Texte 1 Phèdre, acte I scène 1
PERSONNAGES
THÉSÉE, fils d’Égée, roi d’Athènes.
PHÈDRE, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé.
HIPPOLYTE, fils de Thésée, et d’Antiope, reine des Amazones.
ARICIE, princesse du sang royal d’Athènes.
THÉRAMÈNE, gouverneur d’Hippolyte.
ŒNONE, nourrice et confidente de Phèdre.
ISMÈNE, confidente d’Aricie.
PANOPE, femme de la suite de Phèdre.
Gardes.
La scène est à Trézène, ville du Péloponnèse.
ACTE PREMIER.
SCÈNE PREMIÈRE.
HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE.
HIPPOLYTE.
Le dessein en est pris : je pars, cher Théramène,
Et quitte le séjour de l’aimable Trézène.
Dans le doute mortel dont je suis agité,
Je commence à rougir de mon oisiveté.
Depuis plus de six mois éloigné de mon père,
J’ignore le destin d’une tête si chère ;
J’ignore jusqu’aux lieux qui le peuvent cacher.
THÉRAMÈNE.
Et dans quels lieux, seigneur, l’allez-vous donc chercher ?
Déjà pour satisfaire à votre juste crainte,
J’ai couru les deux mers que sépare Corinthe ;
J’ai demandé Thésée aux peuples de ces bords
Où l’on voit l’Achéron se perdre chez les morts ;
J’ai visité l’Élide, et laissant le Ténare,
Passé jusqu’à la mer qui vit tomber Icare :
Sur quel espoir nouveau, dans quels heureux climats
Croyez-vous découvrir la trace de ses pas ?
Qui sait même, qui sait si le roi votre père
Veut que de son absence on sache le mystère ?
Et si, lorsqu’avec vous nous tremblons pour ses jours,
Tranquille, et nous cachant de nouvelles amours,
Ce héros n’attend point qu’une amante abusée...
HIPPOLYTE.
Cher Théramène, arrête, et respecte Thésée.
De ses jeunes erreurs désormais revenu,
Par un indigne obstacle il n’est point retenu ;
Et fixant de ses vœux l’inconstance fatale,
Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.
Enfin, en le cherchant, je suivrai mon devoir,
Et je fuirai ces lieux, que je n’ose plus voir.
THÉRAMÈNE.
Eh ! depuis quand, seigneur, craignez-vous la présence
De ces paisibles lieux si chers à votre enfance,
Et dont je vous ai vu préférer le séjour
Au tumulte pompeux d’Athène et de la cour ?
Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ?
HIPPOLYTE.
Cet heureux temps n’est plus. Tout a changé de face,
Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé.
THÉRAMÈNE.
J’entends : de vos douleurs la cause m’est connue.
Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
Dangereuse marâtre, à peine elle vous vit,
Que votre exil d’abord signala son crédit.
Mais sa haine, sur vous autrefois attachée,
Ou s’est évanouie, ou s’est bien relâchée.
Et d’ailleurs quels périls vous peut faire courir
Une femme mourante, et qui cherche à mourir ?
Phèdre, atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire,
Lasse enfin d’elle-même et du jour qui l’éclaire,
Peut-elle contre vous former quelques desseins ?
HIPPOLYTE.
Sa vaine inimitié n’est pas ce que je crains.
Hippolyte en partant fuit une autre ennemie ;
Je fuis, je l’avouerai, cette jeune Aricie,
Reste d’un sang fatal conjuré contre nous.
THÉRAMÈNE.
Quoi ! vous-même, seigneur, la persécutez-vous ?
Jamais l’aimable sœur des cruels Pallantides
Trempa-t-elle aux complots de ses frères perfides ?
Et devez-vous haïr ses innocents appas ?
HIPPOLYTE.
Si je la haïssais, je ne la fuirais pas.
Jean Racine, Phèdre, 1677
Correction
Introduction
Accroche(s)
Jean Racine n’a écrit qu’une seule comédie (Les Plaideurs). Toutes ses autres pièces sont des tragédies d’inspiration grecque ou romaine, à l’exception notable de deux pièces puisant leur source dans la Bible (Esther et Athalie). Iphigénie est l’une de ces pièces qui trouve sa matière chez Euripide.
