Le personnage principal de cette histoire vit à Paris pendant la Révolution française. C’est un jeune allemand vivant en France afin de se changer les esprits et se remettre de sa maladie. Vivant généralement seul, il voit en rêve une jeune femme.
Il s’en revenait donc chez lui, une nuit d’orage, par les vieilles et sombres rues du Marais, le plus vieux quartier de Paris. Les sourds grondements du tonnerre faisaient trembler les rues étroites et les hautes maisons. Il déboucha sur la place de Grève, où se font les exécutions publiques. Les éclairs crépitaient sur les hautes tours du vieil Hôtel de Ville, et leurs lueurs incertaines éclataient sur la place. Il recula d’horreur en se trouvant soudain tout près de la guillotine. […]
Wolfgang sentit son cœur se soulever et, frissonnant, se détournait de l’horrible machine quand il aperçut, au pied des marches qui menaient à l’échafaud, une silhouette accroupie. Plusieurs éclairs violents et rapprochés lui permirent de la mieux distinguer. C’était une forme féminine, vêtue de noir ; assise sur une des dernières marches de l’échafaud, elle avait le buste penché en avant, son visage était enfoui entre ses genoux et ses lourdes tresses défaites traînaient sur le sol, ruisselantes de la pluie qui tombait à torrents. Wolfgang s’immobilisa. Il y avait quelque chose de terrible dans ce solitaire monument de détresse. La dame donnait l’impression d’appartenir à la haute société. […] Sans doute était-ce quelque malheureuse veuve, que l’effroyable couteau avait soudain désolée et qui se tenait là, prostrée, le cœur brisé, sur le bord de cette existence d’où venait d’être retranché et jeté dans l’éternité tout ce qui lui était cher.
Il s’approcha et lui adressa la parole sur un ton de profonde sympathie. Elle releva la tête et le fixa d’un air égaré. Quel ne fut pas, alors, l’étonnement de Wolfgang, en apercevant, dans la vive lueur des éclairs, le visage même qui hantait tous ses rêves : livide et désespéré, et cependant d’une beauté ravissante.
Tout agité de sentiments violents et contradictoires, il l’aborde à nouveau, en tremblant. Il s’étonne de la voir exposée ainsi à une heure si tardive de la nuit, dans la furie d’un tel orage, et offre de la reconduire chez ses amis. D’un geste horriblement significatif, elle lui montra la guillotine.
- Je n’ai plus d’ami sur terre, dit-elle.
- Mais vous avez une demeure ? dit Wolfgang.
- Oui… dans la tombe !
Le cœur de l’étudiant s’émut à ces mots.
- Si un étranger, dit-il, peut oser une offre sans courir le risque d’être mal compris, je me permettrai de vous proposer mon humble demeure pour abri, et moi-même pour votre ami dévoué. […]
La gravité fervente qui marquait les façons du jeune homme produisit son effet. Son accent étranger, de même, parlait pour lui, l’isolant, en toute évidence, de la banale collectivité des Parisiens. De plus, le véritable enthousiasme possède une éloquence qu’on ne peut récuser. La désolation de l’étrangère se remit implicitement sous la protection de l’étudiant.
Il supporta ses pas chancelants pour traverser le Pont-Neuf et la place où la statue de Henri IV avait été jetée bas par la populace. L’orage s’était calmé, on entendait le tonnerre rouler au loin. Tout Paris reposait ; le grand volcan des passions humaines sommeillait pour un temps, refaisant des forces nouvelles pour l’éruption du lendemain. L’étudiant conduisit sa protégée à travers les vieilles rues du Quartier Latin, longea les murs sombres de la Sorbonne et parvint au très misérable hôtel où il avait son appartement. Le vieux portier qui leur ouvrit manifesta une certaine surprise en voyant le mélancolique Wolfgang en féminine compagnie.
En ouvrant sa porte, l’étudiant rougit pour la première fois de la pauvreté et de la banalité de sa demeure […]
Lorsqu’on eût apporté la lumière, et que Wolfgang put tout à loisir contempler l’étrangère, il se sentit enivré par sa beauté plus que jamais. Son visage était pâle, mais d’une blancheur éblouissante, rehaussée par une profusion de cheveux noirs et denses qui l’auréolaient. Ses grands yeux étincelaient, avec dans leur expression quelque chose d’étrangement hagard. Ses formes avaient une harmonie parfaite, pour autant que la robe noire permettait d’en juger. Toute sa personne avait un cachet de noblesse, malgré la simplicité extrême de sa mise. La seule chose qui ressemblât à quelque parure, dans tout son vêtement, était le large ruban noir qu’elle portait au cou, retenu par une agrafe de diamants.
[…]
Tout à l’ivresse du moment, Wolfgang lui déclara sa passion. Il lui raconta l’histoire de son rêve mystérieux, et comment elle s’était emparée de son cœur avant même qu’il ait eu l’occasion de la voir. Étrangement émue par son récit, elle reconnut s’être sentie attirée vers lui par une force également inexplicable […]
- Pourquoi nous séparer ? dit-il. Nos cœurs sont à l’unisson ; aux yeux de la raison et de l’honneur, nous ne faisons qu’un. Est-il besoin de viles formules pour accomplir l’union de deux hautes âmes ?
