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Le structuralisme coupable ?

Il y a quelque temps, je lisais un article à propos de Michel Foucault sur le site du Monde diplomatique. L’auteur de cet article évoquait Derrida, lequel trouvait que L’histoire de la folie à l’âge classique relevait du « totalitarisme structuraliste ».
Stupeur ! car pour ma part je ne vois pas en quoi le structuralisme peut relever du totalitarisme, à moins qu’il ne s’agisse d’un emploi métaphorique.

Je fais part de cet article à mes collègues, dont l’une me parle aussitôt du petit livre de Tzvetan Todorov paru en 2006 La littérature en péril, dans lequel sont expliqués les liens qui unissent structuralisme et communisme.

Au début de son livre, Todorov explique que les études littéraires étaient « sous l’emprise de l’idéologie officielle », c’est-à-dire celle de la Bulgarie faisant alors partie du bloc communiste en 1956. Il explique également comment il devait réussir le tour de force de parler de la littérature sans bien sûr énoncer la moindre idée personnelle contrevenant à l’idéologie communiste, mais sans non plus « avoir à se plier aux exigences de l’idéologie régnante » c’est-à-dire sans à avoir à exprimer la foi communiste.La solution était simple. Comme l’avaient fait dans les années 20 les formalistes russes, il s’agissait de ne s’intéresser qu’à « la matérialité même du texte, à ses formes linguistique », « à s’occuper d’objets sans teneur idéologique ». Ainsi les observations littéraires échappaient à la censure.

On voit ainsi comment le structuralisme, le formalisme ou toute manière de ne s’intéresser qu’à la forme pure étaient au départ un moyen d’échapper à l’emprise du parti. Plus tard, elle sera un rééquilibrage, une approche conciliant étude du contexte historique, idéologique, esthétique (soit la tendance dominante de la critique à l’époque) et étude de la relation des éléments de l’œuvre entre eux (la tendance de la nouvelle critique, celle de Barthes, Genette, Todorov…).

Je ne suis pas sûr que cela explique la critique de Derrida, que je ne suis pas sûr d’avoir comprise, mais la suite du livre de Todorov est intéressante. Ce dernier pense que l’enseignement ( que ce soit dans le secondaire, à l’université… ) est le reflet d’une conception étroite de la littérature qui considère l’œuvre littéraire comme un objet auto-suffisant, sans rapport avec le monde, fait de jeux formels dont les règles internes prévalent. En classe, on étudie des situations d’énonciation, des genres, des registres, des figures de style, des points de vue, les fonctions de Greimas, les fonctions du langage de Jakobson, bref des concepts forgés par l’analyse littéraire mais pas les œuvres. Le pire est que cela conduit à un désintérêt pour la littérature, ce que la désaffection pour les filières littéraires semble confirmer.

On confond donc le but et le moyen, les outils avec l’objet : « À l’école, on n’apprend pas de quoi parle les œuvres mais de quoi parlent les critiques » (page 19) ; « […] les études littéraires ont pour but premier de nous faire connaître les outils dont elles se servent » (page 18).

Mais, la majeure partie du livre de Todorov n’est pas constituée de ce constat qui tiendrait en une dizaine de pages. Il ne crie pas non plus haro sur le structuralisme ( comment le pourrait-il ? ) qui pourrait facilement être désigné comme le coupable des dérives susmentionnées. Il montre comment on en est arrivé à cette situation. Et alors qu’on pouvait penser que le structuralisme endosserait le rôle du coupable idéal, Todorov montre comment la naissance de l’esthétique moderne à contribué à façonner la notion de Beau, d’Art, et donc d’œuvre auto-suffisante, coupé du monde. De Platon à la théorie de l’art pour l’art, il explique comment l’enseignement et la critique en sont venus à privilégier l’œuvre et ses jeux formels comme un objet clos et non comme « un discours sur le monde » (page 31), ce qu’elle est avant tout.

Je ne peux résumer toutes ces pages ( 37 à 68 ), mais elles valent d’être lues, et on ne pourra ainsi pas accuser le structuralisme de tous les maux.

Enfin Todorov montre pourquoi la littérature est en péril. Selon lui, elle est prise dans un « corset étouffant », « fait de jeux formel, complaintes nihilistes et nombrilisme solipsiste » (page 85).

Pourtant, le structuralisme a beaucoup apporté. Il faut se souvenir de ce qu’était la critique littéraire auparavant. Pensez à la philologie. Relisez Contre Sainte-Beuve. Mais Todorov prévient en s’opposant à tout manichéisme : « on n’est pas obligé de choisir entre le retour à la vieille école du village, où tous les enfants portent la blouse grise, et le modernisme à tous crins ; on peut garder les beaux projets du passé sans avoir à conspuer tout ce qui trouve sa source dans le monde contemporain » ( page 24 ).