À la fin du XVIIe siècle, Racine [penser aussi à désigner l’écrivain par des périphrases telles que l’auteur de telle pièce, l'historiographe du roi] se range lors de la querelle des Anciens et des Modernes dans le camp des premiers, revendiquant l’imitation des œuvres de l’Antiquité, ce qu’il fait, par exemple, en puisant la matière de sa pièce Iphigénie chez Euripide.
Présentation de l’extrait
[adapter la présentation à la problématique choisie]
L’extrait que nous allons étudier se situe au tout début de la pièce puisqu’il s’agit de la scène 1 de l’acte 1. Dans ce passage, le roi Agamemnon réveille son domestique Arcas. Il a quelque chose d’important à dire et qui ne saurait attendre, ce qui justifie ce dialogue nocturne. Cela permet à Racine d’exposer au lecteur/spectateur un certain nombre d’informations nécessaires à la compréhension de la pièce et de son intrigue. Nous allons donc nous demander, etc.
Problématique(s)
Veiller à ne pas confondre interrogation directe et indirecte.
- En quoi cet extrait est-il une scène d'exposition ?
- En quoi cette scène d’exposition remplit son rôle ?
- En quoi cette scène d’exposition annonce-t-elle l’issue tragique de cette pièce ?
- Quel rôle joue la mythologie dans cette scène d’exposition ?
- En quoi, dans cette scène d’exposition, Hippolyte est-il un personnage prisonnier du nœud tragique ?
Plan
[Le plan doit également être modifié selon la problématique choisie]
Nous commencerons par montrer que cette scène d’exposition, tout en informant comme il se doit le lecteur/spectateur, crée le suspense en suscitant la curiosité. Nous verrons ensuite que le tragique de cet extrait provient de la passion amoureuse qu’expriment les personnages. Enfin nous montrerons que le protagoniste de cette scène est, de fait, condamné par avance.
1. Une scène d'exposition
Introduction partielle
Rappeler le rôle d’une scène d’exposition (= exposer un certain nombre d’informations nécessaires à la compréhension de la pièce : personnages, époque, lieu, intrigue). Cette mission est remplie non sans artifice, mais elle crée des attentes en intriguant le lecteur/spectateur.
1.1 Les informations données
- Présentation du cadre spatio-temporel (« Depuis plus de six mois », v.5 ; « l'aimable Trézène », v.2)
- Présentation des personnages (Hippolyte, Théramène, Phèdre, Aricie et de leurs liens ; évocation de leur passé (Thésée). En ce qui concerne Hippolyte et Théramène, personnages proches (v.1 « cher Théramène »).
- Présentation de la situation (décision d’Hippolyte de partir chercher son père) et des événements qui ont précédé (« Depuis que », v.35 ; « autrefois », v.41)
1.2 Les artifices de l’exposition
- Début in medias res. La pièce commence au plus près de l’action (rappeler les règles des trois unités, rappeler Boileau « Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué » in Art poétique, chant III)
- Scène d’exposition relative (dialogue qui a déjà commencé. Topos du dialogue entre le héros et le confident/gouverneur/serviteur) dans lequel le héros confie ses intentions. L’entretien est rendu crédible par le retour de Théramène après une longue absence (voir le récit au passé composé des vers 10 à 14).
- Jeu des questions réponses + reprises de Théramène (voir, par exemple, vers 7 et 8 (Hippolyte dit « J’ignore jusqu’aux lieux qui le peuvent cacher. », ce à quoi répond Théramène « Et dans quels lieux, seigneur, l’allez-vous donc chercher ? »), mais aussi toutes les phrases interrogatives prononcées par Théramène). Ce dernier fait parler Hippolyte amené à confesser ce qu’il taisait (affreux jeu de mots). De fait, la situation est plus complexe que ce que laissait entendre les premiers mots de Hippolyte.
