Si comme l’écrit Pierre Desproges, « Le martyre, c’est le seul moyen de devenir célèbre quand on n’a pas de talent », il faut reconnaître que le terroriste – qui est un homme allant au martyre – est un individu sans talent. Ce terroriste est un homme qui n’a aucune capacité, aucun don, il ne sait rien faire. Il ne peut créer. Il ne peut rien construire. Il ne peut que détruire. C’est un Érostrate des temps modernes : puisqu’il ne peut atteindre la reconnaissance par ce qu’il est capable d’édifier, il se fera connaître par sa capacité à détruire. De ce point de vue, il serait remarquable que la parabole du talent s’applique à sa personne : « Qu’as-tu fait de ton talent ? » Cette question devrait d’ailleurs être posée à tout le monde, mais l’enseignant que je suis se dit souvent qu’il devrait la poser à soi-même d’abord, mais aussi à ses élèves.
Demander à ses élèves ce qu’ils ont fait de leur talent, ce n’est pas seulement les convoquer à un tribunal spirituel pour les sommer de répondre de la conduite de leur vie, mais c’est aussi les interroger afin de savoir comment l’école les a accompagnés dans ce parcours qu’est une vie qui commence, comment elle les a aidés à trouver ce que Ken Robinson appellerait leur « élément », lequel les conduirait à s’épanouir et galvaniser la société dans laquelle ils se sont insérés.
Or je ne peux m’empêcher de penser qu’un enfant de quinze ans qui se fait exploser ou tuer n’est finalement pas tant un individu sans talent qu’une personne qui n’a pas trouvé son élément ou qui n’a pas su faire fructifier son talent mais surtout que nous, enseignants et aussi parents et pourquoi pas toute la société, n’ont pas su les y aider. Oh ! certainement les raisons sont multiples, mais je veux bien prendre ma part.
Et je m’en veux terriblement, parce que je sais que, comme le professeur de musique qui n’a jamais été fichu de discerner le moindre talent à John Lennon, je dois régulièrement passer à côté d’individus qui n’auront peut-être jamais réussi (contrairement au musicien susmentionné) à trouver leur voie. Tant de talents parviennent à faire fortune et s’épanouir sans que l’école n’ait réussi le pari étonnant de faire autre chose qu’à les dégoûter de leur scolarité (le livre de Robinson est plein du récit de leurs vies), mais combien d’« enfants dont pas un seul ne rit » ont sombré dans la rancœur ? dans le dégoût de soi et de tout, et que séduit par les extrémistes de tout poil, ils ont sombré dans la haine, la violence et le meurtre ? La séduction, du latin « seducere », c’est emmener à part, à l’écart de notre belle société policée. C’est donc conduire, mener à soi et puis tromper. Et que fait d’autre l’état islamique ? Il séduit. La séduction, c’est le contraire de l’éducation, qui consiste à élever, à instruire. Mais il faut être là à temps. Et si la violence, c’est l’absence de langage (c’est Sartre qui le dit), alors je vois qu’il faut éduquer, parler avec ces enfants qui voudraient réduire des hommes au silence.
Plus que jamais notre rôle – celui de parent, celui d’enseignant, celui de la République – est d’une importance fondamentale. Plus que jamais je suis pressé d’ouvrir la porte de ma salle pour éduquer et ne jamais séduire pour que mes élèves ne deviennent pas un Érostrate mais un Théodore de Samos.
Lisez ces quelques textes, et trouvez tous les mots qui vous semblent venir d’une langue étrangère : l’anglais, le russe, l’arabe, etc. Vous découvrirez alors que le français, cette langue indo-européenne, contient de nombreux mots d’origine étrangère.
Les réponses demain !
1. L’anglais
Marc avait mis un jean confortable, un t-shirt et un pull. Le cours de français avait été un peu stressant (il y avait eu un test compliqué). En plus, il était arrivé en retard, car il avait raté le bus. Arrivé sur le parking, il avait jeté son chewing-gum. OK, il pouvait maintenant y aller. Il flippait un peu, mais rentra tout de même en classe. Le prof était de mauvaise humeur. Vraiment Marc n’était pas fan de cette matière. Il préférait le sport : jouer au foot, piquer un bon sprint, faire un bon match quoi ! Il adorait les penaltys. Là, Marc était une vraie star ! Mettant son short préféré, il y jouait chaque weekend. En rentrant, une douche, un gros shampooing. Après ça, direction le fast-food et un peu de shopping avec ses parents.
2. Le russe
Il faisait un froid de canard. Marc appuya sur l’icône du GPS et trouva un petit bistro pas loin. Hourra ! Il entra, retira sa chapka. Malheureusement, il n’avait pas un kopeck. Par chance, il connaissait son voisin de table : un type gigantesque et chevelu, une espèce de mammouth qui, étrangement, sentait, le mazout. Celui-ci lui proposa de la vodka. Marc, encore un peu jeune, répondit : « Niet ! »
3. L’arabe
Il n’allait quand même pas boire de l’alcool ! Un café serait parfait.
À côté d’eux, deux Maghrébins étaient assis. L’homme arborait un superbe chèche en coton. La fille, quant à elle, portait une jupe orange. À leurs pieds, un clebs patientait. L’homme et la fille jouaient aux échecs. Marc kiffait ce jeu dans lequel le hasard ne comptait pas. C’était mathématique ! D’ailleurs, il adorait les chiffres. Mais, de toute évidence, face à de tels joueurs, zéro chance ! La fille gagna la partie. Ils commandèrent alors un couscous et une carafe d’eau. L’ami de Marc commanda un simple taboulé. Ça ne faisait pas bésef pour deux. Cela lui ficha le cafard.
4. L’allemand
En regardant dehors, Marc fut surpris de découvrir sur les boulevards une calèche ! Une pauvre rosse prenait des coups de cravache par le cocher, un loustic blafard ressemblant à un vampire.
Alors qu’il se servait de petits verres de kirsch sur le zinc du comptoir et que des clients joyeux trinquaient, Marc sortit. Le jeune homme se hissa dans un bus qui passait là. Poursuivant son chemin à pied, il passa devant le terrain de handball qu’un employé nettoyait au karcher. Plus loin, un musicien jouait à l’accordéon une valse. Un passant saisissant sa femme par le bras l’invita à danser.
Chez lui, Marc fut heureux de découvrir que sa mère avait préparé un rôti accompagné de nouilles. Chic !
