RT Actu Blog Manuels Liens

Le monde perdu

Vous êtes ici : > Séquences > Les aventures de Jules Verne > Le monde perdu

Les héros de Jules Verne ne sont pas les seuls à explorer des terres inconnues.
Conan Doyle, l’auteur qui a inventé le célèbre détective Sherlock Holmes, raconte comment le professeur Challenger organise une expédition au cœur de l’Amazonie.
Accompagné du journaliste Edward Malone, du professeur Summerlee et de Lord John Roxton, chasseur réputé, Challenger les emmène sur une terre perdue qui abrite des monstres préhistoriques.

Lord John Roxton ayant tué un de ces petits animaux qu’on appelle ajoutis, et qui ressemblent assez à des cochons domestiques, en avait fait deux parts, dont il avait donné l’une à nos Indiens, et nous avions mis l’autre sur le feu. La température fraîchissant avec le soir, nous nous serrions autour de la flamme. Il faisait une nuit sans lune, mais quelques étoiles brillaient au ciel, et nous pouvions voir à une petite distance devant nous dans la plaine. Du plus obscur des ténèbres fondit brusquement sur nous quelque chose qui agitait une queue comme un aéroplane (1) : un instant, deux ailes de cuir se tendirent comme un dais (2) par-dessus notre groupe ; nous discernâmes un long cou de serpent, des yeux féroces, rouges, avides, un grand bec cassé, net, et garni, à ma profonde stupeur, de petites dents luisantes ; la minute d’après, la vision avait fui avec notre dîner. Une ombre énorme, large de vingt pieds, flotta dans le ciel ; les ailes monstrueuses nous voilèrent une seconde les étoiles ; puis elles s’évanouirent par-dessus le plateau. Nous demeurions cois (3) de surprise autour de notre feu, tels ces héros de Virgile recevant la visite des Harpies (4), quand Summerlee rompit le silence :

- Professeur Challenger, fit-il, d’une voix grave et qui tremblait d’émotion, je vous dois des excuses. J’ai eu bien des torts envers vous : je vous demande d’oublier le passé.

Il dit cela le plus galamment du monde, et pour la première fois les deux hommes se serrèrent les mains : ce fut au moins ce que nous gagnâmes, contre le prix d’un dîner, à l’apparition de notre premier ptérodactyle !

Si la vie préhistorique existait sur le plateau, elle n’y devait pas être surabondante ; car trois jours se passèrent ensuite sans que nous en eussions le plus faible aperçu. Nous traversâmes, durant ces trois jours, dans la direction du nord, puis de l’est, une contrée stérile et rebutante, où alternaient le désert pierreux et le marais hanté par les oiseaux sauvages. Du côté de l’est, la région est véritablement inaccessible, et, sans une sorte de piste relativement praticable à la base même de la falaise, nous n’aurions eu qu’à revenir sur nos pas : il nous arriva plus d’une fois d’enfoncer jusqu’à la ceinture dans le limon (5) gras d’un ancien marais à demi tropical. Joignez que le pays est infesté de serpents Jararacas, les plus venimeux et les plus agressifs de tout le Sud-Amérique. À chaque instant, nous voyions de ces horribles bêtes se tordre ou se dresser sur la vase putride, et nous ne nous en préservions qu’en tenant nos fusils toujours prêts. Je me rappellerai, ma vie entière, comme un cauchemar, la place où ils semblaient spécialement avoir fait leur nid : c’était une dépression (6) en forme d’entonnoir, et le lichen (7) en décomposition donnait au marais une couleur livide. Ils y grouillaient, ils s’en élançaient dans toutes les directions, car les Jararacas offrent cette particularité qu’à première vue ils attaquent l’homme ; et comme ils étaient plus que nous n’en pouvions tuer, nous prîmes nos jambes à notre cou et ne nous arrêtâmes qu’à bout de forces. Quand nous nous retournions, et c’est encore un souvenir qui ne me quittera jamais, nous pouvions voir se lever et s’abaisser entre les roseaux leurs infâmes têtes. Sur la carte que nous préparons, nous avons nommé ce lieu : « Le marais des Jararacas ».

Le Monde perdu de Conan Doyle

Notes :

1 - Avion.
2 - Ouvrage de bois, de tenture, etc., fait dans l’ancienne forme des ciels de lit et que l’on met en hauteur, au-dessus d’un maitre-autel, d’une chaire à prêcher, d’un trône, de la place où siègent, dans les occasions solennelles, certains personnages éminents, etc. (source)
3 - Calmes et silencieux.
4 - Divinités de la dévastation et de la vengeance divine.
5 - Terre entraînée par les eaux et déposées sur le lit et les rives de fleuves.
6 - Abaissement, enfoncement.
7 - Végétal formé d’un champignon et d’une algue vivant ensemble, très résistant à la sécheresse, au chaud ou au froid.

Partager