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Il doit bien y avoir des hackers chez les littéraires

L’accord sur la numérisation et la diffusion du fond de la BNF, la monétisation qui doit en découler ne laissent pas de m’inquiéter. Cela devrait d’ailleurs inquiéter tout utilisateur d’internet, mais l’enseignant que je suis est doublement inquiet. Il l’est, bien sûr, en tant que citoyen (auquel, par ailleurs, les questions de neutralité, d’accès à la culture importent), il l’est en tant que professionnel de l’éducation.

Voici pourquoi.

Sans Wikipédia, sans Gallica, sans tous ces sites qui donnent accès librement à la littérature, aux illustrations, aux manuscrits, etc., je retourne à ce qui est, pour moi, l’âge de pierre de ma profession : les années 90 où il fallait recopier à la main des textes, des contes entiers, les scanner, utiliser un logiciel de reconnaissance de caractères puis les corriger. Aujourd’hui, cela n’est plus la peine, car il me suffit de copier et de coller un extrait de tel ou tel auteur, de le relire et, éventuellement, de corriger telle ou telle erreur. Je gagne alors un temps précieux. Imaginez le temps qu’il faut pour recopier ne serait-ce qu’un conte de Voltaire !

J’ai trouvé un autre moyen de jouir (professionnellement) de Wikipédia ou Gallica. Ai-je à faire un exercice sur les propositions subordonnées relatives ? Voudrais-je quelques exemples littéraires de bon aloi qui en imposeront davantage que mes petites phrases inventées pour l’occasion ? Vais-je relire des milliers de pages pour trouver le bon exemple littéraire ? Que nenni ! On ouvre, dans Gallica ou Wikipédia une page de Chateaubriand, de Zola ou de n’importe quel auteur, on fait un cmd (ou clic) + f, on tape quelques mots clefs et l’on trouve tout ce que l’on cherche en un clin d’œil. Des centaines de propositions apparaissent surlignées. Combien de temps, d’heures, de jours ai-je gagnés en ayant à ma disposition tout ceci?

Ce temps, entre autres, m’a permis, par exemple, de concevoir des manuels libres et gratuits. D’ailleurs, ces manuels ont vu le jour parce que le partage de la culture, le libre (Aaron Swartz, je te salue au passage) m’ont permis d’accéder à tout un pan de notre culture, celui-là même qui était auparavant enfermé dans les coffres des grandes bibliothèques, oublié, car ne faisant plus l’objet de publication peu rentable, exposé dans des musées lointains ou des collections privées, etc. Privés de tout cela, mes manuels ressembleraient, après en avoir accouché dans la douleur du scanner et de l’OCR, à de vagues et exsangues photocopies dépourvues d’illustrations.

Or Apple m’avait déjà signifié que les mots «libre» et «gratuit» n’étaient pas les bienvenus sur la couverture d’un livre exposé sur son store. Très bien. Faut-il que dorénavant il n’y ait plus rien de libre ni de gratuit ? Que les incunables (vous savez ceux qui sont «antérieurs à 1500». Appréciez la tautologie) soient commercialisés ? bardés de DRM ? Savez-vous ce que cela signifie pour tous ces pays – je pense notamment à certains pays d’Afrique, du Maghreb – qui bénéficient gratuitement et librement de cette somme ?

Bien des fois, lors de l’élaboration de mes manuels, je me suis dit que le droit d’auteur avait été inventé, non pas pour nourrir les ayants droit, mais pour engraisser des éditeurs confisquant des œuvres d’auteurs morts depuis près de cent ans (un vrai conte !). Mais ceux qui le sont depuis un demi-millénaire, faut-il qu’ils le soient également ? Faudra-t-il payer pour les lire ? En ce cas, il faudra faire ce qu’a fait Aaron Swartz, il faudra piller le catalogue et le mettre en ligne. Il doit bien y avoir des littéraires chez les hackers.

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Le manuel, ça s’en va et ça revient

Manuel de QuatrièmeD’accord, Apple a retiré mon livre de son magasin en ligne, sans le moindre préavis, pour des motifs somme toute assez futiles, mais incarne-t-elle pour autant le grand méchant inique ? Faut-il la fuir comme la peste ? Que faire maintenant fort de cette expérience ?

Quelques mots (les derniers, j’espère) donc sur toute cette histoire dont je me serais bien passé.

Une censure au rabais

Apple censure-t-elle ?

Non, je ne pense pas que la pomme ait vraiment l’intention de censurer quoi que ce soit. Elle ne frappe pas d’excommunication, après examen, une opinion ou un écrit dont elle condamne la teneur.

Exit donc le sens religieux du terme.

En revanche, le mot «censure» désigne – et c’est un peu différent – l’examen d’œuvres avant d’en autoriser la diffusion. Et c’est, in fine, ce que fait Apple qui examine votre ouvrage et en autorise ou non la diffusion sur son magasin en ligne. Par exemple, si vous vous appelez B., et que vous n’avez plus rien à dire de désagréable sur l’Éducation nationale, et que vous désirez publier un petit porno, ce ne sera pas sur l’iTunes Store, Apple s’opposant à cela, ce en quoi je ne trouve pas grand-chose à redire.

C’est la seule vraie censure qu’elle s’autorise.

Mais si elle interdit la diffusion de mon manuel, c’est – bien sûr – une forme de censure, au sens où l’examen qu’elle fait de mon livre permet ou non sa publication. Mais force est de constater qu’Apple se fiche complètement de ce que contient mon manuel. Apple ne censure pas le contenu (tout au plus interdit-elle l’emploi de certains mots comme «gratuit» ou «iPad»).

C’est plutôt le contenant qui l’intéresse. C’est ainsi une censure au rabais qui ne s’intéresse pas même au contenu de ce qu’elle réprouve. En revanche, des règles plus ou moins évidentes doivent être respectées sinon pas de publication. Un titre manquant, et c’est l’éviction du store.

Un distributeur sachant distribuer

Malheureusement, lesdites règles sont si peu évidentes à concevoir que les gens que j’ai pu rencontrer chez Apple n’ont jamais rien trouvé à redire sur ce manuel qui en aurait imposé ipso facto le retrait. C’est donc que les règles de Cupertino sont absconses, y compris pour ses propres employés. J’ai même pu observer qu’Apple ne s’appliquait pas à elle-même ses propres règles.

Plus ennuyeux encore. Apple se voudrait distributeur de contenus, un commerçant donc, lequel s’arrogerait – au nom de je ne sais trop quoi – le droit d’exiger que telle ou telle chose soit acceptable ou ne le soit pas. C’est ainsi que les mots «libre» et «gratuit» sont muttum non grata. «iPad» aussi. Forbidden. Verboten.

Pourquoi ? On ne sait pas ou du moins on ne le dit pas clairement, mais c’est comme ça. «Obtempérez ou oubliez l’idée de vous voir publier par nous». Tel est en substance le contenu du discours made in Cupertino. Imagine-t-on Carrefour chercher des poux à Daucy qui aurait choisi de mettre tel ou tel mot sur ses emballages ? Imagine-t-on un peu la tête du PDG de ce producteur de légumes à la lecture d’un message expliquant le retrait des marchandises des rayons : «Please remove all mentions of «Qualité» or «Extra fins»».

