Lecture analytique du poème Souvenir de la nuit du 4 extrait des Châtiments
Commençons par un petit rappel historique :
La première République naît en 1789, la seconde en février 1848.
Entre les deux, grosso modo, alternent empire et monarchies : Napoléon Bonaparte (1799-1815), et la Restauration (Louis XVIII en 1814-1815 puis 1815-1824, Charles X en 1824-1830 et Louis-Philippe en 1830-1848).
Louis-Napoléon Bonaparte est le neveu de Napoléon 1er. Il devient président de la deuxième République le 10 décembre 1848. À cette époque, Victor Hugo soutient cet homme de gauche proche du peuple qu’est Louis-Napoléon Bonaparte.
La Constitution rend impossible la réélection du président. Ne parvenant pas à réformer la Constitution pour se faire réélire (à cause de l’opposition de l’Assemblée législative), Louis-Napoléon Bonaparte réalise un coup d’État le 2 décembre 1851. Deux jours plus tard, un soulèvement populaire est réprimé dans le sang (300 à 400 victimes). « Souvenir de la nuit du 4 » évoque cette journée sanglante.
À peine un an plus tard, le 2 décembre 1852, Louis-Napoléon Bonaparte est sacré empereur. L’empire de Napoléon III ne prendra fin qu’en septembre 1870 avec la capitulation de Sedan (guerre contre les Prussiens).
Opposé à l'empire, Victor Hugo est contraint de s’enfuir sous une fausse identité, et choisit de s'exiler durant 19 ans.
L’objectif de cette longue première strophe est d’émouvoir le lecteur, de lui faire ressentir l’horreur de cette veillée funèbre. Cet objectif repose, entre autres, sur une description minutieuse des lieux, du corps de l’enfant et enfin sur le discours de la grand-mère.
Cette description ne commence qu’après un premier vers brutal, simple : « L’enfant avait reçu deux balles dans la tête ». Victor Hugo énumère ensuite quatre adjectifs décrivant les lieux : « Le logis était propre, humble, paisible, honnête ». Le poète, pour rendre la scène plus réelle, insiste sur les détails : le « rameau bénit sur un portrait », « l’armoire en noyer », la « toupie en buis ». Ces adjectifs et ces compléments du nom créent un effet de réel. Il faut préciser que Victor Hugo a réellement assisté à cette veillée funèbre. Il y a, dans ce poème, un aspect biographique.
Le champ lexical du corps nous révèle toute l’horreur du crime : « son œil farouche », « ses bras pendants », « son crâne », « ses pauvres cheveux », « sa tempe ». Le poète insiste également sur les blessures mortelles : « On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies » ou encore les deux suivants : « Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?/Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend. »
Ce corps est celui d’un innocent sacrifié, assassiné, d’où les références à Jésus : l’antonomase (« un Jésus »), le linceul (dans la dernière strophe notamment), la plaie dans laquelle on peut mettre un doigt (évoquant par là même saint Thomas) ou même les « bras pendants ».
Une grande partie de la première strophe est constituée du discours de la grand-mère, discours rapporté directement comme le montrent les tirets, le présent, l’utilisation du « je » ou encore des verbes de parole (notamment « cria » qui indique la colère et l’indignation). Elle ne comprend pas pourquoi son enfant est mort, lui qui « n’a pas crié vive la République ». La rime (« explique ») annonce la strophe suivante dans laquelle Hugo apporte des explications.
Dans cette dernière strophe, Victor Hugo prend la parole (voyez le présent utilisé : « aime », « convient », « sauve », etc.).
Le poète raille Louis-Napoléon Bonaparte. C'est ce que montre l’énumération : « Il lui convient d’avoir des chevaux, des valets, de l’argent pour son jeu, sa table, son alcôve,/Ses chasses ». Cet homme recherche le luxe et la flatterie : « Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,/Où viendront l'adorer les préfets et les maires ; »
Le poète a également recourt à l’ironie : « il sauve/La famille ». Mais comment pourrait-il sauver la famille, lui qui par son coup d’État, tue « des enfants de sept ans » ? C'est pourtant « cela » la politique que ne comprend pas la grand-mère (voir le premier vers de la deuxième strophe).
En s’achevant sur ces termes, le poème révèle son aspect satirique.
La satire consiste en effet à se moquer et attaquer quelqu’un ou quelque chose. Ce poème extrait des Châtiments bat en brèche Napoléon et les moyens criminels employés par celui-ci pour se maintenir au pouvoir et vivre dans l'opulence. Il rappelle que l'homme qui se fait sacrer empereur au suffrage universel (2 décembre 1852) est un assassin (2 décembre 1851).
Par la même occasion, le poète prend parti pour le peuple qui souffre (« les vieilles grand-mères ») et dont il défendra la cause dans Les Misérables.