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Le verbe : valeurs temporelles, aspectuelles, modales

Au collège, l’étude du verbe est souvent monopolisée par l’apprentissage de la conjugaison. On y apprend que le verbe a un temps et l’on voit les différentes formes que ce verbe prend selon le temps et les personnes auxquels ce verbe est conjugué.

Ainsi, le verbe « marcher » conjugué à l’imparfait prend ces six formes correspondant aux six personnes :

je marchais
tu marchais
il, elle, on marchait
nous marchions
vous marchiez
ils, elles marchaient

Ces six personnes peuvent être divisées en deux catégories : singulier (je, tu, il, elle, on) et pluriel (nous, vous, ils, elles) qui recoupent l’opposition masculin/féminin, de façon parfois indifférenciée puisque le pronom « je », par exemple, peut aussi bien désigner un homme ou une femme.

Ainsi, on voit que la forme du verbe varie en fonction de la personne, du nombre et du temps. Mais on voit bien aussi que cette description est incomplète. Si vous avez suivi attentivement vos cours de grammaire au collège, vous vous êtes certainement exclamé : « Mais il oublie le mode ! »

Et, en effet, les modes constituent un classement regroupant chacun un certain nombre de temps. Si vous ne vous souvenez pas de ce qu’est un mode, je vous renvoie à la leçon Qu’est-ce qu’un mode ?. Vous pouvez lire également la leçon Les modes et les temps.

Notre imparfait est en fait l’imparfait de l’indicatif, le mode qui contient le plus de temps. Pour rappel, on distingue cinq modes : l’indicatif, le subjonctif, l’impératif, l’infinitif et le participe. Les grammaires d’antan faisait du conditionnel un mode à part entière. Il est désormais intégré à l’indicatif (depuis de longues décennies déjà).

On peut donc dire que la forme verbale varie selon le mode, le temps, la personne et le nombre. Mais ce n’est pas tout ! N’oublions pas ce que les grammairiens ont étrangement baptisé la voix, laquelle peut être active ou passive.

Reprenons l’exemple du verbe « manger ». Nous le conjuguerons à l’imparfait de l’indicatif : « je mangeais ». Nous l’avons conjugué à la voix active, ce que les grammaires traditionnelles décrivent ainsi : le sujet « je » fait l’action de manger. À la voix passive, le sujet ne fait pas l’action (il est passif). Il la subit : « j’étais mangé » (en général par quelque chose).

Nous avons donc distingué le mode, le temps, la personne, le nombre et la voix.

Une sixième notion s’est invitée dans les programmes scolaires il y a quelques années et que l’on appelle l’aspect.

L’aspect

Pour bien comprendre ce qu’est l’aspect, commençons par rappeler très brièvement ce qu’on appelle le temps. Dans la grammaire française, le mot « temps » est employé pour désigner les formes de la conjugaison du verbe. Malheureusement, on ne différencie pas la notion de temps alors qu’on le fait en anglais (time vs tense). En effet, en anglais, le temps (time) désigne le présent, le passé et le futur. Alors que tense désigne le temps grammatical (present simple, past simple, past continuous, past perfect, etc.). En somme, en français, si on voulait bien faire, on ferait la différence entre le temps chronologique et le temps grammatical.

Nous, en français, nous n’avons qu’un seul mot pour dire tout cela, ce qui n’est pas sans entraîner quelques confusions. Sans entrer dans les détails, voyez simplement que dans le mode de l’indicatif, la plupart des temps sont des temps du passé :

Vous vous doutez bien que si on a tant de façons de dire le passé, c’est que cette richesse n’est pas purement accidentelle. Ce n’est pas une diversité grammaticale gratuite. Et c’est là que la notion d’aspect peut rentrer en ligne et nous aider à comprendre les choses.

Prenons un exemple avec le verbe « marcher » :

Imparfait Plus-que-parfait
je marchais j’avais marché

Vous serez d’accord pour reconnaître que ces deux temps sont des temps du passé (l’action de marcher appartient au passé). Mais pouvez-vous percevoir une différence de signification dans l’emploi de ces deux temps qui ne sont pas équivalents ? Ils ne signifient pas tout à fait la même chose. D’accord, ils sont conjugués à deux temps différents, ce qui implique une différence de forme (on dira une différence morphologique), mais aussi une différence de sens. Quelle est cette différence ?

