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Séance 3 Le meurtre de l’Arabe (éléments de correction)

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Remarques préliminaires

Il faut relire tout le chapitre 6 pour comprendre et situer l’extrait que nous devons analyser.

Début ironique : « Marie s’est moquée de moi parce qu’elle disait que j’avais « une tête d’enterrement ». » (page 77) Ironique mais pas drôle. Meursault semble souffrant. Voir la fin de la page : « [...] le jour, déjà tout plein de soleil, m’a frappé comme une gifle ». Pour autant, le soleil peut aussi procurer (indifféremment ?) le bien-être : « [...] j’étais occupé à éprouver que le soleil me faisait du bien » (page 82).

Le mot « soleil » apparait 43 fois dans un roman de 186 pages. On compte 25 occurrences pour le seul chapitre VI !

C’est un chapitre qui clôt la première partie, celle qui commence par l’enterrement de la mère et finit par le meurtre de l’Arabe. Ainsi de bout en bout, le thème de la mort ouvre et clôt l’ouvrage. Cette première partie est placée sous le sceau du soleil : « C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman » (page 94). Cette fin est pourtant un début « [...] c’est là [...] que tout a commencé » (page 95). On est au centre du roman.

Le meurtre est précédé d’une lutte avec le soleil, une lutte mortifère : « je me tendais tout entier pour triompher du soleil » (page 92) Orgueil, hybris. Responsabilité du soleil (« J’ai dit rapidement, en mêlant un peu les mots et en me rendant compte de mon ridicule, que c’était à cause du soleil », page 158) ? Non, responsabilité de l’homme dans son malheur. Voir les remarques de la page 91 : « J’ai pensé à ce moment qu’on pouvait tirer ou ne pas tirer » ou encore « Rester ici ou partir, cela revenait au même ». Il y a là une indifférence (d'où l'abondance des phrases du type « ça m’était égal » de la première partie du roman), mais c’est aussi un équilibre qui peut être brisé : « J’ai compris que j’avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux » (page 95). Finalement, tout n’est pas égal. Il y a un choix à faire.

Homme confronté à l’absurde (penser aux « cymbales du soleil » page 94 qui renvoient à l’étymologie du mot « absurde »(1)) mais penser aussi à la discussion avec le juge d'instruction qui demande à Meursault s’il croit en dieu et qu’il répond que non. « Il m’a dit que c’était impossible, que tous les hommes croyaient en Dieu, même ceux qui se détournaient de son visage. C’était là sa conviction et, s’il devait jamais en douter, sa vie n’aurait plus de sens. « Voulez-vous, s’est-il exclamé, que ma vie n’ait pas de sens ? » (page 108). L’absurde questionne le sens du monde.

Accroches possibles

Problématique

La scène du crime nous permet de comprendre pourquoi Meursault affirme avoir commis le meurtre à cause du soleil. On verra que, paradoxalement, Meursault ne nous apparait pas comme l’assassin mais comme la victime d’un processus tragique.

Axes

  1. Un lieu tragique dont il est impossible de s’échapper
  2. Une scène de tragédie antique
  3. Un passage lyrique pour dire l’absurde

Éléments de réponse

1. Un lieu tragique dont il est impossible de s’échapper

Meursault est prisonnier du lieu, la plage. Il est impossible d’en sortir. C’est un piège. Cf. comparaison : « comme si tout s’était refermé autour de nous ». Il n’est pas possible d’aller plus loin : « tout s’arrêtait ici entre la mer, le sable et le soleil, le double silence de la flûte et de l’eau ». C’est un lieu dans lequel on avance difficilement (« s’opposait à mon avance »). On voit mal ou pas du tout : « aveuglante », « halo aveuglant », « aveuglés ». La perception des sens est amoindri : « Je devinais son regard », « j’en ai deviné la tache noire au bord de mon regard ». Thème de l’aveuglement, topos de la tragédie (le destin est aveugle et frappe aussi bien les coupables que les innocents, le personnage est aveugle car il ne voit pas son destin malgré les signes annonciateurs).