5. L’espagnol
Après le repas, Marc alla s’allonger un peu dans le hamac faire une petite sieste. Il fit un rêve étrange : des alligators pourchassaient des mustangs sur un volcan et une tornade les emporta tous. Les voisins à côté faisaient un barbecue et des odeurs de chorizo, du lomo, de gambas, de patates grillées, de tomates, de piments chatouillèrent ses narines. Les guitares achevèrent de le réveiller. C’étaient des gitans qui portaient des santiags. L’un d’eux jouait des bongos. Au reste, un moustique lui sifflait dans les oreilles. Marc aperçut son père qui avait allumé un petit braséro, s’était servi des cacahuètes et un mojito. Il fumait un petit cigare. Marc détestait l’odeur du tabac, mais le cigare, ça allait. Il se leva pour aller dans la cuisine. Des odeurs de chocolat et de vanille en émanaient.
6. Latin
Marc en profita pour lire un album qui traînait sur une étagère sur laquelle se trouvaient différents objets : un silex, un tas de médiators, une caméra, etc.
En s’asseyant, il se cogna le tibia. Ensuite, il s’assit juste à côté de l’aquarium. Il se gratta l’oreille. Un peu de cérumen collait au bout de son doigt. Quand il eut fini, il prit son agenda et constata qu’il avait bientôt des examens. Primo, il ne travaillait pas beaucoup. Secundo, cela ne l’intéressait pas et tertio, en plus du sport, la musique lui prenait beaucoup de temps (il jouait dans un quatuor). Quoi qu’il en soit, il devait apprendre quatre feuilles recto verso. Et encore ! C’était le minimum ! Il devait aussi savoir traduire un texte du latin en français et vice versa ! De plus, il avait perdu beaucoup de temps à travailler gratis pour son oncle ! Marc était furax ! Il alla grignoter un gâteau sans gluten pour passer le temps. Tout à coup, il éternua violemment. Il avait dû attraper un méchant virus.
7. Grec
Marc avait très mal au larynx. Il monta sur sa bicyclette et se dirigea vers la pharmacie la plus proche. Mais comme il habitait dans la périphérie de la ville, c’était fort loin. Il passa devant un stade où des athlètes s’entraînaient, passa devant le musée, le cinéma, la bibliothèque la cathédrale puis le théâtre. Il passa même devant son lycée (il avait d’ailleurs emporté son sac qui pesait des kilos). Celui-ci était tout à côté de l’hippodrome. Plus qu’un sens giratoire et il arrivait. Catastrophe ! Il trébucha sur un gros morceau de plastique et tomba sur l’asphalte. Il se cogna la tête mais en fut quitte pour une grosse céphalée.
Réponses :
1. L’anglais
Marc avait mis un jeanconfortable, un t-shirt et un pull. Le cours de français avait été un peu stressant (il y avait eu un test compliqué). En plus, il était arrivé en retard, car il avait raté le bus. Arrivé sur le parking, il avait jeté son chewing-gum. OK, il pouvait maintenant y aller. Il flippait un peu, mais rentra tout de même en classe. Le prof était de mauvaise humeur. Vraiment Marc n’était pas fan de cette matière. Il préférait le sport : jouer au foot, piquer un bon sprint, faire un bon match quoi ! Il adorait les penaltys. Là, Marc était une vraie star ! Mettant son short préféré, il y jouait chaque weekend. En rentrant, une douche, un gros shampooing. Après ça, direction le fast-food et un peu de shopping avec ses parents.
2. Le russe
Il faisait un froid de canard. Marc appuya sur l’icône du GPS et trouva un petit bistro pas loin. Hourra ! Il entra, retira sa chapka. Malheureusement, il n’avait pas un kopeck. Par chance, il connaissait son voisin de table : un type gigantesque et chevelu, une espèce de mammouth qui, étrangement, sentait, le mazout. Celui-ci lui proposa de la vodka. Marc, encore un peu jeune, répondit : « Niet ! »
3. L’arabe
Il n’allait quand même pas boire de l’alcool ! Un café serait parfait.
À côté d’eux, deux Maghrébins étaient assis. L’homme arborait un superbe chèche en coton. La fille, quant à elle, portait une jupeorange. À leurs pieds, un clebs patientait. L’homme et la fille jouaient aux échecs. Marc kiffait ce jeu dans lequel le hasard ne comptait pas. C’était mathématique ! D’ailleurs, il adorait les chiffres. Mais, de toute évidence, face à de tels joueurs, zéro chance ! La fille gagna la partie. Ils commandèrent alors un couscous et une carafe d’eau. L’ami de Marc commanda un simple taboulé. Ça ne faisait pas bésef pour deux. Cela lui ficha le cafard.
4. L’allemand
En regardant dehors, Marc fut surpris de découvrir sur les boulevards une calèche ! Une pauvre rosse prenait des coups de cravache par le cocher, un lousticblafard ressemblant à un vampire.
Alors qu’il se servait de petits verres de kirsch sur le zinc du comptoir et que des clients joyeux trinquaient, Marc sortit. Le jeune homme se hissa dans un bus qui passait là. Poursuivant son chemin à pied, il passa devant le terrain de handball qu’un employé nettoyait au karcher. Plus loin, un musicien jouait à l’accordéon une valse. Un passant saisissant sa femme par le bras l’invita à danser.
Chez lui, Marc fut heureux de découvrir que sa mère avait préparé un rôti accompagné de nouilles. Chic !
5. L’espagnol
Après le repas, Marc alla s’allonger un peu dans le hamac faire une petite sieste. Il fit un rêve étrange : des alligators pourchassaient des mustangs sur un volcan et une tornade les emporta tous. Les voisins à côté faisaient un barbecue et des odeurs de chorizo, du lomo, de gambas, de patates grillées, de tomates, de piments chatouillèrent ses narines. Les guitares achevèrent de le réveiller. C’étaient des gitans qui portaient des santiags. L’un d’eux jouait des bongos. Au reste, un moustique lui sifflait dans les oreilles. Marc aperçut son père qui avait allumé un petit braséro, s’était servi des cacahuètes et un mojito. Il fumait un petit cigare. Marc détestait l’odeur du tabac, mais le cigare, ça allait. Il se leva pour aller dans la cuisine. Des odeurs de chocolat et de vanille en émanaient.
6. Latin
Marc en profita pour lire un album qui traînait sur une étagère sur laquelle se trouvaient différents objets : un silex, un tas de médiators, une caméra, etc.
En s’asseyant, il se cogna le tibia. Ensuite, il s’assit juste à côté de l’aquarium. Il se gratta l’oreille. Un peu de cérumen collait au bout de son doigt. Quand il eut fini, il prit son agenda et constata qu’il avait bientôt des examens. Primo, il ne travaillait pas beaucoup. Secundo, cela ne l’intéressait pas et tertio, en plus du sport, la musique lui prenait beaucoup de temps (il jouait dans un quatuor). Quoi qu’il en soit, il devait apprendre quatre feuilles recto verso. Et encore ! C’était le minimum ! Il devait aussi savoir traduire un texte du latin en français et vice versa ! De plus, il avait perdu beaucoup de temps à travailler gratis pour son oncle ! Marc était furax ! Il alla grignoter un gâteau sans gluten pour passer le temps. Tout à coup, il éternua violemment. Il avait dû attraper un méchant virus.
