RT Actu Blog Manuels Liens

Séance 1 Introduction

Vous êtes ici : > Lycée > Séquences (première) > Les Lettres persanes > Séance 1

Lettres persanes
Source

Plan

  1. Lecture de « Quelques réflexions sur les Lettres persanes » et de l’introduction
  2. Est-ce un roman ? De quelle nature ?
  3. Qui est Montesquieu ?
  4. Qu’est-ce que le regard éloigné ?

Quelques réflexions sur les Lettres persanes (édition de 1758)

Rien n’a plu davantage dans les Lettres persanes, que de trouver, sans y penser, une espèce de roman. On en voit le commencement, le progrès, la fin : les divers personnages sont placés dans une chaîne qui les lie. À mesure qu’ils font un plus long séjour en Europe, les mœurs de cette partie du monde prennent dans leur tête un air moins merveilleux et moins bizarre ; et ils sont plus ou moins frappés de ce bizarre et de ce merveilleux, suivant la différence de leurs caractères. D’un autre côté, le désordre croît dans le sérail d’Asie à proportion de la longueur de l’absence d’Usbek, c’est-à-dire à mesure que la fureur (1) augmente et que l’amour diminue.

D’ailleurs, ces sortes de romans réussissent ordinairement, parce que l’on rend compte soi-même de sa situation actuelle ; ce qui fait plus sentir les passions que tous les récits qu’on en pourrait faire. Et c’est une des causes du succès de quelques ouvrages charmants qui ont paru depuis les Lettres persanes (2).

Enfin, dans les romans ordinaires, les digressions ne peuvent être permises que lorsqu’elles forment elles-mêmes un nouveau roman. On n’y saurait mêler de raisonnements, parce qu’aucun des personnages n’y ayant été assemblés pour raisonner, cela choquerait le dessein et la nature de l’ouvrage. Mais, dans la forme des lettres, où les acteurs ne sont pas choisis, et où les sujets qu’on traite ne sont dépendants d’aucun dessein ou d’aucun plan déjà formé, l’auteur s’est donné l’avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue (3).

Les Lettres persanes eurent d’abord un débit si prodigieux, que les libraires mirent tout en usage pour en avoir des suites. Ils allaient tirer par la manche tous ceux qu’ils rencontraient : « Monsieur, disaient-ils, faites-moi des Lettres persanes » (4).

Mais ce que je viens de dire suffit pour faire voir qu’elles ne sont susceptibles d’aucune suite, encore moins d’aucun mélange avec des lettres écrites d’une autre main, quelque ingénieuses qu’elles puissent être.

Il y a quelques traits que bien des gens ont trouvés bien-hardis ; mais ils sont priés de faire attention à la nature de cet ouvrage. Les Persans qui devaient y jouer un si grand rôle se trouvaient tout à coup transplantés en Europe, c’est-à-dire dans un autre univers. Il y avait un temps où il fallait nécessairement les représenter pleins d’ignorance et de préjugés : on n’était attentif qu’à faire voir la génération et le progrès de leurs idées. Leurs premières pensées devient être singulières : il semblait qu’on n’avait rien à faire qu’à leur donner l’espèce de singularité qui peut compatir avec de l’esprit ; on n’avait à peindre que le sentiment qu’ils avaient eu à chaque chose qui leur avait paru extraordinaire. Bien loin qu’on pensât à intéresser quelque principe de notre religion, on ne se soupçonnait pas même d’imprudence. Ces traits se trouvent toujours liés avec le sentiment de surprise et d’étonnement, et point avec l’idée d’examen, et encore moins avec celle de critique. En parlant de notre religion, ces Persans ne doivent pas paraître plus instruits que lorsqu’ils parlaient de nos coutumes et de nos usages ; et, s’ils trouvent quelquefois nos dogmes singuliers, cette singularité est toujours marquée au coin de la parfaite ignorance des liaisons qu’il y a entre ces dogmes et nos autres vérités.