Au reste, le structuralisme a-t-il été autre chose qu’une tentative de déchiffrer le monde, de lui donner du sens ? Ne serait-il pas paradoxal que l’on fasse le procès de ce qui n’a jamais été autre chose qu’« un discours sur le monde » ? Cherchant à définir l’homme structural, Roland Barthes le désignait ainsi, Homo significans, percevant « le frisson d’une machine immense qui est l’humanité en train de procéder inlassablement à une création du sens » ( » L’activité structuraliste  » in Essais critiques, pp. 218-219). Et parlant de la littérature, Barthes écrivait « qu’elle est à la fois intelligible et interrogeante, parlante et silencieuse, engagée dans le monde par le chemin du sens qu’elle refait avec lui, mais dégagée des sens contingents que le monde élabore » ( c’est moi qui souligne ).


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Sauvegarde qui peut

Il y a peu, Pierre Assouline regrettait sur son blog le contenu fort rétrograde de l’émission de Finkielkraut sur France Culture dans laquelle était invité Jean-Claude Carrière. On s’étonnera peut-être que l’on s’étonne du contenu des émissions de Finkielkraut. Au reste, je ne saurais dire ce que je pense de ce dernier dont les propos à forte teneur réactionnaire me semblent souvent choquants (sur France Inter à propos de Roman Polanski), mais j’en parlerai peut-être un jour, si je n’ai rien d’autre à faire.
Bref.
Pierre Assouline déplorait que nombre d’idées reçues sur l’informatique, sur son écrasante domination et sa menace sur le livre aient été une fois de plus répétées à l’envi. Or il se trouve que je lis actuellement une série d’entretiens entre Umberto Eco et Jean-Claude Carrière (N’espérez pas vous débarrasser des livres). J’ai la conviction (il faudrait vérifier, écouter l’émission de France Culture) que la présence d’Umberto Eco a servi de garde-fou aux débordements disons réactionnaires de Carrière. Ce dernier ne cache pas ou mal sa défiance pour l’informatique. Umberto Eco étant un utilisateur de longue date d’ordinateurs (dès les années 80), il s’est intéressé à la programmation (à l’époque, le basic, entre autres), il ne rechigne pas non plus à exploser quelques envahisseurs extraterrestres pour se divertir, etc. Il ne voit donc pas dans l’informatique une menace. En revanche, il croit en la supériorité du livre sur l’ordinateur, mais il ne pense pas que l’informatique tuera le livre. La préface est déjà un avertissement (celle de Jean-Philippe de Tonnac menant les entretiens), qui reprend en la démentant la citation hugolienne, laquelle expliquait comment l’intelligence humaine avait quitté l’architecture (la cathédrale) pour l’imprimerie (« Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice »). Cependant, les cathédrales existent toujours. Il en sera de même pour le livre. L’e-book ne tuera pas le livre. Ils coexisteront. De toute façon, l’e-book n’entre pas en concurrence avec le livre. Il en est une déclinaison, une évolution qui ne remplace par l’objet originel dans lequel Umberto Eco voit la perfection. Selon lui, on ne peut pas faire mieux, on ne peut pas inventer mieux (comme la roue, la cuillère…). Mon propos n’étant pas de prouver la supériorité du livre sur l’ordinateur, je n’insiste pas (j’aime trop les deux), mais lisez N’espérez pas vous débarrasser des livres. C’est passionnant (Carrière dit des choses très justes sur l’informatique, notamment les nouvelles techniques, page 47).
Poursuivons.
Pierre Assouline se rit des invités de Finkielkraut qui s’inquiètent « du caractère précaire de la conservation des données » en informatique. À dire vrai, j’imagine que l’émission a dû être éprouvante à écouter (Finkielkraut pareil à lui-même, Carrière qui se lâche, etc.), mais ils ne doivent pas avoir tout à fait tort. Dans N’espérez pas vous débarrasser des livres, Umberto Eco évoque à juste titre ce problème à plusieurs reprises. Lorsqu’il explique, page 82, qu’il n’a jamais retrouvé une première version du Pendule de Foucault enregistré sur une disquette en 1984 ou 1985, on frémit. Ces données sont extrêmement précaires et pas seulement parce qu’on peut les égarer, mais parce qu’elles sont gravées sur des supports en permanente évolution et obsolescence (de la bande magnétique à la clef USB en passant par les disquettes de différents formats, les CD-ROM, les DVD-ROM, les disques durs IDE et SATA puis SSD…). Dans le livre d’entretien, ils omettent un autre problème qui me paraît particulièrement inquiétant, celui du format choisi. La plupart du temps, nous confions nos précieuses données (et la mémoire de l’humanité tout entière) à un éditeur de logiciel que beaucoup ne se donnent même pas la peine de payer. Très souvent, il s’agit de Microsoft (Word, Works…). Avez-vous pourtant idée du nombre de logiciels de traitement de texte existant ? Vous êtes-vous déjà demandé ce qui arriverait si le logiciel que vous avez l’habitude d’utiliser cessait d’exister ? Ce n’est pas impossible. Pensez à AppleWorks. Pensez à… Word qui pourrait disparaître ou dont le format de fichier a changé (de .doc à .docx). C’est pourquoi il serait sain de s’en remettre à un format ouvert, celui d’OpenOffice (.odt).
De tout cela, j’en conclus qu’un vieux « chnoque » comme Jean-Claude Carrière a des choses fort intéressantes à dire et à nous apprendre, même si elles me semblent provenir d’un esprit qui ne comprend pas bien (et encore !) son époque. Et puis, c’est la première fois que je lis avec tant d’intérêt un auteur avec lequel je pourrais être en total désaccord sur certains points, tant il est vrai que la méfiance envers internet m’horripile (pensez à Jacques Séguéla et à je ne sais plus qui).
En tout cas, je retourne à ma lecture inachevée, et télécharge l’émission de France Culture.
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Les mots préférés de Jean-François Parot

