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Le Parti pris des choses de Francis Ponge est un court recueil de 32 poèmes en prose (1) publié durant l’Occupation (1942) et qui prend pour matière les objets les plus humbles (un galet, les escargots, un cageot...), ce qui fera dire à François Mauriac dans Le Figaro que Ponge est le « poète des objets les plus insignifiants ».
Cette rare critique négative pourrait se montrer plus pertinente que prévu si l’on veut bien admettre qu’en effet il s’agit pour Ponge de prendre un sujet simple voire banal mais aussi d’amener le lecteur à en (re)découvrir la beauté que la force du style rendra évidente. En effet, nombre de poèmes de ce petit recueil relèvent à la fois de la description voire de la définition, mais c’est également une invitation à chaque fois renouvelée à l’émerveillement. Que l’on songe, par exemple, au poème « Le pain » dans lequel l’auteur voit la Cordillère des Andes. En somme, de tels poèmes réhabilitent des objets ignorés par la société mais surtout par la tradition poétique (2).
Le poème « L’huître » peut se découper en trois mouvements correspondant aux trois paragraphes qui épousent la forme de l’objet même. Le premier paragraphe, le plus long, décrit l’objet dans son apparence extérieure. Le second, plus court, en révèle l’intérieur quand le dernier, constitué d’une seule phrase, évoque la perle que le mollusque sécrète. En somme, la description mime l’objet lui-même en un mouvement décroissant allant du plus grand (l’extérieur) au plus petit (la perle).
Précisément, « L’huître », ce « monde opiniâtrement clos » que le poète s’efforce d’ouvrir, fait l’objet d’une ouverture au jour de la parole. Or il s’agit de refaire ce « monde », de le recréer poétiquement (la poésie, en grec, c’est la création), ce qui n’est pas, on le verra, sans risque.
On se demandera donc en quoi ce texte mimétique propose une réflexion sur le langage.
Ce premier paragraphe, on l’a vu, entreprend de décrire l’objet dans sa forme extérieure, tel qu’il apparait quand on le voit. La formulation emprunte sa simplicité aux dictionnaires et l’usage du présent de l'indicatif relève de ce type d’ouvrage. Forme, taille et couleur sont donc les premiers éléments évoqués dans ce qu’on pourrait encore hésiter à qualifier de poème. Toutefois les mots et groupes de mots qui suivent le verbe « être » suggèrent un tâtonnement linguistique s'efforçant d’appréhender l’objet. En effet, on trouve un parallélisme « d’une apparence plus rugueuse » / « d’une couleur moins unie » (préposition + article + nom + adverbe + adjectif). Au sein de cette figure s’en trouve une autre : l’antithèse (« plus » vs « moins »). Différence et similitude invitent à la définition et à son ajustement. Mais surtout la fin de la phrase (« brillamment blanchâtre ») offre une juxtaposition qu’il convient d’interroger. L’adverbe est connoté positivement, alors qu’au contraire l’adjectif avec son suffixe « -âtre » est péjoratif. L'alliance des deux, comme le dit Ponge, « est exactement le contraire d’un lieu commun » (Entretiens avec Philippe Sollers, VII, p.107-116). L’assonance en « a » suggère même l’exclamation admirative et justifie qu’on s'intéresse d’un peu plus près à cet objet dont même l’orthographe est intéressante. En effet, Ponge joue sur l’orthographe des mots : « huître » tout d'abord puis « blanchâtre » et « opiniâtrement » (et plus loin « verdâtre »). La présence de l’accent circonflexe sur la voyelle appelle ces mots. On le voit à nouveau, la forme et le fond coïncident.
À cette brève description succède tout un passage que l’adverbe « pourtant » indique et qui a pour objectif d’ouvrir l'huître afin de découvrir littéralement « un monde ». À cet effet, de nombreux efforts sont à fournir. Nous avons affaire à la phrase la plus longue du passage qui énumère une série d'infinitifs (« tenir », « se servir », « s’y reprendre »). La chose ne va donc pas de soi. On retrouvera une autre énumération dans la phrase suivante (« s’y coupent », « s’y cassent ») à laquelle s’ajoute une allitération du son [k] indiquant la difficulté de l’entreprise. Cette allitération précède et poursuit cette brève énumération : « curieux », « coups qu’on lui porte », « marquent ».