Évidemment, c’est un peu plus complexe que ça. Apple distribue un contenu qu’il favorise à faire émerger en créant les logiciels permettant de le faire. Une sorte de monstre hybride relevant à la fois de Carrefour et de Daucy en somme.

Apple, mon amour

Bien sûr, j’ai regretté la disparition de mon manuel. J’en ai beaucoup voulu à Apple de l’avoir supprimé sans le moindre préavis. D’un coup, d’un seul, le travail de plusieurs années venait à disparaître des étagères d’Apple (certes momentanément), parce que des mots étaient indésirables et un titre était désiré.

Un peu pénible, non ?

Mais j’ai aussi déploré que cette disparition soit l’occasion de taper sur Apple qui a, il est vrai, tendu le bâton pour se faire battre. Il était légitime de réagir et d’exprimer son rejet de telles pratiques. Je l’ai fait. Et je remercie chaleureusement tous ceux qui l’ont fait. Je pense, entre autres, à Luc Benz, à toute l’équipe de Lyclyc et, naturellement, au Café pédagogique.

Mais je pense aussi à ceux qui sont restés muets, quand Apple a permis la diffusion de mon manuel, et qui se sont éveillés quand elle en a empêché la diffusion. Les mêmes n’ont pas salué le retour du livre sur le store. Mon manuel ne les intéressait pas, mais sa suppression oui. Plus précisément, les agissements d’Apple les intéressaient, le reste pas du tout. On a vu alors une kyrielle de libristes exprimer leur détestation d’Apple. Bon… Pourquoi pas ? Mais je regrette d’avoir été l’occasion de leur fournir des arguments.

Certes, à tout prendre, je suis heureux de voir que cela fait réagir, mais j’aurais aimé que l’on parle plus du manuel que de sa disparition.

Par ailleurs, je ne suis pas un paradoxe près. J’aime Apple, mais je me sens dans mon droit de lui dire que je ne l’aime pas quand elle se comporte comme elle l’a fait. Dont acte. Apple fait des choses extraordinaires, mais elle aussi capable du pire. Elle semble même parfois apprécier le pire. Peut-être alors sera-t-il temps de changer de crémerie si les choses empiraient… En attendant, je compose avec. Je prends mes précautions également. Il est temps de multiplier les supports, d’éviter d’être dépendant du bon vouloir de la seule pomme. Mon site est d’ailleurs là pour ça. Réalisé en HTML 5, il est lisible sur tout support.

iPad à l’école ou pas ?

Je disais que je n’étais pas à un paradoxe près. En voici un autre.

Il faut que je remercie Apple. Sans ses égorgillements, mon manuel n’aurait jamais connu une telle diffusion.

On m’a beaucoup reproché cet autre paradoxe, celui d’avoir réalisé un manuel se prétendant libre et gratuit pour iPad. Il faut dire que l’oxymore devait paraître scandaleux à certains.

J’aimerais quand même m’en expliquer une dernière fois, parce que des gens, dont la lecture a été hâtivement superficielle, m’ont qualifié de tous les noms.

Le manuel est libre. En tant que tel, il est partout où il peut être : sur mon site en HTML, en PDF, au format TXT, au format iBooks pour iPad. Je n’en ai pas eu le temps, mais j’en ferai un ePub. Il sera lisible partout, pour tous.
Vous pouvez le copier, le diffuser, le partager, le modifier. La seule chose que vous ne pouvez pas faire, c’est le vendre. Je m’y oppose catégoriquement. Mais cela doit être clair : être libre, c’est l’être aussi bien sur une distribution Debian que sur iPad. Je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas la liberté de mettre mon manuel où bon me semble, y compris dans cette pitoyable métaphore de la «prison dorée». Je peux aussi le photocopier, le lâcher par avion, le distribuer à la criée ou le réécrire en Ruby on rails (non, je plaisante, ça je ne peux pas). Être libre, ce n’est pas fuir Apple.
Il est gratuit. Ça, personne ne me le reproche. Enfin pas que je sache. Ah ! Si les éditeurs !
Il a été fait pour iPad. C’est une belle tablette. La meilleure à mon humble avis, celle pour laquelle il existe toute une pléiade d’applications que j’utilise quotidiennement pour moi, pour mes enfants, pour mes élèves. C’est celle-là que je voudrais voir mes élèves utiliser.

Et donc ?

Reste que tout cela m’a échaudé. Que faire maintenant ? Peut-on avoir confiance en Apple et monter des projets pour que des élèves soient équipés d’iPad ? Peut-on demander à des Conseils généraux d’investir dans ce type d’appareil ? L’Éducation nationale peut-elle travailler avec une telle entreprise ?

Oui, si Apple se comporte en partenaire. Un partenaire qui innove, et produit de belles et robustes machines. Un partenaire qui favorise la création en réalisant des programmes comme iBooks Author. Un partenaire qui diffuse vos œuvres. Un partenaire qui vous écoute, et vous prévient si le besoin s’en faisait ressentir. Au bout du compte, tout le monde sera content. Apple vendra ses iPad parce que les gens auront créé un contenu intéressant.

Non si Apple se comporte en un géant administrativement aveugle et vétilleux, lent et peu prolixe. Après un mois, Apple retire un manuel pour des raisons plus ou moins convaincantes. Peu soucieuse d’explications, elle se contente de vous signifier sans préavis que vous devez effectuer des changements. Le processus de validation est alors excessivement long. Les conséquences fâcheuses, détestables pour l’auteur voyant son œuvre disparaître, ne plus être lue, ne plus pouvoir être lue.

Mais, au moins les élèves seraient-ils ravis. Particulièrement, celui qui arrive en cours d’année à qui on dira : «Apple a retiré le manuel, je ne peux pas t’en donner tant qu’il n’aura pas été à nouveau validé».

Le mot de la fin ? Après avoir pas mal réfléchi, je ne vois pas comment je pourrais – dans l’état actuel des choses – faire mieux qu’avec iBooks Author. Je n’en ferai pas moins un ePub standard.

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Humeur Informatique

Le Store perdu

Au jour d’aujourd’hui (j’ai toujours rêvé d’écrire cette horreur), mon manuel n’a toujours pas réintégré l’iTunes store. J’ai enlevé les mots «libre» et «gratuit» puis «iPad». J’ai ajouté le titre qui manquait, mais rien ne se passe. Il faut dire que c’est dimanche. Alors même le web 2.0, fût-ce celui de Cupertino, profite du jour du Seigneur.

Dans mon attrition, je suis allé errer là où jadis j’avais une place avant d’en être chassé. Je suis allé dans le Store perdu. Et j’ai contemplé les zibooks qui, ont encore le privilège de trôner sur les étagères du magasin en ligne. La curiosité (enfin… une intention maligne) me pousse à en télécharger quelques-uns réalisés par Apple.

Je commence par iPad Guide de l’utilisateur. Et ô stupeur ! Comment !? Celui-là a le droit d’afficher iPad sur sa couverture ? Et moi non !?

iPad Guide de l'utilisateur
Par ailleurs, on se souvient que je devais rectifier un titre manquant. J’avais osé laisser «Titre du livre» que je n’avais pas remplacé par le véritable titre du livre.

