseur élyséen. En revanche, la conclusion me semble plus que sujette à caution. Faire son métier consiste donc à « obéir aux directives » ! Selon moi — mais je ne suis qu’un petit fonctionnaire provincial mal payé — l’enseignant qui fait son devoir a d’autres ambitions que celles d’exécuter des ordres. Au reste, si les nouveaux programmes revendiquent fièrement la liberté pédagogique, ce n’est tout de même pas pour la battre en brèche dès qu’un conseiller prend cette parole tout emprunte de rhétorique présidentielle, composée de phrases courtes à tournure emphatique.

Tout cela est certes regrettable, mais on est susceptible dans la profession.

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Éducation

Parents et enseignants

Parfois, les élèves sont drôles, un peu malgré eux, mais ils sont drôles.

Hier, j’ai vu un ancien élève qui est en cinquième à présent. À la vie scolaire, on lui demande s’il est en étude, il répond le plus sérieusement du monde : « Non, je suis en permanence ».
Peut mieux faire. Écoutez ceci.
Une élève, qu’un collègue a envoyée à la vie scolaire dire quelque chose à la CPE, revient. Ledit collègue demande à l’élève si elle a vu la CPE. Et l’élève de répondre : « Oui, mais elle n’était pas là » !

Joli non ?

Mais, il n’y a pas que les élèves qui sont drôles. Les parents le sont parfois aussi, mais dans un sens un peu différent.

Voilà.

Certains parents ont un avis sur l’éducation et ne manquent pas de vous le faire savoir au moment où vous vous y attendez le moins. Pourtant, parfois, ils en manquent à ce point — je veux dire d’éducation — qu’ils se montrent tout à fait discourtois. Je suppose que leurs convictions ne souffrant aucune contradiction, ils ne pensent pas une seconde qu’éventuellement, peut-être, l’éducation, c’est votre métier, que vous êtes en somme un professionnel de l’éducation.
Non.
En fait, tout parent a son avis sur l’éducation.
Je suppose que c’est tout à fait normal. Le parent est un éducateur. Un éducateur qui a — en principe — délégué sinon son rôle du moins une partie de son rôle d’éducateur à une tierce personne. Et puis le géniteur qui a ses idées sur l’éducation, il est passé par l’école lui aussi. Donc il sait ce que c’est l’école. Il a son avis sur la question, et, disais-je, il le vous fait parfois savoir.
C’est là un phénomène assez curieux. Jamais dans mon existence, je n’ai dit à un professionnel quel qu’il soit, ce qu’il devrait faire ou ce que je pense qu’il devrait faire. Je n’ai jamais commenté ses choix.
Imaginons.
Je me vois bien débarquer dans une boulangerie, et donner mon avis sur la confection des baguettes. Je pourrais pourtant avoir plein de choses à dire. Au reste, il y a plein de choses que j’aime faire et sur lesquelles j’ai un avis : la musique, l’informatique, le jardinage, la maçonnerie, et que sais-je encore… Autre exemple. Un passager, dans un avion, quitte son siège, frappe à la porte de la cabine du pilote, et commente le pilotage. Outre que c’est interdit pour des raisons assez évidentes, je suis sûr que ce serait incongru si la chose était possible. On lui dirait : « Mais de quoi vous mêlez-vous ? »

Mais il en va tout autrement dès que votre métier implique des enfants. Les parents vous les confient, et de facto je serais assez enclin à trouver légitime que l’on me demande des comptes. D’ailleurs, cette situation doit concerner toutes les professions s’occupant des enfants : nourrice, personnel de crèche, pédiatre…
Position délicate que celle de cette profession. Vous êtes le professionnel, vous avez des diplômes, mais pour un instant, lors d’une entrevue, d’une réunion, un parent peut au motif qu’il est parent contester vos décisions, vos choix. Pire vous mettre en porte-à-faux avec votre élève.
Bah oui ! C’est simple à comprendre, cher géniteur d’apprenant. L’enseignant dit quelque chose, le parent en dit une autre. Que fait le gamin ? Si d’aventure, il est présent lors de l’entrevue, l’enfant peu ravi de se trouver au centre de tant d’attention contradictoire, il pleure.
Ne sommes-nous pas là pour cet enfant ? Nous agissons pour son bien. Je ne crois pas qu’il existe beaucoup d’enseignants sadiques, ivres de pouvoir, traumatisant avec délectation une jeunesse encore insouciante.
Simplement, on fait notre travail.
Alors on peut faire des erreurs. Mais ne peut-on en parler calmement sans condamner l’autre à l’avance, en accordant à l’autre le bénéfice du doute, sans mettre de formules péremptoires, discourtoises sur le carnet de correspondance ou sur la copie. Vous savez ces formules de fin de non-recevoir qui coupent court à toute conversation et vous dénient votre propre rôle. 

Et vous savez quoi ? Après cet acte d’ingérence dans votre métier, vous n’insistez pas, vous laissez tomber, vous acquiescez au caprice parental, parce que ce serait prendre l’enfant en otage en vous obstinant.

Mais ne me demandez pas de trouver ça normal.

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Des places pour l’OM

Ça y est, la boîte de Pandore est ouverte, et l’on va découvrir toutes les malheureuses initiatives des uns et des autres pour inciter les élèves à aller en classe.

Le Parisien révèle que le lycée professionnel Le mistral à Marseille propose à ses élèves des places pour assister à un match de foot en guise de récompense.

Cette fois, on touche le fond.

