L'Île mystérieuse est pour moi un vieux souvenir d'enfance. J'avais vu, un jour, une adaptation de ce roman de Jules Verne à la télévision qui m'avait fasciné. Évidemment, rétrospectivement, j'ai désormais la certitude que l'adaptation était bien médiocre, comme c'est souvent le cas d'ailleurs... Récemment, quand je suis tombé sur cette édition du Livre de Poche, je l'ai tout de suite achetée, me disant que j'allais enfin lire cette histoire que je connaissais, que je croyais connaître depuis si longtemps. Et, depuis que j'ai découvert la série Lost, je me suis pris de passion pour les îles. Au reste, j'en ai habité une pendant quatre ans !
Il faut aussi que je prenne le temps de bâtir une séquence sur le thème de l'île... Mais, j'en ai déjà vaguement parlé ici.
Je trouve la première de couverture très éloquente. Elle donne vraiment envie de lire ce livre, et pallie l'indigence de la quatrième de couverture. Elle montre les principaux personnages de l'histoire en situation périlleuse qui, après une audacieuse évasion, vont accoster sur cette île dite mystérieuse. La vue en contre-plongée, les couleurs accentuent l'effet dramatique de la scène. Je m'en pourlèche les babines d'avance. Et puis, quel est ce mystère ?
Car mystère il y a, qui ne nous sera révélé, comme il se doit, que dans la troisième et dernière partie (p. 195) par un narrateur externe, qui semble avoir construit son récit d'après les notes d'un des rescapés ("Ce fut le 20 avril, dès le matin, que commença "la période métallurgiste", ainsi que l'appela le reporter dans ses notes", pp. 71-72, ou encore "[...] et en voici la nomenclature exacte, telle qu'elle fut portée sur le carnet de Gédéon Spilett", p. 114).
Les deux premières parties, tout en aiguisant la curiosité du lecteur en insinuant une présence invisible, sont intéressantes. Elles montrent comment les évadés organisent leur survie. Malheureusement, on est en plein dans ce qu'il convient d'appeler une robinsonnade. Ce mot, qui trouve son origine dans le héros de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, désigne un roman édifiant et moraliste. Les personnages recréent toute une société à partir de rien (c'est, paradoxalement, ce qui est fascinant). Or le roman de Jules Verne, qui n'y échappe pas, est une apologie de la volonté qui peut tout, de la science qui permet tout. C'est, somme toute, une vision assez positiviste des choses. Je me demande même si on n'est pas dans le scientisme... Le personnage au nom programmatique Cyrus Smith en est l'incarnation ("Très instruit, très pratique, très "débrouillard", il remplissait au plus haut degré ces trois conditions dont l'ensemble détermine l'énergie humaine : activité d'esprit et de corps, impétuosité des désirs, puissance de la volonté", p.14)
Il y a donc quelques lourdeurs didactiques. Cela dit, je les étudierais volontiers en collaboration avec un professeur de sciences physiques. J'ai recensé ici quelques passages où les personnages font du feu avec des lentilles, fabriquent des briques, un four, de la chaux, de la nitroglycérine, du verre, etc. en exploitant les ressources de l'île.
Mais, passées ces lourdeurs, on trouve un vraiment roman d'aventures, avec moult péripéties qui vont d'un inconnu abandonné sur un îlot retourné à l'état de sauvagerie au réveil du volcan en passant par une attaque de pirates. C'est captivant.
Reste que lire ce type de roman confronte le lecteur à des idées n'ayant heureusement plus cours. J'ai parlé plus haut de cette incroyable foi dans la science. On peut aussi parler de ce racisme que l'on trouve dans de nombreuses œuvres qui sont, paraît-il, le reflet des croyances de l'époque... Ainsi le personnage de Nab est un "Nègre" (p. 16). Il est d'une fidélité canine (la métaphore est plus que suggérée tout au long du roman) à toute épreuve : "Quand Nab apprit que son maître [Cyrus Smith] avait été fait prisonnier, il quitta le Massachusetts sans hésiter, arriva devant Richmond, et, après avoir risqué vingt fois sa vie, il parvint à pénétrer dans la ville assiégée" (p. 16), ou encore, croyant que son maître était mort, il refuse toute nourriture : "Privé de son maître, il ne voulait plus vivre !" (p. 32). Je dois dire qu'on atteint des sommets quand les rescapés adoptent un singe pour le domestiquer. Je cite le dialogue :
"- Ainsi, dit Nab, c'est sérieux, mon maître ? Nous allons le prendre comme domestique ? - Oui, Nab, répondit en souriant l'ingénieur. Mais ne sois pas jaloux !" (p. 135)
Que conclure de tout ça ? Certainement pas qu'il faut bouder le livre, mais que si on désire le faire en classe - ce que je souhaiterais faire - on gagnera à étudier le livre pour ce qu'il est, c'est-à-dire un passionnant roman d'aventures, une robinsonnade (c'est moins réjouissant, ça...), mais aussi le reflet des croyances de l'époque !
Enfin, vous trouverez une page intéressante sur L'Île mystérieuse sur un site consacré à Jules Verne. Ces deux pages, également, de la BnF sont intéressantes : l'une sur le thème de l'île, l'autre sur le roman d'anticipation.
Et, si vous appréciez cette œuvre, sachez qu'elle s'inscrit dans le prolongement de Vingt mille lieues sous les mers et des Enfants du capitaine Grant.