Mail d'Apple

Dans mon précédent billet, j’avais évoqué les velléités suicidaires qui s’étaient emparées de moi après un tel manquement. Mais que vois-je en ouvrant le zibook d’Apple ? «Title page» ? Mon Dieu, chez Cupertino, ils auraient fait la même erreur que moi ? Non ????

Acceptable :
Title page

Pas acceptable :
Titre du livre

Retirez-moi tous ces zibooks que nous ne saurions voir ! Que la fameuse «expérience utilisateur» reste pure ! Profitez-en pour virer tout ce qui contient des fautes d’orthographe, tout ce qui fait hurler le typographe un peu vétilleux. Il ne restera pas grand-chose.

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Le manuel de quatrième n’est plus sur le store d’Apple

Not on 32 storesCela fait un mois que le Manuel de quatrième peut être téléchargé sur iTunes.
Pardon. Cela faisait un mois.
Je croyais qu’il avait, pour cela, dûment affronté le regard impitoyable et plein d’exigence des gens ayant la dure charge de trier ce qui peut figurer ou non sur le magasin en ligne d’Apple. J’avais, à cet effet, dû modifier (fort légitimement) quelques points (un titre manquant dans la table des matières ou quelque chose dans ce goût-là). Alors, je pus goûter au bonheur de voir le point vert suivi de «On 32 stores».

Aujourd’hui, je découvre un point rouge suivi de «Not on 32 stores».

Première raison

La raison en est que je dois modifier quelques points. Je dois, et c’est bien normal, corriger «Titre du livre» qui a la mauvaise idée d’apparaître en mode portrait dans la table des matières (mais pas en mode paysage ; c’est facétieux un iPad). Cela correspond à un «paramètre fictif» qui doit être remplacé par un texte réel comme «Manuel de quatrième» (puisque c’est le titre du livre). J’avais oublié de changer ça !
C’est la première raison pour laquelle Apple ôte mon livre de son magasin. Il est vrai que cet oubli est absolument insupportable. Je ne peux plus me regarder dans la glace. Je me hais, je me méprise.

Titre du livre

Deuxième raison (à moins que ce ne soit la première)

Je dois aussi enlever toute mention de «libre» ou «gratuit» sur la couverture et dans le livre.
Là je comprends moins.
Si je peux plus ou moins concevoir qu’aucune mention du prix ne doit figurer sur la couverture (maintenant que cela m’arrive, j’ai remembrance d’une app ayant été retirée de l’App Store pour avoir contrevenu à cette règle), je ne vois vraiment pas pourquoi il me serait interdit de présenter mon manuel comme étant libre et gratuit (ce qu’il est, pas le format iPad bien sûr, mais son contenu accessible sur mon site). Malheureusement, le mail qu’on m’envoie est catégorique «Please remove all mentions of « libre » or « gratuit ».»

Bon, ça s’appelle de la censure.

Et que dire de l’amalgame «libre» et «gratuit», c’est donc synonyme pour Apple ?

Le fait est que mon livre est publié par des commerçants qui détestent que l’on parle de prix : «References Pricing : Prices must not be referenced in the EPUB».

C’est de l’humour californien ?

Post-Scriptum

Peut-on imaginer, un seul instant, comme on me le suggère sur Twitter, investir dans un support pour lequel Apple peut, à tout moment, vous priver de son contenu ? Peut-on espérer travailler avec un manuel agréé par Apple si, pour des raisons plus ou moins pertinentes, ce manuel peut disparaître ? Peut-on demander à un Conseil général d’investir massivement dans des contenus qui vous échappent ?

Post-post-scriptum

J’ai effectué les changements demandés. Je reçois, ce matin, un nouveau message.

Nouveau mail d'Apple
Ça va s’arrêter quand ? Ils ne pouvaient pas me le dire la première fois ? Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois ?

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Éducation Humeur

L’enseignant est-il de droite ?

La classe d’une école de villageChantal Jouanno, il y a quelques jours, expliquait dans les matins de France Culture ce que signifie être de droite. Selon elle, la liberté individuelle (l’état n’a pas à s’immiscer dans vos choix individuels), la méritocratie (Chantal Jouanno est contre l’idée qu’on est socialement déterminé, on aide donc ceux qui veulent faire des efforts) sont des valeurs de droite ou, en tout cas, portées par la droite en 2007.

Je me suis alors demandé si ces valeurs n’étaient pas celles de l’enseignant ou du moins de beaucoup d’enseignants. Cette question en a entraîné une autre : une profession peut-elle engendrer une idéologie ? Je ne me suis pas demandé si telle profession portait telle ou telle idéologie (comme les ouvriers ont pu voter communiste ou front national). Je me suis demandé si le métier que l’on fait détermine notre vision des choses.

Ainsi, un musicien est un passéiste. Pas toujours, mais c’est souvent le cas. Je connais peu de musiciens qui ne tombent amoureux de tel ou tel vieil instrument : un guitariste devant une vieille Fender des années 60, un violoniste devant un stradivarius, etc. Si l’on reprend le cas du guitariste, force est de constater que celui-ci a un penchant prononcé pour le passé. Il aime les vieilles guitares, les vieilles technologies (les amplis à lampe), et regarde avec peu d’intérêt sinon avec méfiance une guitare en fibre de carbone. En un sens, on peut le qualifier de conservateur (comme on peut être conservateur d’une bibliothèque). Il revendique un savoir-faire, un amour du passé (ou plus précisément un passé qui a laissé son empreinte sur le présent). Est-ce un réactionnaire pour autant ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis persuadé que la question mérite d’être posée.


Attention, cet article, le dernier de l’année, mêle le plus grand sérieux à la facétie. Saurez-vous démêler l’écheveau ?

Liberté et méritocratie dans le monde enseignant

L’enseignant est-il de droite ? La question a de quoi surprendre, parce qu’il est commun de penser que celui-ci vote traditionnellement à gauche. Mais, après tout, on se souvient que nombre d’entre eux, en 2007, ont voté au centre et même à droite pour Nicolas Sarkozy. Quoi qu’il en soit, la question n’est pas vraiment là. Il s’agit de voir en quoi la profession d’enseignant peut être, de facto, de droite. Commençons par voir si les propos de Chantal Jouanno peuvent être revendiqués par un enseignant.

Je connais beaucoup d’entre eux qui revendiquent la liberté évoquée par madame Jouanno. C’est la fameuse liberté pédagogique, la liberté de faire ce que l’on veut dans sa classe, sans qu’une injonction étatique à laquelle l’enseignant n’adhère pas (celle de pratiquer la pédagogie différenciée, celle d’évaluer par compétences, celle d’adopter tel programme…) vienne entraver sa vision des choses, sa façon de faire, ses habitudes en somme. En un sens, un tel enseignant est un libéral. Le mot est ambigu, car encore au XIXe, dans les pays anglo-saxons aujourd’hui, être libéral, c’est être de gauche. Mais, ici, il est connoté à droite.