7. Grec
Marc avait très mal au larynx. Il monta sur sa bicyclette et se dirigea vers la pharmacie la plus proche. Mais comme il habitait dans la périphérie de la ville, c’était fort loin. Il passa devant un stade où des athlètes s’entraînaient, passa devant le musée, le cinéma, la bibliothèque, la cathédrale puis le théâtre. Il passa même devant son lycée (il avait d’ailleurs emporté son sac qui pesait des kilos). Celui-ci était tout à côté de l’hippodrome. Plus qu’un sens giratoire et il arrivait. Catastrophe ! Il trébucha sur un gros morceau de plastique et tomba sur l’asphalte. Il se cogna la tête mais en fut quitte pour une grosse céphalée.
La semaine dernière, ma fille aînée s’est cassé le bras. Elle s’est fait terriblement mal, n’est pas allée en classe et a manqué quelques jours de classe. Elle a dû alors rattraper les cours qu’elle n’avait pas suivis. Or la chose n’est pas aisée. Nombre d’enseignants voudraient le croire, nombre d’entre eux vous expliqueront qu’ils se débrouillaient tout seuls quand ils étaient élèves (éventuellement avec des insultes, mais ils vous l’expliqueront ou, plus précisément, ils vous assèneront leur opinion avec insulte éventuellement).
Il me semble que la plupart des difficultés rencontrées par un élève qui a été absent pourraient disparaître si les cours des enseignants étaient en ligne. Le présent billet ambitionne d’expliquer pourquoi. Un autre expliquera comment.
Mettre ses cours en ligne
En « discutant » sur Twitter, j’ai pu constater un premier quiproquo. Quand je dis « mettre les cours en ligne », j’entends par « cours » tout ce qui pourrait prendre place dans un cahier ou un classeur. Cela comprend les documents que vous auriez pu photocopier ainsi que la leçon que vous avez dictée ou faite en classe, ce qu’on nomme parfois si disgracieusement la « trace écrite ».
Il va de soi que cette « trace » n’est que le pâle reflet de ce qui fait toute la richesse d’un cours : la stratégie pédagogique mise en œuvre, les explications orales, les interventions des élèves, etc. À moins que vous ne soyez jusqu’au-boutiste, vous n’allez tout de même pas placer une webcam dans votre salle pour tout filmer et mettre sur YouTube ! Outre les problèmes que cela pourrait poser (droits, poids du fichier…), ça aurait un petit côté NSA. Notez tout de même que la chose serait assez aisée : placez une tablette, allumez la caméra et diffusez.
Mais, par pitié, n’invoquez pas votre salaire pour ne rien faire. J’expliquerai dans un autre billet comment mettre des cours en ligne en 2 minutes chrono, mais quoi qu’il en soit il faut bien admettre que le numérique ne doit pas constituer nécessairement une charge de travail (ce qui peut bien souvent être le cas), mais au contraire aider l’enseignant à faire les choses mieux, plus vite et plus efficacement. Dans le cas contraire, à quoi serviraient les machines ? Pourquoi avoir des ordinateurs ?
À ce propos, il faut se sortir de la tête l’idée fausse que les machines remplaceront les enseignants. Pascal Labout, dans son documentaire L’école du futur, a bien montré ce qu’il en était quand d’aucuns envisageaient de mettre des élèves sans professeur face à des ordinateurs. Sans véritable contact humain, l’enfant s’appauvrit, déprime et n’apprend pas. Développer ce point m’amènerait assez loin de mon sujet, mais je crois fortement, comme je l’ai lu chez Clive Thompson dans Smarter than you think, que l’homme doit travailler avec la machine. L’homme est alors une sorte de centaure (tenant à la fois de l’humain et de l’ordinateur) dont j’ai un peu parlé dans l’article Dialogue sur le numérique à l’école.
Le cours en ligne
Le cours en ligne ne se substitue pas au véritable cours (comment le pourrait-il ?), mais constitue un prolongement assez banal du processus d’apprentissage, le même qui fait qu’un élève possède un cahier. C’est d’ailleurs là la fonction de l’écriture, celle de permettre d’inscrire durablement les choses dans la mémoire. Rien de neuf depuis Socrate. Un élève a besoin d’apprendre lorsqu’il rentre chez lui, et sa mémoire n’étant pas infaillible, il a besoin de noter ce qui a été dit.
Il peut avoir mal noté, il peut avoir oublié de noter quelque chose, il peut avoir mal compris, il peut n’avoir pas noté et ce sont alors les parents qui auront peut-être le besoin de savoir ce qui a été noté, si d’aventure l’enfant essaie de se dérober à la charge de travail qui lui incombe. Et s’il a été absent, il n’a évidemment rien noté du tout.
Il y a donc une réelle nécessité, pour telle ou telle raison, de pouvoir accéder au travail qui a été fait. La technique le permettant aisément, il n’y a aucune raison pour qu’on ne donne pas cet accès. Cela d’autant plus que le cours en ligne se partage, il se diffuse, il s’enrichit des commentaires des visiteurs. Et en cela, il y a du neuf depuis Socrate : l’écrit ne fixe plus une pensée qui abandonne la richesse du dialogue (1). Vous pouvez alors nuancer, expliquer à nouveau et même vous corriger. Quand on partage un cours sur Evernote, par exemple, un élève ou un parent peut à tout moment poser une question. À ce propos, je peux vous affirmer que depuis le temps que je donne mon adresse email, personne n’en a abusé. Ma vie privée n’est pas violée, perturbée, envahie par le domaine professionnel. De temps à autre, une question est posée : « Monsieur, c’est bien ça qu’il faut faire ? », « Monsieur, c’est bien ceci qu’il fallait comprendre ici ? », et c’est à peu près tout.
Les élèves présents ont donc besoin de vous, mais si ceux-là ont ce besoin que dire des élèves qui n’étaient pas là ?
Les absents
Ils ont toujours tort. C’est à ce point que, dès qu’on parle d’absent, on pense absentéisme. Même, parfois, ce dernier remplace le premier. On parle d’absentéisme, comme on parle de technologie au lieu de technique, de problématique au lieu de problème, etc. L’absent est suspect. Où était-il ? Était-il absent pour un véritable motif ?
Pire encore. L’enseignant estime bien souvent que l’élève doit se débrouiller pour rattraper les cours. Il estime que c’est LE travail de l’élève. Or rien n’est plus faux. Voici pourquoi.
