Après le dîner, M. d'Héricourt, dont on ne peut trop louer l'esprit, le goût et la politesse, nous prêta sa chaloupe pour aller au château d'If, qui est à une lieue en mer. Les voyageurs veulent tout voir.
Nous fûmes donc au château d'If.
C'est un lieu peu récréatif.
Défendu par le fer oisif
De plus d'un soldat maladif,
Qui, de guerrier jadis actif,
Est devenu garde passif.
Sur ce roc taillé dans le vif,
Par bon ordre on retient captif,
Dans l'enceinte d'un mur massif,
Esprit libertin, cœur rétif
Au salutaire correctif
D'un parent peu persuasif.
Le pauvre prisonnier pensif,
À la triste lueur du suif,
Jouit, pour seul soporatif,
Du murmure non lénitif
Dont l'élément rébarbatif
Frappe son organe attentif.
Or, pour être mémoratif
De ce domicile afflictif,
Je jurai, d'un ton expressif,
De vous le peindre en rime en if,
Ce fait, du roc désolatif
Nous sortîmes d'un pas hâtif,
Et rentrâmes dans notre esquif,
En répétant d'un ton plaintif,
Dieu nous garde du château d'If !
Nous regagnâmes le port à l'entrée de la nuit, fort satisfaits, si ce n'était du château d'If, au moins de notre promenade sur la mer.
Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, Voyage de Languedoc et de Provence