Je me souviens avoir un peu bataillé, dans un forum pour enseignants, sur la question du déterminisme. Je faisais valoir l’idée que certains élèves, d’un milieu très défavorisé, voyaient leurs chances de réussir à l’école diminuer comme une peau de chagrin (pas d’argent, pas d’aide pour les devoirs, pas de références culturelles, etc.). On m’avait rétorqué que d’aucuns avaient très bien réussi à l’école malgré tout cela, et que si l’on voulait, on pouvait, qu’il fallait se battre, etc. Ne retrouve-t-on pas là l’idée de la méritocratie ? Cette idée que nous ne sommes pas socialement déterminés, que l’on peut réussir, quel que soit son origine ou son milieu. Cette affirmation m’a toujours laissé perplexe. Je dois reconnaître que je n’ai jamais eu le cœur de dire à un enfant extrêmement pauvre, qui se fait violer tous les jours, qui a été abandonné, ou que sais-je encore, qu’il doit se battre, qu’il peut transcender le déterminisme qui le laisserait en bas de l’ascenseur social.

Voilà d’ailleurs bien une idée répétée à satiété par le monde enseignant : si l’on veut réussir, il faut faire des efforts. Souvent, le problème est réduit à cette affirmation : si l’élève ne réussit pas, c’est parce qu’il ne travaille pas. L’école, c’est simple comme bonjour. Les élèves qui réussissent sont portés aux nues, les autres n’ont pas fait ce qu’il fallait. Ils ont démérité. Il y a donc un goût prononcé pour la méritocratie.

Le discours de la peur

On trouve, à l’école, tout un discours que je qualifierais de droite. Par exemple, celui de la peur. On se souvient peut-être de la présidentielle de 2002. Le thème de l’insécurité était porté par la droite, à un tel point d’ailleurs, que cela faisait dire à Lionel Jospin qu’on ne cherchait pas à élire le ministre de l’intérieur, mais bien un président. On a vu ce que cela lui a coûté. Ce discours anxiogène, je l’ai retrouvé dans celui d’enseignants concevant le numérique sinon comme un danger potentiel (cf. tel enseignant violenté et filmé) du moins une entrave au bon déroulement des choses (l’élève triche sur son smartphone, il est distrait…). Ce discours est automatiquement lié à un autre : celui du goût d’un état antérieur où le numérique n’existait pas. C’était le temps où on ne supprimait pas de postes à outrance, c’était le temps où le maître était détenteur de l’autorité incontestée, c’était le temps où l’on mettait des notes et l’on ne trouvait rien à y redire, c’était le temps où des programmes n’avaient pas bouleversé tout un paysage qui faisait que le parent comprenait ce que faisait l’élève, c’était le temps où on ne laissait pas passer tout le monde dans la classe supérieure, c’était le temps où tout le monde ne réussissait pas à l’école (en 1986, seuls 49 % d’élèves obtiennent le brevet des collèges), c’était le temps où on se concentrait sur l’essentiel (apprendre, lire, compter), c’était le temps d’avant, un temps regretté, plus ou moins idéalisé, un temps qu’il faudrait restaurer pour retrouver le bonheur perdu.
Quand l’enseignant ne comprend plus rien au monde dans lequel il évolue, quand il achoppe sur les modifications apportées à un état plus ou moins idéalisé, il est permis de voir en lui un réactionnaire. Mais le mot n’est pas péjoratif : le réactionnaire réagit, il n’accepte pas le monde dans lequel il vit. Il s’oppose à l’idéologie des compétences, est pour le redoublement, veut que l’école bâtisse une élite, etc. Mais, par un curieux effet de renversement, notre réactionnaire se voit en résistant, presque un gauchiste qui s’oppose au discours dominant, alors que je vois en lui un individu de droite pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut.

Un maximum d’enseignant

Mais on se souvient que ma question était celle-ci : une profession peut-elle engendrer une idéologie ? L’enseignant, dans un cas bien précis, peut-il est autre chose que de droite ? Lui qui est bien souvent assis (pas toujours, il circule dans les rangs), parfois au-dessus des autres (il est sur une estrade qui tend, il est vrai, à disparaître des salles). Ne peut-on pas se demander si être assis et au-dessus des autres n’influe pas sur notre vision du monde ? Bien sûr, tout cela est symbolique. Être assis, c’est, dit le Petit Robert, être affermi, assuré, ferme, stable. L’enseignant appartient au monde de celui qui a réussi, et a accédé à un certain statut. On opposera le fait que l’instituteur ne jouit plus de la considération d’antan, mais j’ai pu remarquer que l’enseignant, dans le monde rural, était perçu comme étant le détenteur d’un savoir, d’un statut (il a fait des études). Ce n’est pas rien, malgré qu’on en ait. Dans un univers où l’on ne dépasse parfois pas le brevet des collèges, être enseignant est un privilège.
Pour filer la métaphore des symboles, être au-dessus des autres (qu’il y ait estrade ou non), c’est simplement être celui qui sait, quand l’élève ne sait pas, celui qui interroge, quand l’élève doit répondre, celui qui oblige, quand l’élève doit obéir… C’est en somme, pour reprendre les termes de Michel Foucault, avoir le pouvoir (refusant ce pouvoir, Michel Foucault se disait être «un minimum d’enseignant»). L’enseignant a le pouvoir. Parfois même, il devient directeur d’école, principal adjoint ou principal. Il devient un notable. Il participe aux cérémonies aux côtés du maire. Après tout, il a fait de longues études universitaires. Comment ne pas voir qu’il est loin, très loin du public auquel il s’adresse ? Il est à sa droite.

Dans mon prochain billet, je vous dirai pourquoi l’enseignant devrait être de gauche.

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De 1986 à 2016, histoire d’un sujet de brevet

Article mis à jour le 24.06.16

Nombre d’enseignants ont trouvé le sujet de l’épreuve de français (2012) du brevet des collèges excessivement facile. Sans aller jusqu’à hurler avec les loups de Sauver les lettres, on peut s’étonner qu’un questionnaire portant sur un conte ne contienne quasiment aucune question de grammaire. À lire le sujet de l’épreuve, on en vient même à se dire que ce sujet pourrait être donné à des élèves de sixième.

En effet, il pourrait – exception faite de la question portant sur l’indirect libre – être traité sans réelle difficulté par les plus jeunes collégiens. Est-ce à dire que le sujet de troisième n’était qu’un sujet de sixième ? Que le niveau du brevet – qui est celui du collège, non celui de troisième – est celui du plus petit niveau ? Que le niveau est de plus en plus bas ? Que c’est la faute du socle ? Et je ne sais quoi d’autre ?

Pour répondre, ou plus précisément, pour tenter d’apporter sinon un début de réponse du moins un embryon de réflexion, j’ai dû faire un peu d’archéologie scolaire. Sans remonter jusqu’à la protohistoire du brevet, rappelons que, de 1978 à 1985, ce diplôme s’obtient par le contrôle continu. Ce n’est qu’en 1986 que les collégiens – dont je fus – passèrent à nouveau cette épreuve. À quoi pouvait bien alors ressembler cette épreuve ? Était-elle plus difficile que celle à laquelle nos collégiens ont droit aujourd’hui ? Pour y répondre, pas la peine de chercher sur le web, on ne trouve pas grand-chose. J’ai cherché, mais vainement. Peut-être qu’un autre que moi saura mieux s’y prendre, mais je n’ai pas trouvé. Je me suis alors souvenu que mon père qui était chef d’établissement dans le collège où j’ai passé le brevet avait gardé les sujets de français (et aussi d’histoire et de maths pour ceux que cela intéresse). Par chance, j’avais gardé le sujet, que je vous laisse découvrir.

