Il s’agit de bâtir deux parties structurées autour d’une idée centrale.
La question à se poser avant de commencer à rédiger chacune de ces parties est « Qu’est-ce que je veux démontrer ? », « Qu’est-ce que je cherche à prouver ? », « Quels sont les points essentiels à traiter dans le commentaire de ce texte ? »
En aucun cas, il ne s’agit d’additionner des remarques ou des observations faites sur le texte. « On remarque que… », « On voit que… », « Il y a… ». Par exemple, voir qu’il y a là un champ lexical de ceci ou ici une figure de style ne sert à rien, si ces propos ne s’insèrent pas dans un ensemble plus vaste, en l’occurrence un axe de lecture.
L’extrait commence après que Jacques, le protagoniste du livre, a pris la fuite. Il a voulu tuer une jeune fille, Flore, mais s’est ressaisi de justesse. La fatigue (« les jambes brisées », ligne 1) le force à s’arrêter et à réfléchir à la signification de ses velléités de meurtre.
Le personnage est sur le sol, telle une bête « vautré[e] sur le ventre » (ligne 2). Le rapprochement avec l’animal peut encore être établi avec l’emploi, à la fin du premier paragraphe, du gérondif « en galopant » (ligne 10). Son comportement est celui d’un animal : « la face enfoncée dans l’herbe » (ligne 2), « cramponné aux herbes » (ligne 9), « ses doigts tordus entrèrent dans la terre » (ligne 12). Littéralement, le personnage est atterré, comme un animal dans sa tanière.
Ce comportement animal signale aussi le recul de l’être civilisé : « Il ne s’appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée » (lignes 27 et 28).
Le texte s’achève sur l’idée que Jacques Lantier est le résultat d’une dégénérescence et qu’il est retourné à l’état de « sauvagerie » (dernier paragraphe), « une sauvagerie qui le ramenait avec les loups mangeurs de femmes, au fond des bois » (lignes 31 et 32). C’est un peu une théorie de l’évolution à l’envers. L’homme redevient primitif, animal. Le protagoniste est assimilé au loup. C’est un prédateur pour les siens. Comme le rappelle la locution latine (« Homo homini lupus est »), l’homme est un loup pour l’homme ou du moins pour la femme.
Cependant, toute enragée qu’elle est, la bête est douée d’une conscience.
Le narrateur adopte le point de vue de son personnage pour nous en montrer le for intérieur et en souligner la complexité.
En effet, l’utilisation de la focalisation interne révèle le bouleversement du personnage. On connaît ainsi ses sentiments et la détresse intense qui s’empare de lui : « éclata en sanglots convulsifs » (lignes 1 et 2), « ses sanglots » (ligne 12), « un râle d’effroyable désespoir » (ligne 13).
C’est un moment de révélation, de prise de conscience : « il ne pouvait se mentir » (ligne 6). Jacques est dans le raisonnement. Son examen de conscience est construit, comme le montrent les connecteurs logiques mis en début de phrase : « Car il ne pouvait… » (ligne 6), « Et ce n’était point… » (ligne 8), « Pourtant » utilisé deux fois : « Pourtant, il s’efforçait » (ligne 14), « Pourtant, il ne buvait pas » (ligne 28). Il se livre à des hypothèses « Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal » (ligne 20).
Le personnage se livre à une véritable introspection. Il s’interroge : « Qu’avait-il donc de différent, lorsqu’il se comparait aux autres ? » (lignes 14 et 15), « Souvent déjà il s’était questionné » (ligne 16) et veut comprendre (« Il aurait voulu comprendre », ligne 14) l’origine de cet effroyable désir.
Les phrases « Mon Dieu ! il était donc revenu, ce mal abominable dont il se croyait guéri ? Voilà qu’il avait voulu la tuer, cette fille ! Tuer une femme, tuer une femme ! » (lignes 2 à 4 ) relèvent de l’indirect libre. Ce sont les propres paroles du personnage qui sont ici rapportées, ce qu’indique assez clairement la phrase « cela sonnait à ses oreilles » (ligne 4). C’est le personnage qui s’exclame et qui interroge, la ponctuation indiquant l’agitation psychologique. Jacques s’exclame deux fois « Mon dieu ! » (lignes 2 et 11).
Le personnage est conscient de sa monstruosité et en ressent un profond désarroi. Il a une conscience morale (il discerne ce qui est « mal », ligne 3), il en éprouve de « l’appréhension » (ligne 24) et de la « honte » (ligne 24) mais il est impuissant à maîtriser ses pulsions meurtrières.
L’envie de meurtre est obsessionnelle. Elle s’exprime par la figure de la répétition : « Tuer une femme, tuer une femme ! » (lignes 3 et 4) ; « Mon dieu ! » est répété deux fois également (lignes 2 et 11).
Jacques est dans un état de sidération. Il est horrifié et en même temps fasciné par sa victime. L’emploi du déterminant démonstratif « cette fille », « cette chair, cette gorge », « cette Flore », « cette enfant » révèle cette obsession morbide (précisons que « morbide » signifie « relatif à la maladie »).