Vous me voyez certainement venir avec mes gros sabots. La différence est ici une différence d’aspect. Et c’est probablement l’aspect le plus simple à comprendre dans la conjugaison puisque l’aspect recouvre une simple opposition accompli/inaccompli. En effet, quand je dis « j’avais marché », l’action de « marcher » est achevée, terminée. C’est fini. On ne marche plus. L’aspect du verbe est accompli. Imaginez une phrase du genre : « J’avais marché pendant des heures et j’arrivai enfin à l’auberge Machin chose... ». La personne désignée par le pronom « je » est arrivée à sa destination et a donc fini de marcher. Imaginons maintenant une phrase où nous dirions « Je marchais depuis des heures, et alors que je croyais être arrivé, je n’avais pas d’autre solution que de continuer ». Certes, le verbe est conjugué au passé et notre première réaction serait de dire que le fait de marcher a rencontré un terme (ce qui est fort probable), mais rien en fait ne dit que c’est terminé. Notre personnage est peut-être toujours en train de marcher. On n’en sait rien. On dira alors que l’aspect du verbe est inaccompli.

En fait, ce qu’on appelle l’aspect du verbe, c’est la façon dont l’action est envisagée : Quelle durée a-t-elle ? Est-on au début de cette action ou à la fin ? Cette action est-elle achevée ou non ? Se répète-t-elle ? Quelles sont les bornes de son déroulement ? Voilà ce qu’on appelle l’aspect. Il faut reconnaître que ce n’est pas très facile à trouver. Le temps présente une marque permettant aisément son identification. En effet, un verbe en « -ais » est un imparfait (il y a en tout cas de grandes chances pour que ce soit le cas), mais pour reconnaître l’aspect, c’est plus difficile.

Résumons. Il y a donc le temps (le passé, le présent et le futur) qui prend différentes formes grammaticales et il y a l’aspect. Ainsi, « je mange », c’est du présent (c’est le temps). Et l’aspect est inaccompli, car l’action, le fait de manger n’est pas terminé. Alors que le même verbe conjugué au passé composé (« j’ai mangé ») possède un aspect accompli.

Ce qu’on appelle l’aspect repose en fait sur une opposition. Par exemple, accompli/inaccompli.

Il en existe évidement d’autres : Perfectif/Imperfectif, Inchoatif/Terminatif, Singulatif/Itératif, Sécant/Non-sécant. Seul l’aspect progressif ne forme pas un couple.

Accompli/Inaccompli

L’aspect accompli envisage l’action du verbe comme étant réalisée, achevée tandis que l’aspect inaccompli saisit les choses en cours de déroulement.

Heureux, qui comme Ulysse a fait un beau voyage

Le verbe « a fait » présente un aspect accompli. Le bonheur pour le poète est lié non pas au fait d’avoir voyagé mais d’avoir mis un terme à ce voyage et donc à être rentré.

Qu’il est beau ! Ça me fait de la peine de le dire.

Le verbe « fait » présente une action en cours de réalisation, qui n’est pas terminée. Le poète éprouve une peine qui est toujours d’actualité au moment où il écrit ces lignes. Évidemment, cette peine a cessé avec la mort du poète. Mais il faut bien comprendre que l’aspect saisit le début ou la fin de l’action (indépendamment de la chronologie qu’impliquent le passé, le présent ou le futur).

L’opposition accompli/inaccompli se retrouve dans l’opposition temps simple vs temps composé.

Temps simple Temps composé
je crois j’ai cru
je croyais J’avais cru
je croirai j’aurai cru
croire avoir cru

Donc, on peut retenir que, de manière générale, une forme composée comme le passé composé, le plus-que-parfait ou le futur antérieur possède un aspect accompli alors que la forme simple (présent, imparfait, futur simple...) présente un aspect inaccompli. C’est le seul cas où l’aspect coïncide avec la morphologie (la forme).

Terminé

Perfectif/Imperfectif

Cette opposition est un peu plus difficile à saisir, d’autant plus que l’aspect ne se saisit véritablement que par rapport au sens du verbe.

L’aspect perfectif porte sur la fin de l’action qui ne se réalise que lorsqu’elle est faite. Ainsi l’action de sortir n’est réalisée que quand on est sorti, quand on est dehors par exemple.

Les verbes sortir, naître, exploser, mourir, sursauter, atteindre, trouver, ouvrir, fermer, casser, etc. sont perfectifs. Un verbe perfectif n’est pas compatible avec une indication de temps. On ne peut pas mourir ou trouver depuis une heure. On peut mettre une heure à mourir ou à trouver quelque chose, mais en ce cas, l’aspect porte sur le verbe « mettre ».

Mort

Les verbes parler, courir, marcher, aimer, voyager, manger, durer, regarder, vivre, attendre... sont imperfectifs. L’aspect imperfectif n’a pas de limitations. Certains grammairiens parlent d’aspect duratif. L’action est présentée dans son déroulement, sans en délimiter le début ni la fin. Bref, elle dure.