1.3 Attentes du spectateur
- On a donc des informations qui se précise au fur et à mesure, mais aussi des informations incomplètes : absence du héros Thésée. De plus, début de pièce marquée également par l’absence du personnage éponyme de la pièce. Création du suspense : « Phèdre, atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire » (v.45). Qu’arrive-t-il au personnage principal ? L’exposition se prolongera sur les scènes suivantes (avec un parallélisme à cette scène puisque Phèdre aussi avouera son amour et donc le mal qui est le sien)
- La pièce commence au plus près de l’action. Le nœud est proche. La crise va éclater (« Cet heureux temps n’est plus », v.34). L’exposition ne fait que donner les éléments essentiels à la compréhension, créer des attentes.
Conclusion partielle
L’exposition apporte des informations nombreuses mais incomplètes. Si les relations entre Hippolyte et Théramène sont claires, d’autres le sont beaucoup moins : les vraies intentions d’Hippolyte, le mal dont souffre Phèdre.
2. Amours impossibles
Introduction partielle
La passion est sinon le vrai sujet de la tragédie du moins de la pièce. C’est de la passion amoureuse que naissent les difficultés, de la transgression qu’elle représente mais aussi de son aveu. En effet, tous les personnages (Thésée comme Hippolyte ou Phèdre) cèdent à des passions mortifères.
2.1 L’amour, sujet de ce dialogue
- C’est l’affection d’Hippolyte pour son père qui est tout d’abord exprimée (« une tête si chère » v.6, « ce héros » v. 21) et qui est pris comme justification de son départ. Inquiétude soulignée par l’anaphore « J’ignore » aux vers 6 et 7. L’affection pour les lieux est également exprimée (« l’aimable Trézène », v.2 ; « ces paisibles lieux », v.30), ce qui rend le départ d’Hippolyte sujet à caution.
- On verra que cette déclaration d’intention est un prétexte qui ne trompe pas Théramène (= pourquoi chercher puisque je l’ai fait ou encore l’épanorthose au v.33 « Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ? ») ➝ chagrin d’amour. Le thème de l’amour apparaît fortement à travers les aventures de Thésée (les euphémismes « ses jeunes erreurs » ou encore « un indigne obstacle ». Voir également le vers 25 « fixant de ses vœux l’inconstance fatale », etc.)
- Ce dialogue à deux (Hippolyte + Théramène) conduit à un aveu sous forme de litote (« Si je la haïssais, je ne la fuirais pas » au v.56). Un amour coupable (voir v. 51 « Reste d’un sang fatal conjuré contre nous ») puisque frappé d’interdit par l’injonction paternelle.
2.2 Amours interdites
- Amour donc pour Aricie, « sœur des cruels Pallantides » (v.53). Rappeler l’histoire des Pallantides, fils de Pallas qui s’opposent à Thésée dans un lutte pour le pouvoir.
- Phèdre « Une femme mourante, et qui cherche à mourir » (v.44)
- Thésée aime Phèdre qui aime Hippolyte qui aime Aricie (qu’il est interdit d’aimer). L’histoire elle-même s'origine dans l’amour coupable d’Arès et Aphrodite révélé par Hélios. Adultère, inceste, transgression (mais représentés selon l’idéal classique).
- Tragédie de la parole. C’est en avouant leur amour que les personnages vont à la mort. Ces amours sont mortifères.
2.3 Le héros Thésée, libre de ses actes
- Hippolyte, un fils coupable tandis que le héros vainqueur de monstres est libre de se comporter en coureur de jupons. La figure du père est un modèle inimitable et peut-être inaudible par le timoré Hippolyte (voir les vers 17 à 21 interrompus par un Hippolyte pudique).
- Mais du fait de cette absence, Hippolyte cède/est sur le point de céder à un amour coupable (d’où désir de fuite). Voir encore préface de Racine « J’appelle faiblesse la passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père. » ➝ Tragédie = peinture des passions pour enseigner la vertu (« les passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause », Racine).
Conclusion partielle
La passion amoureuse est la cause de tous les malheurs. Cette passion s’exprime du fait de l’absence d’un père « mythique ». Avouée, formulée, révélée, cette passion ne peut que connaître une issue fatale.
