Marguerite de Thérelles est sur le point de mourir. Cette femme de 56 ans est la sœur cadette de Suzanne qu’elle a juré de ne jamais quitter après que celle-ci a perdu son fiancé Henry de Sampierre, mort brusquement.
Elles vécurent ensemble tous les jours de leur existence, sans se séparer une seule fois. Elles allèrent côte à côte, inséparablement unies. Mais Marguerite sembla toujours triste, accablée, plus morne que l’aînée comme si peut-être son sublime sacrifice l’eût brisée. Elle vieillit plus vite, prit des cheveux blancs dès l’âge de trente ans et, souvent souffrante, semblait atteinte d’un mal inconnu qui la rongeait.
Maintenant elle allait mourir la première.
Elle ne parlait plus depuis vingt-quatre heures. Elle avait dit seulement, aux premières lueurs de l’aurore :
— Allez chercher monsieur le curé, voici l’instant.
Et elle était demeurée ensuite sur le dos, secouée de spasmes, les lèvres agitées comme si des paroles terribles lui fussent montées du cœur, sans pouvoir sortir, le regard affolé d’épouvanté, effroyable à voir.
Sa sœur, déchirée par la douleur, pleurait éperdument, le front sur le bord du lit et répétait :
— Margot, ma pauvre Margot, ma petite !
Elle l’avait toujours appelée : « ma petite », de même que la cadette l’avait toujours appelée : « grande sœur ».
On entendit des pas dans l’escalier. La porte s’ouvrit. Un enfant de chœur parut, suivi du vieux prêtre en surplis. Dès qu’elle l’aperçut, la mourante s’assit d’une secousse, ouvrit les lèvres, balbutia deux ou trois paroles, et se mit à gratter ses ongles comme si elle eût voulu y faire un trou.
L’abbé Simon s’approcha, lui prit la main, la baisa sur le front et, d’une voix douce :
— Dieu vous pardonne, mon enfant ; ayez du courage, voici le moment venu, parlez.
Alors, Marguerite, grelottant de la tête aux pieds, secouant toute sa couche de ses mouvements nerveux, balbutia :
— Assieds-toi, grande sœur, écoute.
Le prêtre se baissa vers Suzanne, toujours abattue au pied du lit, la releva, la mit dans un fauteuil et, prenant dans chaque main la main d’une des deux sœurs, il prononça :
— Seigneur, mon Dieu ! envoyez-leur la force, jetez sur elles votre miséricorde.
Et Marguerite se mit à parler. Les mots lui sortaient de la gorge un à un, rauques, scandés, comme exténués.
⁂
Pardon, pardon, grande sœur, pardonne-moi ! Oh ! si tu savais comme j’ai eu peur de ce moment-là, toute ma vie !…
Suzanne balbutia, dans ses larmes :
— Quoi te pardonner, petite ? Tu m’as tout donné, tout sacrifié ; tu es un ange…
Mais Marguerite l’interrompit :
— Tais-toi, tais-toi ! Laisse-moi dire… ne m’arrête pas… C’est affreux… laisse-moi dire tout… jusqu’au bout, sans bouger… Écoute… Tu te rappelles… tu te rappelles… Henry…
« La Confession » de Guy de Maupassant in Les Contes du jour et de la nuit
1. Dans les dix premières lignes, quelle formule rappelle la fin des contes ? Les personnages sont-ils heureux pour autant ? Pour justifier votre réponse, relevez le champ lexical de la souffrance (donnez au moins 5 termes). (3 points)
2. Toujours dans les dix premières lignes, dites quel est le point de vue utilisé (zéro, externe ou interne). Justifiez votre réponse en donnant au moins deux indices qui vous ont permis de répondre. (2 points)
3. Quelle phrase montre que Marguerite vit ses derniers instants ? (0,5 point)
4. Qu’est-ce qu’une confession ? Relevez trois mots en rapport avec la parole pour appuyer votre réponse. (2,5 points)
5. À votre avis, que va révéler Marguerite ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte. (2 points)
6. Pourquoi, dans cet extrait, peut-on parler de conte réaliste ? Justifiez votre réponse avec précision. (1 point)
7. « Et Marguerite se mit à parler. Les mots lui sortaient de la gorge un à un, rauques, scandés, comme exténués. »
a - Relevez les verbes et conjuguez-les au temps où ils sont. (2 points)
b - Justifiez leur emploi. (2 points)
8. Quelles lignes constituent un sommaire ? Donnez-en une définition et dites ce qui vous a permis de le trouver. (2,5 points)
9. Au contraire, quelles lignes constituent une scène. De quoi s’agit-il ? Quel est l’intérêt de recourir à une scène en cet instant précis ? (2,5 points)