L’intérêt de cet extrait n’est pas dans ce que font les personnages (ils prennent leur petit-déjeuner), mais dans ce qu’ils pensent :
« Six personnes, extérieurement calmes et maîtresses d’elles-mêmes.
Mais intérieurement ? Des pensées qui tournaient en rond comme des écureuils en cage… » (page 135)
L’écart entre ce que font et ce que pensent les personnages est souligné par l’opposition entre les adverbes de manière « intérieurement » et « extérieurement ». L’opposition est renforcée par la conjonction de coordination « mais ».
Les pensées des personnages, de tous les personnages (1), sont connues du lecteur car le narrateur est omniscient. Celui-ci sait tout. C’est ce qu’on appelle également le point de vue zéro (2). L’utilisation de ce point de vue nous permet d’aller au-delà des apparences et de connaître réellement les personnages, ce qu’ils pensent, cachent ou ne disent pas. On comprend ce que sont réellement les prétendus « être normaux ».
Ainsi, on découvre leurs pensées, ce qui peut être amusant. En effet, songeant à la mort, Emily Brent, cette vieille fille, se dit : « Les Brent ignoraient la peur. Dans la famille, on était militaire de père en fils. On regardait la mort, sans ciller » (page 134). On découvre également, petit à petit, le passé inavoué des personnages. (voir page 133, Vera se rappelant Hugo).
Cependant, l’omniscience narrative ne nous délivre pas l’ensemble de son savoir. On n’apprend que peu de choses à la fois. Pour la première fois, on est admis à connaître les pensées du tueur :
« L’imbécile ! Il a cru tout ce que je lui ai dit. Simple comme bonjour… Il faut quand même que je sois prudent, très prudent » (page 135)
Mais si on sait ce que pense le tueur, si on sait qu’il a un complice qu’il instrumentalise probablement, on ne sait toujours pas qui il est.
L’omniscience du narrateur nous permet donc de découvrir la réelle personnalité ou le passé des personnages, mais elle ne nous délivre les informations que partiellement, augmentant par là même le suspense.
Notes :
1 - Voir la page 135 où les pensées de tous les personnages sont successivement retranscrites.
2 - Le point de vue zéro s’oppose au point de vue interne et au point de vue externe (lire le cours consacré aux points de vue).