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Textes complémentaires sur L’Étranger : Les romans du crime

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Textes complémentaires sur L’Étranger : Les romans du crime

Texte 1 La Bête humaine

La Bête humaine
Source

Jacques Lantier, le héros, est la proie de pulsions criminelles. Il vient de vaincre son désir de tuer une jeune femme.

Alors, Jacques, les jambes brisées, tomba au bord de la ligne, et il éclata en sanglots convulsifs, vautré sur le ventre, la face enfoncée dans l’herbe. Mon Dieu ! il était donc revenu, ce mal abominable dont il se croyait guéri ? Voilà qu’il avait voulu la tuer, cette fille ! Tuer une femme, tuer une femme ! cela sonnait à ses oreilles, du fond de sa jeunesse, avec la fièvre grandissante, affolante du désir. Comme les autres, sous l’éveil de la puberté, rêvent d’en posséder une, lui s’était enragé à l’idée d’en tuer une. Car il ne pouvait se mentir, il avait bien pris les ciseaux pour les lui planter dans la chair, dès qu’il l’avait vue, cette chair, cette gorge, chaude et blanche. Et ce n’était point parce qu’elle résistait, non ! c’était pour le plaisir, parce qu’il en avait une envie, une envie telle, que, s’il ne s’était pas cramponné aux herbes, il serait retourné là-bas, en galopant, pour l’égorger.

Elle, mon Dieu ! cette Flore qu’il avait vue grandir, cette enfant sauvage dont il venait de se sentir aimé si profondément. Ses doigts tordus entrèrent dans la terre, ses sanglots lui déchirèrent la gorge, dans un râle d’effroyable désespoir.

Pourtant, il s’efforçait de se calmer, il aurait voulu comprendre. Qu’avait-il donc de différent, lorsqu’il se comparait aux autres ? Là-bas, à Plassans, dans sa jeunesse, souvent déjà il s’était questionné. Sa mère Gervaise, il est vrai, l’avait eu très jeune, à quinze ans et demi ; mais il n’arrivait que le second, elle entrait à peine dans sa quatorzième année, lorsqu’elle était accouchée du premier, Claude ; et aucun de ses deux frères, ni Claude, ni Étienne, né plus tard, ne semblait souffrir d’une mère si enfant et d’un père gamin comme elle, ce beau Lantier, dont le mauvais cœur devait coûter à Gervaise tant de larmes. Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal, qu’ils n’avouaient pas, l’aîné surtout qui se dévorait à vouloir être peintre, si rageusement, qu’on le disait à moitié fou de son génie. La famille n’était guère d’aplomb, beaucoup avaient une fêlure. Lui, à certaines heures la sentait bien, cette fêlure héréditaire ; non pas qu’il fût d’une santé mauvaise, car l’appréhension et la honte de ces crises l’avaient seules maigri autrefois ; mais c’étaient, dans son être, de subites pertes d’équilibre, comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d’une sorte de grande fumée qui déformait tout. Il ne s’appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée. Pourtant, il ne buvait pas, il se refusait même un petit verre d’eau-de vie, ayant remarqué que la moindre goutte d’alcool le rendait fou. Et il en venait à penser qu’il payait pour les autres, les pères, les grands-pères, qui avaient bu, les générations d’ivrognes dont il était le sang gâté, un lent empoisonnement, une sauvagerie qui le ramenait avec les loups mangeurs de femmes, au fond des bois.

La Bête humaine d’Émile Zola, 1889

Texte 2 Crime et châtiment

Crime et Châtiment
Source

Raskolnikov, un ancien étudiant âgé de 23 ans, a dû abandonner ses études faute d'argent. Il vit dans un quartier pauvre de Saint-Pétersbourg. Après qu'il a vendu son dernier bien à Alena Ivanovna, une vieille usurière, une idée lui vient à l'esprit : un grand homme n’hésite pas à commettre un crime si cela s’avère nécessaire. Il décide alors de tuer l’usurière.

Comme à sa précédente visite, il vit la porte s’entrebâiller et par l’étroite ouverture deux yeux perçants, apparus dans l’ombre, le fixer avec méfiance.

[...]