Le travail de l’élève consiste à apprendre, pas à dénicher par tous les moyens le cours. L’élève qui a été absent dépense une énergie considérable (non pas à apprendre) mais à contacter (par téléphone, mail, SMS voire les réseaux sociaux) des élèves susceptibles de lui transmettre les cours.
Cette transmission doit se faire le plus souvent avant la reprise des cours. L’élève sérieux aura à cœur d’arriver en classe en ayant rattrapé ce qu’il a manqué. Le weekend est donc dévolu à une lente et parfois infructueuse recherche : tel élève ne répond pas, tel autre ne donne qu’une partie des devoirs. Celui-ci a oublié de transmettre telle info (« Au fait, désolé, j’ai oublié de te dire que là, y a contrôle »), celui-là a délibérément omis de transmettre telle partie du cours, rivalité oblige. Si, si ! Vous pouvez me croire. Je suis et enseignant et parent.
La photocopie est frappée d’inanité : elle arrive quand l’élève est revenu. L’élève découvre ce qu’il y avait à faire pour le cours qui va être fait. C’est un non-sens. Le rattrapage des cours est une lutte contre le temps : l’absent rattrape le passé pour suivre ce qui va se passer. Je crois que les choses sont assez compliquées, y compris pour un bon élève, pour qu’on ne le laisse pas se dépatouiller ainsi.
On ne peut, pour maintes raisons susmentionnées, s’en remettre à des élèves pour qu’un rattrapage soit effectué. C’est un peu pour la même raison que pour les devoirs : si on estime que c’est hors de l’école que le travail doit être effectué, on délègue. On reconnaît que le travail scolaire se fait hors de l’école. C’est, à mon humble avis, un autre non-sens. Un peu comme si on demandait à un boulanger de finir ses baguettes à la maison… Ça n’a pas vraiment de sens. La direction, c’est celle de l’école, pas celle de la maison.
Ce que fait l’Éducation nationale
L’école se désintéresse de la question du rattrapage. Je dis l’école comme je dirais l’institution. Rien n’est mis en place, rien n’est organisé. On s’en remet à la seule bonne volonté des uns et des autres, des élèves, des enseignants ou des parents. Dans le fond, l’institution s’en fout un peu. C’est peut-être pour ça que 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification. Peut-être qu’une aide leur a fait défaut, leur a certainement fait défaut (je sais bien que tel ou tel enseignant se dira que certaines grosses feignasses ne veulent rien faire… mais on n’est pas obligé d’avoir l’élève en suspicion).
Ma fille aînée, toujours, a eu, après une lourde opération du dos, huit mois d’absence (là, c’était beaucoup plus grave que le coude cassé). Que propose l’Éducation nationale ? Un peu de SAPAD qui n’a pas eu lieu ? Un peu de CNED qui vous explique que quand vous êtes sous morphine, vous n’êtes décidément pas très productif ? En fait, seuls les collègues – mes merveilleux et super collègues que je ne remercierai jamais assez – se sont démenés, sont venus à la maison, à l’hôpital pour apporter à ma fille une aide qui plus est gratuite !
Chacun va donc se débrouiller, faire comme il peut et on verra bien. Et que voit-on ? De l’échec scolaire. Quand on a rencontré les chirurgiens pour notre fille, c’est la première chose que l’on nous a demandée : quel est son niveau scolaire ? Car les difficultés scolaires sont bien souvent le lot de tous ces nombreux élèves hospitalisés (2).
Or il devrait exister une prise en charge des élèves absents, une vraie (pas un simulacre) quitte à créer des emplois, ce qui me semblerait une bonne chose, non ? Parce qu’il faut quand même le reconnaître, le seul argument valable qui m’ait été donné sur Twitter, c’est que l’élève a besoin d’explications, d’une véritable aide, pas seulement d’une photocopie ou d’un cours en ligne. Ne pouvant remonter le temps et ne bénéficiant que du seul cahier, l’absent a manqué d’importants moments. Ces moments ne peuvent être récupérés que par un planning dûment organisé, mais un tel planning n’existe pas ou peu. Il va aussi de soi qu’une absence ponctuelle ne saurait avoir autant d’impact que des absences répétées et que la prise en charge ne saurait être la même.
En somme, le cours en ligne n’est qu’un pis-aller, mais c’est toujours mieux que rien.
Notes
1 – C’est que l’écriture, Phèdre, a, tout comme la peinture, un grave inconvénient. Les œuvres picturales paraissent comme vivantes ; mais, si tu les interroges, elles gardent un vénérable silence. Il en est de même des discours écrits. Tu croirais certes qu’ils parlent comme des personnes sensées ; mais, si tu veux leur demander de t’expliquer ce qu’ils disent, ils te répondent toujours la même chose. Une fois écrit, tout discours roule de tous côtés ; il tombe aussi bien chez ceux qui le comprennent que chez ceux pour lesquels il est sans intérêt ; il ne sait point à qui il faut parler, ni avec qui il est bon de se taire. S’il se voit méprisé ou injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père, car il n’est pas par lui-même capable de se défendre ni de se secourir. (Phèdre)
1 – Je précise que ma fille n’a aucune difficulté scolaire. Je le précise, car je devine aisément qu’on me reprocherait de l’amertume, de l’aigreur (certains l’ont déjà fait) et qu’on me reprocherait de ne m’intéresser à tout cela qu’en raison des résultats de ma progéniture. Merci. Ils sont très bons, mais l’excellence scolaire est le fruit du travail, pas toujours facilité, et en aucun cas des fées qui se sont penchées sur son berceau.
Nul doute que le nouveau marronnier journalistique (ce n’est pas un peu tautologique, ça ?) soit l’addiction aux smartphones. Les articles mentionnant notre incapacité à décoller de nos écrans semblent croître de façon exponentielle.
Cela dit, il n’est pas tout à fait étonnant que l’on s’inquiète de la fascination qu’exercent nos téléphones tant il est vrai que la contemplation de nos écrans ne semble jamais prendre fin. Nous serions accros. Twitter par ci, un jeu par là…
Je souscrirais volontiers à une telle affirmation si celle-ci ne me semblait un rien sujette à caution : tout d’abord, n’y a-t-il rien de plus grave que cette addiction ? Au pif, l’alcool ou la drogue ? Enfin, sommes-nous si bêtes que ça ? Un écran suffirait à happer toute notre attention ? Des écrans, il y en a dans tous les foyers depuis des décennies. Le problème n’est donc pas nouveau. Mais il s’est déplacé dans nos poches. La télévision était accusée de tous les maux. À présent qu’on ne la regarde plus, il faut bien trouver un nouveau coupable. L’écran, qui par métonymie change d’objet pour désigner nos smartphones voire notre tablette ou notre ordinateur, est désormais le réceptacle de nos d’angoisses.
