Deux actes sans scène. Genre indéfini ? Comédie ? Drame ? Dialogues déroutants voire insignifiants, silences omniprésents, action quasi inexistante, personnage éponyme absent. Est-ce une véritable scène d’exposition ?
Problématique : une scène suivant les critères de l’exposition classique ?
Développement :
Un début relatif (in medias res). Scène de retrouvailles, mais on apprend très peu de choses.
Au lever de rideau, les didascalies donnent des indications spatiotemporelles dans le respect de la tradition mais indiquent un décor réduit (un arbre, une pierre).
Un lieu désert
Un lieu symbolique/allégorique : la route (destin de l’homme ?)
Un temps tout aussi vague (« soir » sans article)
La scène n’est pas précédée d’une liste des personnages qui restent anonymes (encore plus pour le spectateur qui ne découvrent les noms que tardivement. Et encore. Tout d’abord désignés par leur diminutif Gogo et Didi aux pages 19 et 20) et dont on ignore les liens entre eux.
Autres infos : les vêtements (chapeau, chaussure). Ce sont des vagabonds (Estragon a dormi dans un fossé). Sont probablement âgés (« On portait beau alors. »).
On ne sait pas qui est Godot (ne sera mentionné que plus tard, après la référence biblique). Le dialogue apporte peu de choses et l'action oscille entre des retrouvailles ratées et une tentative laborieuse de retirer sa chaussure. Peut-être n’y a-t-il rien à comprendre (abondance de négations « Rien à faire » au début de l’extrait, « Il n'y a rien à voir. » à la fin.
Les retrouvailles devraient nous informer de ce qui a précédé ce début. Mais refus d’Estragon de discuter qui reste laconique.
Aspect clownesque d’Estragon qui tente difficilement de se déchausser (« ahanait », « haletait ») ou de Vladimir dont la démarche évoque celle de Charlot « s'approchant à petits pas raides, les jambes écartées »). Parodie de la scène d’exposition classique ?
Sollicitude de l’un (« Je suis content de te revoir. » Dit Vladimir) et indifférence de l’autre (Estragon en est irrité indique la didascalie) davantage préoccupé par sa chaussure.
Préoccupations différentes : l’un s’occupe de son pied, pendant que l’autre évoque la lutte (« Et je reprenais le combat »). Passage quasi lyrique vs langage grossier (« cette saloperie »).
Dialogues qui n’aboutissent pas. Au « Rien à faire » répond une phrase qui n’est pas une réponse. À la question de l’un (« Tu ne veux pas m'aider ? », répond une phrase qui n’a rien à voir (« Des fois je me dis que ça vient quand même. ») Dialogue incohérent. Quiproquo. Double sens (« soulagé »). Sentiment d’absurdité.
Répliques lapidaires.
Le rire naît de tout ce qui n’est pas verbal. Jeu alimente le comique : lutte d’Estragon et sa chaussure (didascalie « Estragon s'acharne sur sa chaussure »). Jeu exagéré, outrancier.
Le jeu du chapeau évoque aussi les clowns, les magiciens. Comique de répétition (répété trois fois). Jeu de mots : « n’avoir rien dans le chapeau » (bêtise), « travailler du chapeau » (folie). Métonymie évoquant dans tous les cas la tête. D'ailleurs Lucky ne peut penser sans chapeau.
Omniprésence du corps : douleur du pied pour Estragon, incontinence de Vladimir (« Ce n'est pas une raison pour ne pas te boutonner. »).
Thème de la souffrance omniprésent (« Tu as eu mal ? », « Mal ! Il me demande si j'ai eu mal ! ») et même du suicide (« La main dans la main on se serait jeté en bas de la Tour Eiffel »).
Vanité de l’existence humaine. À rapprocher du polysémique « Rien à faire » d’Estragon. ➝ renoncement du personnage à retirer sa chaussure ? Abandon d’une action inutile, un combat ? Sens donné par les paroles de Vladimir. On ignore exactement.
« Rien n’est plus drôle que le malheur » (Fin de partie, pages 33 et 34).
(cf. Vocabulaire de la souffrance, de la lutte)
Abondance des négations.
Une mise en scène symbolique (arbre sans vie, route, soir représentant la fin de la vie, absence d’action signifiant la monotonie de la vie, le vide de l’existence ➝ « Rien à faire »
Les silences morcellent la scène en trois parties.
Point de suspension traduisent ce silence angoissé et la difficulté de s’exprimer
Réflexion sur l’existence, sur le salut (confirmée par la suite)
À partir de la didascalie « piqué au vif », un sujet plus consistant semble pourvoir susciter notre attention (suscité par la remarque « Tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est, pas d'erreur. »