La rhétorique, telle qu’on l’enseignait encore au XIXe siècle, était constituée de trois grandes parties : l’inventio (la recherche des idées ou des arguments), la dispositio (l’arrangement des différentes parties du texte écrit), et l’elocutio (choix et disposition des mots dans la phrase). C’était déjà une rhétorique restreinte dont on avait retranché la pronuntiatio et la memoria. Elle se réduisit comme une peau de chagrin quand elle ne devint plus qu’un traité des figures.
Au collège, l’enseignement relève aujourd’hui, pour l’essentiel, d’une rhétorique de l’elocutio. Nous n’avons, en effet, retenu de l’ancienne rhétorique que quelques figures de style. Au collège, l’élève est invité à n’en retenir qu’un certain nombre, comme dans cet exercice, par exemple.
Récemment, @mmechautard proposait un exercice intéressant. Les élèves devaient, non pas simplement repérer quelques figures, mais rédiger quelques phrases dans lesquelles figureraient une comparaison ou un zeugme, etc. Cet exercice semble avoir connu quelque succès, les élèves s’étant amusés à formuler des plaisanteries du type «Il descendit les poubelles et son voisin».
Rhétorique et enseignement
Je me suis alors rappelé Figures II de Gérard Genette et de «Rhétorique et enseignement» où il est expliqué que, auparavant, les grands textes de la littérature n’étaient pas seulement des objets d’étude, mais aussi des modèles à imiter. Aujourd’hui, il ne s’agirait évidemment pas de demander à un élève un portrait de Byron comme cela avait pu l’être à Flaubert. Mais, au moins, on pourrait se rappeler que la pratique régulière de l’écriture, dans le sillage des grands auteurs, bref ce qu’on appelle l’imitation, a ceci de bénéfique qu’on en revient à une rhétorique explicite, une rhétorique qui dit son nom, au lieu de se contenter d’exiger de l’élève qu’il fasse un effort pour écrire correctement, sans plus d’explications.
Faire un effort pour écrire correctement, cela ne veut rien dire au fond pour l’élève à qui on n’a jamais appris à écrire. Tout au plus l’invite-t-on à faire attention à l’orthographe, à suivre quelques consignes (utiliser le passé simple, placer des épithètes…). Pour le reste, il est livré à lui-même. Or la rhétorique n’a jamais vraiment quitté le collège. Elle a toujours été là, sans réellement faire l’objet d’un apprentissage avoué. En français, les précédents programmes invitaient à rédiger une narration, développer une description, à bâtir une argumentation, etc. Dans ce dernier cas, on retrouve nombre de composantes de l’ancienne rhétorique : recherche des idées, disposition de ces idées en un texte qui a un sens (selon la double acception : une signification et une direction), et expression de ces idées en termes acceptables pour l’institution scolaire.
Encore faut-il, pour ce dernier point, que l’élève ait un peu de vocabulaire, d’où la nécessité de l’étudier, de lui conférer une place importante, ce que font les actuels programmes de français. L’élève doit aussi avoir son arsenal de figures lui permettant d’exprimer ses idées avec force. À cet effet, il importe que l’élève sache non seulement les repérer, mais aussi les utiliser d’où les exercices susmentionnés. Mais il est impératif qu’on lui ait appris à écrire. Or on apprend à lire, mais on n’apprend pas réellement à écrire. Tout au plus donne-t-on quelques exercices de rédaction dont la consigne pourrait être : «Vas-y, fais de ton mieux, exprime-toi, si possible en un langage correct, avec le minimum de fautes». Mais attend-on seulement la moindre valeur littéraire de ce qui sera produit par l’élève ? A-t-on vraiment préparé cet élève à l’exercice de la rédaction ?
Apprendre à écrire
Si l’élève a appris à lire, il n’a pas appris à écrire d’une façon un tant soit peu littéraire. On reste persuadé, que l’élève ayant lu retiendra, ipso facto, quelques formulations que, de lui-même, il restituera dans un élan de bonne volonté. Son génie personnel, résidu romantique, fera le reste. N’est-on pas là dans l’erreur, si l’on ne remet pas au goût du jour l’exercice d’imitation, régulier, plus ou moins bref, en tout cas davantage que celui de la rédaction, et préparant la rédaction ?
