Lecture analytique de l'incipit
Cet extrait est le tout début du « Horla ». Ce sont les premiers mots, les premières phrases ; c’est ce qu’on appelle l’incipit, mot qui vient d’une formule latine « Incipit liber... » ( le livre commence... ).
L’extrait ne semble pas être fantastique. Il n’y a, en apparence, nul événement surnaturel.
Ce texte se présente comme le journal intime d’un homme qui y exprime ses sentiments de bonheur, de satisfaction ( voyez les phrases exclamatives : « Quelle journée admirable ! », « Comme il faisait bon ce matin ! » ). Cet homme apparaît au centre d’un univers dont il est le centre. On remarque l’abondance des déterminants possessifs : « ma maison », « mes racines », « mes fenêtres », « mon jardin ».
Ce journal, par ses dates ( 8 mai, 12 mai ), par ses descriptions, donne l’impression de la réalité. Ce sont des effets de réel : l’œuvre littéraire imite la réalité, veut faire croire que l’histoire qu’on lit est réelle.
Le narrateur exprime des sentiments de joie. Le vocabulaire est mélioratif ( C’est le contraire de péjoratif ) : « admirable », « aime », « belles », « plaisir »...
Il est normal que tout se passe bien au début d’une histoire. Les malheurs viendront ensuite.
L’imparfait de la phrase « Comme il faisait bon ce matin ! » révèle que le bonheur appartient déjà au passé, que les événements vont prendre une autre tournure.
Dans la deuxième partie, la journée du 12 mai, le narrateur exprime son malaise, ce qui contraste avec le début. Ses symptômes sont à la fois physiques ( il a « un peu de fièvre », il est « souffrant » ) et psychologiques ( il se sent « triste », « désolé » ). Lui-même ne sait pas précisément ce qu’il a. C’est ce que montrent les nombreuses phrases interrogatives ( « Pourquoi ? » répété deux fois, « Sait-on ? », etc. ). Cependant, il suppose que, dans l’air, des « Puissances » ( notez la majuscule, comme si l’invisible était une personne ) invisibles, « inconnaissables », « mystérieuses » agissent.
Tout le texte est parcouru par le thème de l’air : « l’air lui-même » est évoqué dès le premier paragraphe, « l’air bleu des belles matinées » dans le troisième, et enfin dans le dernier, « l’air invisible » : « On dirait que l’air, l’air invisible est plein d’inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. » À travers l’air, c’est tout ce qui est du domaine de l’invisible, de ce qui échappe à nos sens qui provoque sur l’homme « des effets rapides, surprenants et inexplicables ».
Dès lors, on comprend que l’événement surnaturel a un rapport avec l’invisible, avec l’inexplicable. On voit, enfin, que le fantastique a partie liée avec l’incertitude (voir les nombreuses phrases interrogatives, mais aussi le conditionnel « on dirait »). Être confronté à un événement surnaturel provoquant l’incertitude, la perte des repères relève du fantastique. Et cet événement a lieu dans la réalité.