Les pages 9 à 17 constituent le prologue de la pièce. L’entrée du chœur, page 18, signale la fin du prologue. C’est alors la parodos.
Le prologue peut-être comparé à ce que le XVIIe siècle appelle la scène d’exposition. Dans cette toute première scène de la pièce, deux personnages dialoguent et leurs propos permettent au spectateur de découvrir l’histoire qui commence au plus près de l’intrigue, c’est-à-dire du nœud du problème.
Au théâtre, il n’y a pas de narrateur. Seuls les personnages qui parlent rapportent l’histoire.
Ainsi Œdipe roi débute avec un dialogue entre un prêtre et Œdipe. Le premier s’adresse au second et lui demande de sauver la ville de Thèbes souffrant de la peste (page 10). Œdipe l’avait sauvée du Sphinx, il doit à présent la sauver de cette terrible maladie : « ce que tu fus, sois-le encore », demande le prêtre de Zeus (page 12).
Le prêtre s’adresse donc à Œdipe comme un sauveur qui a déjà triomphé de « l’horrible Chanteuse », comme à un homme aimé des dieux (« c’est par l’aide d’un dieu - chacun le dit, chacun le pense - que tu as su relever notre fortune », page 11), comme à un roi (« ne va pas maintenant lui laisser de ton règne ce triste souvenir [...] Redresse cette ville, définitivement », page 11). Le titre grec de la pièce est d’ailleurs Œdipos-Tyrannos. Un tyrannos est un roi élu par acclamations (par opposition au fils du roi, de droit divin : le basileos) .
Le prêtre avait commencé par déclarer : « nous t’estimons le premier de tous les mortels dans les incidents de notre existence et les conjonctures créées par les dieux » (page 11). Même si le mot incident doit être pris dans son sens classique d’événement qui survient (dans le cours d’une affaire, d’une entreprise), il sonne sinistrement à notre oreille et nous donne à entendre tout le poids de la responsabilité d’Œdipe dans la vie des Thébains.
Afin de savoir ce qu’il faut faire en cette circonstance, Œdipe a envoyé Créon consulter l’oracle d’Apollon : il faut « chasser la souillure que nourrit ce pays » (page 14).
Créon est le beau-frère d’Œdipe. La didascalie (indication destinée à la mise en scène) indique qu’il intervient à la fin du prologue (page 14). C’est lui qui, interrogé par Œdipe, apporte et explicite la réponse de Phœbos, autre nom du dieu Apollon. Les nombreuses phrases interrogatives formulées par Œdipe (pages 14 à 17) trouvent leurs réponses en la personne de Créon qui connaît le passé (le meurtre de Laïos) et l’injonction divine (trouver le meurtrier de Laïos).
Ainsi, la souillure ne pourra être lavée qu’en trouvant le ou les coupables du meurtre de Laïos.
Les interrogations d’Œdipe révèlent son désir de comprendre le passé pour résoudre les problèmes du présent. Elles révèlent de l’incompréhension, des doutes. Œdipe se demande pourquoi le meurtre n’a pas fait l’objet d’une enquête plus tôt et comment il va pouvoir résoudre pareille affaire :
« Comment retrouver à cette heure la trace incertaine d’un crime si vieux ? » (page 15)
Plus encore, il trouve curieux que personne n’ait rien su ou que personne n’ait agi :
« Et pas un messager, un compagnon de route n’a assisté au drame, dont on pût tirer quelque information ? » (page 16)
« Et quelle détresse pouvait donc bien vous empêcher, quand un trône venait de crouler, d’éclaircir un pareil mystère ? » (page 16)
Créon apporte à chaque fois des réponses plus ou moins satisfaisantes, si bien qu’Œdipe décide de reprendre l’affaire : « Eh bien ! je reprendrai l’affaire à son début et l’éclaircirai, moi » (page 17) Le passé doit donc être élucidé. Toute la pièce consistera d’ailleurs à comprendre le passé.
Les derniers mots d’Œdipe montrent à quel point, en ce début de pièce, il est loin de comprendre les événements auxquels il se trouve mêlé. Ses hypothèses sont fausses :
« [...] c’est pour moi que j’entends chasser d’ici cette souillure. Quel que soit l’assassin, il peut vouloir un jour me frapper d’un coup tout pareil » (page 17)
Mais ces propos, aux oreilles du lecteur qui connaît déjà l’histoire d’Œdipe, paraissent ironiques, car quand Œdipe dit « c’est pour moi que j’entends chasser d’ici cette souillure », il ne sait pas encore à quel point il a raison. C’est ce qu’on appelle l’ironie tragique. Œdipe pense encore pouvoir agir, éclaircir le passé, trouver le coupable et « mettre un terme à ce fléau » (page 17).