Récemment, j’ai donné cet exercice dans lequel il fallait remplacer les verbes en gras par un participe présent, puis supprimer le sujet. Enfin, l’élève devait rajouter la conjonction de coordination « et » (voire supprimer le dernier pronom personnel sujet) :
Le chat enfila ses bottes, il mit son sac à son cou, il s’en alla dans une garenne.
Le chat enfila ses bottes, et mettant son sac à son cou, s’en alla dans une garenne.
L’objectif, dans cet exercice d’imitation de Charles Perrault, était évidemment de manier le participe présent que nous étudiions alors, de faire un peu de grammaire donc, mais aussi de s’exprimer avec davantage de fluidité, de concision, plutôt que d’accumuler des phrases courtes commençant répétitivement par le pronom personnel «il».
Mais l’exercice, tel quel, relève essentiellement de l’exercice de grammaire ou de réécriture. Pour qu’il devienne exercice d’imitation, il fallait que dans la rédaction suivant l’exercice, l’élève produise quelques phrases imitant le modèle étudié.
En quatrième, cet exercice exige qu’on se lance directement dans l’exercice d’imitation.
Lisez cet extrait de Vingt mille lieues sous les mers
«En deux minutes, nous étions sur la grève. Charger le canot des provisions et des armes, le pousser à la mer, armer les deux avirons, ce fut l’affaire d’un instant. Nous n’avions pas gagné deux encablures, que cent sauvages, hurlant et gesticulant, entrèrent dans l’eau jusqu’à la ceinture.»
Consignes
Réécrivez un paragraphe du même type :
– en commençant par un complément circonstanciel (En deux minutes) suivi d’une proposition contenant un verbe à l’imparfait (étions) ;
– en rédigeant ensuite trois propositions débutant par un infinitif (charger, pousser, armer) s’achevant par un verbe au passé simple (fut) ;
– en terminant enfin par une phrase de conclusion construite sur le modèle Nous n’avions pas… que…. Le dernier verbe sera conjugué au passé simple et précédé de deux participes présents (hurlant et gesticulant).
J’avais eu l’idée de cet exercice en relisant Les Misérables et Le Rouge et le Noir. À lire ces extraits, on se rappelle que nos grands auteurs, malgré qu’ils en aient (je pense à Victor Hugo), avaient fait leur classe de rhétorique :
Écarter les pavés, soulever la grille, charger sur ses épaules Marius inerte comme un corps mort, descendre, avec ce fardeau sur les reins, en s’aidant des coudes et des genoux, dans cette espèce de puits heureusement peu profond, laisser retomber au-dessus de sa tête la lourde trappe de fer sur laquelle les pavés ébranlés croulèrent de nouveau, prendre pied sur une surface dallée à trois mètres au-dessous du sol, cela fut exécuté comme ce qu’on fait dans le délire, avec une force de géant et une rapidité d’aigle ; cela dura quelques minutes à peine.
Les Misérables
Le voir, le tirer par sa grande jaquette, le faire tomber de son siège et l’accabler de coups de cravache ne fut que l’affaire d’un instant. Deux laquais voulurent défendre leur camarade ; Julien reçut des coups de poing : au même instant il arma un de ses petits pistolets et le tira sur eux ; ils prirent la fuite. Tout cela fut l’affaire d’une minute.
Le Rouge et le Noir
En somme, pour plagier Gérard Genette, on se dit que pour un adolescent de l’époque des Hugo, des Flaubert ou Stendhal, se lancer dans la littérature n’était pas une aventure ou une rupture mais le prolongement, l’aboutissement de leurs études.
Quant à mes collégiens, ce n’est pas un prolongement ni même une rupture. Ils ont tout simplement besoin d’apprendre à écrire.
Une réponse sur « La rhétorique au collège »
Pourquoi je ne vous ai pas connu plus tôt??? Nous faisons l’IEF, en français et en anglais. Il existe un curriculum américain qui m’intéressait fortement et qui va dans le même sens que ce que vous décrivez mais je n’en ai jamais trouvé l’équivalent en français.
http://www.classicalwriting.com/Progym.htm