3. Le tragique en marche
Introduction partielle
Le début de la pièce signale la fin d’un temps qui n’est plus (« Cet heureux temps n’est plus », v.34). L’évènement tragique est imminent. Responsabilité des dieux, du passé, des hommes. Mais aussi absence du héros dont le départ facilite la transgression de tous les interdits. Chacun va céder à ses passions et l’on va donc voir le désordre « dont elles sont cause ».
3.1 L’arrière-plan mythologique
- Le mythe = « ornements de la fable, qui fournit extrêmement à la poésie » (Racine). À développer sur les aventures de Thésée. Poétique de la périphrase (par exemple, « la mer qui vit tomber Icare » v.14).
- Passé mythifié et valorisé de « Ce héros » (v.21) qui va jusque « chez les morts » (v.12) mais passé inquiétant d’un fils qui n’a pas suivi les conseils paternels (voir encore la périphrase « la mer qui vit tomber Icare » au v.14)
- Périphrase hautement significative « La fille Minos et de Pasiphaé » (rappeler malédiction d’Aphrodite). « Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente » (préface de Jean Racine). À rapprocher du vers 46 « Lasse enfin d’elle-même et du jour qui l’éclaire » (« elle est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime dont elle a horreur toute la première », Racine, préface)
3.2 Un lieu « aimable » mais menaçant
- Les lieux autrefois aimés sont devenus menaçants. « l’aimable Trézène » (déjà cité), « paisibles lieux si chers » (v.30).
- « crainte » (v.9), « tremblons » (v.19), « craint » (v.26), « craignez-vous » (v.29), « péril » (v.33), « douleurs » (v.37), etc., etc.
- Champ lexical du danger (évoquer la « dangereuse marâtre », v.39).
3.3 Le thème de la fuite
- « je pars » (v.1), « quitte » (v.2), « je fuirai » (v.28), « fuit » (v.49), « fuis » (v.50), « fuirais » (v.56). Donc un personnage tragique (voir ce que dit Racine : « Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, j’avais remarqué dans les Anciens qu’on reprochait à Euripide de l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection ». Le héros tragique a des faiblesses (voir encore Boileau). Il fuit parce que l’endroit est dangereux. Mais surtout cette fuite est frappée d’inanité. Le héros tragique, quoiqu’il fasse, ne peut se soustraire au destin qui est le sien. Le tragique = affirmation de cette liberté impossible.
- Hippolyte agit et essaie aussi de se hausser à la condition de héros (modèle paternel, modèle mythologique. Cf. Télémaque dans L’Odyssée par exemple). Phèdre pièce où l’on passe de l’épopée au tragique. Échec programmé d’un héros qui se croit encore libre d’agir, mais qui est déjà condamné.
- Hippolyte = victime offerte (recherche le père qui causera sa mort) ne comprenant rien (il voit une ennemie dans celle qui l’aime) et s’interdit d’aimer celle qui l’aime. Personnage complexe (lié à sa mère amazone hostile à l’amour, à un père dont il veut taire les frasques amoureuses et dont il redoute les interdits, craint Phèdre, aime Aricie en cachette et dans une certaine honte). Scène de confession malgré soi.
Conclusion
- Rassembler les grandes idées (une scène d’exposition apportant un certain nombre d’informations toutefois incomplètes, préparant le noeud tragique dans lequel le personnage d’Hippolyte est pris malgré qu’il en ait, thème de l’amour, etc.)
- « Racine a rompu la tradition, en introduisant dans la tragédie un amour violent et meurtrier, contraires en tous points aux habitudes courtoises » (Morales du grand siècle, page 181, Paul Bénichou). L’amour de Phèdre exprime « un désir jaloux, avide, s’attachant à l’être aimé comme à une proie ; ce n’est plus un culte rendu à une personne idéale, en qui résident toutes les valeurs de la vie. Le comportement le plus habituel de cet amour, dans lequel la passion de posséder est liée à une insatisfaction profonde, au point qu’on le conçoit malaisément heureux et partagé, est une agressivité violente à l’égard de l’objet aimé, sitôt qu’il fait mine de se dérober » (op. cit.)