Qu’est-ce qu’un écran ?
Mais que recouvre exactement ce terme d’écran ? Étymologiquement, il n’est qu’un paravent, une bête surface. L’humanité n’a pu démériter à ce point qu’elle sombre dans la contemplation béate d’un objet plat.
Alors, en effet, quand je dis « mon écran », c’est affreusement réducteur. Qu’y a-t-il derrière cet écran ? Prenons le cas de mon téléphone. Que regardè-je derrière mon écran ? Mon courrier, les photos que j’ai prises avec l’appareil photo du téléphone (et parfois même je les retouche, les annote…). Je lis beaucoup : des livres (même si je préfère pour ça mon iPad ou ma liseuse). Mais en fait, tout ce qui se lit est sur mon téléphone (ou le vôtre) : la littérature, les dictionnaires, les encyclopédies, même les pages jaunes ! La presse bien entendu et dieu (celui que vous voulez) sait qu’elle s’est étendue depuis l’avènement du web. J’écoute la radio (ça passe mieux via les données cellulaires que via ma bonne vieille radio). Mon calendrier accapare beaucoup de mon temps : je note tout et une double alarme me rappelle ce que j’ai déjà oublié. Je regarde des films, de petites vidéos (sur YouTube par exemple), mais aussi ta télévision (Arte, Netflix que je projette sur ma télé via Chromecast ou l’Apple TV). La musique prend une grande place (surtout en Go). Je prends beaucoup de notes (Evernote, merci d’exister). Accessoirement, je téléphone, mais je n’en abuse pas. Je ne sais plus à quoi ressemble une miss météo. Pour moi, c’est Yahoo ! Mon téléphone me guide lorsque je choisis un des 5 ou 6 GPS que j’ai installés. Le musicien en moi n’est pas encore tout à fait mort, alors le métronome retentit parfois à partir du téléphone. J’y lis même mes partitions. Je joue de temps à autre…
Donc je suis accro à tout ça, non pas à mon écran, mais à tout ça.
Et ce n’est rien.
Je pourrais continuer à multiplier les exemples que le terme écran permet abusivement de résumer : l’activité sportive est quantifiée (le Jawbone est à mon poignet depuis un an). Je pourrais tout aussi bien contrôler ma chaudière depuis mon smartphone. On sait qu’avec la prolifération des objets connectés, je pourrais contrôler mon poids via ma balance, je pourrais ouvrir ma maison à distance pour mes enfants dont le prof est absent et qui sont rentrés plus tôt. Je vais bientôt pouvoir démarrer ma voiture avec le smartphone.
Et on pourrait continuer sur dix pages ainsi.
Multiplicité et nouveauté des usages
Être accro aux écrans, qu’est-ce que ça veut dire in fine ? Dans la mesure où l’écran concentre aujourd’hui tout ce qui était éparpillé hier ? Si grand-pépé, en 1928, avait lu ses journaux, écouté sa musique, vu ses films, lu son courrier sur un écran, vérifié sur son calendrier ses cycles menstruels, ouvert sa porte, etc. qu’aurait-on dit de lui ? Qu’il était accro à tout cela ? Ce ne serait venu à l’esprit de personne. Personne n’y aurait d’ailleurs songé. En vérité, je ne suis ni accro à mon écran ni à l’ensemble de ce qui a été mentionné, simplement cette soi-disant addiction recoupe le temps passé à faire tout ce qui peut être fait, qui nécessitait hier une multitude de supports et qui est aujourd’hui concentré en un seul appareil.
Cependant, force est de reconnaître que les écrans ont fait apparaître des usages qui n’existaient pas hier (je pense aux réseaux sociaux), ont donné accès à des tâches qui étaient réservées à des professionnels (édition, montage vidéo entre autres). Et oui, on y passe donc beaucoup de temps. Trop. Probablement. Mais ce n’est pas en écrivant des articles tout pourris que l’on y changera quoi que ce soit.
La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. @Lannoy29 – de son vrai nom Ghislain Dominé – a quitté Twitter suite aux admonestations de sa hiérarchie. Celle-ci lui reproche un bien innocent billet, une réflexion salutaire menée sur les enjeux pédagogiques qu’induisent le numérique ou plus précisément l’état de l’école modifiée à coups de plans (informatiques, numériques) peu convaincants.
Je n’ai pas l’intention de m’étendre sur les tenants et les aboutissants de cette histoire. Je n’ai pas non plus l’intention de prendre la parole à la place d’un ami qui, s’il le désire, le fera lui-même. Je ne prendrai pas même le temps de développer une prétérition en disant qu’il est bien malvenu de faire tant de publicité à un problème aussi délicat (mais j’en fais à mon corps défendant).
En revanche, j’exprimerai ma compassion. Littéralement, je souffre avec. Je suis bouleversé par ce qui arrive à Ghislain. La cause est évidente : un être qui vous est cher ainsi malmené ne peut qu’attrister. Mais, même si je ne le connaissais pas, je saurais qu’un tel individu si talentueux, un atout, une recrue inestimables ne saurait être inquiété. Il a fait tellement, et il fera encore tant qu’on ne saurait se passer de lui. L’ami ne risque rien. Hélas ! Comme il le dit lui-même, « Si tu ramènes un 18 et un 5 sur 20, on ne te parlera que de cette dernière note ». Or ce billet – aux yeux de sa hiérarchie – est son 5/20, et c’est cela qui transparaît dans l’assurance de sanctions à son encontre.
Qu’est-ce qui me bouleverse donc à ce point, ne cessè-je me répéter depuis hier ? J’ai fini par trouver la réponse dans la matinée. Je suis déçu. Au sens étymologique. Trompé. Avec l’arrivée de Vincent Peillon, on avait retrouvé le sourire et la confiance. Il était fini ce quinquennat présentant les fonctionnaires comme des poids morts pour la société. Annoçant la Refondation, il était alors évident que des individus comme Ghislain pourraient s’envoler, et faire bénéficier l’Éducation d’un potentiel alors inexploité.
Je vois désormais mon erreur : le fonctionnement pyramidal de l’Éducation ne permettra pas aisément que l’on s’exprime honnêtement, que l’on écrive les fruits d’une pensée qui tâtonne et cherche par son regard critique à avancer dans la bonne direction.
Pire encore : on infantilise l’enseignant. Celui-ci se fait taper sur les doigts. Lui est rappelé sa triste condition d’inférieur dans l’édifice pyramidal. L’horizontalité est une idée, un leurre, tout comme l’est ce plan numérique que François Hollande n’a pas encore mis en place et qui ne le sera jamais tant que des acteurs majeurs comme Ghislain ne peuvent s’exprimer. On peut économiser 800 millions d’euros…
Je ne dirai pas qu’il a été censuré. Ghislain a pris lui-même la décision de tout arrêter. Comme il le dit lui-même, c’est un être entier. Non, il a été rappelé à l’ordre. On lui a signifié ce qu’il est et ce qu’il doit être : un enfant. En latin, l’enfant est celui qui ne parle pas. Un enfant pris dans le sacré pyramidal (la hiérarchie, c’est le sacré, au sens propre), et qui n’a pas la parole.
