Après l’échec de L’Évasion (un bateau trop lourd que Robinson a construit et n’a pu mettre à l’eau), triste et fatigué, Robinson cède au découragement. Comme les pécaris (des cochons sauvages), il s’enfouit le corps dans des marécages afin d’échapper à la chaleur de l’été et aux moustiques. Nu, il passe ainsi la journée dans la boue (la souille). Mais des gaz se dégagent de l’eau croupie et lui troublent l’esprit.
Malheureux, le protagoniste se comporte comme un animal. Au sortir de la souille, la tête lui tourne et il ne parvient plus qu’à marcher à quatre pattes. Il mange à même le sol « comme un cochon » (p. 26) et ne se lave plus. Robinson n’est plus un être civilisé échoué sur une île inconnue, il retourne à un état sauvage et animal.
Pire encore, les gaz marécageux lui procurent des hallucinations. Robinson voit même un galion espagnol sur lequel une fête se déroule. Le personnage, à la fin du chapitre, comprend qu’il a des visions :
« Ainsi ce bateau, ce galion - type de navire qui avait d’ailleurs disparu des mers depuis plus de deux siècles - n’existait pas. C’était une hallucination, un produit de son cerveau malade » (page 28).
Cependant, de nombreux verbes indiquent, bien avant la page 28, que ce que voit Robinson n’est pas la réalité, mais le produit de son imagination : « il entendait les voix de sa femme » (p.26), « il vit pointer une voile blanche à l’est de l’horizon » (p.26), « Robinson distinguait une foule brillante sur le pont » (p.27). Ce sont généralement des verbes de perception (souvent en rapport avec la vue ou l’ouïe). Par ces verbes, le narrateur nous donne à voir ce que voit Robinson et non ce que nous verrions avec nos propres yeux. C’est ce qu’on appelle un point de vue interne. On voit ce que voit Robinson : « il prenait les arbres que le vent agitait au-dessus de sa tête pour des grandes personnes penchées sur lui » (p.26)
Mieux encore, d’autres verbes nous avertissent que ce que voit Robinson n’est pas certain : « il crut entendre de la musique » (p.26), « Une fête paraissait se dérouler à bord » (p.27) Ce sont des verbes modalisateurs exprimant l’incertitude.
En voulant atteindre ce galion imaginaire et une jeune fille qui semble s’y trouver, Robinson manque de se noyer : « Il ouvrit la bouche pour l’appeler. L’eau salée envahit sa gorge » (p.27). Seule « une petite raie » fuyant le ramène à une réalité qui le fuit tout autant que le poisson. L’eucalyptus enflammé qu’il avait allumé pour attirer l’attention du galion le tire de son évanouissement. Robinson rejoint le rivage et passe le reste de la nuit recroquevillé près du tronc incandescent.
Le lendemain, le héros retrouve ses esprits et comprend ce qui lui est arrivé : la souille et la paresse l’ont rendu fou. Dès lors, voulant se ressaisir, il cesse de se tourner vers la mer. Il ne veut plus tenter de s’évader ou d’attirer l’attention d’éventuels bateaux, mais se tourne enfin vers l’île pour « travailler, prendre son propre destin en main » (p.28). Aussi l’histoire - la vie sauvage (la vraie, celle du titre) - peut-elle vraiment commencer.