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Texte 4 On ne badine pas avec l’amour, acte III, scène 8

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Perdican et Camille sont cousins germains et amis d’enfance. Le premier est épris de la seconde, mais cette dernière a eu comme amie au couvent une religieuse qui lui a fait partager sa méfiance des hommes et de l’amour. De dépit et pour se consoler, Perdican courtise une jeune fille du village nommée Rosette. Camille comprend alors qu’elle aime aussi Perdican et elle demande à celui-ci de venir dans sa chambre avec l’espoir d’obtenir un aveu tandis qu’elle a caché Rosette derrière un rideau. En entendant Perdican dire à Camille qu’il l’aime, Rosette s’évanouit et Camille reproche à Perdican sa perfidie. Furieux, Perdican décide d’épouser Rosette. Désespérée, Camille se réfugie dans la chapelle du château où Perdican ne tarde pas à la rejoindre.

On ne badine pas avec l’amour
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Acte III, scène 8

PERDICAN
Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? La voilà pâle et effrayée, qui presse sur les dalles insensibles son cœur et son visage. Elle aurait pu m’aimer, et nous étions nés l’un pour l’autre ; qu’es-tu venu faire sur nos lèvres, orgueil, lorsque nos mains allaient se joindre ?

CAMILLE
Qui m’a suivie ? Qui parle sous cette voûte ? Est-ce toi, Perdican ?

PERDICAN
Insensés que nous sommes ! nous nous aimons. Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? Lequel de nous a voulu tromper l’autre ? Hélas ! cette vie est elle-même un si pénible rêve ! pourquoi encore y mêler les nôtres ? Ô mon Dieu ! le bonheur est une perle si rare dans cet océan d’ici-bas ! Tu nous l’avais donné, pêcheur céleste, tu l’avais tiré pour nous des profondeurs de l’abîme, cet inestimable joyau ; et nous, comme des enfants gâtés que nous sommes, nous en avons fait un jouet. Le vert sentier qui nous amenait l’un vers l’autre avait une pente si douce, il était entouré de buissons si fleuris, il se perdait dans un si tranquille horizon ! Il a bien fallu que la vanité, le bavardage et la colère vinssent jeter leurs rochers informes sur cette route céleste, qui nous aurait conduits à toi dans un baiser ! Il a bien fallu que nous nous fissions du mal, car nous sommes des hommes. Ô insensés ! nous nous aimons.

(Il la prend dans ses bras.)

CAMILLE
Oui, nous nous aimons, Perdican ; laisse-moi le sentir sur ton cœur. Ce Dieu qui nous regarde ne s’en offensera pas ; il veut bien que je t’aime ; il y a quinze ans qu’il le sait.

PERDICAN
Chère créature, tu es à moi !

(Il l’embrasse ; on entend un grand cri derrière l’autel.)

CAMILLE
C’est la voix de ma sœur de lait.

PERDICAN
Comment est-elle ici ? je l’avais laissée dans l’escalier, lorsque tu m’as fait rappeler. Il faut donc qu’elle m’ait suivi sans que je m’en sois aperçu.

CAMILLE
Entrons dans cette galerie ; c’est là qu’on a crié.

PERDICAN
Je ne sais ce que j’éprouve ; il me semble que mes mains sont couvertes de sang.

CAMILLE
La pauvre enfant nous a sans doute épiés ; elle s’est encore évanouie ; viens, portons-lui secours ; hélas ! tout cela est cruel.

PERDICAN
Non, en vérité, je n’entrerai pas ; je sens un froid mortel qui me paralyse. Vas-y, Camille, et tâche de la ramener. (Camille sort.) Je vous en supplie, mon Dieu ! ne faites pas de moi un meurtrier ! Vous voyez ce qui se passe ; nous sommes deux enfants insensés, et nous avons joué avec la vie et la mort ; mais notre cœur est pur ; ne tuez pas Rosette, Dieu juste ! Je lui trouverai un mari, je réparerai ma faute, elle est jeune, elle sera heureuse ; ne faites pas cela, ô Dieu ! vous pouvez bénir encore quatre de vos enfants. Eh bien ! Camille, qu’y a-t-il ?

(Camille rentre.)

CAMILLE
Elle est morte. Adieu, Perdican !

Éléments de correction

Un dénouement efficace

Scène dans laquelle les propos des personnages sont destinés, en plus du spectateur, à une auditrice et même à deux auditrices puisqu’au début de la scène Perdican monologue (quatre premières lignes) avant que Camille ne le reconnaisse à sa voix.