L’étrangère écoutait avec émotion : elle avait évidemment reçu les lumières de la même école.
- Vous n’avez ni demeure, ni famille, poursuivit Wolfgang. Laissez-moi être tout cela pour vous, ou plutôt soyons tout l’un pour l’autre. Si la forme est nécessaire, alors nous l’observerons. Voici ma main. Je m’engage à vous pour toujours.
- Pour toujours ? demanda gravement l’étrangère.
- Pour toujours et à jamais ! répondit-il.
L’étrangère saisit la main qu’il lui tendait :
- Alors je suis à vous, murmura-t-elle. Et elle se laissa aller sur la poitrine du jeune homme.
Le matin suivant, l’étudiant laissa dormir sa jeune épouse et sortit à la première heure pour chercher un appartement plus spacieux et plus conforme à ce changement de situation. À son retour, il la trouva allongée sur le lit, la tête rejetée en arrière, sous son bras. Il lui parla, mais ne reçut point de réponse. S’avançant pour la réveiller et la tirer de cette inconfortable position, il lui prit la main ; mais cette main était froide et inerte. Son visage était livide et dur. En un mot, ce n’était plus qu’un cadavre.
Saisi d’horreur et d’épouvante, il jeta l’alarme dans toute la maison. Une scène de confusion s’ensuivit. La police fut convoquée. Mais comme l’officier de police pénétrait dans la chambre, il tressaillit à la vue du cadavre.
- Grands Dieux ! s’exclama-t-il, comment cette femme est-elle parvenue jusqu’ici ?
- Vous la connaissez donc ? questionna Wolfgang avec précipitation.
- Si je la connais ! s’écria l’officier, elle a été guillotinée hier !
Il s’avança, défit le noir collier du cadavre, et la tête roula sur le sol !
L’étudiant se prit à hurler dans un accès de délire :
- Le démon ! C’est le démon qui s’est emparé de moi !…. Je suis perdu à jamais.
On essaya, mais en vain, de l’apaiser. L’effroyable conviction qu’un esprit démoniaque avait ranimé le cadavre pour sa seule perdition s’était emparée de lui. Il tomba dans la démence et mourut dans une maison de fous.
1. Où se passe cette histoire ? Citez au moins cinq mots ou passages qui désignent ces lieux. (2,5 points)
2. À quel moment de la journée l’histoire se passe-t-elle principalement ( pensez à citer le texte en donnant deux exemples ) ? Pourquoi ? (1,5 point)
3. Au début, dans quelles conditions météorologiques l’histoire se déroule-t-elle ? Répondez en citant le texte (donnez quatre exemples). (2 points)
4. Quels mots ou groupes de mots contribuent à créer une atmosphère inquiétante (donnez quatre exemples) ? (2 points)
5. Comment appelle-t-on le personnage principal d’une histoire ? Dans cet extrait, quel est son prénom ? (1 point)
6. « Il s’en revenait donc chez lui »
Donnez la classes grammaticale de mot « il ». (0,5 point)
Comment appelle-t-on un verbe commençant par « se » ? (0,5 point)
7. Quel personnage rencontre-t-il ? Citez le groupe nominal qui le désigne, lorsqu’il le rencontre pour la première fois. (1 point)
8. Relevez deux passages décrivant ce personnage. Quel est le temps principalement utilisé ? (1,5 points)
9. Relisez le deuxième paragraphe ( de « Wolfgang sentit son cœur » à « tout ce qui lui était cher »).
Que pense le personnage principal en voyant la jeune femme ? Quel terme montre qu’il n’en est pas sûr ? Quelle est la classe grammaticale de ce mot ? (1,5 point)
10. Dans les deux premiers paragraphes, quels passages montrent que la lumière est insuffisante pour bien voir ? (1 point)
11. Que décident les deux personnages ? (1 point)
12. À la fin du texte, quand le personnage principal revient chez lui après être sorti le matin, qu’est-il arrivé à la jeune femme ? Pourquoi selon vous ( pensez à justifier votre réponse en citant le texte) ? (1 point)
13. À Présent que vous savez ce qui est arrivé à la jeune femme, relisez le dialogue suivant :
- Je n’ai plus d’ami sur terre, dit-elle.
- Mais vous avez une demeure ? dit Wolfgang.
- Oui… dans la tombe !
Comment le comprenez-vous maintenant ? (1 point)
14. Relevez d’autres termes ou passages montrant que l’on aurait pu deviner dès le début le sort de la jeune femme (comparez, entre autres, les deux portraits que vous avez relevés à la question 8). (1 point)
15. Que peut-on penser du personnage principal ? Est-il absolument certain qu’ « un esprit démoniaque » cherche à lui nuire ? (1 point)