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La différence saute aux yeux. C’est bien simple, le sujet de l’année 2012 est l’exact contraire du sujet de 1986. Autant le premier évacue la grammaire (et ce sera systématiquement le cas pour tous les sujets qui suivront), autant le second lui accord une place symétriquement proportionnelle au nombre de questions de compréhension. L’important n’est alors pas tant de montrer sa compréhension du texte que de faire la preuve de ses capacités grammaticales. Les exigences sont nombreuses : conjugaison du futur, du passé simple (avec un trait d’union !), du passé composé, du conditionnel présent. Le binôme nature et fonction est évidemment de la partie . Et, enfin, des questions sur les propositions subordonnées que je n’oserais pas donner au meilleur de mes élèves.

Que faut-il conclure ? Que le niveau d’exigence a baissé ? Que le niveau des élèves a conséquemment baissé ? La réponse pourrait paraître évidente au professeur de français que je suis. Il n’est que de voir ce qu’on demandait aux élèves et ce qu’on leur demande aujourd’hui. La différence est telle qu’il n’y a pas l’ombre d’une hésitation. Vraiment ? Ce serait faire peu de cas d’un détail. Mon père avait gardé les sujets. Il avait aussi gardé une photocopie de ma copie. Rétrospectivement, cela fait un peu mal. Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas bon.

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Si je m’en sors relativement honorablement en dictée, je découvre (ou redécouvre, on oublie ce genre de choses) que je n’étais pas une flèche en grammaire. Je ne vous montrerai pas les horreurs que j’ai pondues sur les propositions subordonnées, mais voici un exemple de mes capacités en conjugaison ou à répondre à des questions englobant nature et fonction.

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Voudrait-on remettre un tel sujet au goût du jour ? Alors il faudrait rappeler que seulement 50 % des élèves ont obtenu leur brevet cette année-là. Probablement, la notation n’était pas la même. En lisant le barème, je prends conscience que la dictée en 1986 comptait pour 15 points. Aujourd’hui, c’est 6 points, auxquels il faut certes ajouter les 4 points de l’exercice de réécriture. Mais ce sont 15 points sur 80, alors que l’épreuve de français actuelle (voir le sujet de l’année 2016) compte pour 40 points…

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Je vous laisse conclure. Le sujet de l’année 2012 était, en effet, très facile (et certaines questions posées en 2014 et en 2015 étaient ridiculement faciles). Pour autant, nombre d’élèves auront achoppé sur tel ou tel point. Finalement, si l’on considère le sujet de 2012, un texte de Michel Tournier, c’est encore un peu élitiste pour beaucoup d’élèves (qu’est-ce qu’un calife ? C’est vraiment un conte ? Quelle est cette histoire de cuisinier et de commémoration ?).

La question n’est-elle pas de savoir ce que l’on veut « retirer » de ce collège. Désire-t-on qu’un élève sache manier les propositions subordonnées consécutives ou sache écrire correctement et comprendre ce qu’il lit ? Malgré tout mon amour de la littérature, tout mon intérêt pour la grammaire, toute l’exigence dont je peux faire preuve à longueur de temps, je ne peux que pencher pour la deuxième solution. Et le sujet de 2014 (et dont j’avais proposé une correction), qui invitait les candidats à réfléchir sur la prose poétique de Saint-Exupéry, a montré que des compétences importantes de lecteur étaient requises. Reste que bien souvent les consignes de correction nous invitent à la clémence, ce qui se conçoit, mais une clémence qui a clairement pour objectif de distribuer des points allègrement : « l’élève a le droit de dire qu’il n’a pas compris », nous a-t-on dit l’an dernier.

P.-S.

Suite à de nombreuses demandes, j’ajoute les sujets d’histoire et de maths.

Histoire géographie

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Mathématiques

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Humeur

L’anaphore, Hollande et le petit

L’anaphore connaît aujourd’hui un succès pour le moins inattendu. L’emploi qu’en a fait François Hollande montre assez que cette figure appartient à une vaste famille, la famille de la répétition (avec l’épiphore, l’anadiplose, l’épanadiplose, la concaténation, etc.). Et pour ce qui est de répéter, notre potentiel président a répété pas moins de 16 fois (paraît-il, je n’ai pas compté) Moi, président de la République. C’est beaucoup. Je n’ai pas cherché, mais je ne crois pas que la littérature abonde en anaphore de cette ampleur.

Il paraît même que la France découvre cette figure. Les collégiens ont cependant (et en principe) tous entendu l’inévitable anaphore cornélienne :

Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !

Cette figure apporte au mot qu’elle répète une importance, une gravité, une emphase, quelque grandiloquence également. Elle n’est pas non plus étrangère au rythme, au lyrisme. En tout cas, l’emploi est remarqué et remarquable. Peut-être parce qu’il ne passe pas inaperçu. Simplement.

Ladite figure peut devenir une véritable tarte à la crème. Je le confesse à demi-mot, mais ce poème m’énerve (poétiquement, pas historiquement) :

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Le procédé est trop voyant. Chez Victor Hugo également, mais c’est Victor Hugo alors je ne m’en offusque pas. Et souvent l’anaphore est au service d’une énergique indignation, que ce soit dans les Châtiments :

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime.

Ou dans L’Année terrible (sans atteindre la démesure hollandienne) :

Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poëtes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !

Cette figure peut aussi provoquer la surprise. Dans ce poème de Xavier Forneret («Un pauvre honteux»), les pronoms «il» et «l’» (qui pour le coup – d’un point de vue grammatical – ne sont pas anaphoriques, mais cataphoriques) sont – du point de vue stylistique – anaphoriques. C’est cette figure qui fonde tout le poème et prépare ainsi, progressivement, la chute.

Il l’a tirée
De sa poche percée,
L’a mise sous ses yeux ;
Et l’a bien regardée
En disant : “Malheureux !”

[…]

Il l’a palpée

D’une main décidée

A la faire mourir.

- Oui, c’est une bouchée

Dont on peut se nourrir.

Il l’a pliée,

Il l’a cassée,

Il l’a placée,

Il l’a coupée ;

Il l’a lavée,

Il l’a portée,

Il l’a grillée,

Il l’a mangée.

Quand il n’était pas grand on lui avait dit : Si tu as faim, mange une de tes mains.

Vous découvrez alors, à la fin du poème, que ce «il» c’est le pauvre, que le «l’» c’est sa propre main qu’il s’apprête à manger.

Cela fait une jolie répétition, hein ? De quoi faire pâlir François Hollande. Et en plus, ce n’est pas le pronom «moi», pronom qu’il vaut mieux éviter de dire trop souvent, si l’on ne veut pas recevoir cette accusation de grotesque que le camp adverse n’a pas manqué de lui jeter à la figure.

Au fait, à propos d’anaphore ! Il me souvient que celle-ci avait été déjà jetée à la figure du président sortant :

Il a pris la France et n’en sait rien faire. En vérité, on est tenté de plaindre cet eunuque se débattant avec la toute-puissance. Certes, ce, dictateur s’agite, rendons-lui cette justice ; il ne reste pas un moment tranquille ; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres ; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il se remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.

(Napoléon Sarkozy le Petit)

Cela en fait des anaphores pour un seul homme !