On fait cette justification par amour pour ces grandes vérités, indépendamment du respect pour le genre humain, que l’on n’a certainement pas voulu frapper par l’endroit le plus tendre. On prie donc le lecteur de ne pas cesser un moment de regarder les traits dont je parle comme des effets de la surprise de gens qui devaient en avoir, ou comme des paradoxes faits par des hommes qui n’étaient pas même en état d’en faire. Il est prié de faire attention que tout l’agrément consistait dans le contraste éternel entre les choses réelles et la manière singulière, naïve ou bizarre, dont elles étaient aperçues. Certainement la nature et le dessein des Lettres persanes sont si à découvert, qu’elles ne tromperont jamais que ceux qui voudront se tromper eux-mêmes.

Persans
Source

Introduction (1721)

Je ne fais point ici d’épître dédicatoire (5), et je ne demande point de protection pour ce livre : on le lira, s’il est bon ; et, s’il est mauvais, je ne me soucie pas qu’on le lise.

J’ai détaché ces premières lettres, pour essayer le goût du public ; j’en ai un grand nombre d’autres dans mon portefeuille (6), que je pourrai lui donner dans la suite.

Mais c’est à condition que je ne serai pas connu (7) : car, si l’on vient à savoir mon nom, dès ce moment je me tais. Je connais une femme (8) qui marche assez bien, mais qui boite dès qu’on la regarde. C’est assez des défauts de l’ouvrage, sans que je présente encore à la critique ceux de ma personne. Si l’on savait qui je suis, on dirait : « Son livre jure avec son caractère, il devrait employer son temps à quelque chose de mieux, cela n’est pas digne d’un homme grave ». Les critiques ne manquent jamais ces sortes de réflexions, parce qu’on les peut faire sans essayer beaucoup son esprit.

Les Persans qui écrivent ici étoient logés avec moi ; nous passions notre vie ensemble. Comme ils me regardaient comme un homme d’un autre monde, ils ne me cachaient rien. En effet, des gens transplantés de si loin ne pouvaient plus avoir de secrets. Ils me communiquaient la plupart de leurs lettres ; je les copiai. J’en surpris même quelques-unes dont ils se seraient bien gardés de me faire confidence, tant elles étaient mortifiantes (9) pour la vanité et la jalousie persane.

Je ne fais donc que l’office de traducteur : toute ma peine a été de mettre l’ouvrage à nos mœurs (10). J’ai soulagé le lecteur du langage asiatique autant que je l’ai pu, et l’ai sauvé d’une infinité d’expressions sublimes, qui l’auraient ennuyé jusque dans les nues.

Mais ce n’est pas tout ce que j’ai fait pour lui. J’ai retranché les longs compliments, dont les Orientaux ne sont pas moins prodigues que nous ; et j’ai passé un nombre infini de ces minuties qui ont tant de peine à soutenir le grand jour, et qui doivent toujours mourir entre deux amis.

Si la plupart de ceux qui nous ont donné des recueils de lettres avaient fait de même ; ils auraient vu leurs ouvrages s’évanouir.

Il y a une chose qui m’a souvent étonné : c’est de voir ces Persans quelquefois aussi instruits que moi-même des mœurs et des manières de la nation, jusqu’à en connaître les plus fines circonstances, et à remarquer des choses qui, je suis sûr, ont échappé à bien des Allemands qui ont voyagé en France. J’attribue cela au long séjour qu’ils y ont fait : sans compter qu’il est plus facile à un Asiatique de s’instruire des mœurs des Français dans un an, qu’il ne l’est à un Français de s’instruire des mœurs des Asiatiques dans quatre ; parce que les uns se livrent autant que les autres se communiquent peu.

L’usage a permis à tout traducteur, et même au plus barbare commentateur, d’orner la tête de sa version (11), ou de sa glose (12), du panégyrique (13) de l’original, et d’en relever l’utilité, le mérite et l’excellence. Je ne l’ai point fait : on en devinera facilement les raisons. Une des meilleures est que ce serait une chose très ennuyeuse, placée dans un lieu déjà très ennuyeux de lui-même, je veux dire une préface.