Je ne vais pas ergoter sur la nature de la carotte, de la cagnotte. En revanche, je me demande s’il est vraiment pertinent de proposer ce type de récompense à des élèves qui, apparemment il faut le rappeler, ont parfois la majorité pénale (16 ans) voire la majorité tout court, puisque l’on parle d’élèves de lycée professionnel. S’ils sont censés être des individus responsables, pourquoi les encourager à penser qu’un comportement normal, donc d’adulte responsable puisse être récompensé à la façon d’un enfant qui a été sage. À ce niveau, ce ne sont plus des enfants.

Pire ! Je ne parviens pas à concevoir que l’école ne puisse faire la démonstration à ses élèves du bien-fondé de son existence, et aussi montrer qu’elle est en elle-même une récompense pour des élèves qui n’ont qu’à se donner la peine de s’asseoir sur une chaise et être à peine médiocre pour recevoir l’assentiment d’adultes dépassés par le désintérêt massif dont l’école fait l’objet.

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Qui veut gagner des euros ?

Je lis sur le blog C’est classe cette affirmation, à propos de cette fameuse histoire de cagnotte accordée aux élèves qui veulent bien se donner la peine d’entrer en classe :

«Nous comprenons que cela fasse débat. C’est quelque chose de très nouveau dans le système français. Nous sommes pragmatiques et toutes les idées sont bonnes à prendre : si c’est un bon moyen de limiter le décrochage, si cela déclenche l’assiduité, c’est intéressant».

Je vois dans ces propos une confirmation de ce que je pensais. On est prêt à faire n’importe quoi : « toutes les idées sont bonnes à prendre » pourvu que « cela déclenche l’assiduité » (« si c’est un bon moyen »… convainquons-nous que c’est « bon »). C’est carrément un aveu. Je traduis :

Chers élèves,

En dépit de la gratuité de l’école, et des montants astronomiques alloués en matière d’éducation et prestations diverses, nous prenons bonne note de votre peu de désir de fréquenter l’établissement que la loi vous oblige pourtant à honorer de votre présence. Aussi avons-nous décidé de creuser un peu plus encore les écarts existant entre différents établissements en rémunérant sinon les élèves du moins les classes qui voudraient bien avoir l’extrême obligeance de venir en classe, parce que tout simplement, c’est intéressant.


N.-B. On se marre bien au ministère. On essaie. On est pragmatique.

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Éducation

Apprendre, oui mais comment ?

Jusqu’où est-on prêt à aller pour donner envie aux élèves de venir en classe ?

J’ai comme le sentiment qu’on est prêt à faire n’importe quoi, mais alors du grand n’importe quoi !

Cet article avait déjà conforté mon opinion, celui-ci me prouve – si besoin était – que non seulement on fera n’importe quoi pour que les élèves aillent en classe, mais qu’en plus l’argent jouera un rôle dans cette vaine tentative d’éduquer, ce qui est navrant.

Mais peut-on encore parler d’éducation ?

En fait, l’idée est simple : on va payer pour que les élèves viennent en classe. C’est donc l’idée de la cagnotte qui a été retenue (la paronomase est facile : c’est la carotte !). S’ils sont en manque d’idée au ministère, je leur suggère le buzzer, afin que les élèves aient le sentiment d’être à la télé. C’est motivant, ça, non ? École, argent, spectacle. Il ne manque plus que le séduisant fonctionnaire pour animer et inciter au gain des rangs de fainéants assoiffés d’argent.

2000 € par classe avec augmentation possible de la cagnotte. 2000 € si l’élève vient en classe et a le bon goût de s’asseoir sur sa chaise sans agonir son voisin ou le  professeur… Pffff…

Je ne sais pas dans quelles conditions cette cagnotte de départ va « prospérer »… Peut-être que si l’élève parvient à faire une phrase intelligible, on pensera à rajouter 1000 €… Ce n’est pas tout. L’année étant découpée en quatre périodes, il y aura donc quatre cagnottes de  2000 €. 1000 € donc !

Ce joli projet pourra s’étendre à 70 classes l’année prochaine si l’expérience s’avère satisfaisante. Le montant s’élèverait alors à 560 000 €… 70 classes, ça fait disons deux ou trois gros établissements.

Calculons. L' »internat d’excellence » de Sourdun (concernant 128 élèves) va coûter 1,5 million d’euros (ce n’est qu’un début) ! Si vous n’avez pas lu l’article auquel je fais référence, sachez que cet argent va servir à faire faire de l’équitation, voyager à Pondichéry ou à Londres 128 élèves qu’encadrent 16 professeurs (1 pour 8 élèves). L’addition n’est pas encore possible (on sait que le million cinq n’est qu’une première tranche), mais on peut se demander combien de millions on va dépenser pour quelques centaines d’élèves, et combien on va dépenser pour les millions d’autres élèves. Pas de cagnotte pour ceux-là.

La conclusion est aisée : outre le fait que payer un élève pour faire son devoir d’élève est insensé, on peut se demander comment on ose ainsi favoriser certains (fussent-ils défavorisés au départ ) au détriment des autres qui vont continuer à aller à l’école parce que sinon c‘est plus d’allocations familiales et puis c’est conseil de discipline si ça va pas mieux. Comment on peut faire des classes de 30 élèves, comment on peut supprimer tant de postes ? Je me demande également combien de temps encore on va accueillir les primo arrivants dans les conditions que nous connaissons. En gros, c’est : « Tu ne me comprends pas, je ne te comprends pas, et puis j’ai 30 élèves derrière qui piaillent ». Je me demande également combien de temps on va devoir utiliser le matériel informatique de l’ex-RDA pour faire passer le B2i à nos élèves ou rentrer nos notes sur les trois machines pour soixante profs. Petit détail rigolo : on utilise désormais un câble USB pour brancher l’imprimante. Le port parallèle peut jouir d’un repos mérité.

Jusqu’où est-on prêt à aller pour donner envie aux profs de venir en classe ?