S’ensuit un duo amoureux exposant les erreurs passées essentiellement imputées à l’orgueil sans se douter que Rosette les écoute derrière l’autel. L’aveu des quinze ans d’amour secret et le moment où les deux amants s’enlacent enfin (est-ce la fin ?) et provoquent la mort de Rosette.

Moment de suspense utilisant habilement les lieux : Rosette s’est-elle évanouie ? Perdican peut alors exprimer toute son angoisse (art de la temporisation qui fait espérer un happy end). Musset use de cette technique théâtrale pour faire mourir Rosette en coulisse comme dans la tragédie classique. Le mot de la fin résume en cinq termes le malheur final : mort de la victime d’un badinage cruel, impossibilité de tout prolongement heureux pour un couple qu’on croyait réconcilié. La mort de Rosette écarte définitivement leur bonheur futur (« Adieu, Perdican »).

Un dénouement d’une grande force dramatique : théâtre dans le théâtre, spectacle pour Rosette autant que pour le public, suspense momentané, le mot de la fin retourne une dernière fois la situation après les deux coups de théâtre précédents (aveu de Camille, cri de Rosette).

Lyrisme désespéré

Point culminant de tension dramatique. Perdican y reconnaît l’obstacle qui s’est dressé entre Camille et lui. C’est l’orgueil de ceux qui ont fait de l’amour un « jouet » et « ont joué avec la vie et la mort », ce qui justifie le titre On ne badine pas avec l’amour, formule de l’anti-marivaudage. Passion mortifère « vent funeste ».

Plaidoyer de Perdican marqué par la répétition (« Il a bien fallu que » x 2 dans la deuxième tirade) reconnaissant l’origine du mal et probablement d’un amour détruit et qui aurait dû être le rempart du mal existentiel (« le bonheur est une perle si rare dans cet océan d’ici-bas ») de l’écrivain romantique (à comparer à « La nuit de décembre », à la rédaction de La Confession d’un enfant du siècle. + Héros romantique/shakespearien. « Cette vie est elle-même un si pénible rêve »
« Insensés » répété deux fois au début et à la fin de la deuxième tirade de Perdican : ouvre et conclut. Reprise dans la dernière tirade « nous sommes deux enfants insensés ».
Multiplicité des phrases interrogatives, du déterminant « quel »...
Le mot « jouet » : « nous en avons fait un jouet », « nous avons joué avec la vie et la mort », ce qui renvoie au badinage
Le mot « orgueil » est répété deux fois. Personnifié. L’orgueil = 3e personnage se glissant entre leurs lèvres (« qu’es-tu venu faire sur nos lèvres, orgueil, lorsque nos mains allaient se joindre ? »). Voir aussi « vaines paroles », « la vanité ». Lyrisme du passage : voir interjection « Hélas », « Ô mon dieu », « Ô insensés ».

Hypallage « les dalles insensibles » (c’est en fait le cœur et le visage de Camille qui le sont). Deux images filées : perle au fond des mers que le pêcheur divin leur avait réservée ; celle du sentier fleuri que des rochers informes barraient.

À noter les adjectifs hyperboliques en grand nombre : « misérables folies », « vent funeste », « inestimable joyau », « profondeurs de l’abîme », « buissons fleuris », « tranquille horizon »... Tranche avec la sobriété de Camille.

Grand texte sur l’amour à la fois triomphant et vaincu.

Les jeunes héros reconnaissent qu’ils font le mal. C’est toutefois Perdican qui se livre à cette autocritique tout en mettant beaucoup de choses sur le compte de la fatalité « le plus fatal des conseillers humains »

Définitions & liens

George Sand
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Badiner

Badinage

  1. Action de badiner ; chose que l’on fait, dit ou écrit d’une manière badine.
  2. Manière élégante, gracieuse et légère d’agrémenter une conversation ; propos dits sur un ton badin.
  3. Sans doute le mot de marivaudage s’est fixé dans la langue à titre de défaut : qui dit marivaudage dit plus ou moins badinage à froid, espièglerie compassée et prolongée, pétillement redoublé et prétentieux, enfin une sorte de pédantisme sémillant et joli... Sainte-Beuve, Causeries du lundi - Badinage et marivaudage sont souvent synonymes dans les acceptions 1, 2 et 3 (cf. ex. 4). Cependant, par opposition au maniérisme voulu du marivaudage, badinage désigne un jeu spontané, souvent innocent et superficiel. (CNRTL)

Marivaudage

Le terme, longtemps attribué à Diderot, apparaît dans une lettre de de madame de Graffigny. Forgé d’après le nom de Marivaux, il désigne une façon d’exprimer de manière raffinée et compliquée des sentiments amoureux, mais aussi un jeu avec des sentiments alambiqués et évidemment les mots.

George Sand & Alfred de Musset

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