Au Moyen Âge, le théâtre est religieux. On y représente l’histoire sainte, on en « joue » les passages célèbres. D’abord joué dans une église ( le drame liturgique 1 ou le jeu 2 ), puis sur le parvis d’une église ( le miracle 3), le théâtre apparaît sur la place publique ( le mystère 4 ).
Progressivement, le théâtre quitte donc l’église pour se dérouler dans les villes, les foires, les campagnes, etc.
Notes :
1 - Aux XI et XIIe siècles, le drame liturgique met en scène les passages célèbres de la liturgie (les Rois Mages, la conversion de saint Paul, la résurrection de Lazare...). Les acteurs jouent dans le chœur ou le milieu de la nef. Ce sont des prêtres ou des clercs interprétant Jésus, Marie-Madeleine, Judas, etc.
2 - Au XIIIe siècle, le jeu est un drame liturgique long de près de 1000 vers qui insiste sur l’aspect spectaculaire du contenu religieux. Le plus connu est Le Jeu d’Adam qui met en scène l’histoire de la Chute et du péché originel (Adam et Eve).
3 - Fin XIVe siècle, le miracle raconte généralement la vie d’un saint qui, par son intervention, sauve les personnages. Dans Le miracle de Théophile, Rutebœuf met en scène un miracle de la Vierge qui arrache à Satan un prêtre qui lui avait vendu son âme.
4 - Aux XVe et XVIe siècles apparaît le mystère. Organisé par la cité, il se joue devant la ville entière, et offre à l’ensemble de la population un enseignement religieux sous forme de divertissement. Ce sont des pièces de 30 000 à 60 000 vers. Il faut pas moins de 6 à 25 jours de représentation !
On appelle Mystère profane, une pièce mettant en scène un sujet autre que religieux (Mystère de la destruction de Troie, Mystère du siège d’Orléans)
À l’origine, la farce est une petite pièce incorporée à un spectacle édifiant (un mystère) pour détendre un public amassé autour de planches disposées sur des tréteaux. En effet, il n’existe pas à cette époque de bâtiment qu’on appellera plus tard un théâtre. Plus tard, la farce sera jouée de façon autonome dans les foires et les marchés.
Constituée de 300 à 400 vers environ, la farce met en scène trois ou quatre personnages, essentiellement des « types » de la vie quotidienne. Il s’agit du mari trompé, de la femme rusée, du prêtre... Défilent également toutes les professions du Moyen Âge : le chaudronnier, le meunier, le pâtissier, le savetier, le juge, le sergent, le berger...
Un personnage important apparaît : le badin. Ce faux niais, ce vrai naïf, cet innocent plaisant fait éclater le rire.
Les thèmes essentiels de la farce sont la ruse et l’autorité : qui du mari ou de la femme, du maître ou du valet aura l’autorité, le droit de commander l’autre, par quelle ruse ?
Très proche du fabliau, la farce est l’ancêtre de la comédie, genre théâtral qui se développera avec succès au XVIIe siècle avec Molière.
Voici un extrait de La Farce de Maître Pathelin.
Pathelin feint d’être à l’agonie lorsque le drapier vient réclamer l’argent pour les draps dont il lui a fait crédit :
Guillemette : Hélas ! Venez le voir, cher monsieur : il est si souffrant !
Le drapier : Est-il malade pour de bon, depuis tout à l’heure qu’il est revenu de la foire ?
Guillemette : De la foire ?
Le drapier : Par saint Jean, oui. Je crois qu’il y est allé. Il me faut l’argent du drap dont je vous ai fait crédit, maître Pierre.
Pathelin : Ah ! Maître Jean, j’ai chié deux petites crottes plus dures que la pierre, noires, et rondes comme des pelotes. Prendrai-je un autre clystère (1) ?
Le drapier : Et qu’est-ce que j’en sais ? Qu’est-ce que j’en ai à faire ? Il me faut neuf francs ou six écus.
Pathelin : Ces trois morceaux noirs et pointus, les appelez-vous des pilules ? Ils m’ont abîmé les mâchoires ! De grâce, ne m’en faites plus prendre, maître Jean ! Ils m’ont fait tout rendre. Ah ! Il n’y a pas de chose plus amère.
Le drapier : Non point, par l’âme de mon père : mes neuf francs ne me sont point rendus.
Guillemette : Par le cou soient pendus de tels gens si pénibles ! Allez-vous-en, par tous les diables, puisque ce n’est par Dieu !
Le drapier : Par le Dieu qui me fit naître, j’aurai mon drap avant de finir ou mes neuf francs !
Pathelin : Et mon urine, ne vous dit-elle point que je meurs ? Hélas ! Par Dieu, faites que quoi qu’il arrive je ne trépasse pas !
Guillemette : Allez-vous-en ! Et n’est-ce pas honteux de lui casser la tête ?
Le drapier : Dame ! Dieu en soit fâché ! Six aunes de drap... maintenant ! Dites, est-ce concevable, sur votre foi, que je les perde ?
Pathelin : Si vous pouviez amollir ma merde, maître Jean ! Elle est si dure que je ne sais comment je résiste quand elle me sort du fondement.
Le drapier : Il me faut neuf francs tout ronds, car, par saint Pierre de Rome...
Guillemette : Hélas ! Vous tourmentez tellement cet homme ! Comment êtes-vous si dur ? Vous voyez clairement qu’il pense que vous êtes médecin. Hélas ! Le pauvre chrétien a assez de malheur : onze semaines sans relâche, il est resté là, le pauvre homme !
Composée aux alentours de 1460, cette farce a été écrite par un auteur qui nous est aujourd’hui inconnu.
En voici l’intrigue : Pierre Pathelin veut acquérir de l’étoffe pour se faire des vêtements à lui et à sa femme Guillemette. Or cet avocat désormais sans emploi est sans le sou. Pour obtenir ce qu’il désire, il va tromper Guillaume Joceaulme le drapier. L’extrait que nous en avons donné ci-dessus montre comment Pathelin accueille le drapier venu réclamer son argent.
Plus tard, le drapier assigne en justice son berger Thibault l’Agnelet. Celui-ci sera défendu par Maître Pathelin qui a bien l’intention, une fois encore, de se moquer du drapier.
Le nom Pathelin évoque le verbe pateliner qui signifait « flatter, faire le beau parleur ». À la manière du renard de la fable (popularisé par le Roman de Renart), Maître Pathelin use de la parole pour tromper les autres. Il sera pourtant dupé par un simple berger qui n’a qu’une onomatopée (« bée ») pour seule arme. Le trompeur est trompé à son tour...
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Notes :
1 - Clystère : lavement de l’intestin avec une grosse seringue.