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Humeur

La culture, c’est ce qui reste…

On connaissait le peu d’intérêt présidentiel pour la Princesse de Clèves. On savait que notre président ne savait prononcer correctement le nom de l’auteur de Mythologies. On savait que, durant son quinquennat, Nicolas Sarkozy (puisqu’il faut bien le nommer) accueillait en son gouvernement certain personnage qui, quand on lui demandait quel était son livre préféré, répondait benoîtement Zadig et Voltaire. Plus récemment, voulant que l’on reconnaisse les racines chrétiennes de la France, Nicolas Sarkozy évoquait un auteur déiste rêvant d’écraser l’infâme… Voilà qui laisse perplexe ! On découvre aujourd’hui, non sans stupeur (mais on ne s’en lasse jamais), que celui qui prétend gouverner la France attribue un prénom erroné à l’auteur de La Peste, de L’Étranger, etc. Et, en effet, il parle de… Stéphane Camus (sic) !

Des âmes bienveillantes concluront que cet homme n’aime pas la littérature. Des esprits chagrins rappelleront qu’en ce cas, il n’est nul besoin de se ridiculiser en parlant de ce qu’on ne connaît pas. Pour ma part, je ne peux m’empêcher de trouver répugnante cette obstination à vouloir que les immigrés désireux d’obtenir la nationalité française fassent preuve d’une culture que les Français – y compris ceux qui se trouvent au sommet de l’état – n’ont pas. Je vous ferai grâce d’un rappel des barbarismes, solécismes, massacres syntaxiques qui ont émaillé ce quinquennat.

Quoi qu’il en soit, d’aucuns argueront que les qualités de l’homme sont ailleurs. Dans l’économie par exemple. N’est-ce pas là primordial ? Mais, précisément, c’est là que le bât blesse. On répète à l’envi que les politiques d’austérité sont néfastes, qu’elles génèrent du chômage et du mal-être (écoutez également Mathieu Pigasse sur France Culture). On se prend à penser que, décidément, Sarkozy (ce chantre de l’austérité) est un président que l’on a hâte d’oublier. Cette inculture littéraire et ces choix économiques désastreux (entre autres) lassent. Vivement le 6 mai.

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Éducation Humeur

L’obscur objet de la dictée

Cartel de defyJe le confesse, à ma grande honte, je ne connaissais pas Éveline Charmeux. J’ai donc lu son billet sur la dictée sans aucun a priori. Et je l’ai trouvé mauvais. Il est mal écrit. Les répétitions («un niveau très bas bas»), les oublis («c’est sorte de pathologie gravissime»), les erreurs typographiques («l’ hallucination») ou inqualifiables («auFormatiàoncune réflexion») révèlent-ils qu’il a été rédigé à la hâte ? Je ne sais pas, mais il m’a profondément consterné. Jusque-là, seule l’affaire du pourrisseur du web avait réussi à me sortir de ma torpeur habituelle.

Au reste, le discours d’Eveline Charmeux m’a rappelé celui qui était tenu à l’IUFM où la dictée était battue en brèche. Les arguments ne manquaient d’ailleurs pas de pertinence. La dictée ne serait qu’un moyen d’évaluation injuste, elle ne permettrait pas d’acquérir de connaissances. Elle était tombée de son piédestal. Elle n’était plus le seul moyen de travailler l’orthographe (que l’on songe à l’exercice de réécriture). J’étais alors convaincu qu’il ne fallait plus faire de dictée ou du moins qu’il ne fallait plus lui accorder l’importance qui fut la sienne. Las ! Cette idée n’a pas résisté au temps, lequel j’ai passé à me demander de quelle façon je pouvais évaluer l’orthographe sans pour autant déprimer mes petits élèves.

Prolégomènes

Avant d’expliquer les vertus pédagogiques que j’attribue à la dictée, je voudrais tout de même préciser deux petites choses. Eveline Charmeux écrit que la dictée a :

[…] l’incomparable plaisir que procure à tout enseignant — moi la première, je le confesse bien volontiers ! — cette situation de pouvoir absolu sur des élèves, soumis, visage baissé, au rythme de la voix du maître, seul à posséder légitimement le « corrigé »…
La dictée, c’est le symbole de l’école, de celle qui fait faire aux élèves ce qu’ils ne savent pas faire […]

Tout d’abord, je n’éprouve aucun «incomparable plaisir» face à des élèves soumis. Je suis conscient à ce point du pouvoir de l’enseignant que j’ai pris l’habitude depuis longtemps de faire cours porte ouverte, cette ouverture me rappelant le monde extérieur dans lequel je ne suis pas le maître ni le plénipotentiaire de l’éducation lequel, comme un mauvais parent, aurait tous les droits sur ses enfants dans le huis clos de son domicile.
Au reste, je n’ai pas la vanité de goûter au plaisir de ma voix qui s’énonce dans le silence scolaire, dominant des «visage (s) baissé (s)». Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Que veut-on ? Que l’on s’humilie d’avoir assis les élèves quand nous sommes debout ? Eh ! Voulez-vous que l’on intervertisse la situation ? Tout le monde debout ! Je m’assieds.
Enfin, la dictée serait un symbole. Celui d’une école qui fait faire aux élèves ce qu’ils ne savent pas faire. Serait-ce une plaisanterie de mauvais goût ? Un piège tendu aux esprits chagrins qui lisent en diagonale ? Qu’est-ce que l’école sinon le lieu où l’on apprend ce que l’on ne sait pas ? Le contraire s’appelle la science infuse. Les élèves ne l’ayant pas, ils viennent apprendre. En quoi cela peut-il choquer ?

Un moyen d’apprentissage et un moyen d’évaluation

Selon Eveline Charmeux, la dictée ne saurait être ce monstre pédagogique étant à la fois la fin et le moyen. Je pense que les termes sont mal définis, et comme à chaque fois que l’on nomme mal les choses, on se fourvoie. Par quelque bout que l’on prenne les choses, pas moyen de faire autrement : la période d’apprentissage est ipso facto suivie d’une évaluation. Il faut nécessairement vérifier que la notion inculquée a été comprise. Dans le cas contraire, on se hasarde à laisser les élèves avancer dans les méandres du programme sans s’intéresser à leurs progrès ou leurs échecs. Mais la question est de savoir si la dictée peut à la fois être un moyen d’apprentissage et un moyen d’évaluation.

Un moyen d’évaluation

Avant de dire en quoi la dictée est un moyen d’apprentissage, voyons le moyen d’évaluation. En quoi est-il choquant d’évaluer ce qui a été écrit ? Serait-ce parce qu’on attribue une note ? Que l’on soupçonne celle-ci d’être très basse ? Sans même parler d’évaluation par compétences, ne peut-on simplement dire à l’élève à qui l’on rend sa dictée : «C’est bien, il n’y a pas de faute. À présent, on va faire plus dur ou on va passer à autre chose» ou encore «Attention, il y a des fautes. Tel ou tel point est à revoir. Je vais te donner des exercices pour remédier à cette situation». La dictée est l’évaluation de ce que sait faire un élève à un moment donné. Ainsi, par exemple, le présent de l’indicatif ayant fait l’objet d’un apprentissage ne devrait pas être erroné dans le texte faisant l’objet d’une dictée. S’il l’est, il faut réviser.

