Depuis quelque temps, plusieurs navires sont détruits par ce que l’on pense être une baleine énorme d’une puissance et d’une vitesse surprenantes. Ne pouvant croire en l’existence d’un sous-marin (encore très rare pour l’époque), le professeur d’histoire naturelle Pierre Aronnax formule l’hypothèse d’un narval géant.
Une grande chasse est alors organisée. À bord de l’Abraham Lincoln, se trouvent le narrateur de l’histoire (Pierre Aronnax), son domestique Conseil et un harponneur canadien Ned Land.
Tous seront faits prisonniers par le capitaine Nemo à bord du Nautilus. Ils deviennent les hôtes captifs de ce mystérieux personnage. Durant leur périple, ils découvrent une dizaine de poulpes de dimensions colossales. L’un d’eux empêche la progression du Nautilus. Nemo décide d’exterminer ces animaux.
Aussitôt un de ces longs bras se glissa comme un serpent par l’ouverture, et vingt autres s’agitèrent au-dessus. D’un coup de hache, le capitaine Nemo coupa ce formidable tentacule, qui glissa sur les échelons en se tordant.
Au moment où nous nous pressions les uns sur les autres pour atteindre la plate-forme, deux autres bras, cinglant l’air, s’abattirent sur le marin placé devant le capitaine Nemo et l’enlevèrent avec une violence irrésistible.
Le capitaine Nemo poussa un cri et s’élança au-dehors. Nous nous étions précipités à sa suite.
Quelle scène ! Le malheureux, saisi par le tentacule et collé à ses ventouses, était balancé dans l’air au caprice de cette énorme trompe. Il râlait, il étouffait, il criait : « À moi ! à moi ! » Ces mots, prononcés en français (1), me causèrent une profonde stupeur ! J’avais donc un compatriote à bord, plusieurs, peut-être ! Cet appel déchirant, je l’entendrai toute ma vie !
L’infortuné était perdu. Qui pouvait l’arracher à cette puissante étreinte ? Cependant le capitaine Nemo s’était précipité sur le poulpe, et, d’un coup de hache, il lui avait encore abattu un bras. Son second luttait avec rage contre d’autres monstres qui rampaient sur les flancs du Nautilus. L’équipage se battait à coups de hache. Le Canadien, Conseil et moi, nous enfoncions nos armes dans ces masses charnues. Une violente odeur de musc (2) pénétrait l’atmosphère. C’était horrible.
Un instant, je crus que le malheureux, enlacé par le poulpe, serait arraché à sa puissante succion. Sept bras sur huit avaient été coupés. Un seul, brandissant la victime comme une plume, se tordait dans l’air. Mais au moment où le capitaine Nemo et son second se précipitaient sur lui, l’animal lança une colonne d’un liquide noirâtre, sécrété par une bourse située dans son abdomen. Nous en fûmes aveuglés. Quand ce nuage se fut dissipé, le calmar avait disparu, et avec lui mon infortuné compatriote !
Quelle rage nous poussa alors contre ces monstres ! On ne se possédait plus. Dix ou douze poulpes avaient envahi la plate-forme et les flancs du Nautilus. Nous roulions pêle-mêle au milieu de ces tronçons de serpents qui tressautaient sur la plate-forme dans des flots de sang et d’encre noire. Il semblait que ces visqueux tentacules renaissaient comme les têtes de l’hydre (3). Le harpon de Ned Land, à chaque coup, se plongeait dans les yeux glauques des calmars et les crevait. Mais mon audacieux compagnon fut soudain renversé par les tentacules d’un monstre qu’il n’avait pu éviter.
Ah ! comment mon cœur ne s’est-il pas brisé d’émotion et d’horreur ! Le formidable bec du calmar s’était ouvert sur Ned Land. Ce malheureux allait être coupé en deux. Je me précipitai à son secours. Mais le capitaine Nemo m’avait devancé. Sa hache disparut entre les deux énormes mandibules, et miraculeusement sauvé, le Canadien, se relevant, plongea son harpon tout entier jusqu’au triple cœur du poulpe.
« Je me devais cette revanche (4) ! » dit le capitaine Nemo au Canadien.
Ned s’inclina sans lui répondre.
Ce combat avait duré un quart d’heure. Les monstres vaincus, mutilés, frappés à mort, nous laissèrent enfin la place et disparurent sous les flots.
Le capitaine Nemo, rouge de sang, immobile près du fanal, regardait la mer qui avait englouti l’un de ses compagnons, et de grosses larmes coulaient de ses yeux.
Vingt milles lieues sous les mers (deuxième partie, chapitre XVIII) de Jules Verne
Notes :
1 - Nemo et ses hommes parlent un langage incompréhensible pour tout autre qu’eux.
2 - Substance brune très odorante sécrétée par les glandes abdominales de certains animaux.
3 - L’hydre de l’Herne est un monstre de la mythologie. Ayant l’aspect d’un serpent, ses nombreuses têtes repoussent quand on les coupe.
4 - Ned Land avait sauvé le capitaine Nemo alors que celui-ci était attaqué par un requin (voir le chapitre III de la deuxième partie).
1. Combien de fois est répété le mot « monstre » ?
2. Quels sont ces monstres ?
3. Trouvez une comparaison qui fait le rapprochement avec les monstres de la mythologie.
4. Relevez les termes qui montrent la puissance de ces monstres.
5. Quels sont les sentiments du narrateur face à ces monstres ? Citez le texte.
6. Combien de temps dure le combat ?
7. À quel temps sont conjugués les verbes ? Justifiez leur emploi.
8. Quelles sont les informations apportées par le roman sur ces animaux ? Donnez au moins trois exemples.