On appelle le premier chapitre ou les premières lignes d’un roman un incipit. Il a souvent pour objectif de piquer la curiosité du lecteur, de lui donner envie de lire la suite. Celui-ci ne déroge pas à la règle. Il commence au plus près de l’action en racontant dès les premières pages la tempête puis le naufrage. C’est ce qu’on appelle un début in medias res (au milieu des choses). Ici, le lecteur est « plongé » dans l’action dès le début alors que, dans Robinson Crusoé, Daniel Defoe commence… par le commencement avec la naissance de son personnage !
Dans l’incipit de Vendredi ou la vie Sauvage, on peut distinguer deux parties : l’une consacrée à la tempête, l’autre au naufrage.
Le passage consacré à la tempête commence par un complément circonstanciel de temps « À la fin de l’après-midi du 29 septembre 1759 ». L’incipit nous apprend également qui est le personnage principal, où il se trouve et ce qu’il fait. Un incipit répond donc à des informations nécessaires à la compréhension de l’histoire : Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ?
Si on veut répondre à la première question (Qui ?), on dira que les personnages principaux sont le capitaine van Deyssel et Robinson Crusoé. Ce dernier semble être le protagoniste (car c'est de lui dont il est le plus souvent question). Ce sont des européens. Le capitaine est vraisemblablement hollandais, tandis que Robinson vient de York. Le capitaine est un homme calme, serein, résigné. Il s'en remet aux événements, à la fatalité. Arrivera ce qui doit arriver. Durant la tempête, il joue aux cartes, fume et boit, semblant insouciant.
Ce qui nous amène à répondre à la question Quoi ? C'est une tempête qui surprend cette galiote hollandaise. La tempête est annoncée par le ciel qui noircit, mais aussi par les feux Saint-Elme. On l'a vu, nous sommes au XVIIIe siècle (question Quand ?), au large des côtes du Chili (question Où ?).
Tout semble indiquer que le bateau sera capable d’affronter la tempête (le bateau « n’avait rien à craindre » peut-on lire) ; les personnages sont rassurés (« Aussi le capitaine et Robinson jouaient-ils aux cartes tranquillement »). Le capitaine, serein, prononce même une sorte de proverbe en utilisant un présent de vérité générale : « Contre les éléments déchaînés, il n’y a rien à faire. Alors on ne fait rien. On s’en remet au destin ».
La deuxième partie débute également par un complément circonstanciel, « À ce moment-là ». C’est le naufrage qui provoque la surprise du lecteur qui pensait jusque-là que tout allait bien. Le temps des verbes est essentiellement le passé simple, qui est le temps de l’action. Il provoque une sensation d’accélération du rythme (« Robinson se leva et se dirigea vers la porte »). Le vocabulaire (essentiellement des adjectifs) souligne la force de l’accident (« un violent arc de cercle », « un choc formidable », « une vague gigantesque »). Enfin, la lumière renforce le sentiment d’inquiétude : les feux Saint-Elme tout d’abord annonçant l’imminence « d’un violent orage » (dans la première partie), mais aussi le fanal qui éclate contre la plafond ou encore « la vague lueur de la pleine lune » à la fin, qui permet de voir la dernière scène : Robinson est emporté.
Le chapitre se clôt donc sur un effet de suspense. On ne sait pas ce qui arrive au protagoniste. On veut savoir la suite.