Les enseignants sont-ils les enfants de l’Éducation nationale, des enfants méprisés ? Ce serait bien triste.
Loin des débats qui vont agiter Twitter, je voudrais simplement rappeler cette tristesse, qui est avant tout celle d’un ami.
Il n’y a pas que la nudité de Jennifer Lawrence qui s’est affichée sur les réseaux sociaux, il y a aussi et surtout sa vie privée. On pourrait confondre les deux, mais la vie privée ne consiste pas à se mettre nu chez soi ou même à se photographier nu, mais bien à faire ce que l’on veut dans la sphère de l’intimité.
Or c’est à nouveau, un peu à la suite de la NSA, ce droit dont il est question quand une actrice s’en voit privée. D’aucuns pensent que la nature du problème n’est pas le piratage, la faille de sécurité, mais la nudité de l’actrice. C’est un peu, comme ça a été dit ici ou là, la version du : « si elle s’est fait violer, c’est parce qu’elle portait une jupe ».
D’autres estiment qu’il ne saurait y avoir de vie privée sur internet, qu’il ne fallait pas (doit-on leur donner tort, au reste ?) mettre de telles photos en ligne. Malheureusement, c’est oublier un point important : aujourd’hui, internet n’est pas un domaine isolé du monde. Ce n’est pas un bureau de poste où s’effectueraient certaines opérations : c’est l’épicentre de notre monde (je pique l’expression à Glenn Greenwald). C’est là où on se fait des amis, qu’on rencontre son conjoint, c’est là qu’on choisit ses livres, ses films, qu’on organise ses voyages, où l’on expose ses idées, et… où l’on stocke ses données privées. Notre personnalité et notre intimité sont désormais liées au numérique.
Certains, aidés par Google ou Facebook voire la NSA, se sont persuadés que la vie privée n’avait pas d’importance, que si on n’a rien à cacher, on n’a rien craindre. Eh bien l’actualité vient, une fois encore, de prouver le contraire.
La vie privée est importante, et, malheureusement pour elle, une partie se trouve sur internet. Raison pour quoi il va falloir la confier à des entreprises fiables, si tant est qu’elles puissent l’être face à la malveillance d’un pirate quand ce n’est pas une malveillance institutionnelle.
Avant de clore ce billet, je voudrais affirmer encore une fois l’importance de la vie privée y compris sur internet. Et même si Google ou Facebook s’efforcent de nous faire accroire qu’il n’en est rien, il faut le redire : tout le monde a quelque chose à cacher. Vous ne voulez pas que votre employeur sache que vous cherchez un autre emploi, vous ne déballez pas votre vie amoureuse devant vos enfants ou parents. Vous ne communiquez pas vos secrets commerciaux à des concurrents. Vous ne communiquez pas votre numéro de carte bleue sur Twitter. Vous n’avez pas envie que vos photos soient exposées aux quatre vents.
L’absence de vie privée est un mensonge, même sur internet.
D’aucuns y voient une évidence : il faut apprendre aux enfants le code. Du primaire au lycée, coder deviendrait une nécessité que je n’ose pour l’instant qualifier, tant les objectifs visés par cette injonction me semblent sujets à caution.
Tout d’abord, disons d’emblée que le singulier me saute aux yeux. Je suppose qu’il y a là une analogie avec le code de la route : il y aurait un code à apprendre. Rien n’est si éloigné de la réalité.
Puis, je remarque l’emploi absolu du verbe : coder quoi ? On ne sait pas, il n’y a pas de complément d’objet. Ce peut être tout et n’importe quoi ; peut-être cela n’importe-t-il d’ailleurs pas. L’important est de coder !
Pour quoi faire ? On ne sait pas trop au juste. Les propos d’Axelle Lemaire tendent à montrer qu’il y a là une nécessité sociétale, les emplois à venir requérant cette compétence qui font si cruellement défauts à nos enfants, alors que nos voisins anglo-saxons imposent dorénavant l’apprentissage du singulier intransitif susnommé. J’espère qu’ils ont été plus précis dans la définition du programme.
L’humanisme 2.0
Pas un enseignant ne se plaint de la boursouflure gargantuesque dudit programme. Les ambitions de l’école tiennent un peu de la gourmandise intellectuelle de Grangousier écrivant à son jeune fils, à ceci près qu’on ne veut plus enseigner l’hébreu ni le grec, mais « le code ».
Et c’est bien aux langues que l’on compare l’apprentissage du code : « On apprend l’anglais, le chinois, il faut apprendre à coder ! »
Vous remarquerez, au passage, à quel point on fait fi de la distinction saussurienne entre langue et langage, comme si c’était une seule et même chose. Mais comme personne n’explique quel langage informatique apprendre, je suppose que ce n’est pas bien grave.
Au reste, si l’on veut absolument créer une nouvelle matière (avec, dans le même temps un CAPES ou une agrégation informatiques), je me demande vraiment où on va la placer dans l’emploi du temps d’élèves déjà sursollicités. Quelles matières devront être sacrifiées sur l’autel de la modernité ? Le latin, le français, la SVT ?
Si l’on doit couper dans le tas, je souhaiterais alors que les choses soient très claires : disons aux parents, aux élèves, aux associations, à qui vous voulez que le niveau ne baisse pas, il change, on forme les enfants selon des impératifs qui varient selon les époques.
Et, enfin, si enseignement du code il devait y avoir, il me semblerait être un formidable bond en arrière. À l’heure où Thomson revient sur la scène commerciale, tout cela n’est pas sans rappeler le Plan informatique pour tous. Faut-il rappeler les raisons de son échec ? A-t-on déjà oublié ?
Éduquer au numérique d’abord
Mais il y a pire. On le sait, les établissements scolaires ne sont pas suffisamment équipés en matériel informatique. Si mes souvenirs sont bons, il doit y avoir quelque chose comme 1 machine pour 17 collégiens. Voudra-t-on enseigner le code sur cahiers de 300 pages à grands carreaux ?
Cette indigence matérielle a des conséquences : l’éducation au numérique échappe totalement à l’Éducation nationale. Si les élèves passent plus de temps devant leur écran que dans une salle de classe, peu d’entre eux savent réellement se servir d’un ordinateur. La plupart de mes élèves ne font pas la différence entre Google et un navigateur internet. Ils ignorent ce qu’est un moteur de recherche, ne savent d’ailleurs pas s’en remettre à d’autres, ignorent tout des techniques qui ont pu présider au classement des liens qui leur sont proposés. En un mot (car je pourrais continuer longtemps ainsi), il me semble parfois que le concept de littératie ait été inventé pour eux.