Le temps est figé : « la journée n’avançait plus » renforcé par la métaphore maritime « deux heures qu’elle avait jeté l’ancre dans l’océan de métal bouillant ». L’utilisation des imparfaits à valeur itérative ou durative renforce cette impression de stagnation. Voir aussi la répétition du déterminant « chaque » : « Et chaque fois que je sentais », « À chaque épée de lumière jaillit du soleil » et de l’adjectif « même » : « C’était le même éclatement rouge », C’était le même soleil » (répété deux fois), « la même lumière sur le même sable ». Sentiment de stagnation, d’enfermement, d’impossibilité d’une échappatoire.

Espace dont il est difficile de s’échapper. Il est difficile de s’y mouvoir. Raymond n’en est pas prisonnier : « Lui paraissait mieux et il a parlé de l’autobus du retour » (insistance du pronom « lui »). Meursault ne trouve pas sa place et marche sans cesse : « je me suis mis à marcher », « Je marchais lentement », « J’ai marché longtemps ». Les adverbes confirment la pénibilité de cette marche. Toutefois Meursault tente de fuir, mais cette fuite est frappée d’inanité : « J’avais envie de retrouver le murmure de son eau, envie de fuir le soleil », « J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais tout une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi » (ces deux exemples sont à chaque fois suivies d’un « mais » adversatif). De plus, les fausses alternatives montrent l’absence de choix : « J’ai pensé à ce moment qu’on pouvait tirer ou ne pas tirer », « Rester ici ou partir, cela revenait au même ». Impression de tension et de malaise.

2. Une scène de tragédie antique

Absence de choix est définie dès le début par Raymond : « S’il y a bagarre, toi, Masson tu prendras le deuxième, moi je me charge de mon type. Toi Meursault, s’il en arrive un autre il est pour toi ». Tout est décidé par avance : « Prends-le d’homme à homme et donne-moi ton revolver. Si l’autre intervient ou s’il tire son couteau, je le descendrai ». Ironie tragique : « J’avais […] envie enfin de retrouver l’ombre et le repos ». L'ombre = la prison (de même que le repos désigne le repos éternel par la condamnation à mort). Le tragique annonce à l'avance ce qui attend le personnage mais de telle façon qu'il ne puisse alors le comprendre. De plus, « je suis retourné vers la plage » : le retour, tel celui d’Œdipe, consiste à précipiter son destin plutôt qu’à le fuir. Pourtant le soleil donne à Meursault un premier avertissement : « Quand Raymond m’a donné son revolver, le soleil a glissé dessus ». En fait, le soleil s’oppose à la venue de Meursault : « Toute cette chaleur s’appuyait sur moi et s’opposait à mon avance ». L’opposition devient alors combat.

Meursault affronte le soleil : « je me tendais tout entier pour triompher du soleil » Celui-ci est tout puissant et envahit tout l’espace : « la plage est vibrante de soleil ». Il agresse Meursault : « je sentais son grand souffle chaud sur mon visage », « la tête retentissante de soleil », « Toute cette chaleur s’appuyait sur moi ». Il est armé d’une épée : « À chaque épée de lumière jaillie du sable, d’un coquillage blanchi ou d’un débris de verre, mes mâchoires se crispaient », « Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux ». Et voir aussi : « une longue lame étincelante », « le glaive éclatant jailli du couteau » (métaphore filée). Voir champ lexical de la douleur : « pénible », « brûlure du soleil », « cette brûlure », « mes yeux douloureux »

