Le diable n’a pas toujours été la figure du mal que l’on imagine.
Jésus, dans le Nouveau Testament, lui demande son nom, et le démon lui répond en ces termes : « Mon nom est légion, car nous sommes beaucoup » (L’Évangile selon saint Marc). Et, en effet, le diable a plusieurs noms. On l’appelle Lucifer, Belzébuth ou encore Satan.
On le trouve très tôt dans l’Ancien Testament notamment dans le Livre de Job. Il n’y incarne pas le mal. En fait, Satan n’est même pas un nom propre, mais un nom commun. On dit le satan (en principe sans majuscule), ce qui signifie l’adversaire. C’est l’accusateur, comme dans un tribunal. Il exécute la volonté de Dieu :
Le jour où les Fils de Dieu venaient se présenter devant Yahvé, le Satan aussi s’avançait parmi eux. Yahvé dit alors au Satan : « D’où viens-tu ? » — « De parcourir la terre, répondit-il, et de m’y promener. » Et Yahvé reprit : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’a point son pareil sur terre : un homme intègre et droit, qui craint Dieu et s’écarte du mal ! » Et le Satan de répliquer : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas entouré d’une haie, ainsi que sa maison et son domaine alentour ? Tu as béni toutes ses entreprises, ses troupeaux pullulent dans le pays. Mais étends la main et touche à tout ce qu’il possède ; je gage qu’il te maudira en face ! » — « Soit ! dit Yahvé au Satan, tout ce qu’il possède est en ton pouvoir. Évite seulement de porter la main sur lui. » Et le Satan sortit de devant Yahvé.
(L’Ancien Testament, Le livre de Job)
Châtié pour s’être rebellé, Satan sera précipité dans l’abîme et chutera pendant des milliers d’années. Enfin, il se transforme :
Tout à coup il se vit pousser d’horribles ailes ;
Il se vit devenir monstre, et que l’ange en lui
Mourait, et le rebelle en sentit quelque ennui.
Il laissa son épaule, autrefois lumineuse,
Frémir au froid hideux de l’aile membraneuse,
Et croisant ses deux bras, et relevant son front,
Ce bandit, comme s’il grandissait sous l’affront,
Seul dans ces profondeurs que la ruine encombre,
Regarda fixement la caverne de l’ombre.
(Victor Hugo, La Fin de Satan)
Satan est donc un ange déchu qui deviendra le tourment de l’humanité. S’adressant à Dieu, il s’écrie :
Mais je me vengerai sur son humanité,
Sur l’homme qu’il créa, sur Adam et sur Ève,
[…]
Il est alors le tentateur qui propose aux hommes de réaliser leurs désirs en échange de leur âme, abandonnant Dieu. Nombre de romans font le récit des aventures de ses célèbres victimes littéraires (Faust de Goethe, Melmoth de Maturin, Le Moine de Lewis, Les Elixirs du Diable d'Hoffmann ou encore La Tentation de Saint Antoine de Flaubert...)
Par la même occasion, l'Adversaire révèle l'horreur de la vie des hommes, comme le montre cet extrait du dialogue entre Antoine et le Diable :
Antoine :
[...] il faut qu'il y ait un paradis pour le bien, comme un enfer pour le mal !
Le Diable
L'exigence de ta raison fait-elle la loi des choses ? Sans doute le mal est indifférent à Dieu, puisque la terre en est couverte !
Est-ce par impuissance qu'il le supporte, ou par cruauté qu'il le conserve ?
Penses-tu qu'il soit continuellement à rajuster le monde comme une œuvre imparfaite, et qu'il surveille tous les mouvements de tous les êtres, depuis le vol du papillon jusqu'à la pensée de l'homme ?
( La Tentation de Saint Antoine de Gustave Flaubert )
Pourtant, le démon est parfois un allié. Asmodé, surnommé le Diable boiteux qui soulève les toits des maisons, offre ses services à don Cléofas qui le délivre d'une fiole dans laquelle il était enfermé :
Il ne vous arrivera aucun malheur, repartit le démon. Au contraire, vous serez content de ma reconnaissance. Je vous apprendrai tout ce que vous voudrez savoir. Je vous instruirai de tout ce qui se passe dans le monde.
(Le Diable boiteux d'Alain-René Le Sage)
Évidemment, le Diable a une descendance. Voulant retrouver le pouvoir qu'il avait sur les hommes avant que Jésus ne les sauve, il décide de donner naissance à un homme qui, au lieu de les sauver, les mènerait à leur perte. Cet homme connaîtrait le passé et serait ainsi capable «de séduire et de tromper l'humanité entière». Mais Dieu ayant eu connaissance de ce projet décida de lui accorder la connaissance de l'avenir. Cet homme est Merlin, être surnaturel à la fois diabolique et divin (voir l'adaptation de Merlin d'Anne-Marie Cadot-Colin)
Au reste, au Moyen Âge, l'être diabolique n'a pas grand-chose d'effrayant. Dans les mystères ou les fabliaux, le diable n'est rien d'autre que l'opposé, l'envers joyeux du principe religieux. Pensez à ce diable qui vient chercher l'âme d'un moribond et qui croit que celle-ci s'échappe par le derrière (voir Le pet du vilain). D'ailleurs, Rabelais nous «assurait devant tous que les diables étaient de bons compagnons» !