Notes :

1 - Le mot est ici synonyme de « folie ». C’est le sens étymologique du latin furor.
2 - Deux romans épistolaires ont connu un grand succès : Pamela de Samuel Richardson (1740) et les Lettres d’une péruvienne de Mme de Graffigny (1747).
3 - C’est précisément l’idée de Marana dans son ouvrage à succès L’Espion turc, roman épistolaire publié en six volumes et qui commence à paraître en 1684. En 1710, on compte treize rééditions augmentées. C’est donc une influence et une source pour Montesquieu.
4 - Différents ouvrages paraissent sous le titre de Nouvelles Lettres persanes : Lettres d’une Turque à Paris, écrites à sa sœur au sérail, pour servir de supplément aux « Lettres persanes » (1730) de Poullain de Saint-Foix et Lettres d’un Persan en Angleterre à son ami à Ispahan ou Nouvelles Lettres persanes (1735) de Sir George Lyttelton.
5 - Traditionnellement, les auteurs faisaient commencer leur ouvrage par un texte dédié à un protecteur. Voir, par exemple, l’épître de La Fontaine à Monseigneur le dauphin ou encore celle de (L’École des femmes de Molière.
6 - Carton double pliant et servant à renfermer des papiers.
7 - À la condition qu’on ne saura pas que c’est moi qui en suis l’auteur.
8 - Il s’agirait de madame de Montesquieu.
9 - Humiliantes, blessantes.
10 - Adapter le livre à nos habitudes, notre façon de voir les choses.
11 - Ce qui se trouve en tête, au début de l’ouvrage.
12 - Commentaire.
13 - Discours à la louange d’une personne.

Correction

Présentation des Lettres persanes
La présentation des Lettres persanes

Quelques réflexions sur les Lettres persanes

En 1758, Montesquieu est mort depuis trois ans (1689-1755).

L’édition de 1758 est une édition augmentée de plusieurs lettres et de « Quelques réflexions sur les Lettres persanes ». Ces lettres enrichissent l’intrigue du sérail et aident à percevoir l’ouvrage de Montesquieu comme un roman.

L’ouvrage a été publié en 1721. Époque que l’on appelle la Régence (on parle d’un esprit Régence caractérisé à la fois par la liberté des mœurs et de l’esprit critique) et qui a été résumée en ces termes dans la préface de cette édition disponible sur Wikisource) :

« Louis XIV était mort, laissant le peuple affamé, la France appauvrie par la révocation de l’édit de Nantes, par les longs désastres d’une guerre inique terminée à grand peine en victoire in extremis, l’esprit écrasé sous le joug du père Lachaise et de la Maintenon, les lettres languissantes. La disparition de la funeste cagote et des confesseurs jésuites fut un soulagement universel. Le poids qui oppressait les poitrines s’en était allé à Saint-Denis en pourriture royale. On respirait. Mais dans quel chaos, dans quel désarroi moral, politique et financier ! Trouble encore accru par le déchaînement des passions comprimées et le dévergondage effréné qui succède à la libération. »

Le contexte de la Régence se laisse deviner, par exemple, au travers des allusions à l’actualité politique dans le roman (Law entre autres).

« Quelques réflexions sur les Lettres persanes » ont été écrites après la lecture du pamphlet de l’abbé Gaultier, Les Lettres persannes [sic] convaincues d’impiété (voir la lecture qui en est faite sur le site lire-montesquieu.ens-lyon.fr). Ce dernier écrit :

« Si le Persan avance quelque impiété, on dit : c’est un Persan qui raisonne selon les principes, et quelquefois aussi contre les principes de sa secte ; à quoi un Chrétien ne parait pas prendre beaucoup d’intérêt. Mais ceux qui ont quelque usage du monde, ceux qui savent sous combien de formes l’impiété s’est masquée depuis trente ans pour pulluler et s’étendre, n’ont pas besoin qu’on leur dise que le Persan qui parle est un Français très connu, qui met dans la bouche du Persan ce qu’il pense, lui Français, sur la religion. »

Le genre du livre

Un roman

Les « Quelques réflexions » liminaires emploient le mot roman à trois reprises et nourrissent une réflexion d’ordre générique. Or de quoi parle ce roman ? Quelle est la place de ce genre dans la littérature du XVIIIe siècle ?

