Argan, qui est malade, essaie de faire venir sa servante. Il appelle, il crie, mais rien n’y fait. Celle-ci arrive au bout d’un long moment.
Toinette, Argan.
Toinette, en entrant dans la chambre :
On y va.
Argan :
Ah ! chienne ! ah ! carogne (1) !
Toinette, faisant semblant de s'être cogné la tête :
Diantre soit fait de votre impatience ! Vous pressez (2) si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d'un volet.
Argan, en colère :
Ah ! traîtresse !…
Toinette, pour l'interrompre et l'empêcher de crier, se plaint toujours, en disant :
Ah !
Argan :
Il y a…
Toinette :
Ah !
Argan :
Il y a une heure…
Toinette :
Ah !
Argan :
Tu m'as laissé…
Toinette :
Ah !
Argan :
Tais-toi donc, coquine, que je te querelle (3) !
Toinette :
Çamon (4), ma foi, j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait !
Argan :
Tu m'as fait égosiller (5), carogne !
Toinette :
Et vous m'avez fait, vous, casser la tête : l'un vaut bien l'autre. Quitte à quitte (6), si vous voulez.
Argan :
Quoi ! coquine…
Toinette :
Si vous querellez, je pleurerai.
Argan :
Me laisser, traîtresse…
Toinette, toujours pour interrompre :
Ah !
Argan :
Chienne ! tu veux…
Toinette :
Ah !
Argan :
Quoi ! il faudra encore que je n'aie pas le plaisir de quereller !
Toinette :
Querellez tout votre soûl (7) : je le veux bien.
Argan :
Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant à tous coups !
Toinette :
Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que, de mon côté, j'aie le plaisir de pleurer : chacun le sien, ce n'est pas trop. Ah !
Argan :
Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. Argan se lève de sa chaise. Mon lavement (8) d'aujourd'hui a-t-il bien opéré (9) ?
Toinette :
Votre lavement ?
Argan :
Oui. Ai-je bien fait de la bile (10) ?
Toinette :
Ma foi ! je ne me mêle point de ces affaires-là ; c'est à monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu'il en a le profit.
Argan :
Qu'on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l'autre que je dois tantôt prendre.
Toinette :
Ce monsieur Fleurant-là et ce monsieur Purgon s'égayent sur votre corps ; ils ont en vous une bonne vache à lait, et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour faire tant de remèdes.
Jouée pour la première fois le 10 février 1673 au Palais-Royal, cette pièce est une comédie-ballet « mêlée de musique et de danses ».
La pièce tourne essentiellement autour d'Argan, qui est le « malade imaginaire ». Ce veuf s'est remarié avec Béline qui n'attend que la mort de son mari pour pouvoir hériter.
Argan :
Taisez-vous, ignorante ! ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu'on me fasse venir ma fille Angélique : j'ai à lui dire quelque chose.
Toinette :
La voici qui vient d'elle-même : elle a deviné votre pensée.
Le Malade imaginaire, acte I, scène 2
Notes :
1 - Mégère, femme débauchée ou méchante femme.
2 - Obligez les gens à se presser, à aller vite.
3 - Dispute.
4 - Interjection signifiant « Mais oui, bien sûr ! ».
5 - Se faire mal à la gorge à force de crier.
6 - Nous sommes quittes, à égalité.
7 - Autant que vous voulez.
8 - Injection d’un liquide dans la gros intestin (par l’anus) au moyen d’un appareil.
9 - Marché, fonctionné.
10 - Liquide visqueux et amer sécrété par le foie.
Ce liquide est déversé dans le duodénum (première partie de l’intestin grêle) au moment de la digestion.
Le malade imaginaire (Henri Daumier)
Source : Wikipédia
1. Comment sont écrits les noms des personnages ?
2. À quoi servent les passages écrits en italique ?
3. À quoi reconnaît-on que ce texte est une pièce de théâtre ?
4. Quels sont les premiers mots prononcés par Argan ?
5. Pourquoi est-il en colère ? Que reproche-t-il à sa servante ?
6. Que répond Toinette ? A-t-elle vraiment mal ? Pourquoi répète-t-elle toujours la même chose ?
7. Toinette fait-elle ce qu’on attend d’elle ? Que ne veut-elle pas faire ? Pourquoi ?
Le Malade imaginaire est la trentième et dernière pièce jouée par Molière, qui interprétait Argan.
Lors de la quatrième représentation, Molière a tenu à jouer la pièce, malgré son épuisement. À la fin du dernier acte, Molière crache du sang. La pièce est terminée. Les comédiens ferment les rideaux et Molière s'évanouit...
8. Qui de Toinette ou d’Argan paraît dominer l’autre ? Était-ce ce à quoi l’on s’attendait ?
9. Cet extrait est-il destiné à faire rire ou à émouvoir ? Justifiez votre réponse.
10. Qu’est-ce qu’une « vache à lait » ? Quels reproches Toinette fait-elle aux médecins ?
a - Remplacez les points de suspension par des didascalies indiquant ce que fait Argan ainsi que la manière dont il parle.
...
Il n'y a personne. J'ai beau dire : on me laisse toujours seul : il n'y a pas moyen de les arrêter ici.
...
Ils n'entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d'affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds… Toinette ! Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnais point. Chienne, coquine ! Drelin, drelin, drelin. J'enrage !
...
Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables ! Est-il possible qu'on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin. Ah ! mon Dieu ! Ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin.
...
b - Vous avez oublié vos clefs et vous sonnez donc à votre porte pour que l’on vous ouvre. Malheureusement, personne ne vient. Comme Argan, vous vous fâchez en entendant une voix qui, comme Toinette, tarde à venir.
Imaginez le dialogue.