Observez ce tableau « Œdipe et le Sphinx » de François-Xavier Fabre et faites toutes les remarques possibles.
Ce tableau intitulé « Œdipe et le Sphinx » du peintre François-Xavier Fabre réprésente les deux personnages auquel il donne son nom. En effet, on voit, à gauche, le personnage d’Œdipe faisant face au Sphinx, lequel est situé à droite.
Le premier est aisément reconnaissable à ses attributs. Vêtu du seul drap pourpre dont est généralement affublé le héros dans la plupart des réprésentations picturales, sa musculature puissante est donnée à voir dans toute sa nudité, rappelant les sculptures antiques. Sa chevelure, son profil même ne sont pas sans rappeler le type grec. Son glaive, sa lance montrent que c’est un guerrier. Son regard décidé, ses mains qui semblent expliquer avec assurance l’énigme à laquelle le confronte le monstre indiquent qu’il affronte la mort sans sourciller. Nous avons là en somme le topos du héros antique dans toute sa splendeur, mais un héros plus proche d’Ulysse que d’Achille ou Thésée, un héros qui réfléchit et vainc le monstre par la réflexion.
Placé en hauteur et semblant dominer Œdipe, le Sphinx est représenté dans des couleurs qui rappellent le décor. Le monstre est donc dans son élément alors qu’Œdipe est en terrain inconnu, un terrain mortifère. Notons que, généralement, les représentations de la confrontation du Sphinx et Œdipe font apparaître autour du monstre les dépouilles des victimes : os, crânes, cadavres, etc., rappelant combien l’épreuve est périlleuse.
Cela n’est pas sans rappeler les Sirènes de L’Odyssée qui sont entourées des corps de leurs victimes ayant succombé à la fascination exercée par ces filles de la déesse Mnémosyne et qui sont, de fait, omniscientes. On voit là combien le monstre fascine (et c’est peut être là le danger). Le monstre est bien celui que l’on regarde (le « monstre » est étymologiquement celui que l’on montre. Le mot est de la même famille que « montrer » ou encore « démonstration »). Autre parallèle avec les Sirènes : le Sphinx est un être féminin et souvent désigné les termes Sphinge signifiant « la chanteuse ». Évidemment, le chant est tout aussi séduisant que dangeureux.
Le caractère monstrueux du Sphinx tient à son aspect composite, hétéroclite, inconcevable. Il tient à la fois du lion, du serpent, de l’aigle et de la femme. Il y a indéniablement une part de séduction dans tout monstre. On l’a vu avec l’exemple des Sirènes. Étymologiquement, séduire, c’est attirer à soi (« se » + « duco »). De plus, le monstre doit sa présence à une autre monstruosité, morale celle-ci. Un crime a été commis (voir le crime du roi Laïos, père d’Œdipe) et son apparition manifeste la colère divine (pensez à toutes les créatures comme le Minotaure par exemple, créature née de l’union de la reine Pasiphaé à laquelle un dieu vengeur — il s’agit de Poséidon — avait inspiré un amour coupable). Ainsi, il incarne une faute qu’il convient d’expier.
L’épreuve, pour rentrer dans la ville de Thèbes, consistait à répondre à une énigme. Elle est généralement assez connue sous une forme assez simple (Quel animal a quatre pieds le matin, 2 à midi et 3 le soir ?). Mais la devinette gagne à être posée en ces termes :
Sur terre il est un être à deux, quatre, trois pieds,
et même voix toujours ; le seul dont le port change
parmi tous ceux qui vont rampant au ras du sol,
qui montent dans les airs ou plongent dans l’abîme.
Quand, pour hâter sa marche, il a plus de pieds,
c’est alors que son corps avance le moins vite.
Cependant, en affrontant Œdipe, le monstre semble ignorer que cette histoire de pieds était bien mal venue puisque le héros doit précisément son nom à ses pieds (Œdipe = l’homme aux pieds enflés). L’énigme n’en était pas une pour lui.
Reste que ce tableau, réalisé dans le plus pur style néo-classique, représentant comme souvent les personnages comme sur un bas-relief, les place dans un décor champêtre faisant assez peu penser à Thèbes. Toutefois la composition est intéressante. En effet, une diagonale semble séparer les protagonistes, comme si le tableau allait se fendre en deux au moment de la résolution de l’énigme.
Pour autant, Œdipe n’est pas alors capable de prendre l’exacte mesure de la signification des propos du Sphinx. Interrogé sur l’homme et l’inéluctable vieillesse qui est son sort, Œdipe ne perçoit pas encore que son intelligence ne lui permet pas de saisir sa propre monstruosité (Œdipe tuera son père et épousera sa mère). Il comprend encore moins que l’homme est l’énigme et que les propos du Sphinx le renvoient à lui-même. In fine, l’énigme du Sphinx le renvoyait à sa propre énigme.
(source)
Voyez également le documentaire sur Arte (Les grands mythes, épisode 19, Le déchiffreur d’énigmes).