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L’affaire des poisons

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L’affaire des poisons est une série de scandales survenus sous le règne de Louis XIV. Au départ, la marquise de Brinvilliers est accusée d’avoir empoisonné diverses personnes. Elle est arrêtée, torturée et condamnée à mort. Lors de l’enquête, plusieurs hautes personnalités sont nommées. Cette histoire prend une telle ampleur que le roi décide d’étouffer l’affaire.

À Madame de Grignan
À Paris, ce vendredi 17ème juillet 1676.

La Brinvilliers soumise à la question (Wikipédia)Enfin c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air. Son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu, et les cendres au vent, de sorte que nous la respirerons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante dont nous serons tous étonnés. Elle fut jugée dès hier. Ce matin, on lui a lu son arrêt, qui était de faire amende honorable (1) à Notre-Dame et d’avoir la tête coupée, son corps brûlé, les cendres au vent.
On l’a présentée à la question (2) ; elle a dit qu’il n’en était pas besoin, et qu’elle dirait tout. En effet, jusqu’à cinq heures du soir elle a conté sa vie, encore plus épouvantable qu’on ne le pensait. Elle a empoisonné dix fois de suite son père (elle ne pouvait en venir à bout), ses frères et plusieurs autres. Et toujours l’amour et les confidences mêlés partout. Elle n’a rien dit contre Penautier (3). Après cette confession, on n’a pas laissé de (4) lui donner la question dès le matin, ordinaire et extraordinaire ; elle n’en a pas dit davantage. Elle a demandé à parler à Monsieur le Procureur général ; elle a été une heure avec lui. On ne sait point encore le sujet de cette conversation. À six heures on l’a menée, nue en chemise et la corde au cou, à Notre-Dame faire l’amende honorable. Et puis on l’a remise dans le même tombereau (5), où je l’ai vue, jetée à reculons sur de la paille, avec une cornette (6) basse et sa chemise, un docteur (7) auprès d’elle, le bourreau de l’autre côté. En vérité, cela m’a fait frémir. Ceux qui ont vu l’exécution disent qu’elle a monté sur l’échafaud avec bien du courage. Pour moi, j’étais sur le pont Notre-Dame avec la bonne d’Escars (8) ; jamais il ne s’est vu tant de monde, ni Paris si ému ni si attentif. Et demandez-moi ce qu’on a vu, car pour moi je n’ai vu qu’une cornette, mais enfin ce jour était consacré à cette tragédie. J’en saurai demain davantage, et cela vous reviendra.
[...]

Notes :

1 - Faire amende honorable : peine consistant à reconnaître publiquement sa faute.
2 - La question : torture infligée aux accusés pour leur arracher des aveux.
3 - Penautier : receveur général du clergé, mêlé à l’affaire des poisons.
4 - On n’a pas laissé de : on n’a pas manqué de.
5 - Tombereau : sorte de charrette sur deux roues que l’on peut décharger en la basculant.
6 - Une cornette : ancienne coiffure de femme.
7 - Un docteur : ici, un docteur de l’Église. C’est donc un prêtre.
8 - La bonne d’Escars : une amie de Mme de Sévigné.

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