L’erreur de Meursault est d’affronter le soleil. La marche entreprise, l’effort fait pour supporter la douleur, la volonté de Meursault (« je me tendais tout entier », « tout mon être s’est tendu », « je fermais les poings »…) caractérisent l’hybris du personnage. Il y a alors transgression (tansgression > transgredi = « passer de l’autre côté, traverser »). Le soleil telle une divinité antique (« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée », par exemple) s’acharne sur sa proie coupable orgueilleuse. Elle rend sa victime aveugle pour la précipiter à sa perte et faire de lui un criminel. De fait, l’Arabe contribue au châtiment de Meursault (dont le nom évoque déjà la mort : meurs, sot). Le reste est quasi mécanique, logique : « alors », « naturellement », « à cause de ». La voix passive contribue à faire du personnage l’innocent coupable de la tragédie : « la gâchette a cédé », « les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût ». Meursault ne semble pas agir. L’adverbe « alors » dans « Alors j’ai tiré encore quatre fois sur le corps inerte » n’a qu’une valeur chronologique et non pas logique. Le juge d’instruction voudra transformer cet adverbe en connecteur logique et essaiera de comprendre qu’il n’y avait rien à comprendre. Nous sommes ici face au caractère absurde et tragique de cet acte organisé par le hasard.

3. Un passage lyrique pour dire l’absurde

Un passage d’un grand lyrisme contrastant avec le style du début et de tout ce qui précède. Le narrateur nous avait habitué à une narration neutre, aux tournure orales, employant le passé composé, un vocabulaire plat et négligeant les connecteurs logiques. Ici, les périodes sont plus longues. Les coordinations plus nombreuses : « Et cette fois, sans se soulever, l'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front. ». La grande force de ce passage est de nous transmettre ce que le personnage a vu et fait au moment de l’événement. La narration ne tire aucun parti du récit au passé dans lequel les explications permettraient d’éclairer et expliquer ce qui se passe comme dans l’autobiographie par exemple. Les images sont données comme telles sans que le narrateur ne souligne qu’il était la proie d’images violentes proches de l’hallucination (« l’ivresse opaque »). On regarde, fasciné, celui qui reste l’étranger et nous partageons ses impressions (les verbes « sentir », « sembler » ou « deviner » sont très nombreux) empruntes d’incertitudes (« il avait l’air de rire »). Les métaphores abondent et confèrent au texte un éclat inattendu (« l’air enflammé », « un océan de métal bouillant »…).

La scène prend peu à peu un caractère apocalyptique. La chaleur devient pluie, l’air est enflammé, l’océan est du métal bouillant, etc. Le ciel, comme dans la Bible s’ouvre (« Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu »). Or l’apocalyse au sens propre, c’est la révélation. Meursault prend conscience de son geste et de sa portée et du bonheur qui avait été le sien (« J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux »). Cette prise de conscience, très théâtrale (« Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur ») annonce la fin d’une partie et le début d’une autre tout en montrant comment un destin vacille dans une scène de meurtre très poétique.

Meursault n’a de goût pour rien (voir les très nombreux « ça m’était égal » dans la première partie). Son indifférence transparait dans les alternatives déjà citées (« Rester ou partir, cela revenait au même »). De façon ironique, la suite du récit montre qu’il y avait un choix important à faire. Ce passage peut même s’interpréter comme une mise à l’épreuve du système de Meursault marqué par l’absence de goût dans une vie dans laquelle il se refuse de choisir. Or le choix ne réside pas dans l’alternative mais dans la volonté de s’engager en raison d’un sens à donner à la vie. On peut également penser que cette scène de meurtre fait émerger le sens en allant au bout de l’acte absurde. En effet, en ouvrant la porte du malheur, Meursault fait également la découverte du bonheur (« une plage où j’avais été heureux »). La conscience tragique, la découverte philosophique est celle du bonheur. En donnant la mort, le héros découvre que la vie est limitée et qu’elle a donc un sens et une valeur.

Notes :

1 - Le mot « absurde » vient du latin absurdus qui signifie « dissonant », « discordant », « qui n’est pas dans le ton ».

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