C’est un genre mineur. Dans son Art poétique, Boileau évoque les formes mineures comme l’idylle, l’élégie, la chanson, la satire, le sonnet, le rondeau et les grands genres : la tragédie, la comédie et l’épopée. Mais de roman, il n’est point question ! Il faudra attendre le XIXe et le XXe siècles pour qu’il acquière sinon ses lettres de noblesse du moins une assise théorique forte qui lui confère un statut de première classe.

Petite histoire du roman

À l’origine, le roman désigne un ouvrage écrit en langue romane, qui est la langue parlée dans le Nord de la France au XIIe siècle. En ce sens, le mot « roman » désigne donc d’abord une langue (l’ancien français) puis, par métonymie, le livre écrit dans cette langue : un roman est un ouvrage écrit en roman.

C’est à cette époque que la littérature romanesque médiévale (celle de Chrétien de Troyes, par exemple) se développe et raconte les exploits de héros chevaleresques comme Yvain ou Perceval. Cette littérature renvoie une image idéalisée de la noblesse à laquelle elle s’adresse. Le roman tient alors davantage du poème puisqu’il est écrit en couplets d’octosyllabes à rimes plates (aa, bb, cc, etc.). Il est destiné à être lu à voix haute car seuls les clercs (= l’homme d’église, du latin ecclésiastique clericus qui a donné clergé) ont cette connaissance.

Aujourd’hui, nous définirions plutôt le roman par opposition à la nouvelle. C’est donc un récit long, en prose (ce n’est donc pas de la poésie) relatant une histoire fictive (mais qui peut s’inspirer de la réalité, d’anecdotes réelles…).

Il existe toutes sortes de romans : les romans héroïques précieux du XVIIe siècle (des histoires d’amour de l’aristocratie dans un cadre idyllique, comme dans L’Astrée d’Honoré d’Urfé) ; des romans picaresques, un genre très prisé jusqu’au XVIIIe (Le Roman comique de Scarron) ; le roman d’analyse psychologique (La Princesse de Clèves racontant une histoire d’amour impossible à la cour du roi Henri II au XVIe siècle) ; le roman philosophique au XVIIIe (La Religieuse ou Jacques le Fataliste de Diderot, La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau) ; le roman épistolaire (Les Lettres persanes de Montesquieu, Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos), etc.

Au XIXe siècle, le roman domine la production littéraire. S’y développe le roman historique (Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas), le roman d’aventures (Le Tour du monde en 80 jours de Jules Verne), le roman réaliste (Madame Bovary de Gustave Flaubert, Le Père Goriot de Balzac), le roman feuilleton (Les Mystères de Paris d’Eugène Sue), etc.

Le roman épistolaire — qui est le choix de Montesquieu — devient une véritable mode. On va trouver toutes sortes de lettres : Lettres juives, Lettres chinoises, Lettres illinoises, Lettres d’une Péruvienne (voir ci-dessous), etc.
Parmi les ouvrages les plus célèbres du genre, on peut citer :

Lettres portugaises
Lire Lettres portugaises

Le roman de Montesquieu

Un roman épistolaire

C’est un « Roman » épistolaire de 161 lettres.
On dénombre 19 correspondants écrivant à au moins 22 destinataires différents. Mais les auteurs sont principalement deux Persans : Usbek et Rica. Ce sont deux personnages distincts : un jeune, un vieux ; un primesautier, un mélancolique ; un célibataire, un possédant un sérail.