De toute façon, je ne crois pas qu’il existe encore beaucoup d’enseignants qui ponctionnent deux voire quatre points par faute de grammaire. En ce cas, l’exercice est impitoyable. Quelques fautes dans un texte de vingt lignes, et l’élève n’a pas la moyenne. Cette façon de faire n’a plus, depuis longtemps, la faveur des enseignants. Et je crois que c’est ce modèle qu’Eveline Charmeux bat en brèche. Celui de l’enseignant qui pour enseigner l’orthographe ne posséderait que ce seul moyen de la dictée et par là même se saisirait de ce moyen pour mettre une note qui souvent atteint des abysses négatifs. Afin de ne pas allonger indéfiniment ce billet déjà très long, j’ai écrit un autre billet intitulé Mais comment évaluer cette dictée ? Tout au plus, dirais-je qu’il y a pléthore quant aux moyens d’évaluer une dictée, et que celle-ci n’est plus l’exercice terrible condamnant par avance tout élève pris en faute.

Un moyen d’apprentissage

Examinons maintenant en quoi la dictée, notée ou non, mais évaluée (en tant qu’elle fait l’objet d’une appréciation, et donc d’un moyen de progresser), concourt à l’amélioration de l’orthographe des élèves. On l’a dit, il existe d’autres moyens d’apprentissage (parmi lesquels il y a l’exercice de réécriture, mais aussi la charade, le pendu, les mots croisés sans même parler de la rédaction). À ce propos, le billet d’Eveline Charmeux repose sur un malentendu. Je n’ai lu nulle part que l’on prétendait que la dictée était LA solution. Tout au plus peut-on parler de solution, c’est-à-dire d’une solution entre autres.

D’emblée, je suis choqué que l’on soit choqué quand on fait faire une dictée qui date des années 80 à des élèves d’aujourd’hui qui n’en font plus. Eh quoi ! On a tellement expliqué que la dictée, c’était le mal, que les enseignants ont fini par s’en convaincre, et n’en font plus (heureusement, cela change). Dès lors, des élèves ne peuvent plus réussir un exercice qu’ils ne pratiquent plus ou pas assez. En quoi cela est-il étonnant ? On apprend en faisant (oui, je suis pour la pédagogie active). Or j’ai la conviction qu’il est fondamental que l’on dise aux élèves : «On va écrire un texte, et ce qui fait l’objet de ce travail, c’est l’orthographe et rien que l’orthographe». Les élèves, aujourd’hui ou hier (qu’importe), réduisent tellement la chose écrite à la portion congrue (un contenu plus qu’un contenant), que je ne connais pas un collègue d’histoire, de SVT ou de ce que vous voulez qui n’ait rencontré la nécessité d’évaluer l’orthographe tant il est vrai que les élèves s’en désintéressent. J’en suis même venu à ne plus photocopier mes contrôles, mais à les projeter, à demander aux élèves d’écrire les consignes, et de leur dire qu’ils gagneront des points en accordant un peu d’attention aux mots qu’ils recopient.
La dictée, qu’elle fasse deux lignes ou trente, régulière, et d’une difficulté en rapport avec le niveau des élèves, consiste à écouter un texte et à faire des choix. Je ne parle pas du ridicule exemple pris par le contempteur de la dictée. «théâtre» ou «apéritif» ne m’intéressent pas. C’est de l’orthographe lexicale. Un dictionnaire fera l’affaire. Ce n’est pas là que le bât blesse. De toute façon, quand bien même la chose est notée, l’élève perd 1 voire 0,5 point et même rien du tout dans certain cas. En revanche, on peut estimer que, jusqu’à ce qu’on ait rencontré la nécessité d’écrire ce mot, on ne savait pas comment l’écrire. Quel autre exercice que la rédaction ou la dictée permet de prendre conscience que l’on ne sait pas écrire tel ou tel mot ? Si on ne sait pas, on cherche, on corrige, on apprend (après avoir noté le mot dans un calepin pour le réviser, le réutiliser, etc.). Mais, je l’ai dit, ce n’est pas là l’essentiel. La dictée doit permettre à l’élève de faire des choix : tel mot s’accorde-t-il avec tel autre ? A-t-on bien choisi parmi des homophones grammaticaux ? Serait-ce «ses», «ces», «c’est» ou même «sait» ?

Et si l’on veut adopter «une pédagogie de la prévention des erreurs», l’on peut se pencher sur l’élève que l’on aiguille sur la bonne voie. Je ne commenterais pas la pitoyable métaphore routière, et sa conclusion :

Aussi, obliger les enfants à réfléchir, donc à ralentir leur écriture, n’est certainement pas un service à leur rendre.

Cette phrase qui vient conclure la métaphore filée du moniteur d’autoécole nous explique donc que celui-ci ne rendra pas service à son élève qu’il invite à ralentir. Vraiment ? Écrase-toi contre la voiture d’en face, on verra après…

Et je ne parlerai même pas de l’opposition énoncé/énonciation qui, je le suppose, est le point d’orgue dans la démonstration de l’auteure :

Or, la dictée est doublement étrangère à l’énonciation : parole extérieure, élaborée par quelqu’un d’autre, elle est reçue passivement, et à travers une oralisation du dicteur, laquelle n’a rien à voir avec la prononciation mentale qui accompagne l’énonciation. Pire , cette oralisation extérieure se substitue à la prononciation mentale et la bloque complètement — ou, tout au moins, la fausse gravement.

Comment ne pas percevoir que cette vulgate linguistique discrédite toute tentative de communication ? Toute parole extérieure étant reçue passivement, d’où vient que l’on continue de considérer l’autre, sans même parler de celui qui vient avec sa dictée ? Et si, d’aventure, la dictée se révélait être cet indigne chausse-trape éducatif, que ne proposez-vous pas la méthode qui permettra de reconnaître un problème que vous reconnaissez ? Au lieu de cela, vous concluez :

Au fait, au lieu de perdre du temps à faire faire des erreurs qui vont s’imprimer dans la tête des gamins et y installer un bazar pas possible, si on essayait enfin d’aider les élèves à comprendre comment ça marche, l’orthographe ?

Comment faut-il donc faire ? Encore une fois, je répondrai dans un élan d’autopromotion. Tout Ralentir travaux s’efforce d’y répondre, et dans cette réponse, il y a la dictée, laquelle fait partie de mon arsenal éducatif. Il en existe d’autres, que je n’ai jamais pu véritablement exploiter. Il y a les dictées que des élèves peuvent faire eux-mêmes, à leur rythme, en utilisant (pourquoi pas ?) un dictionnaire ou une grammaire. On pourrait songer, comme pour la rédaction, à utiliser un correcteur orthographique, pas le médiocre correcteur intégré à tout traitement de texte, mais celui d’Antidote par exemple. Il doit bien y avoir des enseignants canadiens le faisant. J’aimerais entendre leur voix.

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Éducation Humeur Informatique

Pour en finir avec le pourrisseur du web

Un canular pertinent ?