Jean-François Parot a ses mots favoris.
Quand on le lit, on est certain de trouver quelques mots comme – si ma mémoire ne me fait pas défaut – aménité, alacrité, acrimonie ou encore atermoyer ou gabegie. Il faudrait établir une de ces listes chères à Umberto Eco, car on en trouverait beaucoup d’autres.
Force est de constater que le père de Nicolas Le Floch a une prédilection pour le mot homicider dont tout le monde connaît le sens, à ceci près que Jean-François Parot a ressuscité son emploi pronominal, s’homicider qui équivaut à se suicider, occurrence  moderne moins accessible de prime abord, le pronom sui (soi) paraissant plus savant que le nom homo, hominis.
On retrouve s’homicider dans pratiquement chacun de ses livres (je n’ai pas pu tout vérifier, ayant prêté certains d’entre eux) :
« Vous êtes convaincu comme moi-même que ce jeune homme s’est homicidé, n’est-ce pas ? » (L’homme au ventre de plomb, chapitre I, page 36, édition 10/18)
« Tout laisse à croire qu’ayant tué la fille il a tenté de se punir en s’homicidant. », (Le crime de l’hôtel Saint-Florentin, chapitre II, p. 53, édition JC Lattès)
« Il y a possibilité qu’il ait voulu s’homicider […] » (Le cadavre anglais, chapitre III, p.91, édition JC Lattès)
« Pouah ! Songeriez-vous à vous homicider ? » ( Le noyé du Grand Canal, chapitre II, p.47, édition JC Lattès)
La fréquence de ce mot dans les romans de Jean-François Parot tient peut-être à des questions d’ordre générique. Dans un roman policier, il n’est probablement pas surprenant qu’il y ait des morts, fussent-ils homicidés. Pourtant, cette récurrence – notamment dans les premiers chapitres et ce de façon quasi systématique – m’apparaît davantage comme une ficelle romanesque, une volonté d’en imposer par un effet de réel créé par l’emploi d’un vocabulaire du XVIIIe siècle particulièrement savoureux. Au reste, il n’est pas impossible que l’auteur affectionne particulièrement ce mot est l’emploie à l’envi. Toutes ces hypothèses ne sont pas exclusives. Je suis d’ailleurs convaincu que Jean-François Parot aime le XVIIIe siècle dans ses bâtiments, ses hommes, ses histoires jusque dans ses mots (on rougit de dire tant d’évidences…). Il n’est donc pas rare de lire sous la plume de cet auteur ses mots fétiches revenant régulièrement, pour mon plus grand plaisir, parce que s’il ne le répétait pas, je les oublierais comme le délicieux pet-en-l’air désignant une robe de chambre (L’affaire Nicolas Le Floch, p. 157 et Le noyé du Grand Canal, p. 103  édition JC Lattès)

parotJean-François Parot a ses mots favoris.

Quand on le lit, on est certain de trouver quelques mots comme – si ma mémoire ne me fait pas défaut – aménité, alacrité, impéritieacrimonie ou encore atermoyer ou gabegie. Il faudrait établir une de ces listes chères à Umberto Eco, car on en trouverait beaucoup d’autres.