« Bonjour, Alena Ivanovna », commença-t-il, du ton le plus dégagé qu’il put prendre. Mais ses efforts étaient vains, sa voix était entrecoupée, ses mains tremblaient. « Je vous... ai apporté... un objet... entrons plutôt pour en juger... il faut l’examiner à la lumière... »

Sans attendre qu’on l’invitât à entrer, il pénétra dans la pièce. La vieille courut derrière lui, sa langue s’était déliée.

« Seigneur, mais que voulez-vous ?... Qui êtes-vous ? Que vous faut-il ?

— Voyons, Alena Ivanovna... vous me connaissez bien... Raskolnikov... Tenez, je vous apporte le gage dont je vous ai parlé l’autre jour. » Il lui tendait l’objet.

La vieille jeta un coup d’œil sur le paquet puis parut se raviser ; elle releva les yeux et fixa l’intrus. Elle le considérait d’un regard perçant, irrité, soupçonneux. Une minute passa. Raskolnikov crut même remarquer une lueur de moquerie dans ses yeux, comme si elle avait tout deviné.

Il sentait qu’il perdait la tête, qu’il avait presque peur, si peur même que si cette inquisition muette se prolongeait une demi-minute de plus, il prendrait la fuite.

« Mais qu’avez-vous à me regarder comme si vous ne me reconnaissiez pas ? s’écria-t-il tout à coup, en se fâchant à son tour. Si vous voulez cet objet, prenez-le, s’il ne vous convient pas, c’est bien, je m’adresserai ailleurs, je n’ai pas de temps à perdre. »

Ces paroles lui échappaient malgré lui, mais ce langage résolu sembla tirer la vieille de son inquiétude.

« Mais aussi, mon ami, tu viens à l’improviste... Qu’est-ce que tu as là ? demanda-t-elle en regardant le gage.

— Un porte-cigarettes en argent, je vous en ai parlé la dernière fois. » Elle tendit la main.

« Mais pourquoi êtes-vous si pâle ? Vos mains tremblent, vous êtes malade, mon petit ?

— C’est la fièvre, fit-il, la voix entrecoupée ; comment ne pas être pâle quand on n’a rien à manger ? » ajouta-t-il, non sans peine.

Ses forces l’abandonnaient de nouveau ; mais sa réponse parut vraisemblable, la vieille lui prit le gage des mains.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-elle en soupesant l’objet ; elle le fixait encore d’un long regard perçant.

« Un objet... un porte-cigarettes... en argent... regardez.

— Tiens, mais on dirait que ce n’est pas de l’argent... Oh ! comme il l’a ficelé ! »

Elle s’approchait de la lumière (toutes ses fenêtres étaient closes malgré la chaleur étouffante) et pendant qu’elle s’efforçait de défaire le paquet, elle lui tourna le dos, et cessa un instant de s’occuper de lui.

Il déboutonna alors son pardessus, dégagea la hache du nœud coulant, mais sans la retirer entièrement ; il se borna à la retenir de sa main droite, sous son vêtement. Une faiblesse terrible envahissait ses mains ; il les sentait d’instant en instant s’engourdir davantage. Il craignait de laisser échapper la hache... Soudain, la tête commença à lui tourner.

« Mais comment a-t-il ficelé cela ? — c’est tout emmêlé », fit la vieille agacée, en faisant un mouvement dans la direction de Raskolnikov.

Il n’y avait plus une seconde à perdre ; il retira la hache de dessous son pardessus, l’éleva à deux mains et d’un geste mou, presque machinal, la laissa retomber sur la tête de la vieille.

Il lui semblait n’avoir plus de forces ; elles lui revinrent dès qu’il eut frappé une fois.

La vieille était tête nue, selon son habitude ; ses cheveux clairs, grisonnants et rares, abondamment frottés d’huile, étaient tressés en une petite queue de rat, retenue sur la nuque par un fragment de peigne en corne ; comme elle était de petite taille, le coup l’atteignit à la tempe. Elle poussa un faible cri et soudain s’affaissa par terre après avoir cependant eu le temps de porter les mains à sa tête. L’une tenait encore le gage. Alors Raskolnikov la frappa de toutes ses forces deux fois, l’une après l’autre, à la tempe. Le sang jaillit à flot comme d’un verre renversé ; le corps s’abattit. Il recula pour le laisser tomber, puis se pencha sur son visage. Elle était déjà morte. Les yeux grands ouverts semblaient prêts à sortir de leurs orbites, le front et toute la figure étaient ridés et défigurés par les dernières convulsions.

