Voici une carte mentale sur laquelle nous avons « jeté » nos idées.
Nous avons ensuite exporté cette carte au format Markdown pour ensuite la rédiger entièrement. Il ne s’agissait évidemment pas de rédiger tout cela, mais de construire au moins une partie.
Le thème de l’aliénation a été traité dans de nombreuses œuvres de Guy de Maupassant. Sa nouvelle « Le Horla » est certainement la plus connue. On y lit, comme dans « Un fou », les pensées d’un personnage consignées dans son journal et qui serait la proie d’un être mystérieux et invisible. Hallucination ou réalité, le protagoniste commet un crime pour échapper à cette créature.
Par ailleurs, Maupassant suit les cours de Jean-Martin Charcot qui enseigne à l’hôpital de la Salpêtrière à partir de 1882. C’est dans ces cours qu’un certain Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, écoute celui qui est considéré comme le fondateur de la clinique neurologique.
Le thème de la folie n’était pas étranger à Maupassant lui-même. Souffrant de migraines et de la syphilis, abusant de l'éther pour combattre ses souffrances, il sombre dans la dépression. En proie à des hallucinations qui le conduisent à la folie, il tente de se suicider une nuit de janvier 1892. Il meurt l'année suivante de paralysie générale, après avoir été interné dans la clinique du Dr Émile Blanche (le même qui avait soigné Gérard de Nerval).
Notons également que la fin du XIXe siècle consacre la naissance du roman policier notamment avec la nouvelle « Double assassinat dans la rue Morgue » de l’écrivain américain Edgar Allan Poe. Le meurtre et le désir de meurtre (ou plus précisément la pulsion de mort comme l’analysera Sigmund Freud) devient un thème littéraire comme en témoignent les romans Crime et Châtiment de Fodor Dostoïevski ou encore La Bête humaine d’Émile Zola. Au XXe siècle, L’Étranger d’Albert Camus ou Les Caves du Vatican d’André Gide en sont deux exemples supplémentaires.
Pour Maupassant, influencé par le naturalisme, l’œuvre littéraire peut être perçue comme un laboratoire d’exploration des passions humaines (cf. Le Roman expérimental d’Émile Zola). Il s’agit alors d’analyser et de comprendre comment naît la pulsion meurtrière.
La nouvelle « Un fou » est construite en deux parties. La première (quasi absente de notre extrait) est un récit à la 3e personne. Celui-ci fait état de la découverte d’un journal intime. Même si nous n’avons pas le début, on peut le déduire des dernières lignes : « Le manuscrit contenait encore beaucoup de pages, mais sans relater aucun crime nouveau. Les médecins aliénistes, à qui on l'a confié, affirment qu'il existe dans le monde beaucoup de fous ignorés, aussi adroits et aussi redoutables que ce monstrueux dément. »
On comprend donc qu’un premier récit (avec un narrateur extradiégétique, extérieur à l’histoire) annonce un second, celui du journal intime. Celui-ci est mené à la 1re personne et relate les pensées d’un personnage qui entend commettre un crime. Nous avons ainsi un second narrateur, interne cette fois-ci ( et donc intradiégétique) puisqu’il raconte sa propre histoire.
Cette mise en abîme (une histoire dans l’histoire, un récit qui en contient un autre) donne au lecteur une impression de réel puisque le premier récit prétend nous donner à lire un manuscrit trouvé que l’on nous présente tel quel.
Le deuxième récit est donc un journal intime, mené à la 1re personne du singulier. Ce sont de courts paragraphes précédés d’une date, comme on en trouve dans l’écriture de tout journal. Ce découpage du temps relatant le désir meurtrier sonne comme un compte à rebours macabre. Les dates mènent inéluctablement à l’accomplissement du crime. Au reste, cette disparition du narrateur externe, en nous donnant le document du diariste sans y ajouter aucun commentaire, procure une impression de malaise en nous contraignant à la lecture des pensées intimes d’un meurtrier. On peut avoir le sentiment d’être un lecteur illégitime (le journal ne nous est pas destiné en principe). On peut même ressentir une certaine proximité avec le personnage, ce qui est un processus d’identification inévitable avec tout récit mené à la 1re personne. Il y a là un effet pervers du texte qui renforce un sentiment de scandale. Toutefois, le journal pourrait tout aussi bien être considéré comme un document à la teneur quasi scientifique. Le lecteur devient un observateur des errances psychologiques du juge.
Et c’est bien là tout l’intérêt de la forme du journal de nous donner accès à l’intimité du personnage, à ses sentiments et d’ainsi comprendre notamment par le jeu des comparaisons comment naît la pulsion meurtrière : « L'envie de le tuer me grisait comme de l'alcool. » ou encore « L'envie de tuer me court dans les moelles. Cela est comparable aux rages d'amour qui vous torturent à vingt ans. »
Enfin, ce n’est pas la moindre qualité de l’œuvre que de nous amener à saisir la réelle personnalité du meurtrier. Le journal permet de faire tomber le masque en nous révélant la vie intérieure du personnage et de saisir l’opposition entre la réalité (le meurtre) et ce que voient les autres (le juge que l’on apprécie en société) : « Le soir, j'étais très gai, léger, rajeuni, j'ai passé la soirée chez le préfet. On m'a trouvé spirituel. »
Le texte est donc le moyen de découvrir l’intimité du meurtrier et de comprendre comment germe la monstruosité.
On voit là que le crime est présenté comme une impérieuse nécessité à laquelle le magistrat ne saurait se soustraire. « Il le faut » est répété deux fois.