Force est de constater que le père de Nicolas Le Floch a une prédilection pour le mot homicider dont tout le monde connaît le sens, à ceci près que Jean-François Parot a ressuscité son emploi pronominal, s’homicider qui équivaut à se suicider, occurrence  moderne moins accessible de prime abord, le pronom sui (soi) paraissant plus savant que le nom homo, hominis.

On retrouve s’homicider dans pratiquement chacun de ses livres (je n’ai pas pu tout vérifier, ayant prêté certains d’entre eux) :

« Vous êtes convaincu comme moi-même que ce jeune homme s’est homicidé, n’est-ce pas ? » (L’Homme au ventre de plomb, chapitre I, page 36, édition 10/18)

« Tout laisse à croire qu’ayant tué la fille il a tenté de se punir en s’homicidant. », (Le Crime de l’hôtel Saint-Florentin, chapitre II, p. 53, édition JC Lattès)

« Il y a possibilité qu’il ait voulu s’homicider […] » (Le Cadavre anglais, chapitre III, p.91, édition JC Lattès)

« Pouah ! Songeriez-vous à vous homicider ? »  et  «[…] on ne pouvait parfois éviter que des prisonniers n’en vinssent à des pensées funestes et ne s’homicidassent. » ( Le Noyé du Grand Canal, chapitre II, p.47 et 424, édition JC Lattès)

La fréquence de ce mot dans les romans de Jean-François Parot tient peut-être à des questions d’ordre générique. Dans un roman policier, il n’est probablement pas surprenant qu’il y ait des morts, fussent-ils homicidés. Pourtant, cette récurrence – notamment dans les premiers chapitres et ce de façon quasi systématique – m’apparaît davantage comme une ficelle romanesque, une volonté d’en imposer par un effet de réel créé par l’emploi d’un vocabulaire du XVIIIe siècle particulièrement savoureux. Au reste, il n’est pas impossible que l’auteur affectionne particulièrement ce mot et l’emploie à l’envi. Toutes ces hypothèses ne sont pas exclusives. Je suis d’ailleurs convaincu que Jean-François Parot aime le XVIIIe siècle dans ses bâtiments, ses hommes, ses histoires jusque dans ses mots (on rougit de dire tant d’évidences…). Il n’est donc pas rare de lire sous la plume de cet auteur ses mots fétiches revenant régulièrement, pour mon plus grand plaisir, parce que s’il ne les répétait pas, je les oublierais comme le délicieux pet-en-l’air désignant une robe de chambre (L’Affaire Nicolas Le Floch, p. 157 et Le Noyé du Grand Canal, p. 103  édition JC Lattès).

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Te iPodum laudamus

IMG_0393Aujourd’hui, j’ai envie d’entamer un chant de louange et d’allégresse à l’iPod.

Au reste, ce blog fonctionne sur un mode binaire : on y loue ou on y blâme. Rien de très original. On est, pour reprendre les termes de l’ancienne rhétorique, dans le domaine de l’épidictique : on loue ou on blâme.

Louons donc.

L’iPod, ce petit objet technique (technique, pas technologique), frivole, pour certains, est pour moi d’une importance capitale.

C’est mon dada, et je l’enfourche.

Il ne sert pas à me tympaniser de bruits de casseroles qui sombreront tôt ou tard dans les limbes musicaux de l’oubli. Enfin si ! Il me sert à écouter ma musique, mais pas seulement.

Dès le début de l’utilisation de cet objet, un mot a attiré mon attention. Podcast.

Le podcast, dont l’étymologie dit assez le lien étroit qu’il entretient avec ledit objet, est une émission audio, vidéo parfois, que l’on peut télécharger et écouter sur son ordinateur ou son iPod.

Aujourd’hui, tout le monde diffuse des podcasts. Si j’en avais le temps, j’en ferais. Télérama a ses podcasts. France radio a ses podcasts, et ça, c’est le comble du bonheur (vous ne le voyez pas, mais j’entre en pâmoison). Songez qu’il y a peu, on enregistrait des émissions de radio avec une cassette. Quelle époque barbare ! Aujourd’hui on les télécharge, et on les écoute où l’on veut (dans sa voiture, chez soi, en marchant…). Pascale Clark, Stéphane Guillon, ou même Umberto Eco égaient mes mornes trajets, mes moments perdus, comme dans les salles d’attente où, auparavant, j’en étais réduit à feuilleter un méchant Voici vieux de plusieurs années, souillé par des milliers de mains de patients, traînant sur la table basse entre Le Point et Auto machin truc (que l’on ne me dise pas qu’on peut lire un livre : soit la pire station de radio a été sélectionnée, soit un phtisique agonisant emplit la salle de sa terrible toux , soit on entreprend de vous faire parler de la pluie et du beau temps, et le reste à l’avenant…).