Le premier écrit la majorité des lettres (79), Rica 47.
Usbek est donc l'épistolier le plus fécond : il écrit 79 lettres sur 161. Presque 50% !
Les premières lettre sont datées de 1711, la dernière de 1720. Le roman couvre donc une durée de neuf années, commençant sous le règne de Louis IX et se poursuivant avec celui de son arrière-petit-fils.

Chronologie

Montesquieu adopte le millésime chrétien pour désigner l’année. Il retient le nom des mois lunaires persans en leur attribuant une équivalence exacte avec les mois solaires du calendrier grégorien. Cela contribue à procurer une couleur locale à l’ouvrage (un peu comme les périphrases ou les équivalences employés par les Persans dans leurs lettres).

Saphar = Avril
Rebiab I = Mai
Rebiab II = Juin
Gemmadi I = Juillet
Gemmadi II = Août
Rhegeb = Septembre
Chahban = Octobre
Rhamazan = Novembre
Chalval = Décembre
Zilcadé = Janvier
Zilhagé = Février
Maharram = Mars

Quoi qu’il en soit, le roman présente donc une pluralité de points de vue, ce qui pose un premier problème : quel est celui de l’auteur ? Le roman présente donc une pluralité de points de vue, ce qui pose un premier problème : quel est celui de l’auteur ?

Quel est le sujet du roman ?

De quoi parle-t-on ? Examinons les statistiques :

Les Persans posent d'abord la question du pouvoir politique et religieux. Ce sont ensuite les institutions, la société françaises qui sont observées : « actrices, coquettes, hommes à bonnes fortunes, diseurs de riens, financiers et nouveaux riches, casuistes et confesseurs, nouvellistes, académiciens, hommes de lettres querelleurs » (Jean Starobinski, préface de l’édition Folio classique).

Deux regards persans (perçants) sont donc portés sur la France des années 1710.

C’est la France de Louis XIV qui est évoquées durant ces années et qui se trouve être une véritable gérontocratie :

Il y a donc bien une « chaîne secrète » (comme chez Baudelaire, pensez l'architecture de l'œuvre).

À l’occident, est réservé (ou semble réservé) le domaine la politique, de la réflexion politique. À l’orient, les thèmes de la passion (jalousie, colère, ressentiment, dissimulation).
Mais il n’en reste pas moins que l’ensemble du livre opère sur le mode du discontinu, de la rupture, de la digression, de la parenthèse, de l’apologue, de la fable, de la satire, de la réflexion...

Proposition de travail 1

Le véritable auteur qui dans la préface prétend n’être qu’un traducteur s’éclipse ou feint de s’éclipser. Sujet de réflexion ➝ pour quelle raisons ? (Éléments de réponses : Désir d'incognito ? L’identité de Montesquieu n’est pas un grand mystère. Souci de donner à son texte les apparences de la réalité et d’échapper à la littérature ? L’ouvrage est aussi celui de la pluralité des points de vue, de la diversité des opinions et des convictions. Toutefois, en dépit de ces voix plurielles, la présence de l’auteur se laisse deviner. Un auteur qui montre la contradiction de ses personnages par exemple d’Usbek, cet esprit éclairé pourtant véritable despote domestique.

Qui est Montesquieu ?

Noble, magistrat (président à mortier), intellectuel, sa position sociale éclaire les propos qu’il tient dans l’introduction. Son nom entier est Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu et de La Brède.
Il est l’auteur du non moins célèbre De l’esprit des lois mais aussi des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence

Comment lui vient l’idée du roman ?

Au début du XVIIIe siècle, le Coran (alcoran dans le texte (1)) a déjà été traduit. En revanche, la traduction des Mille et une nuits par Antoine Galland et publiée de 1704 à 1717 (mais une partie a été rédigée par l’auteur lui-même s'inspirant des récits qui lui avaient été contés) est récente.

On évoque souvent également la venue de l’ambassadeur Méhémet Riza Beg à Versailles en février-mai 1715. Toutefois, la lettre XCI qui évoque cette venue n’apparaît qu’en 1745.

