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Séance 2 Aujourd’hui, maman est morte (éléments de correction)

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Introduction

Albert Camus a conçu sa réflexion sur l’absurde en un cycle tripartite : un essai, Le Mythe de Sisyphe, une pièce de théâtre, Caligula et un roman, L’Étranger. Ce dernier — que l’on ne saurait comprendre sans lire les autres ouvrages — est un étonnant récit que l’auteur a pu résumer en ces termes dans la préface de l’édition américaine : « Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort ». Ce roman publié en mai 1942 raconte en effet l’histoire d’un homme, Meursault, qui, lors des premières pages, apprend la mort de sa mère. Rapporté à la première personne, le récit qui est fait de cette triste nouvelle a de quoi dérouter. En effet, le narrateur ne semble éprouver aucun sentiment, tant et si bien que la critique a pu parler à propos de ce livre de « veulerie », de « démission humaine » ou encore de « déchet moral » (Figaro). La critique de l’époque avait-elle vu juste ? Pour y répondre, nous nous demanderons en quoi cet incipit est franchement déroutant. Puis nous montrerons que le héros est un « étranger » selon l’acception qu’en donne Camus dans son ouvrage philosophique. Enfin, nous verrons en quoi cet incipit joue son rôle et annonce tous les thèmes importants du roman.

Problématiques possibles

Axes possibles

  1. Un incipit déroutant (exposé de faits avec phrases courtes/écriture journalistique/écriture blanche/incipit en rupture avec la tradition)
  2. Présentant un héros étrange (homme indifférent/avare d’informations/pris dans un présent absurde)
  3. Mais qui contient tous les thèmes importants du roman (du point de vue du style mais surtout thématique et qui annonce la suite sinon l’essentiel et donc apporte tout de même quelques informations nécessaires)

Ou

  1. Un incipit déroutant
  2. Pour un héros étrange

Développement

1er axe Un incipit déroutant

Intro partielle L’incipit de L’Étranger a de quoi surprendre le lecteur habitué à des romans de facture plus classique. Cet incipit est d’autant plus étonnant qu’il est écrit dans un style excessivement simple. Pour autant, nous montrerons que pour déroutant qu’il est ce début nous apporte tout de même quelques informations nécessaires à sa compréhension.

1re sous-partie Un incipit contraire à une certaine tradition littéraire

Tout d’abord,

Pas de cadre spatiotemporel précis
Focalisation interne (à opposer à la focalisation zéro du roman traditionnel)
Début avare en informations (à part un télégramme et un décès). On sait très peu de choses. Qui parle ? On ne connaîtra le nom du personnage que bien plus tard (on le devine aussi au nom de la mère).
Quel est le moment de l’énonciation ?

TRANSITION

2e sous-partie L’incipit surprend par son écriture (écriture blanche)

Ensuite,

Écriture très simple au style quasi télégraphique, refus du lyrisme, du « décor des mots » (écriture plate/blanche)
Écriture très factuelle, pas de psychologie, pas de description. Absence de sentiment, nul pathétique suivant l’annonce du décès. Le personnage n’a même pas une « tête d’enterrement » (cf. page 77 précisément au chapitre 6). Personnage choquant ? Asyndète (absence de mots de liaison). Les phrases s'enchaînent sans appearance de logique.

TRANSITION

3e sous-partie Un incipit novateur qui possède quelques caractéristiques classiques

Enfin,

Un roman proche du récit américain (règle d’écriture américaine : « Show, don’t tell »), préfigurant le Nouveau roman
Quelques informations quand même (préciser lesquelles)
Et surtout présence des thèmes les plus importants du roman (la mort, le soleil, la perte du sens, l'habitude (à ce sujet voir la page 120)

2e axe Un héros étrange

Intro partielle

1re sous-partie Un sentiment d’étrangeté provoqué par le style

Enchaînement des faits sans explications provoque ce sentiment d’étrangeté, comme si les actes de la vie se suivaient sans logique
Refus du passé simple (temps du récit rejetant l’événement dans le passé) au profit d’un présent (« Aujourd’hui ») et donc d’une immédiateté des actes et du récit = présent impossible à déchiffrer
une distance infranchissable entre le narrateur et l’histoire qu’il raconte. Des faits dont la signification semblent échapper au protagoniste lui-même. Des informations placées toutes sur le même plan (mort de la mère, propos du patron...)

TRANSITION

2e sous-partie Le récit de l’étranger

Le narrateur est avare d'informations (« J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler. ») semblant privilégier le silence à la parole
« comme d'habitude » ➝ quotidien prêt à fissurer (cf. Le Mythe de Sisyphe quand « les décors s'écroulent »). C’est là que naît l’absurde.
cf. encore Le Mythe de Sisyphe : « [...] dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent un étranger. » soleil ➝ lumière ➝ lucidité. Penser à René Char « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil ».
La lumière est un symbole récurrent : « La pièce était pleine d’une belle lumière de fin d'après-midi » (page 15) et plus loin « Le concierge a tourné le commutateur et j’ai été aveuglé par l'éclaboussement soudain de la lumière. [...] Je lui ai demandé si on pouvait éteindre des lampes. L'éclat de la lumière sur les murs blancs me fatiguait. » (page 17).

TRANSITION

3e sous-partie L’absurde

Le récit de Meursault se comprend (ou s’éclaire) par la lecture du Mythe de Sisyphe. Voir documents complémentaires sur L’Étranger

Textes éclairant le roman de Camus

Sur l’absurde

[...] dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent un étranger. Cet exil est sans recours puisqu’il est privé des souvenirs d’une patrie perdue ou de l’espoir d’une terre promise. Ce divorce entre l’homme et sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité. Le Mythe de Sisyphe

Sur l'œuvre absurde

L'œuvre incarne donc un drame intellectuel. L'œuvre absurde illustre le renoncement de la pensée à ses prestiges et sa résignation à n'être plus que l'intelligence qui met en œuvre les apparences et couvre d'images ce qui n'a pas de raison. Si le monde était clair, l'art ne serait pas. Le Mythe de Sisyphe, page 135

Dans la création où la tentation d'expliquer est la plus forte, peut-on alors surmonter cette tentation ? Dans le monde fictif où la conscience du monde réel est la plus forte, puis-je rester fidèle à l'absurde sans sacrifier au désir de conclure ? Le Mythe de Sisyphe, page 140

Sur l’écriture

Cf. Annie Ernaux, La Place

Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou d'« émouvant ». Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée.

Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles.

Cf. Barthes, Le Degré zéro de l’écriture

Il s’agit de dépasser ici la Littérature en se confiant à une sorte de langue basique, également éloignée des langages vivants et du langage littéraire proprement dit. Cette parole transparente, inaugurée par L’Étranger de Camus, accomplit un style de l’absence qui est presque une absence idéale du style ; l’écriture se réduit alors à une sorte de mode négatif dans lequel les caractères sociaux ou mythiques d’un langage s’abolissent au profit d’un état neutre et inerte de la forme ; la pensée garde ainsi toute sa responsabilité, sans se recouvrir d’un engagement accessoire de la forme dans une Histoire qui ne lui appartient pas.

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