Heureusement, il y a, et qui l’eût cru (qui l’eût dit, ajoutait Corneille), le livre audio, qui vous permet, avec les écouteurs sur les oreilles, de vous absenter du monde. Je n’ai connu qu’une seule personne capable de vous parler dans un tel moment…

Il fut un temps où le livre audio me semblait l’intrus des librairies.

Je me souviens, à Bordeaux, que les enregistrements d’œuvres littéraires figuraient en nombre réduit sur un présentoir isolé, perdu au milieu de milliers de livres, les véritables vedettes du lieu. Régulièrement, je passais à côté de ces enregistrements dans la plus grande indifférence. Je les voyais, parce que je passais devant, mais jamais je n’avais eu l’envie d’en écouter un seul.

Depuis les choses ont changé.

Je ne les regarde toujours pas quand j’en vois, mais la raison en est toute différente.

Il y a que j’ai accueilli la dématérialisation de la musique avec joie. Voir disparaître toutes ces boîtes, tous ces fragiles et encombrants CD a été une réjouissance. Ils sont désormais « dans » mon ordinateur bien rangés. Je les trouve instantanément. Et quand je ne parviens pas à mettre la main sur un titre, je tape les premières lettres, et le fichier désiré apparaît aussitôt.

En fait, il y a quelques années, un ami était venu un jour avec un iPod. C’était, je crois, en 2004. La chose était blanche, était épaisse, avait une capacité de quelques gigas. L’écran était en noir et blanc.

IMG_0424J’ai fini par en acquérir un, puis deux, puis trois, véritable tonneau des danaïdes. Jamais remplis. Je passe mon temps à déverser là-dedans toutes sortes de fichiers. Et depuis l’iPod touch, les possibilités se sont accrues.

Ainsi, disais-je, j’aime désormais particulièrement écouter les livres audio. Peut-être l’indifférence éprouvée jadis s’est-elle muée en goût quand il s’est agi de chercher des enregistrements de contes pour mes filles. La découverte des contes de Pierre Gripari lus par lui-même fut une grande réjouissance. Un de ces moments clefs qui changent radicalement votre vision des choses. Je voyais aussi sur iTunes ce catalogue immense de livres, mais en anglais, à l’époque de livres à télécharger. J’avais fait quelques essais, mais mon niveau en anglais me permettait rarement d’être assez attentif à l’enregistrement audio et à la route en même temps (cette écoute est très liée au transport, à la marche, au déplacement, alors que la lecture du livre est lié à l’immobilité, à la chaise, au fauteuil). Et puis, récemment, j’ai découvert de façon assez inattendue litteratureaudio.com, par un lien sur Wikipedia.

Depuis, j’ai téléchargé une bonne quantité d’enregistrements. Ils sont disponibles au téléchargement gratuitement au format MP3. Ils sont de qualités inégales, tant il est vrai que lire à voix haute est un don qui n’est pas donné à tout le monde. C’est comme chanter, si on n’a pas ce je-ne-sais-quoi, qui vous différencie des autres, vous avez beau chanter correctement, vous ne procurez aucun frisson. Lire, c’est la même chose. Cela demande des dons d’interprétations, un véritable travail d’acteur invisible ! Mais le catalogue est vaste, et on trouve de très bonnes lectures gracieusement offertes. On ne va pas faire le difficile. Et songez qu’un livre audio dans le commerce, c’est une douzaine d’euros…

Enfin, avec l’accès à internet, l’iPod – et depuis l’iPhone – s’est mû en véritable petit ordinateur. Je ne m’étalerai pas sur ma dépendance à internet, mais j’évoquerai tous ces logiciels que l’on peut installer, les jeux par exemple, mais je ne saurais vous inviter à jouer, mais plutôt à travailler, quoique j’apprécie grandement de pouvoir massacrer des hordes de zombies assoiffés de sang. Umberto Eco vous expliquerait – pardonnez cette digression (autre partie de la rhétorique) – que des jeux avec des armes sont sains, et que ceux qui jouent au Lego travaillent ensuite à Auschwitz… Bref, je vous conseillerai de charger votre iPod de tous ces logiciels que sont les dictionnaires à bas prix voire gratuits : Littré, Larousse, TLF, Antidote, dictionnaires des synonymes, des difficultés de la langue française, des citations…

J’arrête là.

La prochaine fois, je blâme.

