Cet extrait se situe après «la destruction de l’île civilisée» (page 108), c’est-à-dire après que Vendredi a fait exploser la grotte. À partir de ce moment, ce n’est plus Robinson qui impose à Vendredi son mode de vie, mais Vendredi qui fait découvrir à Robinson sa façon de vivre. Ce dernier fait alors l’apprentissage de la vie sauvage. C’est le contraire de la civilisation qu’il a connue jusqu’ici : plus de cultures, de règles ni de vêtements, etc. C’est la liberté retrouvée. Or la liberté, c’est aussi celle du langage. Voilà ce que Vendredi va montrer à Robinson.
En voyant «une tache blanche qui palpitait dans l’herbe» (p.109), Vendredi et Robinson croient voir une marguerite. Ils n’ont pas plus tôt fait cette constatation que «la marguerite battait des ailes et s’envolait» (p.109). Ce n’était donc pas une marguerite, mais un papillon. Cette méprise fait dire à Vendredi qu’«un papillon blanc […] c’est une marguerite qui vole» (p.109).
Auparavant, Robinson aurait forcé Vendredi à admettre qu’une fleur est une fleur, et qu’un papillon est un papillon. Mais, à présent, Robinson découvre que l’on peut jouer avec les mots. On peut faire le rapprochement entre deux choses différentes, parce qu’elles possèdent un point commun : la marguerite ressemble au papillon en raison de sa blancheur. Ce qui pourrait être une comparaison (un papillon est comme une marguerite qui vole) est en fait une métaphore, car il n’y a pas de mot de comparaison. Il y a le verbe «être» à la place : un papillon blanc est une marguerite qui vole.
Ensuite Vendredi explique à Robinson les règles du portrait araucan en cinq touches. Cela consiste à faire deviner un objet ou une personne à l’aide de cinq devinettes qui sont en fait des métaphores :
« C’est une mère qui te berce, c’est un cuisinier qui sale ta soupe, c’est une armée de soldats qui te retient prisonnier, c’est une grosse bête qui se fâche, hurle et trépigne quand il fait du vent, c’est une peau de serpent aux mille écailles qui miroitent au soleil. Qu’est-ce que c’est ? »
La réponse est évidemment l’océan.
Vendredi pose ensuite une autre devinette qui, cette fois, n'est pas constituée de métaphores, mais de métonymies.
« Si c’était un arbre, ce serait un palmier à cause des poils fauves qui en couvrent le tronc. Si c’était un oiseau, ce serait le corbeau du Pacifique à cause de son cri rauque et aboyant, si c’était une partie de mon corps, ce serait ma main gauche à cause de la fidélité avec laquelle elle aide ma main droite. Si c’était un poisson ce serait le brochet chilien à cause de ses dents aiguisées. Si c’était un fruit, ce serait deux noisettes, à cause de ses petits yeux bruns. Qu’est-ce que c’est ? »
Il s'agit du chien Tenn. L'animal est désigné à cinq reprises par une figure de style appelée la métonymie. Cette figure consiste à désigner une personne ou un objet par un élément qui le compose. Ainsi, le poil fauve, le cri, les dents permettent de reconnaître le chien. Mais ces métonymies sont toutes précédées de la proposition subordonnée circonstancielle « Si c’était... ».
Le sauvage Vendredi fait donc des métaphores et des métonymies. Tout d’abord, en faisant le rapprochement entre deux choses différentes, il crée une nouvelle réalité (une marguerite qui vole). Une fleur n’est plus seulement une fleur, une marguerite n’est plus une marguerite. Un mot n’est donc pas prisonnier de la signification qui lui est donnée, et une chose peut recevoir un nom différent. Le langage se libère des règles que la civilisation lui a données. Enfin, il devient jeu poétique avec le portrait araucan. La métaphore devient une devinette source d’amusement, et contribue à la transformation (la métamorphose) de Robinson qui est de moins en moins européen.
Rédigez deux portraits araucans.