Heureux qui jusqu’en son vieil âge ignore le goût du malheur !
Quand une fois le ciel a frappé la maison,
la ruine de proche en proche
gagne et n’épargne pas un seul des descendants.
( Antigone de Sophocle )
Tout commence lorsque Zeus, prenant l’apparence d’un superbe taureau, enlève Europe, la fille d’Agénor. Ce dernier demande à ses fils de partir à sa recherche. Après avoir parcouru tout l’univers, l’un d’eux, Cadmos, consulte l’oracle, qui l’invite à ne pas s’inquiéter de sa sœur mais plutôt à suivre une génisse et à fonder une ville là où elle s’étendra. C’est ainsi que sera créée Thèbes (en Béotie, ce qui veut dire « le pays de la génisse »).
Malheureusement, un dragon garde la seule source de la contrée. Cadmos le tue, et Athéna lui ordonne de semer les dents du dragon. Aussitôt des hommes armés jaillissent des sillons et s’entretuent. Ceux qui survivent deviennent les compagnons de Cadmos. De ces hommes belliqueux proviennent les Spartes ( les « semés »).
Cadmos épouse ensuite Harmonie la fille d’Arès, le dieu de la guerre. Ils ont un fils et quatre filles. L’une d’elle, Sémélé, est séduite par Zeus. Devenue sa maîtresse, elle se heurte à la jalousie d’Héra qui, prenant l’apparence d’une vieille femme, lui fait croire que son amant est un menteur et qu’il se fait passer pour le roi des dieux. Afin d’être certaine que son amant ne lui ment pas, Héra suggère à Sémélé de lui demander d’apparaître dans toute sa splendeur divine ; ce que Sémélé fait. Elle est aussitôt consumée, un humain ne pouvant supporter de la vue d’un dieu. L’enfant qu’elle portait sera sauvé de la mort par Zeus qui le place dans sa cuisse ( sorte de couveuse artificielle ). Il s’agit de Dionysos, le dieu né deux fois.
Agavé, une autre fille de Cadmos, a pour fils Penthée. Celui-ci devient roi de Thèbes et s’oppose à l’introduction du culte du jeune dieu Dionysos, son cousin. Ce dernier se venge : Penthée sera tué sur le mont Cithéron, décapité par sa propre mère et les bacchantes (ces femmes qui se livrent au culte de Dionysos, dont le nom romain est Bacchus).
Labdacos, un petit-fils de Cadmos, donne son nom à la famille des Labdacides. On ne sait pas vraiment pourquoi, mais c’est à partir de ce personnage que les choses tournent mal dans la maison royale de Thèbes (Labdacos signifie «le boiteux» ; son règne est boiteux, instable. C'est un temps de violence, de désordre). En effet, en mourant, Labdacos laisse un fils âgé d’un an, Laïos.
S’ensuit, durant la période de régence ( le roi Laïos étant trop jeune pour régner ), une période de trouble, et Laïos devra fuir chez Pélops. Plus tard, rentrant à Thèbes pour y régner, il enlève le fils de son hôte, Chrysippos, dont il est devenu amoureux. Cet enlèvement provoque la colère d’Héra qui maudit la famille. Un peu comme dans la bible ( pensez à l’épisode d’Adam et Ève chassés du Paradis ), ce sont les parents et toute leur descendance qui sont maudits. Une autre version affirme que c'est Pélops qui lance contre Laïos une imprécation en demandant que la lignée des Labdacides soit vouée à l'anéantissement.
Laïos épouse Jocaste. L’oracle leur interdit d’avoir une descendance : elle causerait la perte de Thèbes ( c’est un thème fréquent. Le prince Pâris, par exemple, provoquera la perte de Troie ). Contre toute attente, ils ont pourtant un fils, Œdipe.
Ses parents confient l’enfant à un homme qui doit le tuer. N’en ayant pas le courage, il l’abandonne sur le mont Cithéron ( autre thème fréquent que celui de l’enfant abandonné : Moïse, Blancheneige... ), pendu par un pied à un arbre (Œdipe signifie « Pieds enflés »). Un berger le recueille et le confie à Polybe, le roi de Corinthe qui l’élève comme son fils, sans jamais lui dire qu’il a été adopté.
Devenu adulte, Œdipe consulte l’oracle qui lui dit qu’un sort terrible lui est promis : il tuera son père, et épousera sa mère. Voulant fuir ce funeste destin, Œdipe quitte Corinthe. Sur le chemin, il croise un homme qui ne veut pas lui céder le passage. Ils se disputent, et Œdipe le tue. Cet homme qu’il vient de tuer est Laïos, son propre père, parti consulter l’oracle de Delphes afin de savoir comment se débarrasser du terrible monstre ( le Sphinx ) qui ravage Thèbes. On voit comment en voulant fuir son destin, Œdipe précipite sa réalisation.
Se dirigeant vers Thèbes, Œdipe rencontre le Sphinx qui lui pose une énigme à laquelle il doit répondre s’il veut rester en vie : « Quel animal a quatre pieds le matin, 2 à midi et 3 le soir ? ». Personnellement, je préfère cette version de la devinette :
Sur terre il est un être à deux, quatre, trois pieds,
et même voix toujours ; le seul dont le port change
parmi tous ceux qui vont rampant au ras du sol,
qui montent dans les airs ou plongent dans l’abîme.
Quand, pour hâter sa marche, il a plus de pieds,
c’est alors que son corps avance le moins vite.
Œdipe trouve la réponse ( cette histoire de pieds a pu être facilement résolue par Œdipe dont le nom évoque précisément le pied ). Il s’agit de l’homme qui, au matin de la vie, marche à quatre pattes puis à deux pattes et enfin, au soir de la vie, devenu vieux, à trois pattes ( l’homme s’aidant d’une canne ). Le Sphinx disparaît aussitôt, consumé. C’est en triomphateur qu’Œdipe entre dans Thèbes. Le roi Laïos étant mort, Œdipe vainqueur du Sphinx devient roi et épouse Jocaste sans savoir qu’elle est sa mère ( la prophétie de l’oracle est réalisée ).
Ils ont quatre enfants, deux fils ( Étéocle et Polynice ) et deux filles ( Ismène et Antigone ). Les dieux envoient la peste dans Thèbes pour punir cette cité dans laquelle tant de crimes ont été commis. Après les révélations de Tirésias, Œdipe découvre la vérité, se crève les yeux, et part en exil à Colone. Il sera guidé par sa fille Antigone. Jocaste se pend.
Pendant l’exil d’Œdipe, une guerre éclate entre les deux frères, Étéocle et Polynice qui veulent tous deux le pouvoir ( autre grand sujet de la littérature : les frères ennemis ). Le plus jeune, Étéocle, chasse l’aîné Polynice, auquel devait revenir le trône. Polynice s’allie aux Argiens pour reprendre Thèbes. Tous deux mourront dans un duel au corps à corps. Créon, le frère de Jocaste, devient le roi et fait d’Étéocle un héros défenseur de la cité tandis qu’il interdit que Polynice soit enterré. Sans funérailles, son corps sera dévoré par les oiseaux carnassiers, et son âme ne pourra rejoindre le royaume des morts.
Bravant l’interdiction de Créon, sa sœur Antigone tente d’ensevelir le corps. Elle sera condamnée à être emmurée vivante (cf. Antigone de Jean Anouilh).