Or c’est bien là le problème. Il me semble qu’il y a bien plus urgent qu’enseigner un code, tant la nécessité d’initier au numérique est urgente. De ce point de vue, il faut battre en brèche l’idée que l’apprentissage du code est nécessaire. Veut-on créer un site ? A-t-on besoin d’apprendre le HTML, le CSS ou le JavaScript (ni langue, ni langage d’ailleurs) ? Franchement, à part pour le défi intellectuel que cela représente, pour assouvir la passion qui peut en découler, non. Je le sais, je l’ai fait. Dans un sursaut d’orgueil, j’ai mis mon site à la poubelle, et je l’ai refait entièrement avec mes petites mains et mon éditeur de texte. Ça a été un défi, ça m’a passionné et me passionne toujours, mais aujourd’hui, je le regrette. Il me serait plus confortable d’utiliser un CMS. Je gagnerai un temps fou, comme je gagne beaucoup de temps à démarrer ma voiture ou utiliser mon micro-onde sans comprendre le moins du monde ce qu’il se passe à ce moment.
L’hybris numérique
La vulgate voudrait que l’utilisateur passe de consommateur à acteur, comme si l’apprentissage du code allait, comme le prétend la secrétaire d’État au numérique, vous permettre de modifier un smartphone. Croit-on vraiment cela ? Vous voyez une génération d’utilisateurs modifiant à la main le firmware de leur routeur, codant au passage une blagounette en assembleur à destination de la NSA ?
Soyons sérieux.
Et d’où vient cette passion pour le software ? Pourquoi personne n’insiste sur la maîtrise du hardware ? Pourquoi ne mettrions-nous pas un fer à souder entre les mains de nos enfants ? Parce que c’est impossible voire superfétatoire. À moins de faire miroiter à notre collégien la confection d’un smartphone de 15 pouces…
La seule raison qui me ferait admettre l’enseignement du code, ce serait pour des motifs purement intellectuels, pour la rigueur, pour le fun, mais pas sous des prétextes fallacieux de geek en herbe. Que l’on nous épargne cette vision complaisante présentant les gamins comme de petits hackers ne demandant qu’à être éveillés, toisant l’industrie californienne de leur supériorité à venir. Voilà une forme d’hybris numérique, en somme.
Et surtout que l’on équipe les établissement d’abord, que l’on s’acquitte du nécessaire ensuite (éduquer au numérique), et que l’on allège les programmes avant de les alourdir à nouveau. Après, pourquoi pas, laissons-les coder. Mais si l’on met la charrue avant les bœufs – je prends les paris – l’apprentissage d’un quelconque code suscitera autant de passion que l’accord du participe passé antécodé, pardon antéposé.
J’écris cet article avec mon MacBookPro. Pardon mon MacBook. Il n’avait pas encore le droit à l’adjectif dont Apple allait affubler ces toutes nouvelles machines en aluminium apparues fin 2008 et répondant au doux nom d’Unibody.
2008.
Ma machine a été achetée en novembre 2008 et fonctionne à merveille. Littéralement. Tout, absolument tout fonctionne. Pas le moindre petit problème : pas de carte mère à changer, écran intact, disque dur intact, charnière de l’écran glissant fermement comme au premier jour, touches du clavier répondant toujours avec la vélocité requise, etc., etc.
J’ai juste changé la batterie, et remplacé le disque dur par un SSD. Cependant, le disque dur est venu se loger dans l’emplacement dévolu au lecteur optique et est donc toujours en service.
En informatique, une année en compte sept
À l’époque…
C’est loin 2008. En informatique, les années comptent autant que dans la vie d’un chien…
À l’époque, disais-je avant d’être interrompu par moi-même, la bête tournait sous Leopard. Elle en a connu des systèmes ! Il y eut Snow Leopard, puis Lion et Moutain Lion et, très prochainement, cette vénérable machine au clavier même pas chenu va supporter Mavericks.
5 différents systèmes d’exploitation ! N’est-ce pas là forcer l’admiration ?
Le désir obsolescent
Je n’ai donc absolument aucune raison de vouloir changer de machine.
Si, bien sûr, à chaque fois que je vais dans un Apple Store, je découvre de superbes machines rutilantes possédant les derniers raffinements. Mais, outre qu’ils ne me sont pas absolument indispensables, je n’en ai pas les moyens (à ce propos, j’ai une maison à vendre, si vous recherchez ce genre de choses entre Troyes et Bar-sur-Aube…).
La conclusion s’impose d’elle-même. Ce n’est pas vraiment ma machine qui est obsolète (du moins pas encore), c’est le désir que j’ai eu pour cette machine en 2008 qui est obsolète. Il y a dans le besoin de changer d’objet une sorte d’infidélité commerciale qui pousse l’utilisateur à toujours aller voir ailleurs, abandonnant sans vergogne ce qui vient d’être acquis.
Il est vrai que les commerçants entretiennent savamment ce désir effréné d’acquérir la dernière nouveauté à tout prix, mais ce n’est pas absolument une nécessité. Faites comme Ulysse, écoutez mais attachez-vous au poteau ou bouchez-vous les oreilles.
Mac mini, machine fidèle
Vous pouvez garder votre bien des années et des années durant. Dans le cas précis qui me concerne (vous avez certainement des contre-exemples qui viendront battre en brèche le point de vue défendu dans ce billet), l’obsolescence programmée n’existe pas. Ou alors c’est une programmation sur plusieurs années. En somme, avant que la machine soit inutilisable, le consommateur est allé convoler vers d’autres acquisitions.
Évidemment, il est possible que votre machine ne supporte plus la toute dernière mise à jour, le tout dernier système, telle application, mais cela ne l’empêche pas de fonctionner. C’est le cas de mon iPod touch acquis en 2008, mais aussi de mon vénérable Mac mini datant de 2006.
Que tous ceux qui ont un iMac G4 ou un PowerBook lèvent la main.
Ajout du 20 septembre 2013 :
J’ai mis à jour mon iPhone 4, le dernier de la gamme à pouvoir accueillir iOS 7.
Je l’ai fait essentiellement par curiosité, me disant que de, toute façon, j’allais acquérir un 5S. Et si d’aventure mon iPhone connaissait le sort du 3G devenu quasi inutilisable suite à la mise à jour vers iOS 4 (je ne suis plus très sûr du chiffre), eh bien, pour la raison susdite, ce ne serait pas grave !