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Hommage de Dumas

Dans Pauline, Alexandre Dumas rend hommage au père du roman historique lorsqu’il fait dire à son héros : « Nous visitâmes, Walter Scott à la main, toute cette terre poétique que, pareil à un magicien qui évoque des fantômes, il a repeuplée de ses antiques habitants, auxquels il a mêlé les originales et gracieuses créations de sa fantaisie ».

Mais comment ne pas y voir le manifeste littéraire de sa propre œuvre ? Ce que Walter Scott a fait en Angleterre, Alexandre Dumas l’a fait à son tour en France.

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En lisant Le Château

J’ai achevé la (re)lecture du Château de Franz Kafka il y a quelque temps, lecture qui m’a inspiré ces quelques notes qui valent ce qu’elles valent.

Je viens de lire, plus exactement de relire, Le Château de Franz Kafka. Je disais « lire » parce que, plus de vingt ans après la première lecture que j‘ai faite de ce roman, c’est un peu comme si je le découvrais pour la première fois. Je me demande même quelle lecture j’avais pu faire de ce livre qui m’avait plu à l’époque. J’étais alors lycéen, et j’avais lu dans la foulée Le Procès et L’Amérique. C’est dire si ça m’avait plu ! Pourtant, je ne peux pas dire aujourd’hui que l’œuvre m’ait plu. Je l’ai trouvée particulièrement fascinante, particulièrement ennuyante à bien des égards, mais dire que je l’ai trouvée plaisante, non.
En revanche, l’œuvre a le charme des romans inachevés ( je pense notamment à L’Homme sans qualités de Robert Musil ). Quand, au terme de plusieurs centaines de pages, on lit ces mots (« mais ce qu’elle disait… »), quand on comprend que ce sont les derniers, et que ceux qui manquent contiennent peut-être la clef sinon du roman du moins de son sens ( selon la double acception du terme, vectorielle et sémantique, disait un mien professeur ), on est saisi de vertige au bord de ces points de suspension. C’est un peu le contraire de la nouvelle à chute. Le plaisir de la révélation vous est retiré, seules la réflexion, la perplexité aussi prolongent votre lecture. D’autant que le livre se pare d’un autre charme : celui d’avoir échappé aux flammes. Il faut se réjouir que Max Brod ne se soit pas conformé aux vœux de l’auteur, en ne brûlant pas l’œuvre comme il l’avait promis à la mort de son ami.
Perplexe, on a alors envie de reprendre le livre. Curieux livre… Quelqu’un a dit un jour d’un roman que le soleil en était absent. Je n’ai pas souvenir qu’il s’agissait du Château, mais je trouverais cela tout à fait pertinent. On a le sentiment, tout au long de la lecture, d’être plongé dans une pénombre hivernale. On ne peut certes pas préjuger de la structure du livre puisqu’il est inachevé, mais le premier chapitre s’ouvre sur une arrivée nocturne : « Il était tard lorsque K. arriva. Une neige épaisse couvrait le village ». Quelques lignes après, le protagoniste s’endort : « Il faisait chaud, les paysans se taisaient, il les regarda encore un peu entre ses paupières fatiguées puis s’endormit ». À la fin, K. éprouve un irrésistible sommeil (« […] il n’avait jamais dû connaître de fatigue aussi affreuse que celle dont K. souffrait en ce moment », p. 752). L’avant-dernier chapitre est intitulé « L’heure du réveil à l’hôtel ». Et encore ne sommes-nous pas totalement sûr que K. soit totalement éveillé. Le chapitre suivant ne s’ouvre-t-il pas sur cette phrase « Lorsque K. se réveilla, il crut d’abord n’avoir pas dormi […]» (p. 780) ? La dernière page montre K. se laissant « conduire dans la nuit » (p. 808). Tout se passe comme si le personnage principal – K. – menait une vie nocturne où les thèmes de la fatigue, de la nuit, du sommeil sont récurrents.
Je n’ai évidemment pas l’intention ni la prétention de me lancer dans une analyse du roman, ce ne sont que des impressions de lecture qu’il faudrait infirmer ou confirmer, mais j’ai le sentiment que Le Château relève à bien des égards du récit de rêve. De ce point de vue, l’histoire est absurde comme dans tous les rêves. De nombreux exemples en témoignent. Ainsi, certains personnages comme Klamm semblent changer d’apparence : « On dit […] qu’il n’a pas le même physique avant d’avoir pris sa bière et après, qu’il change quand il dort, quand il veille, quand il parle, quand il est seul […]» (p. 671). À la fin du roman, on apprendra que Frieda, la femme que K. aime, est un affreux laideron. Jamais elle n’avait été dépeinte ainsi. Enfin, K. est affublé de deux aides dont l’un ( il s’agit de Jérémie, à la fin du livre ) change lui aussi d’apparence :