Il est intéressant de noter que le poète semble absent de son poème (nul présence d’un « je »). On trouve cependant des pronoms indéfinis « on » (« on peut l’ouvrir », « les coups qu’on lui porte ») qui conviennent au caractère impersonnel du style employé dans les dictionnaires, modes d’emploi et autres encyclopédies (à rapprocher des présentatifs comme « c’est » ou des tournures impersonnelles comme « il faut »), mais qui peut tout autant impliquer le lecteur. Quoi qu’il en soit, la scène de l’ouverture semble bel et bien vivante. Les adjectifs « franc » et « curieux » personnifient tour à tour le couteau et les doigts. L'huître même semble vivre et semble dotée d’un caractère opiniâtre (le mot signifie étymologiquement « attaché à ses opinions ». Dans son acception récente, le terme signifie « entêté », « tenace »). Dès lors, la description cède le pas à une scène de combat (ce que laisse entendre le mot « coups » dans la dernière phrase du passage). Pourtant, il s’agit surtout d’un « travail », à la fois littéralement une torture (sens étymologique du mot) mais aussi un labeur, une entreprise que l’on peut tout de suite qualifier de poétique bien que l’adjectif « grossier » souligne une sorte d’artisanat voire une maladresse sur laquelle nous reviendrons.
Le second mouvement est de facture plus courte puisque précisément il décrit l'intérieur de l'huître. Est fait à nouveau mention du monde évoqué dans la deuxième phrase du poème. La différence tient au fait que c’est l’expression « tout un monde », locution que le langage courant utilise fréquemment de façon imagée.
Ponge joue avec les expressions figées et réactive le contenu imagé de certaines formules comme les métaphores d’usage (« à boire et à manger » dans « L'huître »). Il joue sur le sens propre et le sens imagé. Ainsi, ces expressions présentent plusieurs niveaux de signification. Les métaphores cessent d’être seulement des catachrèses et retrouvent leur sens plein.
Ce monde est celui de la création. Les termes « firmament », « les cieux d'en-dessus » et les « cieux d’en-dessous » évoquent précisément le récit biblique de la Genèse et c’est bien le récit de la création poétique qui trouve son illustration à travers cette huître métaphorique. Faut-il par ailleurs voir de l’humour dans le groupe nominal qui clôt le paragraphe ? On sait que la bave de l’escargot peut renvoyer à la trace, à la parole (nécessaire bave de l’appareil phonatoire), mais qu’en est-il du « sachet visqueux et verdâtre » ? On sait déjà que sa dentelle noirâtre fait du mollusque une huître portugaise puisque c’est la seule à en être orné (le mot clôturera le poème). L’idée est de tirer de la beauté du banal voire du laid en une série de propositions qui tirent vers l’octosyllabe (« pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre ») où abondent les assonances en [y] en [a]. Autant les premières suscitent le son du dégoût (repensez à la leçon d’orthographe du Bourgeois gentilhomme : « Vos deux lèvres s’allongent comme si vous faisiez la moue : d’où vient que si vous la voulez faire à quelqu’un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que : U. »), autant les suivantes expriment l’admiration.
Selon le mouvement rétrograde déjà évoqué plus haut, la troisième partie de ce poème diminue encore pour ne tenir qu’en une phrase. Sa petitesse trouve un écho dans le mot « formule » qui désigne « une petite forme ». Ce qu’est le poème : une petite forme.
L’adverbe « parfois », l’autre adverbe « très » insistent sur le caractère exceptionnel de la perle, cette formule. Encore que l’on remarquera que le mot est employé non comme un substantif mais ici comme un verbe. Quoi qu’il en soit, la « formule » doit être rapprochée du mot « gosier » et entretient des rapports avec la parole. Le poème est une réflexion sur la parole. La formule, c’est le diminutif de « forme » (forme poétique). C’est aussi le bref énoncé qui suggère le bonheur de l’expression. Le fait que le dernier mot soit le verbe « orner » dit la vanité précieuse du style et que l’intérêt est ailleurs.
Rappeler les idées principales.
Terminer par cette réflexion : le poème est une « une mimésis graphique, imitation par les formes sensibles de l’écriture » (Gérard Genette, Mimologiques)
On peut également signaler que Ponge met l’accent sur les choses par méfiance à l’égard des idées et des idéologies, du langage usé (penser à Mallarmé : donner un sens plus pur au mot de la tribu). Rejet de l’anthropocentrisme de la tradition poétique.
Notes :
1 - Le poème en prose apparait dès 1842 avec Aloysius Bertrand (Gaspard de la nuit). Charles Baudelaire en écrit également (Les Petits Poèmes en prose, 1869).
Arthur Rimbaud (Illuminations, 1870), Stéphane Mallarmé (Divagations, 1897) mais encore les surréalistes au XXe siècle achèvent de donner à cette forme ses lettres de noblesse.
1 - Cela ne veut pas dire que la poésie n'a jamais parlé de l'huître (ou de tout objet dont la présentation est qualifiée de nature morte en poésie). Que l'on songe, par exemple, à Rémy Belleau et à son poème « L’huître » dans Petites inventions (1556)). Cela signfie seulement que ce n'est pas le sujet le plus traité dans la poésie.