On voit aussi qu’il y a une progression dans le récit. La folie empire tout au long de l’histoire, comme le montre le paroxysme de la fin : « Le sang a jailli comme un flot, comme un flot ! Oh ! si j'avais pu, j'aurais voulu me baigner dedans. Quelle ivresse de me coucher là-dessous ». La folie est donc à son comble.
Le personnage est en proie à un obsession morbide du sang qui semble liée à un désir de percer le mystère de la mort : « Mais je n'ai pas vu le sang ! », « Si j'avais vu le sang couler, il me semble que je serais tranquille à présent ! », « Oh ! il a saigné, celui-là ! Du sang rose [...] », « Le sang a jailli comme un flot, comme un flot ! ».
La folie du personnage (ce qui est en soi une condamnation à elle seule en l’absence de tout jugement d’un narrateur second) est rendue évidente par le rire démentiel
qui rythme tout le texte comme un refrain lugubre (voir le interjections « Ah ! Ah ! »). Les phrases exclamatives montrent l’agitation psychologique à laquelle est en proie le personnage : « Oh ! il a saigné, celui-là ! » ; « À mort ! à mort ! à mort ! Je l'ai fait condamner à mort ! »
La nouvelle montre donc que la respectabilité du vieux magistrat est une façade et que la personne (rappelons qu’en latin, « persona » signifie « le masque »), si elle est honorée publiquement, est évidemment condamnable. Mais à travers elle, c’est toute l’institution, la justice qui le sont et qui deviennent des criminels légaux (l’oxymore est sensible à travers tout le texte).
« Ah ! ah ! j'aurais fait un excellent assassin. » écrit le juge, avec un conditionnel qui semble tout à fait déplacé. Mais pire encore, la justice crée de faux coupables. Le pronom « On » dans « on a des preuves accablantes » souligne combien la machine sociale et judiciaire broie l’innocent. On retrouve le topos du fort sur le faible, du puissant sur le faible, du coupable sur l’innocent (pensez à la fable « Le Loup et l’Agneau » de Jean de La Fontaine). De cette manière, et comme le souligne encore Émile Zola dans Le Roman expérimental, l’écrivain naturaliste est proche du moraliste du XVIIe siècle. Il condamne les passions de l’homme et bat en brèche les institutions. En cela, la nouvelle de Maupassant est satirique. Rappelons que la satire est un écrit consistant à attaquer quelque chose (ici la justice) pour s’en moquer.
La nouvelle, par le récit des meurtres, constitue également un récit effrayant (au sens aristotélicien qui veut que la tragédie suscite la pitié et la crainte). Toutefois, il faut souligner l’efficacité narrative et notamment le style concis, la brièveté des phrases : « On a découvert le cadavre. On cherche l'assassin. » Les phrases sont courtes. L’absence de liens entre les phrases (asyndète) suggère un enchaînement fatidique des actes du juge, presque mécanique et surtout dépourvu de sentiments. Le meurtrier est dans le constat : « C’est fait ». Pour lui, le meurtre est aisé : « Comme c’est peu de chose », ce qui crée un décalage immense entre la froideur du meurtrier et les sentiments du lecteur, tout particulièrement dans une scène comme celle du meurtre de l’enfant, où le pathos est rendu encore plus sensible par le dialogue qui emprunte ses effets au théâtre :
« — Tu es tout seul, mon garçon ?
— Oui, m'sieu.
— Tout seul dans le bois ?
— Oui, msieur. »
Impossible de ne pas penser au topos du loup. Nous avons déjà évoqué le XVIIe siècle et La Fontaine. Pensons maintenant au « Petit chaperon rouge » de Charles Perrault. L’homme est ici un prédateur, un loup pour l’homme (« Homo homini lupus est »).
Le récit est rendu encore plus horrible par un comique macabre. Le magistrat ironise tout au long du texte : « Les parents sont venus me voir. Ils ont pleuré ! Ah ! ah ! », « Le neveu a failli avouer, tant on lui fait perdre la tête ! Ah ! ah ! La justice ! ».
La folie mène jusqu’à trouver une beauté à la mort : « Comme c'est beau de voir trancher la tête d'un homme ! », ce qui n’est paradoxalement pas incompatible avec une certaine poésie du récit, comme le montrent les comparaisons (« son corps se tordait ainsi qu'une plume sur le feu »), les répétitions (« je le serre, je le serre » ou, nous l’avons vu, les interjections « Ah ! Ah ! »). On peut encore relever les assonances (« Tout ronds, profonds »).
En somme, on ne peut que constater le contraste entre l’horreur des faits relatés et l’écriture stylisée du vieux magistrat.
Pour l’instant, il ne s’agit ni de faire une introduction ni une conclusion mais de comprendre comment trouver et organiser les idées qui vous viennent à la lecture d’un texte.
Il s’agit d’être en mesure de bâtir une analyse du texte soumis à votre sagacité (et à vos connaissances), ce qu’on appelle un commentaire. Vous devez donc commenter le texte. « commenter » en latin signifie « réfléchir, étudier ». Vous allez ainsi vous lancer dans l’explication d’un texte, qui est généralement un extrait.
Vous montrerez alors comment est construit ce texte, comment il fonctionne, quels effets il produit, de quelle façon, avec quels mots, quelles phrases, quelles figures de style, quel rythme de phrases ou quels jeux sur les sonorités, etc.
Enfin, pensez bien qu’un texte appartient à un genre littéraire et demandez-vous quels topoï il met en œuvre ou au contraire quelles libertés il prend avec le genre.