– Tu ne me reconnais pas ? demanda l’homme, Jérémie, ton vieil aide.- Ah ! dit K. […] Mais tu n’es plus le même ?- C’est parce que je suis seul ! dit Jérémie. Quand je suis seul, ma verte jeunesse m’abandonne. (p. 727)

Autre exemple caractéristique du rêve : le protagoniste est bien souvent dans des situations embarrassantes ou absurdes comme il n’en existe que dans les rêves : enivré de sommeil K. s’avachit sur le lit du secrétaire d’un fonctionnaire du château qui n’en finit pas de gloser sur son métier. Au reste, c’est encore ce secrétaire qui résume le mieux l’histoire de ce livre lorsqu’il dit à K. : « Vous êtes donc un arpenteur sans travail d’arpentage » (p. 754).Histoire absurde s’il en est. K., un arpenteur appelé au village pour effectuer des travaux, ne parvient pas à les réaliser ni même à commencer quoi que ce soit parce que l’administration qui l’a convoqué — quand elle se manifeste — nie d’une façon ou d’une autre sa présence, son emploi, la pertinence de sa présence… En fait, K. a à peu près le même sort que le messager Barnabé qui doit en principe recevoir un costume officiel :

[…] au Château tout va toujours très lentement et l’ennui est qu’on ne sait jamais ce que signifie cette lenteur ; elle peut signifier que l’affaire suit la voie administrative, mais elle peut signifier aussi que rien n’est encore amorcé, que l’on veut par exemple éprouver Barnabé, et peut-être même que l’affaire a déjà été réglée, que la promesse a été retirée pour une raison ou pour une autre et que Barnabé ne touchera jamais le costume. On ne peut rien savoir de plus précis, tout au moins de très longtemps. (p. 668)

En somme, on ne sait jamais où en sont les choses et le roman raconte comment K. essaie vainement de les démêler affrontant une administration semblable à Dieu en ceci qu’elle est partout et nulle part. Pire encore, dans cette quête pour prouver sa légitimité, la vie de K. se confond avec son emploi :

Jamais encore K. n’avait vu son existence et son service aussi intimement mêlés ; ils l’étaient si bien que parfois K. pouvait croire que l’existence était devenue service et le service existence. (page… je ne sais plus)

Étrange confusion dont l’issue ne saurait être heureuse. Cette confusion n’en est d’ailleurs pas une. Pour l’administration, il n’y a pas de « différence entre le temps, le temps tout court, et le temps du travail » (p. 755) De toute façon, la confusion ou même l’erreur ne sauraient être tolérées — ni même surtout possible — par une administration toute puissante. C’est ce qu’explique le maire (qui lui aussi reçoit dans son lit). Ses explications constituent une scène d’anthologie. « Vous êtes engagé comme arpenteur, ainsi que vous le dites, mais malheureusement nous n’avons pas besoin d’arpenteur » (p. 553) commence-t-il par dire. Puis il raconte :

Il y a longtemps — à cette époque je n’étais maire que depuis quelques mois -, un décret vint, je ne sais plus de quel bureau, dans lequel on nous informait, de la façon catégorique qui est de règle chez ces messieurs, que nous devions engager un arpenteur et que la commune avait à préparer tous les plans et dessins nécessaires à ces travaux. Ce décret ne peut naturellement pas vous avoir concerné, car la chose date déjà de bon nombre d’années […] (pp. 553-554)

Mais, pour le maire, il ne saurait s’agir d’une erreur :