Le désir de meurtre est désigné comme une maladie : « ce mal » (et plus loin « son mal », lignes 3 et 21), « la fièvre grandissante » (lignes 4 et 5), « une fêlure » (ligne 23), « cette fêlure » (ligne 23), « ces crises » (ligne 24). L’adjectif « enragé » (ligne 6), dans le premier paragraphe, peut être pris au sens propre, comme si Jacques était un animal ayant la rage, soulignant par la même sa dangerosité.
Mais ce mal est aussi un « plaisir » (ligne 8). C’est un « désir » (ligne 5) qui mène à la folie (voir l’épithète « affolante », ligne 5) apparenté au rêve (« Comme les autres […] rêvent d’en posséder une », lignes 5 et 6) à l’envie (le mot est répété deux fois : « une envie, une envie telle », ligne 9). Mais l’emploi du mot « posséder » (ligne 6) montre aussi combien la pulsion de meurtre (Thanatos) est associée à la sexualité (Éros). Le prénom Flore est en ce sens tout un symbole puisqu’il s’agit rien moins que tuer Flore, de la dé-florer. L’expression « les loups mangeurs de femmes » ne laisse, de ce point de vue, aucune équivoque, puisque que l’on retrouve la figure lupine représentant, chez Charles Perrault, le prédateur sexuel :
« On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange. »
Cet extrait mêle donc pulsion meurtrière et discours amoureux, ce qui évoque le juge de la nouvelle « Un fou » de Guy de Maupassant : « L'envie de tuer me court dans les moelles. Cela est comparable aux rages d'amour qui vous torturent à vingt ans. ». Et ce discours morbide et amoureux s’apparente assez logiquement au péché, celui de la chair. Jacques est un personnage en proie à des passions qu’il ne parvient pas à dominer.
L’extrait peut être divisé en deux parties. La deuxième commençant par l’adverbe « pourtant » montre - on l’a vu - la volonté du personnage de « comprendre » (ligne 14) l’origine de ses problèmes. Pour ce faire, l’analepse (« Là-bas, à Plassans, dans sa jeunesse », ligne 15) cherche dans le passé une explication que Jacques trouve dans un examen généalogique. Mais, plus que Jacques Lantier, c’est Zola qui fouille dans le passé pour expliquer le « mal abominable » de son personnage. On voit là les réflexions du romancier naturaliste qui prévenait dans la préface de La Fortune des Rougon :
« Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus, qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux autres. L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur. »
Le problème est donc l’hérédité. C’est ce qui est dit ici : « La famille n’était guère d’aplomb » (lignes 22 et 23). Le mal de Jacques s’origine dans « Cette fêlure héréditaire » (lignes 23 et 24).
Il s’agit donc bien d’apporter une explication mais naturalisme oblige, une explication quasi scientifique, tel que l’expose le Roman expérimental :
« Dès ce jour, la science entre donc dans notre domaine, à nous romanciers, qui sommes à cette heure des analystes de l'homme ».
Dans cet extrait de la Bête humaine, Zola tel un médecin (Le Roman expérimental s’inspire tout entier de la médecine) s’intéresse au corps, ce qu’indique le champ lexical du corps : « la chair » bien sûr (ligne 7), mais aussi « la fièvre » (ligne 4) ou « santé » (ligne 24) ou encore « les pertes d’équilibre » (ligne 25). Il s’intéresse enfin à l’esprit, à ce « moi » (ligne 26) que les psychanalystes en cette fin de XIXe n’ont pas encore analysé mais dont on sent bien qu’il ne rend pas compte à lui seul de la complexité de l’appareil psychique puisqu’une partie « échappait » (ligne 26) et que Jacques « ne s’appartenait plus » (ligne 27).
Cependant, ce n’est pas tant l’inconscient qui intéresse Zola que l’hérédité qui fait de son personnage une victime. C’est même la conclusion de son raisonnement : « Et il en venait à penser qu’il payait pour les autres » (lignes 29 et 30).
En effet, « Les générations d’ivrognes » (ligne 30) qui l’ont précédé l’ont empoisonné (« le sang gâté », « un lent empoisonnement », ligne 31). Zola croit à la « dégénérescence de la race » (cf. dans Germinal « cette dégénérescence dernière d’une race de misérables »). En somme, Jacques est un innocent coupable, un personnage tragique qui ne saurait échapper, pas plus qu’un Labdacide ou un Astride, à la malédiction de la lignée. « Il ne s’appartenait plus » (déjà cité), écrit d’ailleurs Zola. Jacques a le sentiment « qu’il payait pour les autres, les pères, les grands-pères » (lignes 29 et 30). Comme dans les récits antiques, la descendance paye pour les fautes commises dans le passé.
Jacques Lantier est le fils de Gervaise Macquart et d’Auguste Lantier. Gervaise est, dans L’Assommoir une jeune femme boiteuse, plutôt jolie mais surtout alcoolique (sa mère la fait boire dès l’enfance). D’Auguste, paresseux et infidèle, elle a trois enfants : Claude Lantier, le fils aîné, est le héros de L’Œuvre. Jacques Lantier, le second, est le protagoniste de La Bête humaine. Étienne Lantier est le héros de Germinal.