En 1715, le shah de Perse Hussein Ier envoie une délégation auprès de Louis XIV, afin de signer un traité diplomatique et commercial entre les deux nations. Le 19 février, l’ambassadeur Mehmet Riza Beg se rend à Versailles avec faste pour l’audience royale. La réception est grandiose, même si l’on raconte que le Roi-Soleil est déçu par la simplicité des présents : perles, turquoises, boîtes d’or et baume de momie. Le 13 août suivant est signé le Traité de commerce et d’amitié entre la France et la Perse. Il prévoit notamment l’établissement d’un consulat de Perse à Marseille, principal port de commerce avec l’Orient. Outre son importance diplomatique, cette ambassade annonce l’enthousiasme grandissant en France pour la découverte des cultures et mœurs des peuples d’Orient. Elle a donné à Montesquieu l’idée des Lettres persanes [...]. (Les essentiels)

Parmi les sources avérées, on trouve surtout L’Espion turc de Marana 1684 qui inspire Montesquieu, mais alors que dans ce roman un seul personnage écrit des lettres, chez Montesquieu il y a une pluralité d’épistoliers. ➝ polyphonie.

Le regard éloigné

Notre objet d’étude est La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle et dont l’intitulé est Le regard éloigné. Que signifie cette expression ?

L’expression « regard éloigné » ne vient pas de Montesquieu et n’a pas été inventée non plus par les rédacteurs des nouveaux programmes (pas plus que le thème de la boue et de l’or chez Baudelaire).

Le Regard éloigné
Lire Le Regard éloigné

Cette expression est empruntée au titre d’un livre de Claude Lévi-Strauss (1908-2009), Le Regard éloigné (1983), qui contient en exergue cette phrase de Jean-Jacques Rousseau : « Le grand défaut des Européens est de philosopher toujours sur les origines des choses d’après ce qui se passe autour d’eux. »
D’une part, Lévi-Stauss nous invite, par l'étude des sociétés éloignées, à une meilleure connaissance de l’homme (voir, par exemple, Tristes tropiques). Mais surtout l’ethnologue nous montre qu’il est nécessaire de « regarder de très loin, vers des cultures très différentes » de la sienne et « apprendre en même temps à regarder sa propre culture de loin, comme s’il appartenait lui-même à une culture différente » (L’Anthropologie face aux problèmes du monde moderne). En somme, il faut cesser de tout voir, percevoir et comprendre à partir de notre propre expérience. Il convient alors de nous faire étranger dans notre propre société, décentrer notre point de vue, éloigner notre regard.

Montesquieu nous y invite dans la lettre 59 :

[...]
Il me semble, Usbek, que nous ne jugeons jamais des choses que par un retour secret que nous faisons sur nous-mêmes. Je ne suis pas surpris que les nègres peignent le diable d’une blancheur éblouissante, et leurs dieux noirs comme du charbon ; que la Vénus de certains peuples ait des mamelles qui lui pendent jusques aux cuisses ; et qu’enfin tous les idolâtres aient représenté leurs dieux avec une figure humaine, et leur aient fait part de toutes leurs inclinations. On a dit fort bien que, si les triangles faisaient un dieu, ils lui donneraient trois côtés.

Mon cher Usbek, quand je vois des hommes qui rampent sur un atome, c’est-à-dire la terre, qui n’est qu’un point de l’univers, se proposer directement pour modèles de la Providence, je ne sais comment accorder tant d’extravagance, avec tant de petitesse.

Proposition de travail 2

Le roman épistolaire est l’artifice qui permet cette mise à distance. C’est le deuxième exercice que je vous proposerai : comment le roman de Montesquieu permet-il ce « regard éloigné » ?

Notes :

1 - La traduction mélange l’article et le nom (c’est le cas de nombreux mots arabes francisés comme « algèbre », « alchimie », « Algérie », etc.).

Partager

À voir également