Comme elle était la seule personne un peu vulgaire de notre famille, elle avait soin de faire remarquer aux étrangers, quand on parlait de Swann, qu’il aurait pu, s’il avait voulu, habiter boulevard Haussmann ou avenue de l’Opéra [...].

L’action de parler n’est pas bornée. Elle ne contient ni commencement ni fin.

Inchoatif/Terminatif

L’aspect inchoatif saisit l’action du verbe à son début, son commencement. Par exemple, quand on dit « Il rougit », cela signifie en fait « Il devient rouge ». C’est précisément ce qu’on appelle l’aspect inchoatif.

Rougir

Des verbes comme « s’endormir » ont un aspect inchoatif. Pour exprimer l’aspect inchoatif, il faut le plus souvent recourir à des périphrases verbales : « se mettre à », « commencer à », etc.

[...] et c’était aussi à ces moments-là qu’il se mettait à parler du « vain songe de la vie » [...].

Inversement, l’aspect terminatif saisit l’action juste avant sa fin. On trouve des verbes comme « finir de », « cesser de », « terminer de », « achever »...

Singulatif/Itératif

Une action peut être itérative, c’est-à-dire qu’elle peut se répéter un certain nombre de fois. Inversement, une action peut n’avoir lieu qu’une seule fois. Elle est alors semelfactive (semel en latin signifie « une fois »). On avouera que le mot est un peu grandiloquent et on lui préférera le terme singulatif. L’aspect singulatif désigne donc ce qui s’est produit une fois.

Certains verbes comme « répéter » ou « radoter » contiennent dans leur signification l’idée d’une répétition de l’action. Cette répétition peut aussi être exprimée par le préfixe « re- » (comme dans « redire », « refaire »...).

Répétition

Sécant/Non-sécant

Ce couple est parfois baptisé sécant/global et ressemble à s’y méprendre à l’opposition imperfectif/perfectif.

Le mot « sécant » vient du latin « secare » qui signifie « couper ». On parle d’aspect sécant quand l’action du verbe est coupée en deux parties : la première partie est achevée, mais la deuxième ne l’est pas. On n’en connaît pas la limite. L’imparfait est, par excellence, le temps sécant.

Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait.

L’action « lisait » comporte deux parties : l’une réelle qui a commencé (et peut-être même avant que cela ne soit dit), l’autre en quelque sorte virtuelle (dont la limite finale n’est pas portée à notre connaissance).

Inversement, l’aspect est non-sécant (on peut dire aussi global) quand l’action est enfermée dans des limites. Le passé simple manifeste l’aspect global.

Dans une phrase comme « Il marchait lorsque l’orage éclata », on remarque le couple imparfait/passé simple. L’imparfait est sécant (notre « il » est peut-être toujours en train de marcher). Le passé simple est non-sécant (global) en ce sens que l’orage a éclaté (c’est une action qui a commencé et terminé).

Pluie

Progressif

Comme on peut s’y attendre, l’aspect progressif exprime la progression de l’action :

Quand je fus en bas, elle était en train, dans l’arrière-cuisine qui donnait sur la basse-cour, de tuer un poulet [...].

L’aspect progressif s’exprime le plus souvent par la périphrase « être en train de ». C’est un peu comme en anglais avec la forme to be + verbe en -ing (I’m singing in the rain).

Singing in the rain

Exercices

Relevez les verbes et donnez leur aspect. Justifiez votre réponse.

Extrait 1

Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l'étourdissement des paysages et des ruines, l'amertume des sympathies interrompues.
Il revint.

L’Éducation sentimentale, Gustave Flaubert

Extrait 2

Debout, penché sur la table, les deux mains appuyées à plat sur la carte, je demeurais là parfois des heures, englué dans une immobilité hypnotique d’où ne me tirait pas même le fourmillement de mes paumes.

Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq

Extrait 3

Le massacre, qui, le 2, fut pour beaucoup un effort, devint, le 3, une jouissance. Peu à peu le vol s’y mêla. On commença de tuer des femmes. Le 4, il y eut des viols, on tua même des enfants.

Histoire de la Révolution française, Jules Michelet

Extrait 4

Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. »

Du Côté de chez Swann, Marcel Proust

Extrait 5

Cependant, à deux ou trois lieues sous la ville, en suivant le cours de la rivière, vers Croisset, Dieppedalle ou Biessart, les mariniers et les pêcheurs ramenaient souvent du fond de l'eau quelque cadavre d'Allemand gonflé dans son uniforme, tué d'un coup de couteau ou de savate, la tête écrasée par une pierre, ou jeté à l'eau d'une poussée du haut d'un pont.

Boule de Suif, Guy de Maupassant

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