[…] nous avons donc répondu à ce décret en remerciant et en disant que nous n’avions pas besoin d’arpenteur. Mais cette réponse ne semble pas être revenue au bureau A — appelons-le A si vous voulez — mais, par erreur, à un autre bureau, par exemple le bureau B. Le bureau A est donc resté sans réponse, et de son côté le bureau B n’a pas reçu la totalité de notre lettre ; soit que le contenu du dossier fût resté chez nous, soit qu’il se fût perdu en route — pas au bureau, en tout cas, j’en mettrais ma main au feu — il n’arriva au bureau B qu’une chemise portant pour toute indication que son contenu — égaré — avait trait à la nomination d’un arpenteur. Cependant le bureau A attendait notre réponse ; il avait bien des notes sur l’affaire, mais, comme il arrive souvent et comme il est logique dans une administration qui fonctionne avec autant de précision, le rapporteur se reposa sur la certitude qu’il avait de nous voir répondre quelque jour, ensuite de quoi il eût ou nommé l’arpenteur ou, si besoin était, continué de correspondre avec nous. En conséquence il négligea ses notes et finit par oublier totalement l’affaire. Au bureau B la chemise arriva entre les mains d’un rapporteur célèbre pour sa grande conscience, un Italien, il s’appelle Sordini […] Ce Sordini nous renvoya naturellement le dossier vide pour le compléter. Mais depuis le premier écrit du bureau A, il s’était passé bien des mois, pour ne pas dire des années, et cela se comprend, car lorsqu’une pièce, comme c’est la règle générale, prend le bon chemin, elle arrive à destination dans les vingt-quatre heures et l’affaire est réglée le même jour, mais si elle se trompe de route — et il faut qu’elle y mette du sien étant donné la perfection de l’organisme, autrement elle n’y arriverait pas — alors, évidemment cela peut durer très longtemps. Aussi quand nous reçûmes la note de Sordini ne nous souvînmes-nous que très vaguement de l’affaire […] nous ne pûmes que répondre très vaguement que nous ne savions rien de cette nomination et que nous n’avions pas besoin d’un arpenteur… (pp.556-557)

Je ne peux poursuivre plus longtemps une si longue citation que je n’ai faite que pour vous donner une idée de la complexité administrative dans laquelle est prise K. (et puis cette logorrhée administrative est fascinante). Encore ceci n’est-il rien au regard de ce qui suit. Je résume. Sordini mène une manière d’enquête — d’où l’idée même d’erreur est exclue en raison d’une prétendue perfection administrative — pour s’occuper de l’affaire. Les choses se compliquant encore, d’aucuns en viennent à penser que la nomination d’un arpenteur est peut-être nécessaire (« C’est ainsi qu’une chose évidente (nous n’avions visiblement pas besoin d’arpenteur) se vit tout à coup discutée », p. 561). Mais, peut-être, (il faudrait compter combien de fois cet adverbe ou un autre du même sens apparaît dans le roman) un fonctionnaire « a tranché la question » (p. 562), malheureusement, comme personne ne le sait, « l’on continue à discuter passionnément sur des affaires réglées depuis longtemps […] on vous a envoyé la convocation » (p. 562). En somme, K. a été convoqué suite à ce que personne ne veut reconnaître comme une erreur pour des travaux dont on ne sait s’ils sont nécessaires à une époque où K. n’existait même pas. Un autre fonctionnaire découvrant tout cela parvient à mettre tout le monde d’accord. Ils en concluent que les travaux d’arpentage ne sont pas nécessaires, et voilà que K. apparaît bel et bien engagé comme arpenteur, lettre en main.
Voilà tout l’absurde de la situation. Or « Il est possible que l’apparence réponde à la réalité », dit le secrétaire Bürgel, p. 754. Nous avons déjà évoqué ce fonctionnaire recevant K. dans son lit. À de nombreuses reprises, il semble formuler certaines clefs sinon du livre du moins de l’administration qui l’emploie. Mais, la phrase elle-même est sujette à caution. La modalisation « Il est possible », le subjonctif « réponde » montrent assez que nous sommes dans l’univers des possibles, que rien n’est jamais certain, jamais acquis. D’où l’abondance des adverbes modalisateurs que j’évoquais plus haut. Ils sont très utilisés par le personnage d’Olga dont la vie est un drame («probablement », p. 675, « peut-être », p. 676, « probablement », p. 677). Que sait-on de sûr de cette administration démesurée tout entière consacrée à ce petit village ? En fait, on ne sait jamais. Tout ce que j’ai écrit plus haut est peut-être entièrement faux, je me suis peut-être entièrement fourvoyé, comme le personnage de K. toujours en porte à faux. Alors qu’il s’attarde dans un couloir de l’hôtel des Messieurs, il assiste à la distribution chaotique de dossiers. Il lui sera reproché d’avoir vu ce qu’il a vu et d’avoir été le responsable de ce chaos, comme s’il avait commis une faute énorme. En permanence, K. est susceptible de transgresser des règles jamais édictées.
Or ce K. est d’une politesse et d’une déférence extraordinaire tout au long de l’histoire. Il faudrait une étude des répliques de K. (elle existe peut-être déjà). Seuls les aides qui ont été affectés à son service semblent capables le faire enrager. Ce sont deux curieux personnages, inséparables, lovés l’un contre l’autre pendant leur sommeil, jouant en permanence, incapables de sérieux.
On ne saurait dire que K. est sympathique, mais on est amené à prendre son parti dans cette invraisemblable histoire.