Crime et Châtiment de Fiodor Dostoïevski, 1866

Texte 3 Les Caves du Vatican

Un jeune homme, du nom de Lafcadio Wluiki (on prononce Louki) entreprend de commettre un crime gratuit. Dans le train, il s'apprête à tuer un certain Amédée Fleurissoire.

Qui le verrait ? pensait Lafcadio. Là, tout près de ma main, sous ma main, cette double fermeture, que je peux faire jouer aisément ; cette porte qui, cédant tout à coup, le laisserait crouler en avant ; une petite poussée suffirait ; il tomberait dans la nuit comme une masse ; même on n'entendrait pas un cri... Et demain, en route pour les îles !... Qui le saurait ? »

[...]

« Un crime immotivé, continuait Lafcadio : quel embarras pour la police ! Au demeurant, sur ce sacré talus, n'importe qui peut, d'un compartiment voisin, remarquer qu'une portière s'ouvre, et voir l'ombre du Chinois cabrioler. Du moins les rideaux du couloir sont tirés... Ce n'est pas tant des événements que j'ai curiosité, que de moi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d'agir, recule... Qu'il y a loin, entre l'imagination et le fait !... Et pas plus le droit de reprendre son coup qu'aux échecs. Bah ! qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt !... Entre l'imagination d'un fait et... Tiens ! le talus cesse. Nous sommes sur un pont, je crois ; une rivière... »

Sur le fond de la vitre, à présent noire, les reflets apparaissaient plus clairement, Fleurissoire se pencha pour rectifier la position de sa cravate.

« Là, sous ma main, cette double fermeture — tandis qu'il est distrait et regarde au loin devant lui — joue, ma foi ! plus aisément encore qu'on eût cru. Si je puis compter jusqu'à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir est sauvé. Je commence : Une ; deux ; trois ; quatre ; (lentement ! lentement !) cinq ; six ; sept ; huit ; neuf... Dix, un feu... »

II

Fleurissoire ne poussa pas un cri. Sous la poussée de Lafcadio et en face du gouffre brusquement ouvert devant lui, il fit pour se retenir un grand geste, sa main gauche agrippa le cadre lisse de la portière, tandis qu'à demi retourné il rejetait la droite en arrière par-dessus Lafcadio, envoyant rouler sous la banquette, à l'autre extrémité du wagon, la seconde manchette qu'il était au moment de passer.

Lafcadio sentit s'abattre sur sa nuque une griffe affreuse, baissa la tête et donna une seconde poussée plus impatiente que la première ; les ongles lui raclèrent le col ; et Fleurissoire ne trouva plus où se raccrocher que le chapeau de castor qu'il saisit désespérément et qu'il emporta dans sa chute.

« À présent, du sang-froid, se dit Lafcadio. Ne claquons pas la portière : on pourrait entendre à côté. »

Il tira la portière à lui, contre le vent, avec effort, puis la referma doucement.

« Il m'a laissé son hideux chapeau plat ; qu'un peu plus, d'un coup de pied, j'allais envoyer le rejoindre ; mais il m'a pris le mien, qui lui suffit. Bonne précaution que j'ai eue d'en enlever les initiales !... Mais, sur la coiffe, reste la marque du chapelier, à qui l'on ne commande pas des feutres de castor tous les jours... Tant pis, c'est joué... Qu'on puisse croire à un accident... Non, puisque j'ai refermé la portière... Faire stopper le train ?... Allons, allons ; Cadio, pas de retouches : tout est comme tu l'as voulu.

[...]

Il ouvrit la fenêtre.

« L'animal m'a griffé. Je saigne... Il m'a fait très mal. Un peu d'eau là-dessus ; la toilette est au bout du couloir, à gauche. Emportons un second mouchoir. »

Les Caves du Vatican d’André Gide, 1914

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