Lecture analytique du premier extrait de «La parure» de Guy de Maupassant
« La parure » de Guy de Maupassant relève du conte. On ne trouve pas la célèbre formule « Il était une fois », mais simplement « c’était » qui introduit tout de suite le protagoniste, « une de ces jolies et charmantes filles » (l.1).
La situation initiale nous la présente comme un personnage qui souffre. Les mots « malheureuse » (l. 6), « souffrait » (l. 11), « torturaient » (l. 13), « regrets désolés » (l. 14), « pleurait » (l. 30) et la gradation « de chagrin, de regret, de désespoir et de détresse » (l. 30) appartiennent au champ lexical d’une souffrance qui provient de l’origine sociale de l’héroïne. Née sinon pauvre du moins d’un milieu fort modeste (« une famille d’employés »), elle se sent trompée par le « destin » (l.2). Elle s’estime « déclassée » (l.7), elle ne bénéficie pas de « toutes les délicatesses et les luxes » (l.11-12) auxquels elle se sentait en droit d’aspirer.
Le conte fait alors le récit des rêveries de l'héroïne qui aspire au bonheur. Ces rêveries sont déclenchées par le spectacle de la pauvreté, celui « de la petite Bretonne » (l.14-15). Dès lors, le rêve se mêle à la réalité : « La vue de la petite Bretonne […] éveillait en elle des rêves éperdus » (l.14-15). Les lignes qui suivent font le récit des rêves de la jeune femme indiqués par la quadruple répétition « elle songeait » (l.16, 18, 23 et 24). Ses rêves s'opposent à la réalité : elle rêve de « larges fauteuils » (l.17), mais elle contemple « l'usure des sièges » (l.12-13) ; elle rêve de « dîners fins » (l.23), de « plats exquis » (l.24), mais elle n'a qu'un pot-au-feu (l.22) ; elle songe aux riches tapisseries (l.23), alors qu’elle a sous les yeux « la laideur des étoffes » (l.13).
L’extrait s’achève sur l’élément perturbateur (l.31) signalé à la fois par la conjonction de coordination « or », le groupe nominal complément circonstanciel de temps « un soir », mais aussi par le passé simple qui, en s’opposant aux imparfaits essentiellement utilisés jusque là, annonce un événement nouveau. La « large enveloppe » (l.31) va donner au récit une tournure nouvelle.
Même si le conte fait la part belle aux rêveries de la jeune fille dont on ignore encore (dans cet extrait) le nom, nous avons affaire à un conte réaliste, c’est-à-dire qu’il relève d’un courant littéraire qui naît dans la deuxième partie du XIXe siècle et que l’on appelle le réalisme.
La littérature réaliste met en scène des personnages de toutes les classes sociales, avec cependant une prédilection pour les milieux les plus simples, urbains ou paysans. En s’inspirant d’événements réels, cette littérature raconte des faits réels pour lesquels il faut se documenter abondamment afin qu’ils paraissent vrais. Pour Stendhal, le roman est même « un miroir que l’on promène le long du chemin », c’est-à-dire qu’il est le reflet de la réalité.
Or l’héroïne du conte fuit la réalité, elle désespère de sa condition d’épouse de « petit commis du ministère de l’Instruction publique » (l.5). C’est une vie qui lui fait horreur. Et l’on sent l’ironie du narrateur lorsqu’il rapporte les seules paroles de l’extrait : « Ah ! le bon pot-au-feu ! » qui expriment toute la bonhomie voire la bêtise du mari qui ne comprend rien aux aspirations de sa femme.