Pourquoi la talentueuse galéjade d’un dénommé Loys n’en finit-elle pas de faire couler de l’encre ? Cette farce n’est-elle donc pas réussie ? Bien sûr qu’elle l’est, et c’est précisément pour cette raison qu’elle est couronnée de succès. De surcroît, elle pose un vrai problème que l’Éducation nationale devra prendre un jour à bras-le-corps. Je veux parler de l’utilisation d’internet dans la rédaction de réponses à un devoir et même lors d’un examen. Mieux encore, on comprend que c’est un problème de société lorsque l’on constate que les lycéens paresseux n’ont pas l’apanage du vice dénoncé. L’auteur du blog À la toison d’or ne dit pas autre chose :

« Des élèves de lycée recopient leurs devoirs ? Et pourquoi ne le feraient-ils pas ? On a vu en moins d’un an un journaliste culturel à succès, une ancienne ministre, un présentateur vedette de journal télévisé et celui qui est présenté comme le plus grand écrivain actuel se rendre coupable de plagiat ! Soit ils ont avoué, soit ils ont présenté des excuses tellement lamentables que personne n’a été dupe. »

Le plagiat, la copie éhontée sont donc des problèmes réels qu’on ne peut ignorer. De ce point de vue, il est intéressant de reconnaître que l’article de Loys met en évidence la plaie que représente ce que j’ai déjà appelé les marchands du temple, ces commerçants du soutien scolaire qui vendent des commentaires et des dissertations à la qualité douteuse. Eux aussi pourrissent le web.

Mais alors, si cet article est bien écrit, est même brillant et pose de vrais problèmes, que ne sommes-nous satisfaits ? Eh bien si l’on passe les petites manifestations d’ego auctoriales (« j’ai voulu démontrer aux élèves que les professeurs peuvent parfois maîtriser les nouvelles technologies aussi bien qu’eux, voire mieux qu’eux », « cette expérience […] me vaut aujourd’hui une belle réputation dans mon lycée. »), le méchant et pernicieux piège tendu aux élèves, force est de constater que le texte n’apporte aucune réponse au problème posé ou, plus précisément, il l’évacue de la pire des manières.

Foin du numérique

Retournons au bon vieux temps où l’ordinateur n’existait pas. Tel pourrait être le credo de Loys. Exigeons des élèves qu’ils se passent de leurs jouets technologiques. Cette injonction rappelle fortement le désir finkielkrautien de débrancher les établissements scolaires. Outre que, avant de les débrancher, j’aimerais qu’on les branche, on peut s’interroger quant à la légitimité d’une telle demande. Si elle n’étonne plus de la part du philosophe (s’exprimant sur France culture le samedi matin), elle laisse pour le moins perplexe quand il s’agit de notre jeune auteur qui voit dans le numérique le mal qui ronge notre école. Tout se passe comme si de jeunes gens nés à une époque où Steve Jobs n’était déjà plus un hippie puant et défoncé, mais un entrepreneur qui allait changer notre rapport à la machine, tout se passe comme si ces jeunes gens, disais-je, n’avaient jamais rien compris à l’informatique. Ils ont la même réaction que leurs aînés qui ont assisté à la naissance de Pong, ils ne comprennent pas l’intérêt de l’ordinateur personnel. Pire encore, ils le conçoivent comme un péril. Ils poussent des cris d’orfraie et tels des prophètes de malheur nous annoncent que l’école va à sa perte et que son fossoyeur est la machine.

Des enseignants passéistes

C’est précisément cela que je trouve détestable. Cette vaine propension à regretter ce qui est, au lieu de le prendre en compte et d’agir en conséquence. Vous pouvez regretter tant que vous voulez l’omniprésence des machines, elles sont bien là et toutes les incantations visant à restaurer un état antérieur sont frappées d’inanité. Pour pasticher Jean-Marie Tjibaou, je dirais volontiers que notre avenir est devant nous. Le retour en arrière est un mythe. Nous n’aurons pas d’école sans ordinateurs. Faites-vous à cette idée.

Et j’aurais tant voulu que notre contempteur des usages numériques nous dise, tel Umberto Eco, qu’il faut apprendre à « exercer son sens critique face à internet », « ne pas tout accepter pour argent comptant » (N’espérez pas vous débarrasser du livre). Ne me répondez pas que c’est ce qu’il a fait. Il a éventuellement apporté à des lycéens la preuve qu’il fallait être prudent, il n’a rien enseigné. Or l’exercice, selon Eco, pourrait être : « à propos du sujet proposé, trouvez dix sources de renseignements différentes et comparez-les » (op. cit.). Si Loys avait eu cette idée, celle d’éduquer à l’usage d’internet, son article aurait eu l’assentiment général. Au lieu de ça, ses mesquineries piégées exaspèrent, ses regrets nauséabonds fleurent bon la nostalgie de l’école du passé. Le mot « nauséabond » peut paraître excessif, mais il faut comprendre une chose. Le succès de Loys est le succès de tous les réacs en général et en particulier de professeurs qui, dans un forum bien connu, se débondent en épandant leur regret d’une école qui ne leur convient pas. Parmi eux, un chasseur de mouches (c’est ce qu’indique son pseudo) est le grand réac en chef. Je le soupçonne, tel un personnage huysmansien, de s’être fait tatouer sur la plante des pieds le nom de Meirieu pour le fouler toute la journée. Il hait le collège unique, conspue l’usage de l’informatique en classe, conchie les réformes visant à faire de l’école autre chose qu’une fabrique de crétins (mais après tout, c’est son fonds de commerce). Il abhorre jusqu’à l’Éducation nationale qu’il voudrait voir instruire et non éduquer.

Instruire ?

Vous pouvez m’attribuer d’ores et déjà le point Godwin, je me l’attribue si vous le voulez : la seule fois, en près de 200 ans, qu’on est revenu au ministère de l’Instruction publique, c’était sous le gouvernement de Vichy. Comment, aujourd’hui, peut-on encore prétendre que les enseignants ne sont là que pour instruire et non éduquer (si le sujet vous intéresse, j’y consacrerai un autre article) ? Quoi qu’il en soit, le grand réac a ses thuriféraires parmi lesquels vous trouverez notre pourrisseur du web et sa vulgate : le web est truffé d’erreurs, point de vérité hors du livre dans lequel ils semblent avoir toute confiance. C’est à croire qu’ils n’ont jamais lu la Bible, aucune histoire de la Révolution française ou de la franc-maçonnerie.

Tapage médiatique

L’accueil réservé à de tels personnages fait donc frémir. Ils ont accaparé toute l’attention du public sur Twitter, sur Facebook, sur Europe 1, sur France 2 et que sais-je encore ? Que fallait-il faire pour cela ? Rien ou presque. Il suffisait de dire que les lycéens sont des crétins feignants et que le web est un vivier à sottises. Et tout le monde d’applaudir ! Les bras m’en sont tombés. Tous les gens qui, depuis des années, contribuent à faire du réseau des réseaux un lieu hautement éducatif sont boudés, ignorés, peut-être même maintenant méprisés, et un enseignant venu pourrir le web, falsifier une encyclopédie est accueilli en héros ! C’est pour cela que j’ai écrit cet article Comment j’ai nourri le web. Si c’était à refaire, je l’intitulerais Comment ils nourrissent le web afin d’y inclure tous ceux qui travaillent dur pour publier le fruit de leur travail sur internet. Heureusement, certains d’entre eux ont eu l’idée d’un Wiki rassemblant toutes les contributions. C’est la fin de l’histoire du pourrisseur du web. Que celui-ci retourne dans son cénacle où l’on célèbre l’école d’antan et le charme discret de la bourgeoisie. Je vote pour la damnatio memoriae.