Nombre d’individus poussent des cris d’orfraie lorsqu’ils surprennent, dans les propos de leur interlocuteur, une erreur de grammaire. Un excès de rigueur les conduit à mépriser l’emploi de «malgré que» (si fréquent chez certains grands écrivains) ou l’emploi du subjonctif après la locution conjonctive «après que». Pour ces gens, l’horreur est à son comble lorsqu’un indélicat mésuse de la préposition «à» et l’emploie à la place de «de». Et aussitôt de s’exclamer : « On ne dit pas la voiture à ma sœur, mais la voiture de ma sœur ». Avec une pointe de suffisance aigre, on fait ainsi valoir son indignation lorsque quelqu’un commet un solécisme disgracieux dû à une banale erreur de préposition.
Parfois, on me demande mon avis, et en tant que professeur de français, je suis sommé de rétablir les droits du bon usage, ce qui me laisse bien souvent perplexe…
Je rétorque que, tout d’abord, je dis la grosse bitte à Dudule, et non la grosse bitte de Dudule. Et toc ! Ou j’évoque, quand je sens que mon entourage ne sera pas sensible à la chansonnette populaire, le Moyen Âge, période pour laquelle on utilisait beaucoup la préposition à là où on emploierait aujourd’hui la préposition de. Ainsi, on trouve dans Aucassin et Nicolette (je puise un exemple au pif) :
Et se tu fenme vix avoir,
je te donnerai la file a un roi u a un conte […]
On lit bien : «la fille à un roi ou à un conte» et non «la fille d’un roi ou d’un conte».
D’ailleurs, comme le fait remarquer Geneviève Joly dans son Précis d’ancien français, «la construction du complément déterminatif du nom à l’aide de la préposition a n’a aucune connotation familière en ancien français. Elle est très représentée encore au XVIe siècle, surtout en poésie» (page 238). Elle cite même deux exemples d’emploi de la préposition appartenant «déjà à un niveau de langue déjà marqué» chez deux écrivains du grand siècle :
Je suis la très humble servante au seigneur Anselme (Molière, L’Avare, I, 4)
La vache a notre femme
Nous a promis qu’elle ferait un veau (La Fontaine, Contes, IV, 11, 72)
De toute façon, au Moyen Âge, le cas régime absolu (très fréquent) se passait complètement de préposition et cela donnait, et donne toujours de curieuses associations, comme en témoigne encore le délicieux nom de la ville de Bourg-La-Reine, ce qui, comme chacun sait, signifie le bourg de la reine, et non une injonction à bourrer la reine (à propos, vous connaissez la blague : Bourg-La-Reine ou Choisy-le-Roi… Le doute m’habite…) !
Il n’en reste pas moins que l’usage, aujourd’hui, ressent comme vulgaire certain usage de la préposition à, ce qui n’a jamais dérangé le bas peuple qui l’utilise depuis fort longtemps, comme en témoigne des locutions comme la bande à Bonnot, la fête à la grenouille, etc.
Il convient cependant de faire un choix. À tout prendre, je mets donc les puristes de mon côté en utilisant la bonne préposition, et en n’attirant pas sur moi la désapprobation des censeurs. Et puis, on ne glisse pas sur une merde à chien, on ne s’exclame pas « Fils à pute », que diantre ! Alors utilisons la préposition «de» !
4 réponses sur « On dit «la voiture à ma sœur» ou «la voiture de ma sœur » ? »
J’ai du mal à croire que quelqu’un qui s’astine* au sujet de « malgré que » ou de l’indicatif après « après que » (c’est mon cas, je le confesse humblement) puisse ne pas être au courant de l’évolution du « à » en « de » dans la langue française… Pas besoin d’être prof de français pour le savoir, juste besoin d’avoir lu Molière en 6ème/5ème! En tout cas!
* http://www.erudit.org/culture/qf1076656/qf1229585/44299ac.pdf
@Asia M
Qui «s’astine» ? Moi ?
En tout cas, il n’y a pas eu d’évolution du «à» en «de». Juste un flottement dans l’usage, une hésitation, des emplois erronés répétés et transmis sans plus s’interroger longuement sur l’emploi que l’on fait des mots. On en trouve de très nombreux exemples aujourd’hui. Combien de gens disent «réfléchir sur» à la place de «réfléchir à» ? Cette hésitation est même parfois profondément liée à la nature de notre langue qui fait grand usage de ces propositions. On dit «demander quelque chose À quelqu’un», mais «on demande DE l’aide» (par exemple).
Certains y perdent leur français.
Ce n’est pas bien grave.
si je dis la photo a Benedicte , cela donne l idee d’appartenance de cette photo, si je dis la photo de Constance, cela induit une photo montrant Constance, ,,,non?
le reste n est que pure mode et linguisme « prout prout »
bonne journée 🙂
@damien fradet
Non, inutile de sémantiser à l’excès.
Vous trouvez, aussi ? 🙂