Je n’attendais pourtant pas des merveilles. À système gourmand et ses moult effets eye-candy, vieil appareil moins performant, me disais-je.
Que nenni !
Mon iPhone 4 est désormais plus véloce ! C’est simple, il marche mieux, et c’est plus joli.
Voilà donc l’obsolescence déprogrammée.
Acheter un iPhone 5S ? Oui, mais rien ne presse.
Ajout du 25 octobre 2013 :
J’ai installé Mavericks sur mon Mac, le nouvel OS d’Apple. Comme je le disais plus haut, ma machine aura connu cinq systèmes d’application.
On a coutume de penser que le passage à un nouveau système ralentit la machine. Or il n’en est rien, cela fonctionne mieux. J’y ai même gagné pratiquement une heure d’autonomie. \o/
Cher élève qui a eu l’insigne honneur de bénéficier de mon enseignement,
Quels qu’aient été tes résultats, quelle que fut cette année scolaire, je te souhaite de bonnes vacances, des vacances pleines d’un soleil roboratif, et de cette vitamine D qui te permettra de voir petit à petit, mais inéluctablement arriver la date fatidique de la rentrée. Tu auras, à ce moment, la mine réjouie, des cahiers tout neufs, des copies à tire-larigot, et une trousse gonflée d’un matériel rutilant (et complet). Ce sera parce que tu te seras bien reposé, tu auras profité d’un temps à la fois très long et très court, loin des contraintes scolaires que tu abhorres (se lever tôt, avoir froid, voir des profs, faire des devoirs, etc.).
Sache que, même si je suis en vacances, je serai toujours là pour toi si, d’aventure, il te prenait l’envie de me questionner sur un point du programme, envie que la timidité, le regard des autres ou je ne sais quoi encore ne t’ont point permis de soulager.
Tu peux, à ce propos, consulter Ralentir travaux, télécharger les manuels de 6e ou de 4e ; ils te permettront de ne pas complètement oublier toutes ces belles choses que nous avons vues ensemble. Tu peux aussi retrouver le doux son de ma voix sur YouTube t’expliquant entre autres la fonction du pronom relatif (n’est-ce pas fascinant ?). Retrouve tout ce beau savoir numérisé en sirotant une grenadine, dans la douceur et la pénombre de ta maison pendant que des insensés fondent sous un soleil de plomb. Tu ne vas pas passer deux mois à barboter dans un peu d’eau quand même, si ?
Non, assurément, tu ne veux pas passer deux mois (61 jours, 1464 heures, 87 840 secondes) dans une oisiveté estivale qui te fait horreur. Peut-être même, mû par le remords, tu voudras finir de lire ce livre que tu avais lâchement abandonné durant l’année (allez, avoue) ? N’hésite pas à me demander les références exactes, je te les donnerai sans même porter l’ombre d’un jugement sur une demande aussi honnête. Je te conseillerai mille et une lectures, et comme le sultan, coupe-moi la tête si ces lectures ne te passionnent pas et ne reculent pas indéfiniment l’heure du coucher (après réflexion, je préférerais que tu oublies cela).
Un dernier mot avant de finir. Tu te demandes probablement la raison d’un style aussi ampoulé et au vocabulaire parfois abscons, et tu as raison. Je t’inflige un dernier pensum : arriver jusqu’au bout de ce texte, chercher les mots dans le dictionnaire. Eh ! Nombre d’entre vous me liront sur leur iPod, iPad, iPhone, iMachin. Un double-clic (tap) sur les mots fera donc apparaître une définition du mot, et il n’est alors rien de plus facile que d’apprendre quelques mots. Pour les autres, il faudra vous lever et aller chercher le dictionnaire. Désolé.
J’oubliais ! Je ne reverrai peut-être jamais certains d’entre vous. Certains auront un autre professeur, certains changent d’établissement. Je vous souhaite donc de réussir et même, comme dit la chanson, tout le bonheur du monde. Vous avez été (tous sans exception, même le plus casse-pieds d’entre vous) des élèves infiniment sympathiques.
Cela fait maintenant un an que j’ai ajouté la possibilité de laisser des commentaires sur Ralentir travaux. À l’origine, l’idée était de permettre la discussion. Une leçon mal comprise pouvait ainsi trouver son prolongement dans le questionnement, dans mes explications supplémentaires ou celles de visiteurs venus partager leurs lumières.
Un an après, procédons à un état des lieux. Comment le visiteur de Ralentir travaux s’est-il emparé de cette possibilité de commenter ?
Si le premier commentaire a été une vraie critique, le second a été sobrement élogieux : «merci beaucoup!^^», me disait-on, et, de fait, on me remerciera beaucoup, ce que j’apprécie évidemment, même si cela n’apporte pas grand-chose à la réflexion initiée par le cours à commenter (je ne veux cependant pas donner l’air de bouder mon plaisir, hein ?).
Mais très vite, le revers de la louange est exprimé sans détour : «je n’aime pas le titre de ce site». Et le commentaire suivant de constater : «nul».
Le ton était donné. Il n’était plus que d’oser un peu, ce qui ne tarda pas à arriver : «trou du cul» (évidemment, je l’ai pris pour moi).
Cela a mis un peu de temps, mais les messages peu amènes finirent par affluer. Ma pudeur de webmestre ne se résout que difficilement à reproduire ces paroles outrageantes. Nous sommes le 22 septembre, et la rentrée bat son plein. Je pense avoir à faire à des hordes de collégiens frustrés qui aimeraient dire à leurs tortionnaires préférés à quel point ils les verraient bien avec quelque chose dans le fondement («aller vou faire foutre», «et je vous encule tous vous les pauvres»).
Mais comme le dit FarahHammadou : «maintenant on ait en 20013 alors tout est permie!!!».
Alors, certains se lâchent complètement :
Parfois, l’élève (je suppose que c’est un élève) exprime simplement son ennui («je menmerde») ou sa frustration : «Null !!!! Je desteste ça moi je veux le texte du massacre des pretandant c’est pas compliquer!!!!».
Heureusement, je reçois également nombre de messages qui font chaud au cœur. Des élèves expliquent qu’ils ont pu réussir leur travail et avoir une bonne note :
En tout cas, sachez que vos encouragements sont toujours appréciés.
Et pour plagier l’un des commentateurs, “MERCI !!!!!:-);-):-P:-);-):-P:-);-):-P:-D:-D:-D:-D:-D:-D” à tous ceux qui visitent Ralentir travaux, une dizaine de milliers par jour au plus fort de l’année (mais beaucoup moins au fur et à mesure que les vacances approchent).
P.-S. Au moment où je m’apprête à publier cet article, je reçois ce dernier commentaire : «Grace a vous j’ai eu un 15/20 et un 9/10 Merci :)».
Elle est pas belle, la vie ?